•  Le franchissement de la Porte basse 

    Introduction

    Le glossaire général du symbolisme maçonnique, présent sur un « site Internet », nous indique que la « Porte du temple », placée entre les deux Colonnes, est un symbole particulièrement parlant et que, pour subir son Initiation, le Profane pénètre dans la Loge par la « Porte basse ».

    Le rituel maçonnique veut en effet que le candidat à l’Initiation soit obligé de se courber lors de sa première entrée dans la Loge. Bien que cette attitude puisse nous inciter à faire preuve d’humilité, il ne s’agit pas d’humilier le candidat, mais de lui signifier qu’il meurt à la vie profane pour renaître à une vie nouvelle.

    La Porte basse est un passage obligé pour tout Récipiendaire dûment préparé, ni nu ni vêtu, parfois avec une corde autour du cou (gestuelle appliquée dans certaines Loges pratiquant le Rite Écossais Ancien et Accepté) ou parfois même les mains enchaînées.

    Ce symbole de la Porte a de nombreuses significations que je vais tenter de développer dans  cette recherche.

    Ces premières considérations m’ont déjà permis de répondre à deux premières questions : « Quand franchit-on la Porte basse ? » et « Pourquoi la franchit-on ? ».

    Nous pouvons aisément comprendre que cette gestuelle ne concerne que le Profane qui a frappé à la Porte de la Loge. Le Vénérable Maître, au nom de tous les Frères, lui en a permis l’accès. Et la Porte lui a été ouverte.

    L’objectif de la présente planche est d’examiner comment se passe concrètement le franchissement de la Porte basse et de dégager le symbolisme de cette scène.

    Mais avant tout, je voudrais signaler que dans la littérature maçonnique, certains auteurs utilisent l’expression la « Porte du temple ». Prenons plutôt l’habitude de dire « la Porte de la Loge », afin d’être en conformité avec les indications de notre Rite moderne (belge) adoptées par la Grande Loge Régulière de Belgique : la Loge n'étant pas le Temple, il faut éviter de parler du « Temple », de « la Porte du Temple », etc. Le Temple n'est mentionné que lorsqu'il est fait allusion au Temple de Salomon.

    La Porte de la Loge est le lieu d’accès qui marque la limite entre l’enceinte sacrée et le monde profane. Elle est située à l’Occident, là où le Soleil disparaît, entre les Colonnes « J:. » et « B:. ».

     

    Le franchissement de la porte basse

    Après lui avoir bandé les yeux pour quitter le Cabinet de Réflexion, le candidat est amené au Parvis, avec l’aide du Maître des Cérémonies. Portant une chemise blanche laissant bras et sein gauche découverts, le genou droit nu et le pied gauche nu dans une pantoufle, le candidat est ainsi amené face à la Porte de la Loge. C’est ainsi que, « ni nu ni vêtu », les yeux bandés (et même une corde au cou au Rite Écossais Ancien Accepté) le candidat se présente à la Porte de la Loge.

    Pour se mouvoir, il est à présent entièrement dépendant de celui qui voudra bien ne pas le laisser choir ! Au Rite moderne, c’est soit au parrain du candidat, soit au Maître des Cérémonies que revient le devoir de le mener vers les épreuves qui l’attendent.

    Privé de la vue pour un certain temps, ses autres sens devraient être stimulés davantage car, dès cet instant, il a à éprouver et à entendre. Son regard d’aveugle se tourne vers l’intérieur mais au cours de la cérémonie, il n’a pas vraiment le loisir de regarder en lui-même. Il en aura le souvenir, plus tard.

    Pour pouvoir pénétrer dans la Loge, le Maître des Cérémonies frappe violemment, en profane, sur la porte et fait savoir qu’il demande l’entrée pour un profane « né libre et de bonnes mœurs qui demande à être reçu Franc-maçon ». A ce dialogue qui  lui semble lointain, le candidat ne comprend pas grand-chose, si ce n’est qu’il a acquis le droit d’entrer. C’est par trois grands coups (parfois un seul) qu’il obtient l’entrée de la Loge. Puis il entend la porte s’ouvrir à grand fracas.

    L’entrée de la Loge est une marche à la rencontre du soleil, vers l’Orient. Elle est le lieu de passage entre deux mondes. Elle est la limite entre l’enceinte sacrée et le monde profane. Elle signale le passage et invite à la franchir.

    La Porte de la Loge est très basse et le passage est difficile. En réalité, des mains le font se baisser pour passer sous la canne du Maître des Cérémonies tenue horizontalement par les deux Surveillants. Le Récipiendaire doit se faire tout petit, se laisser pousser ou tirer. Il doit vivre sa « renaissance ». La Porte basse est un passage obligé pour le Récipiendaire dûment préparé. Il se redresse, avance et s’arrête bientôt, parfois stoppé par ce qu’il sent sur sa poitrine (Au Rite Écossais Rectifié, c’est la pointe de l’épée du Second Surveillant).

    Cette entrée n’est certes pas banale. Elle est loin d’être discrète car elle est précédée de trois grands coups frappés à la porte. Plus tard, l’Apprenti apprendra – dans le « Tuilage » – qu’il a été introduit dans la Loge par « Trois Grands Coups » qui signifient « demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira ». Il s’agit évidemment d’une référence à l'Evangile de Luc, qui met textuellement cette phrase dans la bouche de Jésus qui la complète par « Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe on ouvrira » (Lc, XI, 9, 10).

    Dans l’esprit maçonnique, nous constatons toute l’importance de la démarche volontaire. Si l’on demande, on reçoit ; mais si l’on veut recevoir, il faut demander. Rien ne vient tout seul, et en particulier la Vérité, qui ne se révèlera pas d’elle-même. Il faudra la chercher, la débusquer là où elle se cache, c’est-à-dire en des endroits où l’on ne s’attendait pas à la trouver.

     

    La manière de franchir la Porte basse

    Placés dans la même situation de simplicité et sur pied d’égalité, tous les Profanes franchissent la Porte basse dans la même situation, qu’ils soient notables, riches ou pauvres. Et pour certains Récipiendaires, ce franchissement peut paraître difficile car il implique de se baisser, de s’abaisser, de faire preuve d’humilité.

    Le Récipiendaire est invité à baisser la tête, à passer en boule comme le fœtus au moment de la naissance. C’est pourquoi, après la prestation de serment, l’appellation de « Néophyte » est tout à fait justifiée : « néophyte » signifiant « qui devient une nouvelle plante ».

    Cette position de passage invite à la concentration sur soi, nécessaire à un passage difficile. Accéder à la Loge demande de passer par la Porte étroite. Le Récipiendaire est libre de son choix, bien qu’entravé en apparence dans sa démarche.

    Franchir une porte donne accès vers autre chose. La Porte de la Loge n’est-elle pas basse pour indiquer la difficulté de passer du monde profane au monde initiatique ? Le sentiment qui domine le monde profane est bien souvent l’orgueil, la soif d’avoir et de pouvoir.

    Chacun se considérant comme le centre du monde, rapportant tout à son ego, ne jugeant les évènements qu’en fonction des répercussions sur sa situation individuelle, voulant plier le monde à ses conceptions étroites et égoïstes, sans se préoccuper du sort de l’humanité. Frapper à la Porte de la Loge, franchir la Porte basse, c’est un début de prise de conscience de l’état d’ignorance dans lequel on est, et de la nécessité d’un guide.

    Le franchissement de la Porte de la Loge maçonnique correspond au passage du domaine profane à celui du sacré. Cette porte qui permet l’accès à un changement d’état fait penser aux portes de la naissance et de la mort, franchissements inéluctables et imposés, alors que celui de l’Initiation est choisi librement. Toutefois celui qui est Initié par l’épreuve de la mort, éprouvée en ce monde par anticipation, a le privilège par cette connaissance, de s’affranchir de toutes les peurs.

    Le fait d’avoir franchi la Porte de la Loge ne signifie pas que l’on est Initié. Tout le travail reste à faire ! Refranchir la porte en sens inverse doit permettre, dans le cadre d’une extériorisation ou d’un engagement extérieur dans la société, de transmettre à bon escient la Lumière reçue.

    Par extension, la Loge est aussi une porte. A plusieurs titres, porte des dieux, porte des hommes. Par l’une, le ciel descend sur la terre, par l’autre, les hommes remontent au ciel. La Porte des dieux est le Solstice d’hiver, la Saint Jean d’hiver, la période de Noël, le moment où le soleil va reprendre sa course ascendante et où Jean l'Évangéliste se tourne vers le haut pour louer le ciel. La Porte des hommes correspond, elle, au Solstice d’été, lorsque le soleil commence à descendre, à la Saint Jean-Baptiste, à la fin du mois de juin. A la fois jour le plus long et nuit la plus courte. La Porte du temple dite porte d’entrée est aussi porte de sortie car sa fonction est double.

    La Porte basse n’est pas sans analogie avec la porte étroite dont parle Jésus dans le Sermon sur la montagne[1] :

    « Entrez par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et il en est peu qui le trouvent ». (Mt, VII, 13 – 14)

     

    Approche du symbolisme des trois coups

    Pour éviter toute connotation religieuse dans l’extrait de la parole biblique (Lc, XI, 9, 10), le rituel précise que l’objet des demandes, c’est la Lumière.

    Le candidat demande et recevra la Lumière. Le candidat cherche et trouvera la Vérité. Le candidat frappe à la Porte de la Loge et celle-ci s’ouvrira.

    Les Trois Grands Coups martelant symboliquement les trois demandes sont, dans la pratique, parfois réduits à un seul (au Rite Écossais Ancien Accepté), car frapper trois coups reviendrait à frapper en Initié. Sauf si ces trois coups sont bien espacés et non à l’image de la batterie du grade d’Apprenti (au Rite moderne).

    Coup unique ou trois coups, ce geste porte en lui toute la quête du postulant. Il sous-entend que c’est là qu’il cherchera Lumière et Vérité mais qu’il ne trouvera que le chemin qui conduit vers elles.

     

    Approche du symbolisme de la Porte de la Loge

    La Porte s’est donc ouverte avec grand fracas. La réponse aux Trois Grands Coups qui marquaient la quête du Postulant (peut-être désespérée et angoissée) est elle-même bruyante. Le Postulant ne fait pas une entrée furtive par une porte entrebâillée. Son entrée dans le monde de la Connaissance est au contraire tonitruante. Elle ne se fait pas sur un tapis rouge à travers deux battants largement ouverts. Il lui faut franchir la Porte Basse, profondément courbé, par humilité et respect.

    Il est « ni nu, ni vêtu », mais en situation intermédiaire, en train d’effectuer un rite de passage, comme le font encore les jeunes gens de nombreuses tribus africaines, de l’enfance à l’adolescence. Mais pour le Postulant, il s’agit de passer de l’état profane à l’état d’Initié. Ces deux états sont représentés par le monde d’où il vient et le monde dans lequel il va pénétrer. La transition est marquée par cette Porte Basse.

    On peut considérer qu’il s’agit d’un véritable accouchement. Le futur Initié a été en gestation dans l’œuf philosophique, au sein de la terre mère, le Cabinet de Réflexion.

    Il naît à sa nouvelle vie à travers ce passage étroit, se trouvant dans l’état du nouveau-né, bien désarmé et démuni dans un monde qu’il ne connaît pas et ne comprend pas.

    Ce qu’il va vivre lors de la cérémonie représente alors sa petite enfance au cours de laquelle, totalement dépendant, il découvrait le monde.

    L’état d’Apprenti qui suivra correspondra à celui de l’enfance. La loge dans laquelle il fait son entrée sera sa « Loge mère », celle qui l’aura fait naître et avec laquelle il gardera des liens affectifs très forts tout au long de sa vie maçonnique.

    Ce symbole qu’est la Porte de la Loge a de nombreuses significations. Il est demandé au Profane de franchir une porte qu’il ne voit pas. Franchir cette porte ne se résume pas seulement à un déplacement dans l’espace : cela devient un acte symbolique qui doit être mûrement réfléchi et accompli en parfaite connaissance de cause.

    La porte basse suppose la délimitation volontaire de lieux comme d’espaces différents, du profane au sacré. Elle a une fonction de protection ; elle donne ou interdit l’accès à autre chose, à un autre lieu, une autre connaissance ; ainsi, la porte fermée est une protection du lieu sacré.

    Le postulant accomplit un réel passage d’une vie à l’autre entre la matrice qui l’a porté et la Loge dont il ignore encore tout. Et pour marquer de façon indélébile la difficulté de ce nouvel accouchement, c’est courbé, presque rampant, qu’il passe la porte comme s’il sortait d’une trappe avant de pouvoir, enfin, se relever et retrouver sa stature proprement humaine.

    Cette pratique existait déjà aux premiers temps de la Franc-maçonnerie comme l’attestent certains documents du début du 18e siècle.

    « Ni nu ni vêtu », le postulant pénètre dans la Loge entre deux états : l’état de nature et l’état social, ni tout à fait l’un, ni l’autre non plus. C’est dans cet appareil qu’il se redresse enfin, vertical entre terre et ciel et dans l’axe d’une Lumière qu’il pressent mais ne découvre pas encore.

    Dans tous les rites initiatiques, il y a, au départ, une intention de changement d’état, actif et conscient, en vue d’un accomplissement de l’être. Bien souvent la porte est gardée par des gardiens du seuil ou des sentinelles qui renforcent son caractère de protecteur.

    Si la porte peut être définie comme une surface plate, généralement rectangulaire, remarquons qu’elle est une invention humaine dont on ne trouve nulle trace dans la nature.

    La Porte de la Loge est un symbole ; un symbole riche de sens. Il représente le passage d’un état à un autre. Il est assimilable, par analogie, aux symboles du pont et de l’échelle qui appartiennent aussi au domaine de la construction. La Porte étroite ou la Porte basse n’a pas la même signification que la Porte solsticiale (évoquée dans certains rituels de célébration des Solstices) car elle est sans retour et livre un passage unique.

    Dans tous les rites initiatiques, il y a au départ une intention de changement d’état, actif, conscient, en vue d’un accomplissement de l’être. Bien souvent la porte est gardée par des « gardiens du seuil » ou sentinelles qui renforcent son caractère protecteur. En Maçonnerie, ce sont – suivant le Rite auquel on travaille – le Frère Couvreur, le Tuileur et l’Expert qui remplissent ces fonctions de gardien du seuil de l’espace sacré.

    Anciennement le Tuileur montait la garde à l’extérieur de la Loge (c’est encore le cas dans la Maçonnerie de la Marque) et le Couvreur à l’intérieur communiquant, entre eux par des échanges de coups donnés de part et d’autre de la porte. Le nombre et le rythme de ces coups étant calqués sur ceux du degré ou grade pratiqué. Cet usage est encore observé de nos jours dans les Rites Anglais, dont le Rite « Émulation ».

    Au Rite moderne, nous avons un Frère Couvreur et parfois aussi un Frère Couvreur extérieur qui communiquent de la même façon aux moments opportuns.

     

    Conclusion provisoire

    Avant même de frapper à la Porte de la Loge, il faut la trouver et donc l’avoir cherchée. La Franc-maçonnerie n’est pas une voie de masse. N’est-elle pas même élitiste ? En réalité, si seuls quelques-uns suivent la voie qu’elle propose, c’est que, parmi les hommes qui auraient la possibilité de la suivre, fort peu sont animés des aspirations nécessaires et que, parmi ceux-ci, certains ne trouvent pas la porte et d’autres ont peur de ce qu’ils trouveront derrière. De toute façon, le chemin resserré qu’il y a derrière la porte est ardu et caillouteux : la voie maçonnique n’est pas celle de la facilité.

    Pour les chrétiens, cette porte est peut-être plus facile à trouver. Jésus a dit en effet : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. » (Jn X, 9).

    Lors du franchissement de cette Porte basse, certains d’entre nous ont peut-être éprouvé le sentiment de venir au monde, tête en avant, comme lors d’un accouchement où le bébé sort la tête la première. Pourquoi pas ?

    Mais ne faudrait-il pas plutôt considérer ce franchissement comme notre première leçon d’humilité ? Car ce qui s’apparente presque à une génuflexion nous oblige à prendre conscience du peu que nous sommes. En effet, en nous pliant à jouer cette scène, nous n’entrons pas dans la Loge fier et content de nous-même. Nous entrons avec nos incertitudes et nos méconnaissances, rejouant le mythe de tout être qui cherche la vérité.

    Nous nous courbons devant le travail qui nous attend, mais des bras secourables nous aident à nous relever et le monde redevient fraternel et aimant !

    R :. F :. A. B.

     

     

    [1] Voir Guénon René,  « Les symboles de la science sacrée ». Editions Gallimard, 1962

     

    Suggestions pour aller plus loin dans la recherche

     Guérillot Claude - De la porte basse à la porte étroite - Une approche de l'Initiation

    Collection « L'Esprit des Choses » – Editions Dervy, Paris, 2007

     

    Claude Guérillot se définissait comme un « théiste noachiste » pour qui « le ciel n'est pas fermé » et Dieu n'est jamais absent de sa Création.

    Dès lors, pour lui, les trois grandes théophanies du Sinaï, de l'Incarnation et de la « dictée du Coran » étaient de  « grandes révélations » auxquelles l'homme peut accéder s'il renonce à faire de lui-même une « idole humaine », si, comme le disait Luther, « il se reconnaît pêcheur » et s'il se met à l'écoute des « petites révélations » reconnues par Louis-Claude de Saint-Martin. Si, depuis l'élaboration de ce livre, l'auteur a beaucoup évolué, il continue de penser que l'essentiel, comme l'a écrit Amadou Hampâté Bâ, est d'être capable de dire « oui à Dieu » du plus profond de son âme.

    Rechercher ce qu'est un symbole, peiner vers une initiation toujours remise en cause, c'est œuvrer au chantier d'une cathédrale, d'un temple intérieur ; c'est être un ouvrier sur le chantier divin. Une immense chaîne intemporelle relie entre eux les amants de la sagesse, les chercheurs de l'Absolu, de l'hiérophante oublié d'Eleusis aux inspirés d'Israël, du Pater initiant Mithra aux Initiés chrétiens que furent Thérèse d'Avila ou saint Jean de la Croix, des sages de la Kabbale aux Soufis de l'Islam.

    Et tous, humbles ouvriers du Temple, ont travaillé ensemble à la plus grande gloire de Dieu. Si, de nos jours, un seul Européen sur dix pratique une religion, plus des trois quarts croient en Dieu et aspirent, plus ou moins confusément, à retrouver le chemin qui mène vers lui. C'est ce chemin pénible, cette ascension pénible entre les précipices, que l'auteur a engagé. C'est à ces femmes et à ces hommes qui veulent retrouver, sans tomber dans le piège des sectes, un chemin vers « la maison du Père » que ce livre s'adresse.

     

    Bibliographie

     

    Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie

    Editions De Vecchi, Paris, 1995

     

    Beauchard Jean - La voie de l’Initiation maçonnique

    Editions Véga, Paris, 2004

     

    Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie

    Tome 1 : « Les Loges bleues » – Editions Detrad, Paris, 1997

     

    Darche Claude - Vade-mecum de l’Apprenti

    Editions Dervy, Paris, 2006

     

    Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie

    Editions Dervy, Paris, 1994

     

    Guénon René - Les symboles de la science sacrée

    Editions Gallimard, 1962

     

    Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire

    3e édition revue et augmentée – Editions Dervy, Paris, 2006

     

    Mondet Jean-Claude

    La Première Lettre - L’Apprenti au Rite Ecossais Ancien et Accepté

    Editions du Rocher, Monaco, 2007

     


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  •  Les bâtisseurs de cathédrales 

    Introduction

    L'envergure des églises construites au Moyen Age et la qualité de leurs sculptures et de leur décoration nous étonnera toujours.

    Ces églises symbolisent la puissance du mouvement religieux dans la société médiévale. Il suffit d'imaginer la somme d'efforts nécessaires à leur réalisation pour s'en convaincre surtout avec les moyens techniques de l'époque.

    Presque toutes les villes de France conservent une ou plusieurs de ces églises médiévales dignes d'intérêt. Ces ouvrages ont été construits, pour l'essentiel, du 10ème au 15ème siècle. Ils illustrent la capacité de conception des architectes et le savoir-faire des bâtisseurs de cette époque.

    Le Moyen Age n’a pas toujours été la période obscure que l’on croit : les 11ème et 12ème  siècles comptent, au contraire, parmi les siècles les plus lumineux de notre histoire. Nous avons aussi pour habitude de considérer le Moyen Age comme une époque de lenteur mais rien n’est plus faux pour les années 1150 – 1250.

    En deux siècles seulement, les 12ème et 13ème siècles, les sujets du roi de France se sont mis à ériger pas moins de 80 cathédrales. Très rapidement le style gothique a gagné toute l’Europe. L’inventivité technique qu’a nécessitée l’érection de monuments aussi grands est comparable à celle qui a prévalu après la découverte de l’électricité à la fin du 18ème, après l’invention du béton au 19ème ou du transistor au 20ème.

     

    De nombreuses questions

    De Chartres à Amiens en passant par Lausanne, qui, aujourd'hui, se souvient des couleurs éclatantes qui accueillaient les fidèles à l'entrée et à l'intérieur des cathédrales ? Que signifie ce prolifique décor ? Quel éclairage donnaient les vitraux d'origine aujourd'hui disparus ?

    Comment ont été érigées, parfois en peu de temps, ces constructions aux dimensions et aux proportions impressionnantes ? Qui peut imaginer l'orgueilleuse flèche de Beauvais au 13ème siècle atteignant 48 mètres mais qui s'écroula en 1284 ? Quelle impression, quelle émotion pouvait ressentir le fidèle du Moyen Age qui entrait dans la cathédrale ? Les chantiers de ces cathédrales ne font-ils pas penser à ceux de l'Egypte ancienne, aux chantiers des pyramides ou à ceux de l'Amérique moderne, aux chantiers des gratte-ciel ? Qui sont les commanditaires et les bâtisseurs ? Qui se cache derrière ces génies créateurs ? Quels sont les techniques et les outils utilisés ? Ces constructions sont-elles l'imitation d'un modèle donné ou le fruit d'une imagination ? Les questions se bousculent au sujet du temps des cathédrales.

    C’est pourquoi, dans la présente synthèse, nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse à ces nombreuses questions, de comprendre pourquoi et comment furent bâties ces cathédrales, qui en furent les bâtisseurs et comment ils étaient organisés.

     

    Le carnet de Villard de Honnecourt

    Un homme du 13ème siècle, maître d'œuvre et dessinateur, Villard de Honnecourt, nous a laissé un carnet exceptionnel composé de notes et de croquis. La précision de ses schémas, la qualité de ses esquisses, l'exactitude de ses plans sont remarquables.

    Ce carnet ne traite pas seulement de la construction des cathédrales mais plus généralement des techniques de construction de l'époque. On y trouve les plans de la tour de Laon, l'élévation intérieure des chapelles absidiales de la cathédrale de Reims ainsi que des motifs décoratifs, tels une rose rappelant celle de Chartres ou un pavage vu en Hongrie. Les connaissances techniques se cachent souvent derrière des figures énigmatiques, cavaliers, visages humains ou figures animales qui sont autant de figures mnémotechniques que l'historien et architecte Roland Bechmann s'est appliqué à déchiffrer et à interpréter.

    Le manuscrit de Villard de Honnecourt est composé de feuilles de parchemin portant des dessins sur les deux faces et réunies en cahiers comportant un nombre de feuilles variables. Il se présente comme un carnet de format réduit, d'environ 14 cm sur 22, relié et recouvert de cuir marron. Il est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Entre un tiers et la moitié des feuilles du manuscrit, estimées au départ à une centaine, ont disparu. D'autres ont été modifiées ou grattées ; 33 folios subsistent, soit 66 pages.

    Certains dessins du carnet dévoilent l'étendue des connaissances de Villard de Honnecourt dans cet art de la coupe des pierres. Soucieux de ne pas divulguer ses méthodes à des profanes, il n'y a indiqué que l'essentiel. Pendant cent cinquante ans, ces petits croquis ont paru sans intérêt aux commentateurs du manuscrit qui n'en comprenaient pas la signification. Et pourtant, ces dessins énigmatiques proposent des recettes pratiques pour faciliter et optimiser la taille des pierres ou indiquent comment disposer les joints d'une colonne, comment tailler les pierres d'un arrachement ou encore celles d'une voûte biaise.

    Certains dessins rappellent de façon frappante les rituels des Compagnons du Devoir. Quelques indices, dans l'histoire, tendent à démontrer que, malgré l'opposition – attestée par des édits – des autorités civiles et religieuses de l'époque, il existait des associations ouvrières qui pratiquaient la solidarité, se transmettaient une tradition initiatique et partageaient des signes de reconnaissance.

    Elles seraient les ancêtres des Compagnons du Devoir actuels qui, par un esprit de rigueur dans le travail comme dans le comportement, maintiennent une tradition de l'ouvrage bien fait. Les Francs-maçons, dont les traditions et les rituels sont souvent analogues, revendiquent également une filiation avec le monde du travail du Moyen Age.

     

    Qui était Villard de Honnecourt ?

    La figure de Villard de Honnecourt demeure mystérieuse. Seul son manuscrit livre quelques indices qui permettent de le situer. Son nom indique son lieu d'origine ou peut-être le monastère dont il faisait partie : Honnecourt, petite ville de Picardie, au bord de l'Escaut près de Cambrai, non loin de Saint-Quentin et Amiens, et formée autour d'une abbaye bénédictine.

    Villard est né picard. Au 13ème siècle, la Picardie était dans une situation privilégiée, au cœur de l'Europe, à un carrefour d'échanges économiques importants, et se trouvait au centre des foyers intellectuels. Villard a pu résider et étudier à Honnecourt mais il a probablement aussi travaillé à l'abbaye cistercienne de Vaucelles.

    Ses représentations des cathédrales de Laon et de Reims, ses plans des églises de Cambrai, de Vaucelles et de Meaux permettent de situer l'activité de Villard pendant le premier tiers du 13ème siècle, au moment de l'apogée du gothique.

    Sans pouvoir établir de chronologie claire et juste, nous pouvons imaginer les pérégrinations avérées, probables ou éventuelles de Villard de Honnecourt, sans qu'il soit non plus possible de préciser s'il s'agissait de participations à des chantiers ou de déplacements pour étudier des édifices réputés, voire ce qu'on appellerait du tourisme culturel. Il est probable qu'il soit allé à Meaux mais rien ne prouve qu'il ait été à Chartres.

    Sur son chemin vers la Hongrie, il est passé par Reims, ce qui l'aurait conduit à faire étape dans quelques monastères cisterciens et à visiter quelques églises telles que Clairvaux, Cîteaux ou Morimond, et expliquerait son intérêt pour le plan type d'église cistercienne conforme à la simplicité d'origine. François Bucher, médiéviste américain, a tenté de retrouver les traces de Villard en Bavière ou en Hongrie.

    Villard est-il dessinateur, concepteur de plans, ingénieur, constructeur, architecte, maître d'œuvre, géomètre, inventeur, voyageur, observateur de chantiers et d'édifices, chef de chantier, clerc, intellectuel ou savant ?  La réponse est complexe. Mais il ne fait aucun doute qu'il était un artiste habile.

    Le manuscrit de Villard de Honnecourt est un témoignage révélateur de l'intense période de progrès, de la curiosité intellectuelle immense, de l'intérêt pour la nature et l'expérimentation qui se manifestaient à l'époque. L'élan intellectuel du 13ème siècle a été alimenté par la diffusion des écrits d'Aristote, transmis par les Arabes, par le développement de la logique qui supplante alors la rhétorique, et par l'usage croissant de la langue vulgaire dans la littérature, les actes publics ou les écrits scientifiques.

    Ainsi Villard de Honnecourt fut-il le contemporain d'une période qui vit s'affronter deux conceptions du monachisme : celle des clunisiens, dont l'abbé Suger, l'ami du roi de France, en charge de l'abbaye de Saint-Denis, fut le plus éminent représentant, et celle des cisterciens.

     

    L'origine du mot « cathédrale »

    L'évêque et la cathédrale : les deux termes sont étroitement liés par l'étymologie. Cathédrale dérive de « cathedra » et désigne la chaire, c’est-à-dire le siège à dossier sur lequel s'assoit l'évêque dans son église et qui symbolise à la fois son autorité et sa présence dans le lieu.

    Apparu à l'époque carolingienne, le terme « cathédrale » s'est imposé définitivement au détriment des autres expressions, telles que « mater ecclesia » ou « ecclesia major », voire « ecclesia » simplement, au cours du 13ème siècle, au moment où se sont élevés de terre dans les villes de France ces immenses vaisseaux de pierres gothiques devenus depuis lors l'archétype de l'église épiscopale.

    Cela a entraîné d'ailleurs quelques abus de langage, comme par exemple l'habitude de donner à la collégiale de St Quentin, le nom de cathédrale, car ce n'est pas la taille qui fait la cathédrale.

    Au niveau de l'architecture, rien ne permet de distinguer la cathédrale d'une autre église. La confusion s’est renforcée par le fait que la suppression d'un diocèse n'entraîne pas la disparition du titre de l'église. Ainsi, la cathédrale de Saint-Omer n'est plus qu'une église paroissiale depuis 1790 et ce n'est qu'en 1553 que cette abbatiale des 13ème et 14ème siècles accueillit le siège d'un diocèse, après que Charles-Quint ait rasé Thérouanne. En fait, sur le plan architectural, rien ne distingue en théorie la cathédrale d'une autre église.

     

    Les bâtisseurs de Dieu

    Après la reconquête des lieux saints à Jérusalem, les croisades ont favorisé l’essor des cathédrales gothiques dans tout l’Occident. Fondé sous l’impulsion de saint Bernard de Clairvaux, l’Ordre des Templiers a protégé les bâtisseurs de cathédrales auxquels il a confié de nouveaux savoirs.

    Nous pouvons nous demander pourquoi et comment il s’est trouvé tout à coup dans l’Occident chrétien, des « dompteurs » de pierre comme on n’en avait jamais vu depuis les pyramides, d’où ils tenaient leur savoir d’initiés, combien de générations de maçons et de tailleurs de pierre il faudrait aujourd'hui pour produire des maîtres capables de réaliser l’équivalent des cathédrales de Chartres ou d’Amiens.

    Des bâtisseurs de jadis ont laissé leurs signatures sur des poutres ou des pierres. Nous connaissons des noms d’architectes et de maîtres d’œuvre, notamment pour Amiens, mais pas pour Chartres… Le fait est que nous savons peu de choses sur l’origine de ces constructeurs, sur le savoir-faire dont ils ont été les dépositaires.

    Ce dont nous sommes certains, c’est qu’ils étaient réunis en confréries, en fraternités ou en compagnonnages, un mot qui vient de « compas », leur outil de prédilection, et qui signifie aussi « qui partage le même pain ».

    Les confréries les plus connues avaient pour nom « les Enfants du père Soubise », « les Enfants de Maître Jacques » ou « les Enfants de Salomon ». Elles ont aujourd'hui pour héritiers « les Compagnons des Devoirs du Tour de France ».

    Certains d’entre eux ont gardé une tradition initiatique et morale de savoir-faire et de « chevalerie de métier » en refusant, par exemple, de construire des forteresses et des prisons, leur œuvre étant dévolue aux hommes libres. La cathédrale, dans cette éthique, apparaît paradoxalement comme un édifice laïc, au sens originel du terme, car construit pour l’âme du peuple et non pour la gloire des seigneurs.

    Pour comprendre l’esprit qui a présidé à la construction des cathédrales gothiques, il convient de retracer tout d’abord succinctement les origines philosophiques, intellectuelles et sociales de deux mouvements que tout oppose :

    • d'un côté, les moines irlandais ainsi qu'Alcuin, Gerbert, Suger, Abélard et l'Ecole de Chartres, pour qui chaque être humain est au centre de la création avec, quels que soient son origine ou son statut, son pouvoir de rendre le monde intelligible, de le transformer et de l'améliorer ;

    • de l'autre, Bernard de Clairvaux, l'esprit de chevalerie et l'ordre cistercien, qui postulent un homme livré au mal et devant se contenter de faire pénitence pour que Dieu lui pardonne ses péchés ;

    • d'un côté, les bâtisseurs de cathédrales qui pratiquaient une éducation ouverte à tous ;

    • de l'autre, l'obscurantisme monastique prêchant la croisade et exhortant à abandonner les villes et les livres.

    Education populaire contre féodalisme populiste : Bernard de Chartres et Bernard de Clairvaux seront toujours incommensurables et incompatibles !

    En l'espace de deux siècles seulement, quelque quatre-vingts cathédrales ont été construites en Europe ! Malgré les effets du temps, leur beauté est restée intacte. Pourtant, elles n’ont pas été bâties pour « réaliser une œuvre de prestige » ni pour « faire joli dans le décor ».

    A une époque où la grande majorité de la population était traitée comme du bétail, la cathédrale fut l'affirmation la plus visible et la plus indéniable du pouvoir créateur de l'homme, étincelle divine.

    De saint Louis, ardent croisé, les bâtisseurs de cathédrales obtinrent des franchises royales qui en firent des « maçons francs ». C’est dire la reconnaissance et l’estime dont ils jouissaient. Ces privilèges, le roi Philippe le Bel, dans son acharnement pour anéantir les Templiers, les supprima sèchement…

    En effet, les bâtisseurs de cathédrales furent pourchassés lors du procès des Chevaliers du Temple, leurs protecteurs. Si bien que beaucoup disparurent, signe de leur inclusion dans l’Ordre, d’autres entrant dans la clandestinité.

    La cathédrale de Chartres a dû être construite par « les Enfants de Salomon », qui édifièrent la majorité des autres grands sanctuaires gothiques, comme Amiens et Reims.

    Les bâtisseurs étaient très liés aux Templiers, qui les avaient instruits et pris sous leur protection. Et nous pouvons remonter plus loin dans le temps car ces constructeurs puisent leurs origines dans les écoles initiatiques de l’ancienne Egypte.

    L’art gothique, en tout cas, a prospéré en même temps que l’Ordre du Temple. Et il déclinera avec lui, de même que l’art du vitrail, tel que splendidement pratiqué à Chartres, lorsque l’Ordre sera brisé, au terme d’un des procès les plus scandaleux de l’histoire. Plusieurs auteurs, dont Louis Charpentier auteur des « Mystères de la cathédrale de Chartres » et des « Mystères templiers » ou Patrick Rivière, historien et philosophe, auteur de l’ouvrage « Les Templiers et leurs mystères », sont convaincus que les Templiers étaient les « dépositaires des arcanes majeurs de la tradition primordiale », connaissances qui leur ont permis d’instruire les bâtisseurs.

    Les premiers Templiers auraient en effet occulté leur mission officielle de défenseurs des routes pèlerines pour se livrer à d’intenses fouilles dans les ruines du Temple de Salomon à Jérusalem et en auraient ramené des objets porteurs de lois mathématiques régissant l’univers, la clé, en quelque sorte, du progrès humain. Ramenés secrètement en France pour être mis en lieu sûr, ces objets auraient été contemplés par quelques initiés, dont saint Bernard de Clairvaux, le phare spirituel de l’Occident. Mais il n’existe aucune preuve de cela… Une absence qui participe au mystère des Templiers.

    C’est au retour des neuf Templiers qu’a été promulguée, en 1128, la règle de l’Ordre du Temple lors du Concile de Troyes, convoqué sous l’impulsion de saint Bernard. Dès lors, l’Ordre du Temple s’est développé d’une façon extraordinaire. Il a organisé un solide système d’économie publique, protégé cultures et récoltes, sécurisé routes et transport et créé la lettre de change. Les Templiers se sont mués en trésoriers.

    Ce sont eux qui ont financé les chantiers des cathédrales et qui ont prêté des sommes faramineuses à Philippe le Bel, qui prit peu à peu ombrage de la puissance grandissante de cet état dans l’Etat. Rappelons que les Templiers, avec à leur tête le Grand Maître Jacques de Molay, ont été accusés d’hérésie et ont péri sur le bûcher en 1314.

    Richissime, l’Ordre du Temple avait réussi à poser les fondements d’une nouvelle civilisation. Les cathédrales, dans la mystique de saint Benoit puis de saint Bernard, en étaient la dimension spirituelle, l’aboutissement du long labeur élaboré à l’abbaye de Cluny, où ont été établies les fondations de la civilisation chrétienne occidentale. Plus de 1300 monastères se rangeront en effet sous la règle clunisienne.

    Parfaitement organisés, les Templiers avaient assuré le nécessaire vital, le blé, l’outil, l’argent. Avec les cathédrales, ils ont donné au peuple la clé de l’éveil spirituel qui lui manquait. Pour agir sur la pierre, il fallait des constructeurs initiés à certaines lois, à l’instar des constructeurs de dolmens sacrés et des pyramides d’Egypte.

    C’est si vrai que, sept siècles plus tard, lorsque des compagnons travaillèrent sous les ordres de l’architecte et restaurateur de cathédrales Viollet-le-Duc (1814-1879), ils s’effarèrent, raconte Louis Charpentier, « de ce que le moindre choc sur certaines pierres provoquait des ondes sonores comme on en obtient sur des ressorts tendus ou sur des cordes d’instruments de musique ».

     

    La construction des édifices religieux en France médiévale

    L'époque médiévale, et particulièrement les 12ème et 13ème siècles, a donc été marquée par un essor considérable de la construction religieuse. Les grandes cathédrales ont alors été rebâties, de nouveaux ordres religieux ont multiplié les fondations, les églises collégiales se sont multipliées et, dans les campagnes comme dans les villes, les communautés paroissiales ont érigé de nouveaux sanctuaires.

    Ce mouvement bâtisseur, qui correspond chronologiquement à la naissance et à la diffusion de l'art gothique, trouve un écho à l'extrême fin du Moyen Age, dans la seconde moitié du 15ème siècle, avec la restauration de la plupart des édifices religieux à la suite des troubles de la guerre de Cent ans.

    Les travaux de construction et de restauration du patrimoine religieux au Moyen Age ont nécessité un apport financier considérable, des ouvriers compétents, des techniques efficaces dans la production et la mise en œuvre des matériaux. Des sources historiques de natures diverses rendent compte de l'organisation de certains grands chantiers religieux urbains à partir de la seconde moitié du 13ème siècle et permettent de décrire avec une précision satisfaisante les étapes des travaux, depuis l'élaboration du projet jusqu'à l'achèvement du bâtiment.

    Cependant, la plus grande part des constructions religieuses médiévales ne sont pas documentées et la diversité de leurs statuts – églises paroissiales, conventuelles, hospitalières… – implique des organisations de chantiers différentes de celles connues pour les cathédrales ou les grandes églises urbaines.

     

    Le temps des cathédrales

    L'art est le reflet de l'âme d'un peuple, le souvenir inoubliable d'une époque révolue. Avant le 11ème siècle, comme les gens vivaient dans l'insécurité des invasions et croyaient que la fin du monde viendrait avec l'an mil, ils n'éprouvaient guère d'enthousiasme pour les grands projets matériels.

    C'est plutôt après le 11ème siècle, avec les profonds changements d'attitude mentale, que l'Europe médiévale s’est transformée. Ainsi, les gens commencèrent à cette époque à s'unir de plus en plus, autant au niveau économique et social qu'au niveau politique. Ceci permit la réalisation de grands projets architecturaux comme la construction de vastes églises pouvant abriter les pèlerins et permettant aux habitants de pouvoir y circuler librement.

    Vers le 12ème siècle, on commença à construire encore plus grand en bâtissant des cathédrales. Ces dernières avaient des dimensions qui surprennent encore aujourd'hui. Ainsi, la cathédrale d'Amiens pouvait accueillir 10 000 personnes dans ses murs et la voute de la cathédrale de Notre Dame de Reims s'élève à près de 38 mètres (37 mètres 95 très exactement).

    Après le 12ème siècle, celui de la naissance puis des premiers perfectionnements du style gothique, la France est entrée dans un nouveau siècle : celui des cathédrales. S'il est vrai que la course parfois acharnée à la construction se répandit dès la fin du 11ème siècle, elle le fut encore plus aux premières années du 13ème siècle. La population était en quête d'une spiritualité quasi absolue qui s’est matérialisée dans les cathédrales.

    Cette majesté, ces dimensions que les bâtisseurs ont toujours voulu augmenter ont donné à la France ses plus belles cathédrales en moins d'un siècle. Le siècle se prêtait d'ailleurs très bien à cette « compétition » entre villes, entre évêchés, tant il fut l'âge d'or du Moyen Age. La paix perdurait, les récoltes étaient bonnes, le pouvoir assurait l'ordre : l'argent était suffisant pour répondre aux exigences d'une telle construction. Dans le courant créatif qui balayait alors la France et l'Europe, sept grandes cathédrales contribuèrent chacune à l'essor technique et esthétique du gothique.

    Les cathédrales exigeaient énormément de temps et de capitaux pour leur construction. Elles furent construites sur l'initiative de monastères (ex : les églises de Conques, Caen, Saint-Benoit-sur-Loire, Cluny, etc.) et de riches cités qui rivalisaient entre elles (Sens, Noyon, Laon, Autun, Paris, Bourges, etc.).

    Le vaste mouvement de construction des cathédrales s'étendit de 1050 à 1350 et le siècle où l'on en construit le plus, « le siècle des cathédrales », fut le 13ème siècle.

    Pendant la guerre de Cent ans, on arrêta de construire. Une fois la guerre terminée, il était trop tard, l'enthousiasme n'y était plus, c'était terminé...

    Néanmoins, il reste que ces immenses trésors architecturaux, témoignages incontestables de la foi et du savoir-faire des hommes de l'époque, ont joué un rôle plus qu'important. Ils permirent de développer de nouvelles techniques de construction.

    En effet, les églises romanes, basses et sombres, construites avec des murs épais, de grandes voûtes et de puissants contreforts placés à l'extérieur de celles-ci, posaient comme problème celui de la hauteur et du manque de clarté.

    Cependant, avec la venue du style gothique, les choses changèrent. En effet, la voute sur croisée d'ogives permit aux murs d'être plus légers et, ainsi, d'être percés de magnifiques vitraux. Le style gothique permit également d'élever les murs à une hauteur bien plus impressionnante que le permettait le style roman.

    Outre les nouvelles techniques de construction, les cathédrales permirent aux gens du clergé d'instruire les fidèles grâce aux vitraux et aux tapisseries. Elles permirent également aux gens de se rencontrer, le parvis se prêtant bien aux rencontres, et d'assister à des pièces de théâtre nommées mystères.

     

    Les cathédrales

    La cathédrale Notre Dame de Paris

    Le 13ème siècle débute avec la poursuite des travaux de Notre Dame de Paris. Commencée en 1163, soit à peine vingt ans après Saint-Denis, sous l'initiative de son évêque Maurice de Sully, elle ne sera achevée dans son gros œuvre qu'en 1245. Ensuite, un siècle de modifications puis une intervention au 19ème siècle lui donneront son aspect d'aujourd'hui.

    Toutes les parties ne sont donc pas du même âge : le chœur est plus ancien que la façade qui date d'environ 1210. A cheval entre la période de naissance du gothique et celle de son affirmation, la cathédrale Notre Dame porte en elle cette transition architecturale.

    C'est ainsi qu'à l'intérieur, de gros piliers qui soutiennent la retombée des voutes rappellent un art roman mourant. La façade, elle, à part la rose centrale, est dominée par une succession verticale d'arcs brisés, ce qui tranche nettement avec la façade de Laon édifiée à peine quelques années plus tôt.

    Quant aux dimensions de Notre Dame de Paris, elles dépassent largement celles d'une autre cathédrale du gothique primitif, celle de Noyon avec ses 130 mètres de long et ses 35 mètres de hauteur sous la voute. De telles dimensions annoncent celles plus grandes encore des cathédrales à venir.

     

    La cathédrale de Bourges

    Quand débutent les travaux de la cathédrale de Bourges vers 1195, l'art gothique a déjà une certaine maturité. La construction occupera presque la moitié du 13ème siècle pour des raisons techniques et financières, mais l'architecte rendit un travail soigné qui favorisait plus qu'à Paris la pénétration de la lumière, point ô combien important de l'art gothique.

    L'originalité de la cathédrale vient du fait qu'elle marque un point de rupture par rapport à celles bâties antérieurement. Son plan n'a pas de transept ni de chapelles rayonnantes à l'origine, ce qui favorise un espace soigneusement mis en valeur. La cathédrale utilise également davantage les arcs boutants par rapport à celle de Paris et cette technique sera dès lors abondamment utilisée. Bourges est l'une des premières cathédrales n'ayant plus rien de commun avec le premier art gothique dit « primitif ». Avec elle, l'Europe entre dans un chantier de construction effrénée.

     

    La cathédrale de Chartres

    Suite à un incendie en 1196, l'ancienne cathédrale a été détruite, ce qui laissa à l'évêque le soin de bâtir un nouvel édifice imposant par sa largueur. En effet, sa nef possède sept travées auxquelles s'adjoignent les collatéraux. D'où une largueur de 64 mètres, ce qui ne manque pas de surprendre le visiteur. De plus, la cathédrale a été construite avec des innovations propres à son architecte ce qui la rend bien différente de celles qui existent en France.

    Au contraire de Bourges, le transept existe et est mis en valeur par ses façades extérieures. Les arcs boutants sont à double étage ce qui favorise l'élévation à trois niveaux de l'édifice : arcade, triforium et fenêtres hautes. Chartres marque un net progrès dans l'évolution de l'art gothique.

     

    La cathédrale de Reims

    Comme à Chartres, c'est un incendie qui a entraîné la construction d'une nouvelle cathédrale dans la ville où les rois de France sont sacrés. Commencée vers 1215, elle ne fut achevée qu'en 1275. L'architecte de cette cathédrale est resté en partie fidèle aux principes de celle de Chartres et a adopté la même élévation mais gardé sa propre sensibilité dans la réalisation finale en touchant aux proportions des différents niveaux. La cathédrale de Reims a donc été édifiée selon l'initiative propre de son bâtisseur et inspirée des progrès antérieurs.

     

    La cathédrale d'Amiens

    Dans la course frénétique à la majesté, Amiens marque une étape importante. Le chantier a commencé vers 1220 et son architecte a voulu donner à l'édifice une taille impressionnante. Il a réussi en atteignant plus de 42 mètres de haut sous les voûtes, une hauteur jamais égalée dans la course à la spiritualité et à l'élévation vers Dieu. Mais, à toujours vouloir pousser les limites de la physique, l'architecte s’est rapproché du risque d'écroulement. Celui-ci eut lieu dans la cathédrale d'Amiens où une partie des voûtes s'écoulèrent en 1284, ce qui obligea à reconstruire en doublant les supports intérieurs. Quant au chœur achevé en 1270, il dut être reconstruit suite à l'écroulement. Les travaux de la cathédrale se sont poursuivis jusqu'au tout début du 16ème siècle.

     

    La cathédrale de Beauvais

    Les travaux ont commencé vers 1245 à une période où l'art gothique avait déjà une certaine expérience, une expérience qui pouvait jusqu'alors manquer aux architectes pour jouer d'une audace particulière. Mais avec les évolutions techniques de Chartres, avec l'impressionnante hauteur d'Amiens, l'architecte de Beauvais a voulu aller plus loin.

    Si Amiens nous offrait 42 mètres sous voûtes, Beauvais nous en offre 48. Cette cathédrale a utilisé tous les progrès et l'expérience amassés pendant un siècle d'évolution architecturale. Mais une telle entreprise a récolté les conséquences de son ambition : au 16ème siècle, la flèche s'est écroulée avec une partie du toit. Encore aujourd'hui, la cathédrale est percée de nombreux consolidants métalliques et soutenue à l'intérieur par d'imposantes pièces de bois.

    L'essor de l'art gothique a été si rapide qu'une personne née vers 1200 avait le temps de découvrir la nouveauté de Notre Dame de Paris, d'être charmé par la luminosité de Bourges, émerveillé de la réussite de Chartres avant de mourir époustouflée par la hauteur sous voûte de celle Beauvais. Quant aux siècles suivants, ils ont offert moins de nouveautés techniques mais ont gardé des réalisations intéressantes.

     

    Caractéristiques de l'architecture gothique en France

    Les grandes cathédrales gothiques du Moyen Age sont des exemples d'une architecture révolutionnaire qui a commencé en France pendant le douzième siècle avec l'église Saint-Denis à Paris. L'architecte, qui s'appelait Suger, était un visionnaire et ses idées ont trouvé l'expression dans plusieurs projets architecturaux en Île de France.

    Personne jusqu’à l’abbé Suger n'avait trouvé les moyens d'évoluer. Suger voulait  reconstruire l’église Saint-Denis avec une spiritualité religieuse plus intense et insister sur trois aspects nouveaux qui allaient devenir les caractéristiques de l'art gothique : luminosité, hauteur, et gestion de la poussée.

    Examinons les caractéristiques principales qui définissent l'essence de l'architecture gothique.

    L'intérieur d'une cathédrale gothique est très spacieux avec des détails délicats, mais forts. Le style gothique apporte un espace en trois dimensions, éclairé par une lumière extérieure qui symbolise la présence du divin. Mais pour obtenir un tel esthétisme entre les hommes et Dieu, il fallait résoudre un problème technique insurmontable jusque-là : faire plus haut et plus lumineux avec un poids de plus en plus important. Or l'art gothique permet de mieux répartir le poids grâce à une série de techniques ingénieuses dont la voûte à croisée d'ogive et l'arc-boutant sont les principales.

    La voûte à croisée d'ogives, déjà existante avant, connut son essor avec l'église  Saint-Denis. C'est un croisement de deux arcs qui permet d'augmenter la résistance. Le mot « ogive » vient du latin « augere » signifiant « augmenter ».

    Les différents arcs (formeret, doubleau) permettent de répartir la poussée sur quatre points d'appui. Le poids de la voûte étant conduit par les arcs et absorbé par ces quatre points, le mur n'est plus un support mais un élément de remplissage au travers duquel les architectes percent de nombreuses fenêtres. Grâce à la voûte à croisée d'ogive, la luminosité devient désormais inséparable de l'art gothique.

    Quant à l'arc boutant, il est particulièrement utilisé au 13ème siècle. Ce système d'arcs extérieurs qui donne à la cathédrale vue de haut l'aspect d'une araignée géante, permet d'absorber la poussée extérieure des murs pour la diriger vers le sol. La poussée passe d'abord par l'arc reliant l'édifice à la culée, héritière des contreforts romans, et qui reçoit l'ensemble de la poussée. Cette innovation importante augmente la hauteur.

    Mais le style gothique n'est pas seulement le recours aux possibilités architectoniques offertes par la croisée d'ogives et l'arc-boutant. C'est aussi la recherche d'une lumière toujours plus abondante, d'une élévation toujours plus haute et d'une unification de l'espace par le décloisonnement des volumes.

    Un art de la lumière

    L'art gothique est d'abord un art de la lumière. La conquête de la lumière passe par l'agrandissement progressif des fenêtres et par l'emploi de plus en plus fréquent de verre plat, blanc ou coloré, même sur les constructions civiles. Précurseur du « mur de verre » moderne, l'art gothique utilise le verre à grande échelle dans l'architecture civile et religieuse. D'immenses verrières inondent de lumière l'intérieur des édifices.

    Du 12ème au 14ème siècle, des verreries voient le jour au voisinage des forêts pour alimenter les constructions urbaines. Le développement de cette industrie nouvelle, lié aux progrès de la métallurgie, est possible grâce à l'amélioration des systèmes de soufflerie et d'utilisation des combustibles. Le verre est ainsi amené plus facilement à l'état de fusion.

    Au même moment apparaît l'éclairage sans fumée, chandelle ou cierge, qui remplace la torche résineuse ou la lampe à huile. Lecture, étude, dessin s'en trouvent considérablement facilités.

    Les différentes périodes

    Le gothique s'étend du premier tiers du 12ème siècle jusqu'au 16ème siècle, de la fin du monde roman à la Renaissance. On le divise généralement en trois grandes périodes :

    Le gothique primitif (premier tiers du 12ème siècle – premier tiers du 13ème siècle).

    Les premiers édifices gothiques sont encore assez trapus. L’arc en plein cintre ne disparaît pas immédiatement. On le trouve encore dans les grandes roses de façade.

    Les voûtes sont généralement conçues sur un plan carré, six branches d’ogives reposant sur des piles alternativement fortes ou faibles, ce qui permet de canaliser la poussée vers des points de retombée entre lesquels les murs ne seront plus porteurs.

    A l'extérieur, apparaissent des arcs-boutants dont la fonction est de contrebuter la poussée des voûtes qui, avant leur invention, s'exerçait uniquement sur les murs. Ces techniques rendent possible la construction de nefs de plus en plus hautes. Les fenêtres restent pourtant d'une taille relativement modeste. L’élévation comporte généralement quatre niveaux : les arcades, les tribunes, les arcatures aveugles et les fenêtres hautes. Les chapiteaux, points de jonction de la voûte et de la pile, sont ornés de motifs végétaux dont l'extrémité est recourbée en forme de crochets.

    Ce style s'affirme avec la construction de l'abbatiale de Saint-Denis. Suger (v. 1081 – 1151) est nommé abbé de Saint-Denis en 1122 et décide vers 1137 de reconstruire l'abbaye bénédictine de Saint-Denis. Pour ce faire, il utilise pour la première fois de manière systématique tous les procédés architecturaux du gothique. Grâce à lui, le nouveau style s'exprime totalement. La basilique devient le modèle dont se sont inspirés les bâtisseurs des cathédrales de Chartres, de Senlis et de Meaux.

    La rapidité de la construction s'explique par la ferveur des fidèles qui y participent et l'habileté de Suger. Le chœur est consacré en 1144 en présence de Louis VII. On découvre alors une création architecturale originale.

    Principaux édifices : la basilique de Saint-Denis (1137 – 1144), les cathédrales de Bourges (1172 – 1235), Chartres (1194 – 1220), Laon (1150 – 1233), Noyon (1150 – 1220), Paris (1153 – 1250) et Sens (1130 – 1168).


    L'apogée (vers le milieu du 13ème siècle).

    Le style atteint sa pleine mesure grâce à l'emploi de l'arc brisé, plus résistant que l'arc en plein cintre. Son usage se généralise, ce qui permet d'accroître considérablement la hauteur des murs et d'alléger l'allure de l'ensemble. Les verticales jaillissent du sol et montent vers le ciel, toujours plus haut, plus près de Dieu. Malgré ce goût pour la démesure, la recherche de l'harmonie est constante : la succession régulière des piliers et des arcs produit une impression d'équilibre et de régularité.

    Les voûtes deviennent rectangulaires ou barlongues, le plus souvent à quatre quartiers. Ceci permet de répartir le poids de manière homogène sur des piliers cantonnés (piliers à fût central cerné de quatre colonnettes engagées).

    Les murs s'évident considérablement pour laisser place à de grandes fenêtres. Les ouvertures l'emportent sur les pleins et la lumière inonde ces vastes édifices ornés de sculptures, de miniatures et de rosaces.

    Les tribunes, dont l'inconvénient principal était de diminuer la lumière, sont remplacées par des arcs-boutants. L'élévation à trois niveaux tend à se généraliser. Les chapiteaux sont ornés de bouquets de feuillage sculptés.

    Il est difficile aujourd'hui d'imaginer les conditions dans lesquelles travaillaient les hommes qui lançaient à près de cent cinquante mètres de hauteur les flèches de leur cathédrale. Ils n'avaient aucun moyen de calcul préalable et se basaient sur des méthodes empiriques dictées par l'expérience acquise sur des édifices bien moins ambitieux. Ils se montrèrent parfois trop audacieux. Aussi les accidents n'étaient-ils pas rares sur les chantiers des cathédrales : ainsi, en 1267 la tour de la cathédrale de Sens s'écroule ; en 1272 la flèche de Sainte-Bénigne de Dijon ; en 1284 la voûte du chœur de la cathédrale de Beauvais et en 1573 la flèche récemment édifiée. En Angleterre, au 14ème siècle, la cathédrale d'Hereford s'effondre. En Allemagne, en 1492, quatre ans après sa construction, la tour de la cathédrale d'Ulm penche dangereusement.

    Principaux édifices : Les cathédrales d'Amiens (1220 – 1270), Bourges (1172 – 1235), Beauvais (1225 – 1270), Reims (1211 – 1287) et la Sainte-Chapelle (1245 – 1248).

      

    Le gothique flamboyant (15ème et 16ème siècles).

    A la fin du 13ème siècle, les efforts se concentrent sur le renouvellement du décor. Le dernier aspect de l'architecture gothique est donc moins marqué par une évolution de structure que par l'ajout, voire la surcharge, d'ornements. Certains plans sont même simplifiés. Les décors et les frises à base de motifs de flammes ou de torsades deviennent exubérants.

    Principaux édifices : Saint-Vulfran à Abbeville, Saint-Jacques à Dieppe, Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris, Saint-Maclou à Rouen.

     

    Du style roman au style gothique

    Aux alentours de l'an mil, « un blanc manteau d'églises » couvre l'Occident. Essentiellement religieux, l'art roman se caractérise par l'utilisation de la voûte en berceau. Ces voûtes de pierre éprouvent la résistance des murs qui, pour supporter un tel poids, doivent être épais et renforcés. Pour ne pas les fragiliser, on évite de percer des fenêtres. Les églises romanes sont donc des bâtiments trapus et sombres. Leur plan dessine généralement une croix latine et la décoration est concentrée sur les chapiteaux, le porche et le tympan.

    L'art gothique se substitue peu à peu à l'art roman pendant la seconde moitié du 12ème siècle dans les villes de l'Île-de-France. Il se définit par l'utilisation systématique de la voûte sur croisée d’ogives, d’arcs-boutants et de fenêtres en arc brisé. Empruntant des procédés du style roman, l'architecture gothique recourt aussi à de nouvelles techniques : la croisée d'ogives dirige les poussées de la voûte sur des piliers, et non plus sur des murs ; les arcs-boutants servent de soutien extérieur aux piliers, ils s'appuient sur des contreforts ; entre les piliers, les murs qui ne soutiennent plus la voûte sont percés de hautes et larges fenêtres en forme d'arc brisé.

    Le gothique s'exprime en premier lieu dans les édifices religieux. Il se trouve également dans la construction d'édifices civils ou militaires, comme des palais (palais de Saint-Louis à Paris, palais de justice de Rouen), des châteaux forts (Falaise, Angers, Pierrefonds, château des ducs de Bourgogne à Dijon), des hôpitaux, des halles, des hôtels de ville, des beffrois, des maisons (maison Jacques-Cœur à Bourges, résidence des abbés de Cluny) ou des enceintes fortifiées (Carcassonne, Saint-Malo, Aigues-Mortes).

    Très vite, les évêques, les architectes ont voulu construire selon « l'art de France » et édifier la nouvelle maison de Dieu. Le temps des cathédrales sera le siècle de l'édification.

    Quand on constate que, pendant deux cent cinquante ans de la fin du 13ème siècle au début du 16ème siècle, époque où l’on a construit les transepts de Sens, Senlis et Beauvais, les bâtisseurs n’ont fait faire aucun progrès à la technique de la construction, on peut s’en étonner. Le gothique flamboyant n’est qu’une décoration superficielle appliquée sur une ossature technique mise au point du 11ème au 13ème siècle. Pendant deux cent cinquante années suivantes, on s’est contenté de copier les prédécesseurs.

    C’est pourquoi on peut affirmer qu’il n’y a pas de bâtisseurs de cathédrales romanes ou de bâtisseurs de cathédrales gothiques, pas plus qu’il n’y a de chantiers romans ou de chantiers gothiques : il y a seulement des bâtisseurs qui créent et d’autres qui copient servilement les techniques anciennes.

    L’arrêt du développement architectural à la fin du 13ème siècle est un phénomène lié à toute l’histoire médiévale : religieuse, technique, économique, sociale et psychologique.

    La séparation – arbitraire – du roman et du gothique, au milieu du 12ème siècle ne correspond à aucun tournant particulier de l’histoire médiévale, alors que la deuxième moitié du 13ème siècle est une époque marquante dans l’histoire du Moyen Age.

    L’expansion de la chrétienté et l’histoire des bâtisseurs sont liées au développement des ordres monastiques.

    En organisant le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle pour entraîner les pèlerins en Espagne et ainsi intéresser l’Europe à la reconquête chrétienne de l’Espagne occupée par les Maures, Cluny va encourager la construction ou l’agrandissement de vastes basiliques sur le passage de cet important pèlerinage.

    C’est dans la foi médiévale qu’il faut chercher le véritable point de départ de cette « croisade des cathédrales ». Les circonstances étaient particulièrement favorables à l’épanouissement des manifestations architecturales de piété. Mais il va de soi que, si le Moyen Age n’avait pas d’abord été un âge pieux, le génie des bâtisseurs et l’argent des marchands se seraient employés autrement et nous n’aurions ni Chartres, ni Amiens, ni Strasbourg…

    L’histoire de la construction des cathédrales et des bâtisseurs est aussi liée étroitement à la renaissance des villes et du commerce, à la naissance de la bourgeoisie et aux premières libertés urbaines.

    Dans la plupart des religions antiques, le peuple n’avait pas accès au sanctuaire, à la maison de Dieu.

    Au contraire, l’Eglise chrétienne a demandé aux fidèles de participer aux frais de construction d’édifices assez vastes pour que la foule puisse avoir accès au sanctuaire.

    On construirait désormais la maison de Dieu à l’image de la Jérusalem Céleste et cette maison de Dieu devait être chose admirable : elle devint la maison des adorateurs et la maison du peuple.

    La législation ecclésiastique confirme la différence entre le sanctuaire et le reste de la surface de la cathédrale. Au Moyen Age, Notre Dame de Paris appartenait, non pas à l’évêque, mais au chapitre. La juridiction du chapitre s’arrêtait au sanctuaire, celui-ci ne pouvant appartenir qu’à l’évêque. La nef et les bas-côtés furent plus particulièrement réservés aux adorateurs, au peuple.

    Cette distinction est nécessaire pour que notre esprit du 20ème siècle ne soit pas choqué par l’animation et les activités qui pouvaient se dérouler autrefois à l’intérieur des églises : on y dormait, on y mangeait, on pouvait y parler sans avoir besoin de chuchoter. On pouvait y introduire des animaux tels que des chiens ou des éperviers. On y circulait beaucoup plus librement qu'aujourd'hui d’ailleurs, car il n’y avait pas de chaises. On s’y retrouvait pour discuter d’affaires qui, souvent, n’avaient rien de religieux. C’est là aussi que les représentants de la commune se retrouvaient pour parler des affaires de la cité. Les historiens ont remarqué que, dans certaines villes où furent fondées des communes et où se sont élevé de grandes cathédrales, les bourgeois n’ont pas construit d’hôtel de ville.

    Il existe même un texte ecclésiastique interdisant à une certaine commune de se servir de la cathédrale comme salle de réunion. Cette interdiction prouve que c’était là un fait courant, une tolérance généralement admise par l’Eglise. On peut supposer que les représentants de la commune ont aidé à financer la cathédrale avec l’arrière-pensée d’y tenir leurs réunions.

    Ce sont les très nombreuses fêtes médiévales qui ont accru le contact des hommes avec Dieu et qui justifient la passion des hommes pour la reconstruction des églises.

    Qui sont ces bâtisseurs de cathédrales ?

    La prospérité du 12ème siècle fut avant tout celle des arts et spécialement de l'architecture. Les cathédrales furent l'œuvre majeure et le symbole du Moyen Age. Ces magnifiques édifices religieux étaient érigés à la gloire de Dieu en remerciement des grâces accordées au peuple. Les villes engageaient une véritable compétition pour édifier la plus célèbre et splendide cathédrale dont la flèche serait la plus élevée. Les cathédrales représentèrent les plus grands investissements de capital de cette époque, la construction nécessitant souvent plus d'un siècle et coûtant des fortunes.

    Le matériau de construction prédominant était la pierre, laquelle minimisait les risques d'incendie. L’acier a aussi été utilisé quelques fois, le fer étant trop souple pour pouvoir soutenir ces édifices d'une hauteur sans précédent.

    Les architectes ont développé de nouvelles solutions pour simplifier et consolider les structures : l'introduction de l'ogive et des arcs-boutants ou contreforts pour pouvoir répartir le poids du dôme sur les piliers de pierre massifs. Les nouvelles techniques de construction ont permis d'édifier d'immenses cathédrales lumineuses, de hautes fenêtres, souvent ornées de vitraux somptueux, et des flèches très élevées.

    Décorées de peintures, de sculptures et de vitraux en verre coloré, les cathédrales furent une grande source de fierté et de prestige pour les villes. Les pèlerins et les nouveaux pratiquants furent la source de revenus substantiels pour les villes qui possédaient des cathédrales.

    Beaux grands monuments de l'architecture chrétienne, de grandes cathédrales ont été bâties dans les villes ou l'évêque résidait. L'évêque est le chef de l'église pour un diocèse. C'est lui qui paie les dépenses. C'est lui aussi qui choisit l'architecte pour faire les plans de la cathédrale, pour diriger et engager les maîtres artisans.

    Les habitants, eux aussi, donnaient de l'argent pour la construction qui durait des dizaines d'années. Quand les travaux étaient arrêtés, c'était parce que l'argent et les pierres venaient à manquer !

    Parmi les artisans, il y avait le maître carrier, le maître tailleur de pierre, le maître sculpteur, le maître gâcheur, le maître maçon, le maître charpentier, le maître forgeron, le maître couvreur et le maître verrier. Chaque artisan réclamait des outils appropriés : le rustique, un marteau, un ciseau grain d'orge, un gabarit, un levier, une règle graduée, une équerre, un compas à pointes sèches, un vilebrequin, une scie à araser, une masse et des coins, un rabot, un perçoir et une herminette.

    Chaque habitant de la cité aidait à construire la cathédrale, assez grande pour accueillir tous les citadins. Sur chemin de la ville, les pèlerins s'arrêtaient à la carrière pour aider à porter les pierres jusqu'au chantier.

     

    Quels sont les métiers spécifiques de la construction des cathédrales ?

    Pour évoquer les bâtisseurs de cathédrales, nous évoquerons successivement :

    • les chanoines bâtisseurs et les origines du chapitre ;

    • le travail de la pierre : les carriers, les mortelliers et les tailleurs de pierre ;

    • les plâtriers et les maçons;

    • les francs-maçons et les sculpteurs;

    • l’architecte et les moines constructeurs;

    • les ingénieurs et les techniciens;

    • les sculpteurs et les verriers.

    Mais tout d’abord, quelques considérations générales. Le tailleur de pierre travaille sur place. L'amélioration de la qualité des métaux a rendu le travail du forgeron de plus en plus important. Le maçon travaille à l'édification. A la fin du Moyen Age, il intervient même dans la construction : l'architecture prévoit des bardages de fer pour solidifier ses dentelles de pierre. Le maître d'œuvre est responsable de la conception générale.

    Les grands maîtres d'œuvre du gothique sont Jean de Chelles, Pierre de Montreuil, l'un des bâtisseurs de Notre-Dame de Paris, Robert de Coucy, Peter Palet, Hugues Libergié, Alexandre et Colin de Berneval. Ce sont des artistes, des savants et des spécialistes des questions techniques. Ils sont capables de défier les forces et les poussées, de les contrôler pour élever toujours plus haut des édifices à la gloire de Dieu. Ils offrent le spectacle de constructions extraordinaires éblouissant leurs contemporains.

    A l'intérieur même de la cathédrale, le labyrinthe est parfois le moyen de connaître le nom des maîtres d'œuvre. Une gravure qui représente le labyrinthe de la cathédrale de Reims aujourd'hui disparu en figure quatre : Jean d'Orbais, qui édifie le chœur en 1211, est représenté en haut à droite ; Jean le Loup, qui l'achève et entreprend la façade, est représenté en haut à gauche, tenant une équerre ; Gaucher de Reims et Bernard de Soissons, qui édifie la grande rose de la façade ouest, sont représentés en bas.

    Au Moyen Age, on ne fait pas de distinction dans la désignation des fonctions entre tailleur de pierre et sculpteur. Le premier taille ; le second sculpte la pierre qui est posée par le maçon. Le maçon désigne celui qui met la pierre en place et la « cimente ».

    Après la pierre vient le bois. Au Moyen Age, le bois reste un matériau très important dans la construction.

    L'étude des nombreux chefs-d'œuvre du Moyen Age nous révèle que les architectes étaient de très grands géomètres et qu'ils pratiquaient l'art des proportions avec une grande maîtrise.

    Pour les voûtes, il était nécessaire que le charpentier construise d'abord la forme sur laquelle le maçon viendrait poser les pierres.

    Le charpentier construit, bien sûr, les charpentes mais aussi parfois certaines voûtes, les coffrages avant la pose des pierres, les échafaudages, tous les engins de levage et certains moyens de transport. Il donne à la pierre sa forme. A partir du 13ème siècle sa fonction devient semblable à celle de l'architecte aujourd'hui. Il utilise des échafaudages légers, fixés au bâtiment au fur et à mesure que les murs montent. Il s'occupe de la fabrication et de l'entretien des outils, des roues ferrées des chariots de transports. Les grands chantiers nécessitent une importante quantité de bois.

    Les chanoines bâtisseurs

    La construction d’une cathédrale ne peut se comprendre si l’on ignore le rôle de premier plan accompli par le chapitre. La légende nous a instruits sur l’action de l’évêque dans l’élaboration des plans et dans le financement de la grande entreprise, action que nous ne pouvons nier ; de nombreuses cathédrales ont en effet une dette de reconnaissance envers certains de leurs évêques.

    L’évêque, c’est une étoile qui brille et puis disparaît de la scène. Pourtant les travaux de la cathédrale se poursuivent d’une génération à l’autre grâce au chapitre. Le terme « chapitre » n’a plus le même sens aujourd'hui qu’au Moyen Age. Depuis la révolution, le chapitre a un rôle moins actif qu’honorifique. A l’époque médiévale c’était une assemblée composée de chanoines qui jouissait de grands privilèges et qui échappait souvent à la juridiction épiscopale. C’est seulement au 16ème siècle que furent précisés, par le Concile de Trente, ses rapports avec les évêques.

    C’est aux chanoines que l’on doit accorder le glorieux titre de bâtisseurs de cathédrales. Il faut leur rendre cet hommage et les faire sortir de l’obscurité. Ce sont eux qui ont érigé de main de maître la croisade des cathédrales et qui ont poursuivi les travaux à travers les siècles, alors que l'enthousiasme collectif avait depuis longtemps cessé.

    Quelle est donc l’origine historique du chapitre et comment cette assemblée a-t-elle pu prendre une telle place dans la direction temporelle de l’Eglise ?

    Les origines du chapitre

    Dans le haut Moyen Age, l’évêque avait autour de lui un corps de prêtres qui l‘aidaient à administrer son diocèse et à dire les messes dans les paroisses. Ces prêtres, ou chanoines, devaient en quelque sorte constituer pour l’évêque un conseil privé. Ils furent astreints à une certaine vie communautaire. Ils devaient dormir en dortoir, avoir un réfectoire commun et célébrer en commun leurs offices.

    Après l’annulation de leur vœu de pauvreté, les chanoines furent autorisés à avoir un droit viager sur leurs biens immeubles et à disposer de leurs biens meubles par testament. Cette décision amènera peu à peu les chanoines à s’écarter de la vie communautaire, à retourner à une vie plus séculière et plus individualiste.

    Dès la première moitié du 10ème siècle, plusieurs chapitres de cathédrales obtinrent la séparation de leurs revenus d’avec ceux des évêques. L’indépendance du chapitre ira désormais en s’accroissant.

    Le chapitre disposa dès lors d’un fonds commun et à chaque canonicat fut attachée une prébende, c’est-à-dire un revenu ecclésiastique plus ou moins important. La prébende n’obligeait pas toujours le chanoine à résider dans la ville cathédrale et, même, certains chanoines purent disposer de plusieurs prébendes situées dans des diocèses différents. Il y eut des chanoines résidents et des chanoines non-résidents.

    L’établissement d’un doyen à la tête du chapitre conduisait à augmenter l’indépendance du chapitre vis-à-vis de l’évêque.

    Le chapitre comprenait un certain nombre de dignitaires : un chancelier qui faisait fonction de secrétaire et qui était responsable des sceaux, un trésorier chargé du trésor et des reliques, un chantre qui était le maître du chœur présidait au chant et était chargé de l’organisation des services religieux. Les chanoines avaient préséance sur les abbés mitrés et crossés. Avec l’extension des villes et l’accroissement de la population, on augmenta le nombre des chanoines. Le développement du commerce et la mise en valeur de l’agriculture accrurent la valeur des prébendes et, par contrecoup, la puissance du chapitre.

    Peu à peu les chanoines augmentèrent leurs droits et leurs privilèges et devinrent jaloux de leur autorité et même anxieux de limiter le pouvoir de l’évêque.

    Dans toutes les cathédrales, c’est le chapitre qui contrôlait la fabrique. Au Moyen Age, on entendait par fabrique tout ce qui se rapportait à la construction ou à l’entretien d’un monument, aussi bien dans son exécution matérielle que dans l’acquisition et l’administration des ressources financières qui lui étaient affectées.

    Les constructeurs gothiques étaient confrontés quotidiennement aux difficultés d'approvisionnement et de transport des matériaux nécessaires au chantier, que ce fût le bois, la pierre, la chaux, le fer ou le parchemin. Économiser les matériaux utilisés était par conséquent au centre des préoccupations des constructeurs et conditionnait, directement ou indirectement, leurs choix techniques.

    L’évêque ne parait jamais avoir été tenu en rien à contribuer aux charges de la fabrique et, chaque fois qu’il l’a fait, c’est de son plein gré et à titre exceptionnel. Dans l’élaboration des plans, dans l’exécution des travaux, le chapitre avait un rôle assez comparable à celui d’un actuel directeur à la reconstruction et à l’urbanisme.

    Les chanoines se réunissaient en principe chaque année pour désigner un proviseur, personnage dont le rôle consistait à tenir les comptes de la fabrique ou de l’œuvre et à diriger le chantier. Le proviseur pouvait être un chanoine ou un clerc ou, plus exceptionnellement, un agent laïc responsable devant le chapitre. On le choisissait pour ses connaissances en architecture ou ses capacités d’homme d’affaires.

    Le travail de la pierre

    Dans la hiérarchie des bâtisseurs de cathédrales, le manœuvre est évidemment au bas de l’échelle mais, tant que dure la période ascendante du Moyen Age, toutes les possibilités lui sont ouvertes pour s’élever.

    Par son travail et son intelligence, il peut devenir un ouvrier spécialisé, il peut amasser un peu d’argent et s’installer à son compte comme entrepreneur ou étudier pour devenir capable de remplir les fonctions d’architecte. La société médiévale a en effet permis aux plus humbles d’accéder à de hautes fonctions. L’avenir est à l’ambitieux. L’évolution du monde ouvrier médiéval présente une certaine analogie avec celle du monde ouvrier américain. Toutes proportions gardées, le manœuvre médiéval pouvait devenir un self-made man, acquérir une situation estimée dans la ville.

    Le milieu de recrutement des manœuvres doit être recherché dans la « classe » des déracinés qui étaient souvent des serfs fuyant leurs seigneurs et venant chercher refuge dans les villes éloignées de leurs terres natales. S’ils n’étaient pas réclamés par leurs maitres au bout d’un an et d’un jour, ils devenaient libres et citoyens de la ville.

    Les manœuvres se recrutaient aussi, probablement, chez les fils de paysans, enfants de familles nombreuses qui partaient chercher à la ville l’aventure et la liberté. Les uns et les autres pouvaient se faire embaucher immédiatement sur un des nombreux chantiers de la ville. La main-d’œuvre des chantiers a été une main-d’œuvre libre.

    Le travail demandé aux manœuvres est varié : ils aident les charpentiers à transporter le merrain (planche obtenue en débitant un billot de bois dans le sens des rayons médullaires, et servant à confectionner les douves des tonneaux) ; ils creusent pour ouvrir une carrière ; ils montent les tuiles en haut de l’église ; ils creusent des fondations. Sur les chantiers, ils transportent les différents matériaux dans des hottes.

    Les conditions de vie des manœuvres devaient être assez dures : le salaire n’était pas très élevé et, surtout, le travail était irrégulier.

    Les ouvriers spécialisés, les professionnels s’attachaient un certain nombre de manœuvres pour les aider dans leur tâche ; on les appelait aides, serviteurs, compagnons ou valets.

    Tandis que les tailleurs de pierres s’adjoignaient des manœuvres qui leur apportaient des pierres et les aidaient dans leur travail, d’autres manœuvres préparaient le mortier ou ciment et le plâtre pour les maçons. Certains des manœuvres se sont spécialisés dans cette fabrication du mortier et du plâtre : on les a appelés mortelliers ou cimentiers et plâtriers.

    Les maitres des métiers, au milieu du 13ème siècle, se sont préoccupés des qualités morales et professionnelles des manœuvres qui pouvaient ainsi accéder à une relative spécialisation.

    Les carriers, les mortelliers, fabricants de mortiers en pierre, les tailleurs de pierre font partie d’une branche de la famille des ouvriers de la pierre. Les plâtriers, les mortelliers gâcheurs de ciment et les maçons font partie de l’autre branche.

    Le maçon est avant tout un poseur de pierres. Le terme anglais exprime cette action de poser ou de sceller les pierres. On dit un « setter » ou un « layer ». Les mots anglais qui désignent les ouvriers des différentes spécialités sont très intéressants car ils nous révèlent l’origine du mot « franc-maçon » et par suite nous permettent de comprendre comment a pu naitre et se développer la franc-maçonnerie « opérative » qui a précédé l’actuelle franc-maçonnerie « spéculative ».

    Certains des maçons les plus habiles dans la taille de la pierre étaient engagés dans l’atelier, ou loge, au pied de l’édifice ; d’autres travaillaient dans les carrières.

    Le maçon bénéficiait de certains avantages ; le proviseur lui fournissait des gants pour qu’il puisse protéger ses mains contre les brulures de la chaux. Il recevait certaines gratifications à la fin d’un travail ou lors de la pose d’une clef de voûte.

    Chaque tailleur de pierre devait posséder un signe distinctif, une marque qu’il devait graver sur l’une quelconque des faces de la pierre taillée, lorsqu’il était embauché à la tâche, pour permettre au chef du chantier de vérifier la qualité de son travail en fin de semaine et de dénombrer le nombre de pierres équarries pour le payer en conséquence.

    La variété des marques des tâcherons est grande. Ce sont des figures géométriques telles que des triangles ou des pentagones, des instruments de travail comme la pioche ou le marteau, des croix, des caractères de l’alphabet représentant peut-être la première lettre du nom de l’ouvrier. Parfois transmises de père en fils, ces marques de tâcherons ont fini par devenir en quelque sorte des signatures.

    On peut découvrir de nombreuses marques de tâcherons dans les monastères, ce qui permet de mesurer l’apport des ouvriers de l’extérieur dans la construction des abbayes. On en a trouvé à  Sylvacane, à Sénanque, à Montmajour, à Fontenay…

    Beaucoup de ces signes sont gravés sur la face engagée de la pierre et on ne les découvre que lorsque l’on détruit les murs. Les signes gravés à l’intérieur des églises sur les parements n’étaient pas visibles à l’époque car on sait que les murs étaient recouverts de peintures. Le maçon qui scellait les pierres n’avait pas à tenir compte de ces marques de tâcherons et nous les trouvons parfois à l’envers sur les parements.

    Il ne faut pas confondre ces marques de tâcherons et de carriers avec les marques de positions. Lorsqu'on devait procéder à un assemblage un peu compliqué de pierres, l’appareilleur donnait des instructions précises aux tailleurs de pierre, afin que ces derniers gravent de telle ou telle manière les différents blocs de l’assemblage prévu. Ainsi les maçons pouvaient-ils, le moment venu, placer correctement les pierres les unes par rapport aux autres avant de les sceller.

    Francs-maçons et sculpteurs

    Qu’ils fussent payés à la tâche ou à la semaine, la vie des tailleurs de pierre se déroulait dans la loge ou aux alentours de celle-ci. La loge était construite en planches.

    Le matin, les tailleurs de pierre allaient y chercher leurs outils ; à l’heure du déjeuner ils y prenaient leur repas et, lors des grandes chaleurs, ils y faisaient la sieste. Il y avait une ou plusieurs loges sur les chantiers. Elles sont représentées dans les enluminures, au pied de l’édifice en construction.

    Non seulement des loges permettaient aux ouvriers d’y prendre leur repas et de s’y reposer mais elles permettaient aux tailleurs de pierre d’œuvrer lorsqu'il faisait mauvais temps. L’importance des loges était d’ailleurs grande, surtout l’hiver ; les tailleurs de pierre pouvaient à l’abri des intempéries préparer le travail pour les maçons, qui, eux, ne revenaient sur le chantier qu’avec le retour des beaux jours.

    On ne passait pas la nuit dans la loge. Dans les villes cathédrales, les ouvriers pouvaient loger chez le tavernier ou chez l’habitant.

    Les loges devinrent, en même temps qu’un lieu de travail et de repos, un lieu où l’on discutait des problèmes intéressant le métier. Ce furent un peu des clubs et c’est là l’origine lointaine des loges maçonniques contemporaines.

    Les tailleurs de pierre et les maçons font partie d’une main-d’œuvre essentiellement flottante : de multiples motifs les ont poussés à se déplacer de chantier en chantier, de pays en pays. Les jeunes ont eu l’ambition de contempler de nouveaux horizons, de connaitre des mœurs et des techniques différentes. Émerveillés par leur époque, ils ont voulu voir ces monuments d’une audace incroyable, qui s’élevaient un peu partout sur la terre chrétienne.

    Les expressions latines qui désignent au Moyen Age les ouvriers qui taillent la pierre, ne permettent généralement pas de distinguer ceux qui taillent simplement des carreaux de ceux qui taillent les voûtes d’ogives, les roses et les sculptures monumentales des porches. Les sculpteurs se confondent donc dans la masse des tailleurs de pierre.

    Les termes qui désignent en Angleterre les tailleurs de pierre permettent néanmoins d’établir une certaine distinction entre les ouvriers travaillant le gros œuvre et ceux qui exécutent des travaux plus délicats. Cette distinction est fondée sur la qualité de la pierre travaillée. Ceux qui, par exemple, œuvraient une pierre particulièrement dure, se nommaient des hard hewers, des tailleurs de pierre dure ; ils s’opposaient, par conséquent, aux « freestone masons » qui taillaient une excellente pierre calcaire susceptible de se prêter au travail délicat des sculptures.

    Les freestone masons s’opposent également aux « rough masons » qui travaillent la pierre grossièrement. L’expression freestone mason fut remplacée peu à peu par celle, simplifiée, de freemason. Le mot freemason se rapporte évidemment à la qualité de la pierre, et non pas à une quelconque franchise dont auraient bénéficié les bâtisseurs des cathédrales. Lorsque la franc-maçonnerie spéculative fut introduite d’Angleterre en France vers 1725, on traduisit tout naturellement freemason par franc-maçon, expression que le Moyen Age n’avait jamais connue.

    Les fréquents voyages des tailleurs de pierre à travers le pays les ont mis à même de juger les pierres de nombreuses carrières. Certains ont obtenu de travailler avec la pierre qui convenait le mieux à leur tempérament propre, d’autres ont su faire commander les pierres de telle carrière pour tel travail difficile. Les sculpteurs ont eu réellement l’amour du matériau de qualité. Quand on sait le prix élevé du transport à cette époque, on ne peut qu’admirer la compréhension intelligente de ceux qui ont assumé les frais de ces couteaux transports.

    La sculpture et le vitrail, nouvelles techniques d’expression

    Aux 10ème et 11ème siècles, les théologiens ont exprimé la pensée médiévale dans la fresque, l’orfèvrerie et la miniature qui furent les grandes techniques d’expressions de cette époque, et non pas dans la sculpture.

    Dans le courant du 11ème siècle, lorsque les tailleurs de pierre, grâce à une plus grande connaissance de leur métier, commencèrent à sculpter de petites scènes imagées, ils purent sans doute le faire librement et sans surveillance.

    A la fin du 11ème siècle, leurs efforts et leurs incessants progrès attirèrent l’attention des moines sur cette nouvelle technique inconnue jusqu'alors du monde chrétien occidental. Les moines prirent des contacts personnels avec ces ouvriers et leur donnèrent des thèmes à exécuter. Les moines soumirent aux tailleurs de pierre pour qu’ils s’en inspirent les scènes de certaines miniatures des manuscrits. La sculpture monumentale prit alors une extension rapide et devint, dès le 12ème siècle, une grande technique d’expression.

    A partir du milieu du siècle, le vitrail prit à son tour une importance considérable, au détriment de la fresque qui n'avait plus de murs pour se loger à l'aise ; la fresque devint au 13ème siècle une technique d’expression dépassée.

    En devenant sculpteur, le tailleur de pierre a accédé au monde de l’esprit ; il a  approché les théologiens et s’est instruit à leur contact ; il a eu la chance magnifique de feuilleter les précieux manuscrits des abbayes. Il a appris à regarder, à observer, à penser.

    Son horizon intellectuel s’est élargi, ce qui lui a permis de participer non seulement matériellement mais spirituellement à l’œuvre sculptée. Grâce aux miniatures des manuscrits feuilletés et admirés dans d’autres abbayes, le sculpteur a pu humblement suggérer de légères variations aux thèmes proposés par les Pères. Le sculpteur et le théologien ayant œuvré dans le même sens, le sculpteur pouvait se considérer comme libre car dans cette association il ne subsistait aucune contrainte.

    Le sculpteur a souvent œuvré un bloc de pierre déjà scellé dans l’édifice. Les sculptures font ainsi parfaitement corps avec le bâtiment. Les statues-colonnes du 12ème siècle, comme celles du Porche Royal de Chartres, montrent cette étroite collaboration du sculpteur et de l’architecte. Mais cette magnifique harmonie n’a duré malheureusement qu’un temps.

    Le sculpteur, perdant peut-être un peu de son humilité première, a voulu rendre son œuvre indépendante et a détaché sa sculpture de la colonne. Dorénavant, il œuvre son bloc de pierre à l’écart de l’édifice, dans la loge. Grisé par son indépendance et son extraordinaire réussite dans l’ordre spirituel et matériel, il ne songe plus qu’à mettre des sculptures partout. Il veut en couvrir les églises, il les étouffe !

    Après avoir rompu avec l’architecte, le sculpteur rompt avec le théologien. La période ascendante de la chrétienté est terminée. L’indépendance du sculpteur vis-à-vis de la tradition, chose impensable un siècle plus tôt, coïncide avec une diminution de l’intensité de la foi.  Les riches et les puissants se font à présent construire des hôtels particuliers et des chapelles personnelles. L’activité des grands chantiers s’en ressent. Les plus habiles des sculpteurs, des bâtisseurs de cathédrales, sont attirés et engagés pour orner les hôtels et les chapelles des grands de la terre.

    Les  architectes

    L’architecte, au Moyen Age, est celui qui conçoit les plans et établit les devis. Ce travail de création était exécuté dans la « chambre aux traits » qui devait être une pièce réservée à l’architecte et à ses aides.

    Pendant toute la période de la croisade des cathédrales, les architectes ne semblent pas avoir construit de modèles en bois ou en plâtre. Ce procédé antique de représentation des édifices parait avoir survécu un certain temps dans le haut Moyen Age puis a disparu pendant plusieurs siècles pour ne réapparaître qu’à la Renaissance.

    Nous sommes malheureusement très pauvres en plans pour la période ascendante du Moyen Age. Le carnet de notes de Villard de Honnecourt comprend des élévations mais ce sont plutôt des dessins exécutés pour inspirer des travaux ultérieurs que des plans de travail.

    L’absence de documents aussi fondamentaux peut s’expliquer par le fait qu’on n’avait aucune raison particulière de conserver les plans d’édifices construits.

    L’architecte, le « maître principal », recevait un salaire plus considérable que les autres. Il est en effet normal que des hommes capables de diriger un chantier, de dresser des plans et d’établir des devis aient une situation sociale et financière supérieure à celle des maçons et des tailleurs de pierre.

    Les chapitres se sont trouvés dans la position de demandeurs face à ces hommes d’exception qui réunissaient en eux tant de qualités morales et tant de connaissances techniques.

    Le nombre d’hommes pouvant réunir ces qualités et ces connaissances était tout de même assez limité. Aussi les architectes ont évidemment profité de la position privilégiée où ils se trouvaient pour fixer leurs conditions d’embauche.

    Les moines constructeurs

    L’histoire de la construction des monastères est, par certains côtés, assez différente de celle des cathédrales, notamment en ce qui concerne la direction du chantier, la main-d’œuvre et le choix des plans.

    Dans les monastères, il n’y a jamais eu d’écoles de tailleurs de pierres ou d’architectes qui auraient permis aux moines d’en assurer la construction sans aide extérieure.

    L’histoire de la construction des monastères demande que l’on distingue en effet dans ce domaine : d’un côté les Bénédictins, de l’autre les Cisterciens et que, dans les monastères cisterciens, l’on distingue l’activité des moines de celle des frères convers.

    Pour comprendre ces différences, il faut remonter aux sources et relire la Règle de saint Benoît.  La mission du moine est de consacrer sa vie à Dieu par la méditation, la prière et les offices. La Règle organise sa vie pour l’œuvre de Dieu. Le travail manuel n’est encouragé que dans la mesure où il contribue à cette œuvre. L’esprit de la Règle ne prévoit pas le dur travail du carrier, du tailleur de pierres ou du sculpteur.

    C’est ainsi que l’idée d’une main-d’œuvre religieuse fut codifiée par Cîteaux en 1119 : les us et coutumes des frères convers furent publiés. Dorénavant, deux catégories de religieux se côtoient : les moines qui peuvent se consacrer entièrement à la vie spirituelle ou intellectuelle, et les frères convers, à qui sont confiées les tâches matérielles. Grâce à ces frères convers, la part prise par les Cisterciens à la construction de leurs monastères a été réelle mais la présence de signes de tailleurs de pierres dans les édifices cisterciens prouve que les moines durent cependant faire appel à des constructeurs venus de l’extérieur.

    Ingénieurs et techniciens

    L’histoire des techniques nous prouve que les bâtisseurs des cathédrales ont activement participé à la première révolution industrielle de l’Europe.

    Les trois principales ressources d’énergie exploitées pendant la période ascendante du Moyen Age furent : l’énergie hydraulique, l’énergie éolienne et l’énergie du cheval.

    Sans énergie hydraulique, la vie du Moyen Age aurait été impensable. C’est au 10ème siècle que se multiplient de façon considérable les moulins à eau étant donné le réseau dense de fleuves et de torrents à débit annuel régulier.

    A partir du 12ème siècle on construisit d’innombrables moulins à vent pour profiter de l’inépuisable énergie éolienne. Le cheval fut, pour le Moyen Age, une source d’énergie considérable. Les chantiers des cathédrales en profitèrent directement. Pour la première fois dans l’histoire du monde, le cheval fut employé au maximum de sa puissance.

    Les bâtisseurs de cathédrales, travaillant dans une société où l’on admettait le progrès, purent innover, et la cathédrale de la fin du 13ème siècle fut le résultat de centaines innovations et de perfectionnements plus ou moins importants dus à l’esprit de recherche des constructeurs.

    La plupart des métiers ont progressé ensemble, et souvent les progrès des uns ont aidé les progrès des autres. Exemple le plus marquant, les progrès des forgerons ont aidé les architectes, les sculpteurs et les tailleurs de pierres.

    Il est permis de qualifier ces forgerons de bâtisseurs de cathédrales car ils ont fabriqué des outils en acier plus résistants et nécessitant moins de réaffutages.  Ces forgerons ont forgé des outils, des louves, des clous de tous types, des fers à cheval, des tirants… Ces outils ont permis de tailler des pierres plus dures. Les sculpteurs ont pu soumettre la pierre à un travail plus délicat. L’emploi d’une pierre plus dure a amené les architectes à concevoir des colonnes d’un diamètre plus petit et des murs moins épais.

    Si les charpentiers ont dû s’adapter directement à l’évolution des voûtes, les couvreurs ont dû s’adapter à l’évolution des charpentes. Suivant les régions, les églises ont été couvertes de tuiles, de plomb ou d’ardoises. A la fin du 12ème siècle, des ardoises solides et résistantes couvraient les édifices de l’Ouest et du Nord de la France.

    Pour protéger leurs édifices contre la pluie, les architectes ont conçu un réseau de petites rigoles. Ils ont inventé la gargouille pour rejeter l’eau loin des murs.

    Pour diminuer les risques d’incendie, les architectes ont été amenés à voter les églises en pierre. Pour voter les édifices, ils ont adopté les voûtes en berceaux brisés, les coupoles sur pendentifs ou sur trompes et les voûtes d’arêtes. Ils les ont perfectionnées pour couvrir des étendues de plus en plus grandes. Ils ont notamment eu l’idée de renforcer la voûte d’arêtes par des croisées d’ogives. La construction de ce type de voûte, qui s’est généralisé à partir du milieu du 12ème siècle, a profité à l’expérience des tailleurs de pierre, d’un meilleur choix de matériaux et de l’emploi d’un mortier plus solide.

    L’arc-boutant, invention révolutionnaire du 12ème siècle, permit de contrebuter efficacement les voûtes en croisées d’ogives, d’élever des vaisseaux de plus en plus hauts et de sauver de la ruine de nombreuses voûtes anciennes qui menaçaient de s’écrouler.

    En ouvrant dans les murs des fenêtres de plus en plus grandes pour éclairer l’intérieur des églises, les architectes ont hissé les verriers au premier rang des bâtisseurs de cathédrales.

    De toutes les techniques médiévales, c’est celle qui concerne la fabrication des vitraux que nous connaissons le mieux, grâce au moine Théophile, auteur d’un traité technique qui nous aide aussi à mieux comprendre l’esprit dans lequel ont œuvré les bâtisseurs de cathédrales.

    Car, si une certaine conception du progrès, un esprit fécond en invention, des conditions économiques et sociales particulièrement favorables étaient nécessaires pour permettre la construction des cathédrales, il fallait surtout que d’autres conditions, d’ordre spirituel celles-là, fussent également remplies.

    La basilique de Vézelay, les cathédrales d’Amiens, de Reims, de Paris, de Strasbourg et de Chartres, parmi tant d’autres, témoignent d’une sagesse inspirée autant que d’une science ingénieuse.

    Un art de « professionnels »

    Le bilan des bâtisseurs du gothique est impressionnant : des dizaines de cathédrales, des centaines d'églises ont été érigées. La construction d'une cathédrale rappelle la grande ferveur des bâtisseurs, leur enthousiasme et l'affirmation du pouvoir de l'Eglise au cœur de la ville. Des chantiers se sont ouverts en tous lieux et ont pu durer de nombreuses années. Ces chantiers ont vu la naissance d'une collaboration entre l'évêque, les chanoines et le maître d'œuvre. La construction était réservée à des techniciens compétents. Une hiérarchie stricte existait entre les métiers. Des sculpteurs, des tailleurs de pierre, des dessinateurs, des charpentiers, des menuisiers, des couvreurs, des maçons, des forgerons des verriers, des carriers... se sont retrouvés sur les chantiers. Le proviseur, choisi par le chapitre des chanoines pour diriger les travaux, acheter les matériaux et tenir les comptes, engageait sur le chantier des ouvriers hautement qualifiés.

     

    Le message des bâtisseurs de cathédrales

    Du temple à la cathédrale

    La cathédrale est bien la fille spirituelle du temple égyptien. De nombreux thèmes, apparaissant comme spécifiquement chrétiens, sont inexplicables sans la connaissance de la symbolique égyptienne. En effet, la symbolique égyptienne permet de mieux percevoir la signification de nombreux thèmes iconographiques ou littéraires du Moyen Age.

    Des auteurs médiévaux ont montré qu’ils avaient conscience de leur filiation. La fondation des premiers grands monastères occidentaux se fit sur le modèle égyptien, les moines de la terre des pharaons s’inspirant du fonctionnement des anciennes communautés de prêtres. Des pyramides aux cathédrales s’est manifestée la vérité d’une aventure vécue par des communautés de bâtisseurs, initiés par des rites et des symboles identiques quant au fond.

    Le Christ du Moyen Age des Maîtres d’Œuvre est un successeur des Rois-Dieux, dans leur fonction comme dans leur mission, malgré les distorsions historiques. La Vierge se situe dans le prolongement d’Isis, assurant la présence d’une symbolique féminine dans une religion catholique qui a tout essayé pour la rejeter mais n’a pas réussi à expulser l’immense figure de la déesse égyptienne qui, au moment de la formation du christianisme, régnait dans tout le bassin méditerranéen et dans une bonne partie de l’Europe.

    Cette base symbolique, d’une extraordinaire richesse, ne suffisait pas cependant à déclencher l’épopée des siècles d’or du Moyen Age. Il fallait aussi un certain état d’esprit qui ne dissociait pas l’art d’une certaine science de la vie.

    L’art sans la science n’est rien

    La science du Moyen Age, celle que pratiquèrent les Maîtres d’Œuvre, ne se veut pas théorique. Toute théorie est bavarde, gratuite ; seul compte un empirisme noble, où la main et l’esprit travaillent ensemble. L’intelligence est comprise comme l’art de rassembler ce qui est épars, non comme la faculté perverse d’analyse et de dissociation. Cette démarche s’appuie cependant sur un certain type de savoir. A cet égard, le 7ème siècle fut un moment de synthèse exceptionnel.

    Dans les monastères d’Irlande, dont le plus célèbre fut celui de Bangor, près de Belfast, on recueillait la symbolique moyen-orientale et l’on forgeait la culture qui allait bientôt nourrir les premiers bâtisseurs et les premiers imagiers.

    De la lecture des auteurs anciens à l’étude de l’astronomie, on travaillait d’arrache-pied à souder entre elles les perceptions intelligentes de l’univers connu.

    Pour l’homme de métier, l’art de vivre est l’art tout court. Tous les artisans ne sont pas à considérer comme des Maîtres de Sagesse. Parmi eux, il y a des exécutants, des hommes qui fuient des responsabilités, des techniciens qui ne sont attachés qu’à l’aspect quantitatif de leur pratique. Mais il ne faudrait pas réduire les communautés de bâtisseurs à un troupeau d’ignorants, d’illettrés, soumis aux ordres d’une église ou d’un pouvoir politique.

    Le maître d’œuvre accède à ses fonctions au terme d’une longue et exigeante initiation de métier où il apprend autant à connaître l’âme humaine que l’âme de la matière. Tel le peintre zen qui, d’un seul geste continu, crée le dessin parfait sur le papyrus immaculé, le maître d’œuvre qui trace l’épure de la cathédrale est en harmonie totale avec l’œuvre naissante. L’art du maître d’œuvre est simplement la bonne manière de faire chaque chose, la volonté de chef d’œuvre orientée vers l’action la plus humble. Cette conception de l’art montre qu’il n’est pas réservé à quelques artistes mais, au contraire, le bien le mieux partagé, celui qui nous apprend à régner sur notre propre existence. Aussi les médiévaux pouvaient-ils affirmer qu’une vie sans art est dépourvue de sens.

    La plus modeste des chapelles correctement construite comme la plus imposante des cathédrales sont érigées selon les règles de la divine proportion. Il en est de même pour le corps humain.

    C’est précisément cette géométrie sacrée que les Maîtres enseignaient aux compagnons au travers d’une science qu’on appelait « le trait » et que les compagnons d'aujourd'hui connaissent toujours. Les Cisterciens étudièrent de très près le Trait, cherchant à harmoniser non seulement l’espace architectural des églises mais aussi l’espace intérieur de l’homme.

    Le trait, la divine proportion, le nombre d’or sont autant d’éléments tangibles d’une pratique qui devient sagesse. Chaque édifice devient un corps vivant, le corps de l’homme initié devient support d’une sagesse vécue. Le nombre permet de découvrir l’identité profonde des éléments qui composent l’univers. Ainsi, quatre est le nombre de la terre, avec ses quatre orients ; cinq est le nombre de l’homme, né de l’étoile à cinq banches ; dix est le nombre de l’accomplissement, de la communauté qui retrouve l’unité.

    Si les cathédrales furent construites sur la base des nombres sacrés, c’est parce que seuls ces derniers donnent la clef des proportions qui en assurent l’extraordinaire stabilité que nous constatons encore aujourd'hui. C’est aussi parce que ces nombres traduisent géométriquement les principes de création, c’est enfin parce qu’ils enregistrent les harmonies secrètes qui font chanter la pierre.

    Capter le mystère

    Pour les anciens, extraire une statue de la pierre brute consistait à créer un réceptacle qui attire l’influx divin vers la terre. L’énergie cosmique descend dans la pierre sculptée, l’habite et se rend ainsi présente à l’homme dont les yeux sont ouverts.

    La science est un art et l’art est une science. Unis, art et science procurent à l’artisan le moyen de capter le mystère. L’art sacré, celui qui transmet le symbole, met en évidence le processus de création caché dans la nature. Cette orientation de la pensée des maîtres d’œuvre ne devait rien au hasard ; elle était fondée sur une découverte d’une importance considérable : l’univers est une parole divine.

    Notre mère, la cathédrale

    Toutes les cathédrales sont dédiées à Notre Dame. La cathédrale est le corps éternel, impérissable de Notre Dame. La cathédrale rend l’univers perceptible car elle l’organise selon le Verbe. Elle est un corps vivant de pierres qui parlent.

    Les maîtres apprenaient d’abord à connaître les lois d’harmonie. Par l’initiation, ils accédaient à l’état d’être nécessaire pour en prendre conscience. Ensuite, le métier appris au fil des années leur permettait de manifester dans la pierre ce qu’ils avaient perçu, de montrer à l’homme la voie à suivre.

    Aujourd'hui, nous suivons une démarche inverse. Lorsque nous sommes devant la cathédrale, lorsque nous pénétrons en elle, tout notre être est pris dans un réseau de sensations qui nous amène à nous poser des questions : qui sommes-nous donc, pour oser pénétrer en ces lieux, que cherchons-nous ici ? La beauté des Notre Dame de pierres ne doit pas rester une simple satisfaction esthétique. Elle provoque un choc nécessaire ; elle nous révèle notre propre noblesse.

    Bien sûr, il y a la perfection des courbes, des voûtes, l’enchantement des sculptures, la sérénité des murs, les jeux de lumière où le pèlerin trouve naturellement sa place. Ressentir tout cela ne constitue qu’une première étape.

    Naître, c’est mourir à Dieu. Mourir, c’est renaître en lui. Le temps de notre passage ici-bas n’est pas dépourvu de signification. Nous avons à collaborer à l’œuvre de l’Architecte des mondes, à la prolonger sur terre.

    Les cathédrales sont des boussoles, des bornes indicatrices, des repères dans la forêt des symboles.

    Le symbole de la cité céleste est bien antérieur à l’époque médiévale. A la Babylone terrestre correspondait une Babylone cosmique. En Egypte, les textes sacrés parlent souvent de la cité sainte.

    La cathédrale, dans ses sculptures et dans sa géométrie, contient l’alphabet nécessaire pour déchiffrer le livre qu’elle incarne.

    Les églises médiévales sont comparables à des broyeurs atomiques où sont concentrées des puissances bénéfiques dont la permanence est entretenue par les rites. La même analyse a été faite par des égyptologues à propos des temples pharaoniques.

    Déchiffrer une cathédrale

    La cathédrale reflète l’harmonie du cosmos où tout est soigneusement ordonné. Elle est construite d’après la divine proportion qui a également présidé à la formation du corps de l’homme.

    En dépit des variations de plan, qui expriment autant de significations symboliques, l’une des formes essentielles du temple médiéval est la croix, rencontre de la verticale et de l’horizontale, du temps et de l’espace, du ciel et de la terre.

    La croix est la traduction chrétienne du grand arbre des anciennes traditions, de l’axe qui relie entre eux les étages de l’univers. La branche horizontale de la croix, explique le Moyen Age, correspond aux équinoxes et aux solstices, alors que la branche verticale met les pôles en rapport avec le plan de l’équateur. Ainsi, la connaissance du plan cruciforme de l’église nous permet de lire le monde, d’en apercevoir l’architecture.

    Rappelons-nous : le terme « cathédrale » vient de « cathèdre », à savoir le trône où siège l’évêque. Comme dans les temples où se réunissaient les communautés de bâtisseurs, le siège de celui qui dirige l’assemblée se trouve à l’orient, exactement à l’endroit où nait la lumière.

    Tradition et traditions

    Sans la communauté des bâtisseurs, le message divin serait resté lettre morte. Ce message n’est pas une doctrine mais un outil d’évolution pour chacun d’entre nous, un outil que les anciens nommaient « Tradition ».

    Il est vital de percevoir ce qu’est la Tradition initiatique qui est la clef, non seulement de l’époque médiévale, mais de toutes les époques. Le rationalisme qui s’affirma pendant la Renaissance a obscurci la véritable nature de la Tradition, tradition initiatique dont nous ressentons si intensément la nécessité, mais que nous ne savons plus appeler par son nom. Le simple fait de l’évoquer peut commencer à ranimer l’esprit des bâtisseurs de temples, à nous orienter vers le maître d’œuvre.

    La Tradition initiatique possède un corps, une âme et un esprit.

    Son corps est formé des temples, des cathédrales, des statues, des livres sacrés, bref de tout ce qui incarne de manière concrète et visible l’enseignement à transmettre. Corps plein de sève, toujours à notre portée, offert en permanence à qui désire le contempler. Corps à réanimer, également. Il est comparable à la « matière première » de l’alchimie, la chose la plus répandue du monde mais à laquelle peu d’êtres prêtent attention.

    L’âme de la Tradition est son visage multiple, son génie changeant qui préserve une même sagesse sous des aspects différents selon les temps et selon les lieux. Quand les maîtres d’œuvre construisaient des églises chrétiennes sur les ruines de temples païens, ils vivaient l’âme de la Tradition qui intègre tout et ne détruit rien.

    Si une information sur l’ensemble des formes traditionnelles est un présent inestimable de notre époque, il est bon d’approfondir l’une d’entre elles qui corresponde à nos affinités, à notre héritage sensible et intellectuel. En ce qui concerne l’Occident, il est certain que la Tradition des bâtisseurs, de l’ancienne Egypte aux communautés actuelles qui prolongent cette symbolique, est une source de vie inépuisable.

    L’âme est l’instrument de notre accomplissement, le potentiel d’énergie dont nous disposons pour mettre au jour notre vérité. Purifiée par un rituel, l’âme devient capable de reconnaître les symboles, de se guider elle-même en ce monde.

    Quant à l’esprit de la Tradition initiatique, il est une réalité difficilement accessible. C’est pourquoi nous devons lui consacrer une vie de recherche. L’esprit de la Tradition est la Sagesse que les médiévaux qualifiaient de « non née », de « non manifestée », d’ « incréée », car elle n’est pas soumise aux conditionnements humains ni à ceux de la nature dont elle engendre l’harmonie.

    Les maîtres d’œuvre ont fait preuve d’une générosité exceptionnelle en transmettant, de toutes leurs forces spirituelles et humaines, l’initiation qu’ils avaient vécue. Cathédrales et chapiteaux, stalles et statues, écrits divers sont là pour en témoigner. Ils savaient que, dans l’arbre de la Tradition, circule la sève du symbole. Ce dernier est la clef d’or qui ouvrira le coffre aux trésors cachés dans l’œuvre. C’est grâce à lui que le voyage vers la cité céleste peut réellement s’accomplir.

    Voyager parmi les symboles

    Voyager à travers les symboles, à travers les images parlantes, c’est d’abord retrouver un reflet de notre personnalité réelle.

    Le symbole ne se définit pas en termes rationnels, il ne se transmet pas sous forme d’une équation mathématique. Par définition, une figure symbolique est inépuisable.

    Pour qui apprend à voir, les chapiteaux évoquent de multiples états d’âme, des qualités à acquérir, des travers à éviter, des pièges auxquels on peut échapper.

    L’homme se construit par son regard ; il communique avec autrui par le symbole qui constitue un langage commun avec, pourtant, autant d’interprétations que d’interprètes.

    Pénétrer dans l’univers des symboles, c’est faire vibrer en nous la véritable chair de l’humanité, reconnaître la présence du véritable trésor pour la préservation duquel tant d’admirables civilisations ont lutté victorieusement. Le symbole est un signe donnant accès à une connaissance inaccessible par tout autre moyen.

    Visiter une cathédrale ne doit pas se réduire à une distraction touristique. Etre dans la cathédrale, c’est accomplir un pèlerinage dans l’œuvre, ne plus chercher au-dehors d’elle la vérité de notre existence. Il nous suffit de passer le seuil, d’être fidèles à la voix de notre conscience et d’écouter celle de la cathédrale.

    L’essentiel est de faire vivre le symbole. L’utilisation de la symbolique permet d’avoir une vision globale de la vie, de ne pas négliger tel ou tel aspect de la nature et de l’homme. Le symbole est porteur de significations différentes qui ne sont pas pour autant des contradictions. Il s’agit de diverses facettes d’une même réalité. Selon notre degré d’évolution, nous sommes capables de percevoir le même phénomène de manière différente.

    Devant les sculptures des cathédrales se produit en nous une rupture par rapport à notre existence profane. Si nous acceptons de lever les yeux, tout un univers commence à nous poser des questions.

    Tout est symbole, rien n’est imaginaire. Cet univers est d’une grande précision, d’une grande rigueur car il est le lieu toujours mouvant et toujours renouvelé où se libère notre conscience.

    Chacun d’entre nous capte la réalité à sa manière. Pourtant, nous captons tous quelque chose de permanent, de fondamental, qui est la vie elle-même. Par l’expérience du symbole, nous accroissons notre « capacité de Dieu », nous élargissons nos possibilités de perception.

    L’expérience spirituelle ne peut se transmettre que par des symboles. C’est pourquoi les hommes du Moyen Age se sont réunis en communautés, qu’il s’agisse des moines ou des bâtisseurs. Etudier un symbole dans la solitude ne suffit pas. Il faut confronter son point de vue avec d’autres, partager le regard d’autrui.

    Le symbole est la substantifique moelle de chaque chose. Les symboles sont des lampes sur notre route, les étoiles qui nous guideront pour sortir d’une existence anarchique et devenir un homme nouveau, une pierre de la cathédrale qui s’édifiera jusqu'à la fin des temps.

    Les deux chemins

    Pour nous permettre de forger cette intuition qui construit des cathédrales, le Moyen Age nous propose deux outils : la voie « spéculative », celle de l’esprit, et la voie « opérative », celle de la main.

    A l’époque médiévale, spéculer, c’est disposer du miroir qui reflétera les lois divines et nous permettra donc de les connaître. C’est aussi observer les astres, apprendre à connaître les lois du cosmos.

    Le désir de l’homme « spéculatif » est de faire vivre l’esprit en l’alourdissant le moins possible de tendances individuelles et particularisantes. La cathédrale n’appartient à personne, elle n’est signée de personne. Elle ne rejette aucun symbole, aucune expression. Les valeurs « spéculatives » sont les nourritures de la vie intérieure, non des théories froides et desséchées. Les bâtisseurs et les sculpteurs sont des « pontifes », des êtres qui créent un pont, une relation entre l’univers et l’homme.

    La voie spéculative n’aurait pas conduit à cette harmonie de l’être si elle n’avait été accompagnée de la voie dite « opérative ». Connaissance de la main, elle met en œuvre les intuitions de la pensée spéculative et leur donne une chair. Le geste d’un sculpteur sacralise la matière. Par le travail de la main s’accomplit un accord profond avec l’Architecte des mondes.

    Actes « spéculatifs » et actes « opératifs » ont été si étroitement liés dans les communautés de constructeurs que la pensée créatrice de ces hommes s’est traduite par des cathédrales.

    Par l’union de l’esprit et de la main, le bâtisseur devient un home en voie d’accomplissement de l’œuvre et de lui-même. Si la notion de « modèle » ou d’« exemple » a encore une signification, c’est bien vers cet homme-là que nos regards doivent se tourner.

    Pour conclure : l’éternelle sagesse des cathédrales

    L’art de vivre des bâtisseurs est toujours présent en nous, par l’intermédiaire de ses sanctuaires, de ses sculptures, de son message. Les symboles qui se présentent à nous sont issus d’une tradition initiatique où l’instant de conscience est la valeur première. Dans cette tradition, qui est celle des constructeurs de temples, nous sont offerts d’immenses trésors qui sont autant de manifestations du Principe et qui nous convient à remonter de l’embouchure vers sa source. Ces trésors sont là, tout près de nous ; le royaume de l’esprit est si proche qu’il suffit de passer le seuil de la cathédrale pour le découvrir.

    L’enseignement des sculptures symboliques n’appartient pas au passé. Mettant en lumière ce qui rassemble les hommes, ce qui les unit au cosmos, il demande de notre part un véritable engagement qui consiste à reconnaître que l’individu n’est pas la clef de toutes choses.

    Si nous désirons pénétrer dans le temple où se trouve la règle d’or d’une vie harmonieuse, il faut accepter de reconnaître que certaines fausses valeurs sont des obstacles sur le chemin de la Connaissance. L’art médiéval est destiné à augmenter notre « capacité de Dieu », à faire naître le regard de lumière qui éclairera aussi bien la signification des chapiteaux que celle de notre propre vie.

    Les symboles ne sont pas le fruit d’une volonté de garder un secret, mais l’expression naturelle des étapes sur la voie de l’accomplissement.

    Aucune cathédrale n’est une fantaisie esthétique érigée pour le plaisir de l’œil.  Si les maîtres d’œuvre construisent des temples, c’est pour incarner dans la pierre le mystère par nature et donner à chaque pèlerin une possibilité de le percevoir. Chaque cathédrale est une parole du Verbe. L’homme nouveau est le Verbe en nous parce qu’il nous permet de nommer les êtres et les choses, donc de connaitre leur réalité surnaturelle.

    L’homme de métier a trois fonctions :

    • travailler l’esprit, c’est entrer de plain-pied dans l’univers du sacré, explorer le symbole, sentir l’intelligence humaine que l’on améliore une vie durant ;

    • travailler l’homme, c’est recréer la noblesse de l’être intime, veiller sur la qualité des liens qui unissent les êtres ;

    • travailler la matière, c’est être en contact direct avec la forme concrète de la divinité, prolonger l’Œuvre du Créateur, faire devenir ce qui n’était pas encore.

    Ce que nous offrent les cathédrales et leurs chapiteaux symboliques, ce sont des outils pour recréer un art de vivre qui ne soit pas une pâle imitation, des outils pour dégrossir la pierre brute et la transformer, avec science et patience, en pierre qui parle, en pierre qui, un jour, s’épanouira jusqu'à devenir cathédrale.

     

    Quelques ouvrages traitant des cathédrales de France

    Sous la direction de  Catherine Arminjon : Vingt siècles de cathédrales

    Connaissance des arts, Paris, 2001

    Plus que dans d'autres pays, la cathédrale en France impose sa silhouette irremplaçable. Curieusement, l'image qui s'est fixée est avant tout gothique. On peut le comprendre puisque la plupart des grandes cathédrales présentent encore leur silhouette surgissante de cet âge d'or de l'ère médiévale. Mais derrière l'image fétiche des flèches et des tours, on oublie que la cathédrale a d'abord été romane, qu'elle a aussi été classique, même éclectique, et que les architectes contemporains n'ont jamais cessé de la regarder. Au-delà de l'intérêt qu'on lui accorde trop souvent, c'est tout un monde de vie et de création qu'elle abrite : cité dans la cité, elle a ses quartiers canoniaux, ses palais, ses hôtels-Dieu. Par-là même, c'est aussi un lieu continu de manifestations artistiques dans ses grands décors, ses vitraux, ses trésors dont nombre de chefs-d'œuvre sont, il est vrai, peu visibles, voire inaccessibles. En dépit des drames et des destructions, la cathédrale demeure un immense musée vivant au cœur des villes. Malgré son omniprésence, la cathédrale reste le lieu d'études inédites et de découvertes à venir.

     

    Icher FrançoisLes bâtisseurs de cathédrales

    Le Sorbier, Paris, 2004

    Au milieu du 12ème siècle, la construction d'une nouvelle abbaye à Saint-Denis a fait naître un nouveau style architectural, le style gothique. Finies les églises romanes trop sombres et trop petites pour accueillir une foule de fidèles de plus en plus nombreux. Place à l'espace et à la lumière ! La construction d'une cathédrale demande beaucoup de travail et de moyens. En accord avec le maître d'ouvrage initiateur du projet, le maître d'œuvre (l'architecte) définit le projet définitif et choisit son équipe de bâtisseurs. Entre les outils, les matériaux et le salaire des hommes, d'importantes sommes sont nécessaires : tous les habitants doivent donc participer à la récolte de fonds. La place et le rôle des enfants apprentis bâtisseurs sont clairement analysés et les principaux métiers à l'œuvre sur le chantier sont présentés dans les portraits. François Icher nous raconte ainsi la vie quotidienne d'un chantier qui sera le fruit des efforts de plusieurs générations.

     

    Nicolas Pierre-AlexandreLe secret des cathédrales

    Editions Arcadis, Saint-Michel S/Savasse

    La cathédrale est le lieu où les énergies circulent : cosmiques, solaires et telluriques. Et si ces énergies étaient le véritable secret de la vie ; ne chercherions nous pas à bénéficier de cette force pour améliorer notre quotidien ? Si nous comprenons cela, nous percevons mieux la véritable utilité des rites du temple et que toute quête spirituelle s'appuie sur cette donnée cachée qui est tout simplement le prolongement du bras de Dieu. Véritable horloge d'un Temps qui nous dépasse, la cathédrale est bien le premier ordinateur construit des mains de l'homme. Ce livre nous fait découvrir des réalités pressenties depuis longtemps mais qu'il restait à élucider : c'est chose faite depuis.

     

    Collombet FrançoisLes plus belles cathédrales de France

    Sélection du Reader’s Digest, Paris, 1997

    Entre le 12ème et le 15ème siècle, la France a élevé plus de quatre-vingts cathédrales, passant ainsi du style roman au style gothique, dont l'acte de naissance s'inscrit dans l'édification de Saint-Denis, célèbre nécropole royale. Aux côtés des grands hommes d'Eglise, architectes, bâtisseurs et maîtres d'œuvre deviennent alors les véritables héros – souvent anonymes – de cette épopée périlleuse : des chantiers gigantesques, des flèches qui s'élèvent jusqu'à 100 m de haut, et un résultat généralement spectaculaire et audacieux. C'est cette histoire jalonnant les siècles que cet ouvrage se propose de nous raconter à travers cinquante cathédrales réparties dans toute la France : Bourges et sa nef aux élans vertigineux, Chartres et la lumière mystique de ses vitraux, Autun et ses portails sculptés... Autant de témoignages d'une architecture et d'un art qui ont su maîtriser les nouvelles techniques au service de la spiritualité.

    Le patrimoine culturel de près de 50 cathédrales est mis en valeur grâce à une mise en page aérée et moderne. Une iconographie riche de 225 photos dont 32 nouvelles, permet de visiter ces cathédrales et d’apprécier leurs nefs majestueuses, la lumière...

     

    Schutz Bernhard - L’art des grandes cathédrales

    Editions Hazan, Paris, 2002

    C'est une vue d'ensemble exceptionnelle des grandes cathédrales médiévales que nous propose cet ouvrage dont les magnifiques planches en couleurs illustrent un texte fondamental. L'auteur s'est attaché à présenter l'unité intellectuelle et artistique de l'Europe de l'époque en dépit de tous les régionalismes dont ces édifices imposants constituent la manifestation. L'architecture européenne au Moyen Age n'a rien accompli de plus grandiose que les cathédrales. Cette création matérielle, dans laquelle l'architecture et les arts plastiques s'unissent pour aboutir à une œuvre d'art total, se veut également un monument dressé à la pensée religieuse. A aucun moment de l'histoire de l'humanité, l'art sacré n'a fait à ce point appel aux sens pour exercer une fascination véritablement magique sur les fidèles. La cathédrale a recouvert toute l'Europe de son nimbe. La période qui nous intéresse s'étend du 11ème au 16ème siècle et commence à l'époque romane ou normande en Angleterre avant de nous faire revivre l'éclosion de l'architecture gothique dans le domaine royal de France, puis la grande époque des cathédrales. Le terme de cathédrale ne se conçoit pas seulement du point de vue de l'histoire de l'art mais aussi sous un aspect fonctionnel : c'est l'église de l'évêque ou de l'archevêque. Grâce à la clarté de sa répartition géographique et historique en cinq grands chapitres – la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et l'Espagne – cet ouvrage rend aussi bien hommage à l'architecture propre à ces pays qu'aux différents courants internationaux et aux contacts entre les bâtisseurs. C'est un ensemble de trente-six cathédrales parmi les plus belles huit en France, huit en Allemagne (avec les pays voisins de l'ancien Saint Empire romain germanique), sept en Angleterre, huit en Italie et cinq en Espagne qui est étudié ici, chacune d'elles faisant l'objet d'un chapitre suivi de magnifiques planches en couleurs, dont beaucoup de photographies inédites. Chaque partie débute par une introduction sur l'histoire de l'architecture du pays traité, qui explique les caractéristiques nationales dans le contexte de l'histoire et des traditions de cette nation, ce qui permet d'élargir encore davantage l'éventail des monuments présentés.

     

    Du Colombier Pierre  - Les chantiers des cathédrales

    C’est le patrimoine culturel de près de cinquante cathédrales qui est mis en valeur grâce à une mise en page aérée et moderne. Une iconographie riche de 225 photos dont 32 nouvelles, permet de visiter ces cathédrales et d’apprécier leurs nefs majestueuses, la lumière à travers un vitrail comme à Chartres ou encore le détail d’un portail à Reims.

     

    Wenzler ClaudeLes cathédrales gothiques

    Editions Ouest-France, 2000

    Cet ouvrage retrace l’histoire de la construction de ces bâtiments gigantesques, conçus pour contenir des foules considérables. Il rassemble des témoignages du génie des bâtisseurs, de la générosité des fidèles et de l'ambition des évêques. Exceptionnelle, la cathédrale l'est aussi par la durée de sa construction, qui s'étend parfois sur plusieurs siècles. L'ouvrage est joliment illustré de peintures d'époque, de dessins, cartes, maquettes et photographies en couleurs.

     

    Rodin Auguste - Les cathédrales de France

    Editions Denoël (Médiations), 1983

    Proposé par l'un des génies de la sculpture moderne, cet ouvrage est une défense et une illustration des cathédrales trop longtemps oubliées, pillées ou hypocritement restaurées.

     

    De Bussac AlainCathédrale de Chartres

    Editions L'Instant durable, 1990

    Il s’agit d’un livre maquette comprenant un texte historique, avec 35 planches en couleurs à découper permettant de construire très précisément en volume la cathédrale qui témoigne de la transition de l'art roman vers les magnificences du gothique. Un chef-d'œuvre à construire et à comparer avec les autres cathédrales de la collection à la même échelle, Paris et Reims (échelle 1/250, base 35 x 61 cm, hauteur 44 cm).

     

    Chevalier MichelLa France des cathédrales du 4ème au 20ème siècle

    Editions Ouest-France, 1947

    Cet ouvrage est un tableau de quelque 170 cathédrales françaises qui sont encore debout. Il décrit les différents types de cathédrales en fonction des époques et des régions, de la fin de l'Antiquité jusqu'aux 19ème et 20ème siècles. L'accent est mis sur l'architecture et le décor des édifices, tout en tenant compte des multiples dégradations (usure, guerres, vandalisme) subies au cours des siècles et de l'action souvent malvenue des restaurateurs. L’auteur souligne aussi le rôle essentiel des cathédrales dans la vie et le paysage urbains.

     

    Jouanneaux Françoise et Prache Anne

    La cathédrale Notre Dame de Chartres

    Editions du Patrimoine, Chicoutimi (Canada), 2000

    Au 13ème siècle, la cathédrale de Chartres inaugure la série des cathédrales « classiques » avec fenêtres hautes. La qualité du décor sculpté en fait l'une des références de l'art gothique. Chartres possède aussi l'un des plus riches patrimoines de vitraux des 12ème et 13ème siècles, dont la célèbre « Notre-Dame-de-la-Belle-Verrière ». Chartres n'appartient pas seulement à l'imaginaire culturel français ; la cathédrale est aussi inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco en raison de l'exceptionnelle harmonie qui règne entre l'architecture, la sculpture et le vitrail.

     

    Aubert Marcel - Cathédrales et trésors gothiques de France

    Editions Arthaud, Paris, 1971

    Cet ouvrage nous propose une analyse des premières cathédrales gothiques, de l’épanouissement de l'art gothique, de l’expansion de l'art des grandes cathédrales.

     

    Duby GeorgesLe temps des cathédrales

    Editions Gallimard, Paris, 1976

    Ce n’est pas la méthode historique que l’on admire dans ce livre devenu un classique. Il y aurait beaucoup à redire en ce domaine : la démarche, loin d’être rigoureuse, fait encore grincer les dents des historiens de l’art qui la trouvèrent impressionniste. Quant à la chronologie, elle semble artificiellement découpée en trois périodes, comme s’il y avait toujours un événement ou une création qui entraînait la fin d’un art et le passage à un autre. Au temps des monastères (980 – 1130) succède ainsi le temps des cathédrales (1130 – 1280) que suivra le temps des palais (1280 – 1420).

    Si ces reproches académiques sont justifiés, le temps des cathédrales n’en demeure pas moins un grand ouvrage d’histoire dont la puissance d’évocation et la liberté de ton demeurent inégalées. Cette sociologie de la création artistique médiévale qui oscille en effet entre histoire et roman permet de replacer l’ensemble des hautes productions de l’Occident médiéval dans « le mouvement général de la civilisation ». L’historien nous offre des clefs pour pénétrer cet univers des formes aussi complexe que fascinant, pour comprendre l’architecture, la sculpture ou les vitraux à une époque où l’art pour l’art n’existe pas, où tout est hommage, prière à Dieu et où l’artiste s’efface devant son Créateur.

    Ce parcours nous montre donc comment la féodalité transféra des mains des rois à celles des moines le gouvernement de la production artistique avant que celle-ci ne s’épanouisse au cœur des villes, dans les cathédrales qui deviennent les centres d’innovations majeurs au temps de la renaissance urbaine. La dernière partie nous montre comment au 14ème siècle l’initiative de l’art revint aux grands princes et s’ouvrit aux valeurs profanes. Peut alors s’épanouir la peinture qui devient pour des siècles l’art majeur de l’Europe.

     

    Male – Devinoy - Notre Dame de Chartres

    Editions Flammarion, 1994

    Mieux que tous les livres, la cathédrale de Chartres ressuscite notre Moyen Age, nous le fait toucher de la main. Le passé ressemble toujours un peu à un rêve ; à Chartres, nous sommes en présence de la réalité. Ce Moyen Age, qui nous fuit si souvent dans l'histoire, se livre à nous, nous révèle sa pensée profonde, nous confie ce qui alors faisait vivre les hommes. En contemplant avec lui la majesté du plan divin, qu'il met sous nos yeux, nous entrons avec lui dans le monde de la certitude, de l'ordre, de la paix.

     

    Charpentier Louis - Les mystères de la cathédrale de Chartres

    Editions Robert Laffont, 1995

    Un homme interroge une cathédrale et c'est tout le mystère d'un savoir perdu qui se dévoile peu à peu : la cathédrale de Chartres est-elle l'héritière des dolmens sous lesquels les Druides conviaient leurs novices à accéder à l'initiation ? Est-elle, par le canal de l'Ordre du Temple et par la science de Citeaux, l'héritière directe des pyramides et du Temple de Salomon ? Est-elle ce « Livre de pierres » dans lequel de savants frères constructeurs inscrivirent les données harmoniques d'une Loi divine d'Unité que Moïse avait gravée sur les pierres du Sinaï ?

    Ce sont ces questions que Louis Charpentier pose à la cathédrale. Et la cathédrale répond... Elle répond que de savants hommes ont su, bien avant Galilée, que la Terre était ronde. Elle répond qu'ils n'ignoraient rien des actions de la Terre et du Cosmos sur les hommes. Elle répond, enfin, par la plus extraordinaire tentative jamais réalisée pour promouvoir les hommes vers une humanité supérieure, par l'usage de proportions « justes », de dimensions « justes », d'harmonies sonores et lumineuses « justes ». Ce livre est, en même temps, un guide irremplaçable pour tout visiteur désireux de percer les arcanes de cette monumentale énigme de pierres.

     

    Déceneux MarcEglises et cathédrales

    Editions Ouest-France, Rennes, 1998

    La visite des églises offre de multiples intérêts. Mais ceux-ci sont d'autant plus vifs que l'on connait mieux la signification réelle de ces monuments, leur histoire et les règles immuables qui président à leur construction. Ce petit livre propose les clés essentielles pour mener à bien cette découverte.

    Au sommaire :

    • Cité terrestre et cité céleste

    • Des origines à nos jours

    • Silhouettes et plans

    • L'organisation verticale

    • Façades et portails

    • Tours et clochers

    • Aspects techniques

    • Mobilier

    • L'espace et ses directions. L'orientation

    • La lumière

    • Les nombres

    • Les formes

    • Images et symboles

    • Lexique

     

    Erlande-Brandenburg AlainQuand les cathédrales étaient peintes

    Editions Gallimard découvertes, Paris, 1993

    Alain Erlande-Brandenburg, Directeur des archives nationales et Président de la Société Française d'Archéologie, présente dans cet ouvrage de nombreuses clés sur la construction des cathédrales. Pourquoi les cathédrales ? Qui les réalise ? Quel est le rôle du commanditaire ? Comment sont-elles réalisées ? Quelles techniques sont utilisées ?

    L'intérêt de ce petit ouvrage est de répondre à ces questions non en formulant des hypothèses mais en se basant sur des documents d'archives que les bâtisseurs ou les témoins de ces chantiers nous ont laissés. Les nombreuses gravures sont riches en renseignements sur les corps de métiers et les techniques employées. L’auteur souligne la diversité des techniques employées et notamment les échafaudages et les engins de levage. Les textes cités en annexe éclairent les relations entre les commanditaires et les différents métiers.

    Bref, c’est un ouvrage qui permet de mettre à jour ses connaissances et de préparer ou prolonger ses visites de vacances.

     

    Savary David - Le temps des cathédrales

    Editions Maison de la France, 2003

    Que l'on soit croyant ou pas, la simple vue et la visite d'une cathédrale restent toujours un moment fort. Ces monuments, chargés de sens et de symboles, ont été construits pour la plupart au Moyen Age. La France abrite quelques-uns des plus beaux chefs-d'œuvre de l'architecture chrétienne.

    La cathédrale est l'église épiscopale d'un diocèse dirigé par un évêque. En deux siècles seulement, le 12ème et le 13ème, 80 monuments sacrés ont été érigés en France. Près de 200 édifices portant ou ayant porté le titre de cathédrale sont aujourd'hui recensés.

    Imposantes, émouvantes… les cathédrales sont des chefs-d'œuvre que l'on admire. Leur architecture, leurs sculptures ou leurs vitraux nous renvoient une multitude d'images et nous invitent à la méditation.

     R:. F:. A. B.

    Bibliographie

     

    Aubert M. - L’architecture cistercienne en France

    Vanoest, Paris, 1947

     

    Bertrand Gille - Histoire générale des techniques

    4 volumes - P.U.F., Paris, 1962

     

    Colignon Thierry et Monnet Christine - Le Mont-Saint-Michel et le Moyen Age

    Editions Mango, 1995

     

    Du Colombier P. - Les chantiers des cathédrales

    Picard Editeur, Paris, 1973

     

    Gimpel Jean - Les bâtisseurs de cathédrales

    Editions du Seuil, Paris, 1980

     

    Hahnloser H. - Villard de Honnecourt

    Editions Gratz, Vienne, 1935

     

    Jacq Christian - Le message des constructeurs de cathédrales

    J’ai lu – Editions du Rocher, Monaco, 1980

     

    Moine Théophile - Traité des divers arts

    Paris, 1924

     

    Pernoud Régine - Lumière du Moyen Age

    Grasset, Paris, 1944

     

    Pirenne Henri - Les villes et les institutions urbaines

    Alcan, Paris, 1939

     


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  •  Le partage du pain 

    Introduction

    Pour beaucoup de Loges, les agapes fraternelles se réduisent un peu trop souvent à un dîner qui suit la Tenue et où l'on se comporte davantage comme dans le monde profane. Pourtant la signification même du terme « agape » devrait faire réfléchir tout Franc-maçon. L'agape, c'est l'amour du sacré. Célébrer des agapes revient à vivre un banquet fraternel. Les agapes fraternelles ne sont pas un appendice de la Tenue mais son couronnement !

    Dans quelques Loges, surtout celles qui pratiquent le R.E.R., chrétien, faut-il le rappeler, au moment où les Frères passent à table, le Frère Orateur dit une prière de remerciement au G:. A:. D:. L:. U:. pour le repas que les Frères vont prendre ensemble.

    Dans d’autres Loges, au même moment, l’accent est mis sur le partage du pain, geste hautement symbolique auquel mon prédécesseur déjà avait souhaité, depuis le début de son mandat, réaccorder toute son importante. Ce geste, j’ai, à mon tour, souhaité le perpétuer en commençant les agapes.

     

    Le partage du pain

    Partager le pain ! D’où nous vient ce geste ? Il est pratiquement certain que le partage du pain nous vient de la « Dernière Cène » du Christ avec ses apôtres. La Cène est un terme issu du latin « cena » qui signifie « repas du soir ».

    Permettez-moi de vous rappeler que « la Cène » est en effet le nom donné par les chrétiens au dernier repas que Jésus-Christ prit avec les douze apôtres le soir du Jeudi saint, avant la Pâque juive, peu de temps avant son arrestation, la veille de sa crucifixion et trois jours avant sa résurrection.

    Dans le contexte de la Franc-maçonnerie opérative, qui partage le pain ? C’est essentiellement le Compagnon. Pourquoi ? Tout simplement parce que « Compagnon » est un mot français qui, littéralement, désigne « celui avec qui l'on partage le pain ». Compagnon vient du mot latin « companis » ou de l’expression « cum panis », « avec le pain » et par extension « qui partage le pain ». Le but du compagnon est de partager son pain avec ses frères et sœurs, au sens propre comme au figuré.

    Les compagnons partagent entre eux tous les bienfaits qu'ils reçoivent de la vie car ils savent que ces bienfaits leur sont transmis par le G:. A:. D:. L:. U:. pour qu'ils puissent venir en aide aux autres.

    Le mot « Compagnon » est apparu en 1080. Est donc considéré comme compagnon celui avec qui on partage le pain. Le pain est fabriqué avec le blé issu de la terre unie à l’eau tombée du ciel. Il est pétri par les mains de l’homme et cuit au feu. Cet aliment présente ainsi une richesse symbolique extraordinaire et est devenu synonyme de nourriture. D’où les expressions de « pain quotidien » et de « gagner son pain ». Outre sa racine étymologique, le mot « compagnon » trouve son origine dans cette fraternité des métiers que l’on appelle « le Compagnonnage ».

    Le Compagnonnage est, avant tout, une association d’ouvriers dont le but est la transmission d’un métier, non seulement dans ce qu’il a de purement technique, mais également dans ce qu’il a de formateur.

    Depuis toujours il vise l’accomplissement complet de l’individu grâce au perfectionnement de sa valeur professionnelle, à l’éducation de son caractère, à la solidarité et à la fraternité rencontrées tout au long du grand voyage que doit effectuer tout compagnon et qui a pour nom le « Tour de France ».

    Le compagnon est par définition celui qui partage le savoir dans le métier que l’on pratique, avec qui l’on vit non seulement les joies et les peines dues à cette activité professionnelle, mais aussi une certaine éthique et une idée bien précise de l’entraide. Avec le compagnon, on rompt le pain, on boit l’eau tirée du puits, on participe aux travaux de la vie quotidienne.

     

    Approche symbolique du partage du pain

    Le pain est considéré depuis toujours comme le révélateur d'une société en bonne santé, et conséquemment, d'une famille et de son foyer de même. Dans l'Histoire, de l'Antiquité à nos jours, il est l'élément de base pour rassembler les hommes et les amener vers la paix plutôt que de les diviser par la faim.

    Dans la plupart des religions, le pain est au centre des célébrations. Il est, dans chacune, partagé avec les amis, la famille, en guise de présent mais aussi de confiance et de volonté de pacifisme envers tous. Chez les Juifs, il est trempé dans l'eau puis saupoudré de sel pour porter bonheur aux mariés.

    Le partage du pain est une constante dans la religion chrétienne : au cœur du foyer, il sera le symbole que le couple et leurs enfants ne manqueront de rien durant leur vie commune. Il est l’élément essentiel au tissage de liens.

    Longtemps le pain a été la nourriture essentielle de l'homme, surtout dans les campagnes. Le pain est un aliment suffisamment riche pour donner à l'homme l'énergie physique dont il a besoin. C'est la raison pour laquelle, sous une forme ou sous une autre, toutes les civilisations ont élevé le pain à la hauteur d'un symbole de vie, l'ont considéré comme la marque de la générosité des dieux et des déesses envers lui.

    Le pain est le symbole du travail de l'homme sur terre bien que ce sont avant tout les céréales qui en constituent la base. Le pain est, pour de nombreuses religions, un élément fondamental, symbole de vie et de don. Ce caractère sacré en fait un aliment différent des autres. On a aussi l'habitude de faire référence au pain pour exprimer deux concepts humains : le travail et l'amitié.

    Permettez-moi de conclure en vous disant qu’il me paraît donc assez logique que la Franc-maçonnerie spéculative ait récupéré ce geste car pour moi, le partage du pain est un signe d’hospitalité et d'amitié. Il ne peut que renforcer nos liens de fraternité. Le partage fraternel du pain est chargé d’un symbolisme qui nous invite à pratiquer davantage la charité, manifestation de l’Amour véritable. Puissions-nous donc tout à l’heure partager le pain de manière solennelle en nous souvenant de la signification de ce geste !

    R:. F:. A. B.


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  • Pour évoquer les rites qualifiés d’écossais et qui sont pratiqués dans notre Obédience, je débuterai cette planche par quelques considérations d’ordre général à propos du nom « rite ».

    Les Rites

    Le contenu initiatique et ésotérique de la Franc-maçonnerie est véhiculé par des rites, dont chacun présente les contenus maçonniques à sa façon, avec une sensibilité différente et une progression particulière.

    Qu’est-ce qu’un rite ?

    Ce qui définit un rite maçonnique est le respect d’un certain nombre de règles de base, les fameux Landmarks, ou principes intangibles.

    Pour être maçonnique, il me semble qu’un rite doit être initiatique, se référer à la Tradition, utiliser la méthode symbolique, avoir une progression par degrés ou grades, et avoir pour but de permettre à l’individu de construire son unité corps – âme – esprit de façon qu’il puisse agir dans la société d’une façon consciente et cohérente.

    Un rite maçonnique est constitué d'un ensemble cohérent de pratiques de la Franc-maçonnerie dans ses différents degrés. Ces pratiques sont le plus souvent codifiées dans des « constitutions », pour les principes généraux du rite, et dans des « rituels », pour ce qui concerne l'organisation des cérémonies. En d’autres termes, on peut dire qu’un rite maçonnique est un ensemble relativement homogène de cérémonies maçonniques.

    Remarquons qu’un même rite peut être utilisé par des obédiences maçonniques différentes et que certaines obédiences maçonniques peuvent fédérer des Loges qui pratiquent différents rites.

    Ce que je compte vous dire des quelques rites présentés dans cette planche sera assez sommaire et ne constituera qu’une infime approche car, pour en connaître et apprécier chacun de leur contenu, il faudrait les avoir vécus, les avoir médités, y avoir réfléchi et le tout avec une assiduité parfaite.

    Pour Jean Van Win, en Franc-maçonnerie, un rite est un sous-groupe d’un ensemble, composé essentiellement de certaines valeurs de base partagées par ce sous-groupe, et d’une structure particulière, c’est-à-dire d’un certain nombre de grades. Il cite comme exemples le R.E.R. qui en comporte 4 + 2 et le R.E.A.A. qui en comprend 33.

    Combien y a-t-il de rites ?

    L’historien Ragon a recensé cinquante-deux rites différents. Bernard Baudouin les cite tous dans son Dictionnaire de la Franc-maçonnerie mais précise que son énumération n’a pas la prétention d’être exhaustive. Elle permet de constater quelles furent et quelles sont encore les orientations, les similitudes et les évolutions des pratiques au sein de la Franc-maçonnerie dans des rites qui s’inscrivent tous, à des degrés divers, dans une même affirmation fervente de l’idéal maçonnique.

    L’intitulé des rites et leur existence sont parfois confirmés par des textes d’époque, sans toutefois que l’on ait pu cerner avec précision la nomenclature exacte et la hiérarchie des grades. Les rites sont donc très nombreux et certains sont particulièrement difficiles d’accès pour cause de secret bien gardé !

    Mais tentons tout d’abord de cerner d’un peu plus près ceux qui nous concernent plus directement ici en Belgique.

    Quels sont ceux pratiqués en Belgique ?

    A la G.L.R.B. le rite officiel est le Rite Moderne. Ce rite nous vient du Grand Orient de Belgique mais il a été adapté aux spécificités de notre Obédience. A ce sujet, je vous renvoie à une excellente planche[1] tracée par notre T:.R:.F:. Louis de Bouvère.

    A côté de ce Rite moderne (belge), sept ou huit rites sont tolérés. Ainsi, certaines Loges utilisent le Rite Écossais Ancien Accepté (dit familièrement « R.E. deux A. »), quelques-unes le Rite Français, six le Rite Écossais Rectifié que nous mettons en pratique ici-même. Le Rite Écossais philosophique est pratiqué à la R:.L:. « La Parfaite Amitié ». Le Rite California et le Rite New York (tous deux en anglais) sont utilisés par les Loges anglophones régulières installées sur le territoire belge.

    Les différences entre tous ces rites sont généralement minimes en ce qui concerne les trois degrés fondamentaux ou symboliques de la Franc-maçonnerie, et ne deviennent substantielles qu'au niveau des degrés additionnels et facultatifs parfois nommés « hauts-grades » ou « side degrees » en anglais.

    Seuls trois de ces rites comportent le qualificatif « écossais ». C’est à ces trois rites que je vais m’intéresser dans cette planche. S’il est un terme qui connut et connaît encore aujourd'hui en Maçonnerie une fortune immense, c’est bien celui d’Écossais. Le dictionnaire de Daniel Ligou mentionne septante-cinq hauts grades comportant ce qualificatif ! Ils se répartissent en plus ou moins cent trente-cinq rites, chapitres ou systèmes dont certains n’ont connu qu’une existence éphémère ou problématique.

    Trois rites pratiqués au sein de notre G.L.R.B. comportent la mention « écossais » : le Rite Écossais Philosophique, le Rite Écossais Rectifié et le Rite Écossais Ancien et Accepté. Je m’interroge sur les raisons qui ont amené les créateurs de ces Rites à inclure ce qualificatif dans leur appellation.

    Comment faut-il comprendre le vocable « écossais »?

    Le mot « écossais » est difficile à définir. Il évoquerait un système concurrent du système anglais né en Ecosse au 16ème siècle et apparu en France dans le milieu des Stuardistes réfugiés. Tentons d’y voir plus clair.

    Dans son sens premier et profane, l’adjectif qualificatif « écossais » est relatif à tout ce qui touche l’Ecosse, pays de la Grande-Bretagne.

    Mais « écossais »  se dit aussi des rites propres à certaines branches de la Franc-maçonnerie. Parmi les nombreux rites maçonniques, plusieurs portent en effet le qualificatif d'« écossais », par référence aux origines de la Franc-maçonnerie et bien qu'historiquement ils aient été créés en dehors de ce pays !

    En France, pendant tout le 19ème siècle, l'expression « Rite écossais » désignait, dans le langage courant et avec quelque impropriété, l'ensemble des Ateliers du Suprême Conseil de France (1804), par opposition à ceux du Grand Orient de France (1773) qui pratiquaient très majoritairement le Rite français.

    Dans la terminologie en usage en France depuis les premières décennies de la Maçonnerie :

    • le terme « Ecossisme[2] » est synonyme d'existence de hauts grades ;
    • un rite est dit « Écossais » lorsqu'il possède de tels hauts grades ;
    • un grade est « Écossais » lorsqu'il est un haut grade, c'est-à-dire un grade au-delà de celui de Maître.

    Au R.E.R., certains d’entre nous connaissent bien le grade de Maître Écossais de Saint-André. Il convient donc de bien retenir que les rites écossais, les systèmes des hauts grades, l'Ecossisme en un mot, ne sont pas nés en Ecosse ! Ils y étaient inconnus !

    Dans un remarquable ouvrage relatif à la création et à l’histoire du Rite Écossais Rectifié, Jean Ursin a tenté de chercher à travers l’histoire de France et d’Ecosse, à travers celle du début de l’Ordre en France ce qui peut expliquer cet engouement pour le terme « écossais ». Il ne néglige pas les légendes car souvent « les vieilles légendes ont dit vrai » !

    Jean Ursin avance l’explication suivante : les Loges qui se disent « écossaises » se rattacheraient à des faits historiques remontant au 14ème siècle, à une tradition non pas légendaire mais reposant sur d’antiques et vénérables manuscrits, détenus par les Loges opératives d’Ecosse. Elles remonteraient ainsi aux prestigieux bâtisseurs.

    Pour Jean Van Win, l’adjectif « Écossais » n’implique pas le moindre rapport ni avec les cornemuses, ni avec le whisky, les kilts ou le monstre du Loch Ness ! « Écossais » signifie tout simplement que la structure particulière du rite comporte des grades dits « hauts », c’est-à-dire des développements thématiques rituels ultérieurs à celui du grade de Maître.

    Le grade d’Ecossais est le premier qui apparut en France vers 1743, certains Frères Maîtres marquant par cette distinction nouvelle leur souci de se distinguer du commun des mortels, d’autres manifestant un souci d’approfondissement.

     

    Je me suis demandé d’où proviennent trois rites dits « écossais » proches de nous. Je vais tenter de cerner leurs caractéristiques essentielles. Mais pour ce faire, je commencerai par examiner ce qu’on appelle « le Rite Écossais Primitif ».

     

    Le Rite Ecossais Primitif

    Le Rite Écossais Primitif ou « Early Grand Scottish Rite » tient une place particulière au sein de la Franc-maçonnerie. Il aurait été introduit en France à Saint-Germain-en-Laye dès 1688 par les Loges militaires des régiments écossais et irlandais ayant suivi le Roi Jacques II Stuart en exil. Toutefois, comme il n'existe aucune preuve historique de l'existence d'un tel rite en France en 1688, ces affirmations demeurent controversées.

    Ces Loges auraient suffisamment essaimé que pour constituer en 1725 l' « Ancienne et Très Honorable Société des Francs-Maçons » dans le Royaume de France. Les Rituels des anciennes Loges militaires auraient été apportés à Marseille en 1751 par Georges de Waldon qui a constitué la Loge Saint-Jean d'Écosse devenue ultérieurement la Mère-Loge de Marseille.

    C'est de cette filiation que serait né l'actuel Rite Écossais Primitif, réveillé en 1985 à l'initiative de son ancien Grand-Maître Robert Ambelain.

    La devise du Rite Écossais Primitif « Primigenius more majorem » fait allusion à l'ancienneté de ce rite. Le rituel du Rite Écossais Primitif est sobre et épuré. Il a fortement inspiré celui du Rite Écossais Rectifié.

    À première vue, la hiérarchie des grades du Rite Écossais Primitif ne semble pas présenter de particularités notables, si ce n'est le rappel d'anciennes dénominations antérieures au 18ème siècle et une certaine similitude avec celle du R. E. R.

     

    Examinons à présent le Rite Écossais Philosophique.

     

    Le Rite Écossais philosophique

    Le Rite Écossais Philosophique est très ancien et antérieur à l’apparition du R.E.A.A. qui lui doit beaucoup. Il vit le jour à Marseille et, de là, gagna Avignon pour essaimer dans tout le bassin méditerranéen. Il présente des similitudes frappantes avec le Rite Français, tout en étant réellement « Écossais ».

    Le Rite Écossais Philosophique fait partie de cette multitude de rites qui existaient en France au 18e siècle et qui étaient en quelque sorte, les ancêtres de ce qui devait donner plus tard, le Rite Écossais Ancien et Accepté, mais également, les autres Rites que nous connaissons en France et en Belgique notamment. Ces Rites ont tous un point commun, la présence de l’alchimie et de sa symbolique.

    Le Rite Écossais Philosophique fut établi à Paris en 1776, l’année de la Révolution américaine, par le chirurgien féru d’Hermétisme et Franc-maçon Alexandre Boileau (1736 – 1832). Il aurait alors reçu une patente émanant de la VIIème Province de la Stricte Observance Templière le nommant Grand Supérieur National des Loges et Chapitres réunis du Rite Écossais Philosophique.

    Le Frère Boileau était membre de la Mère-Loge d’Avignon, et s’est mis en relation avec la puissante Loge « Saint-Jean d’Ecosse du Contrat Social », Loge qui n’est ni plus ni moins que la « Mère-Loge écossaise de France » au 18ème siècle, celle qui a posé les fondements historiques de l'Ecossisme dans nos régions.

    Il existe à propos de cette Loge-mère fondamentale, un excellent travail de l’historien Pierre Chevallier publié sous le titre « Histoire de Saint-Jean d’Ecosse du Contrat Social – Mère Loge Écossaise de France », que les Frères à qui cette question des origines de l'Ecossisme interpelle liraient avec grand intérêt. Cet ouvrage semble la meilleure source sur le sujet, actuellement publié.

    Les Illuminés d’Avignon jouèrent un rôle dans la formation de ce rite particulier, il s’agit de Frères Maçons, disciples de Willermoz, dirigés par Dom Antoine Joseph Perméty (1716 – 1801), alchimiste notoire et auteur d’un « Dictionnaire hermétique » constamment réédité qui fait référence dans le domaine, et ce jusqu'à nos jours.

    Les membres des Illuminés d’Avignon se donnaient pour mission d’édifier la Nouvelle Jérusalem. Leur société se divisait en deux classes : celle des Novices et celle des Illuminés, illuminés censés être appelés de Dieu pour recevoir tous les dons et tous les pouvoirs de la prêtrise. Il s’agissait d’une société paramaçonnique, mais composée en majorité de Francs-maçons. Cette société disparut lors de la Révolution Française.

    A partir de cette patente et de l’apport des Illuminés d’Avignon, le Frère Boileau a fondé en 1783 un « Grand Chapitre Métropolitain Écossais, Tribunal des Grands Inspecteurs Commandeurs, Chefs d’Ordre en France » qui était souché sur la Loge-mère Ecossaise du Contrat Social, qui devint Loge-mère du Rite Écossais Philosophique.

    L’historien Franc-maçon et éminent naturaliste Thory en devint l’un des grands dignitaires, et c’est grâce à son travail que nous connaissons aujourd'hui la structure du Rite Écossais Philosophique qui comportait, d’après ce qu’il cite, une dizaine de grades qui ont pour la plupart un rapport avec l’alchimie spirituelle et mystique mais dans les détails desquels je ne vais pas m’attarder.

    Il est très probable que le Rite Écossais Philosophique ait connu plusieurs restructurations.

    La méthode initiatique de ce Rite dérouterait plus d’un Maçon de notre époque, peu au fait de l’alchimie, bien que ce mot ait été et est encore employé à tort et à travers, mais sans toutefois en percevoir la réalité qui se cache derrière.

    Nous pouvons dire à l’instar d’autres chercheurs, que le Rite Écossais Philosophique reprend l’esprit de la Table d'Emeraude, qui est la pierre angulaire de l’hermétisme de la Renaissance et qui dit en substance « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut » entièrement fondée sur la correspondance entre macrocosme et microcosme.

    Mais le Rite Écossais Philosophique semble être également basé sur la philosophie occulte d’Agrippa, de Cardan, de Paracelse, mêlant à la fois un rationalisme rigoureux, en un mysticisme profond, avec en plus, des éléments de ce que nous appellerions de nos jours la « parapsychologie ».

    Le Rite Écossais Philosophique s’est éteint en France depuis 1820 environ mais, pour notre bonheur, il est encore pratiqué en Belgique, dans notre Loge sœur « La Parfaite Amitié » n° 11 à l’Orient de Bruxelles.

     

    J’en viens à présent au Rite Écossais Ancien Accepté.

     

    Le Rite Écossais Ancien Accepté

    Le Rite Écossais Ancien Accepté, familièrement désigné par l’ensemble des premières lettres des quatre mots de son appellation « R.E.A.A. », fait référence à la Maçonnerie de Métiers, au Nouveau Testament, en particulier à l'Evangile de saint Jean. Il a subi l’influence de l’Hermétisme, de la Kabbale, de la Rose-Croix et de l’astrologie notamment.

    S’il fait appel au Nouveau Testament, le Rite Écossais Ancien Accepté n’est cependant pas un rite chrétien. Les Maçons, de quelque confession qu’ils soient, pourront s’y sentir à l’aise. Rien ne viendra choquer leurs convictions.

    Le Rite Écossais Ancien Accepté impose à ses membres la croyance en l’existence d’un principe créateur appelé « Grand Architecte de l’Univers », et interdit dans ses Loges toute discussion politique ou religieuse.

    Le Rite Écossais Ancien et Accepté est l'un des rites maçonniques les plus répandus dans le monde.

     

    Les origines du Rite Ecossais Ancien Accepté

    C’est sous l’influence du chevalier Michel de Ramsay que sont apparus les premiers Hauts Grades, notamment dans la Respectable Loge Saint-Jean de Jérusalem, régulièrement constituée par le comte de Clermont, et qui devait servir par la suite de référence aux Loges de France. Car, dans son fameux « Discours », Ramsay situe la naissance de la Franc-maçonnerie à Jérusalem, pendant les Croisades ! Selon lui, la Franc-maçonnerie serait née de la Chevalerie, ce qui semble bien une erreur !

    En 1754, le chevalier de Bonneville crée le Chapitre de Clermont, qui aura de profonds retentissements sur l’évolution de la Maçonnerie.

    En 1761, Etienne Morin, négociant à Bordeaux et membre de la Loge « La Française », part à Saint-Domingue, avec la mission, entre autres choses, de faire connaître le rite et de créer des Loges. Bien que la Révolution française perturbe fortement la croissance de l’Ordre, le Rite Écossais va prendre de l’ampleur grâce à l’action de deux Français, Jean-Baptiste Delahogue, notaire à Saint-Domingue, et son gendre, Auguste de Grasse-Tilly, fils du célèbre amiral de Grasse. Ces deux Frères Français ont ainsi fait partie des fondateurs du Suprême Conseil de Charleston.

    Formellement, le R.E.A.A. est né lors du Congrès de Charleston aux Etats-Unis, le 31 mai 1801 par la création du premier Suprême Conseil au monde, présidé par John Mitchell, Souverain Commandeur, assisté de Frédéric Dalcho, Lieutenant Grand Commandeur. Ce Congrès a donné au Rite Écossais Ancien Accepté une existence « légale », une réalité. Il sera suivi en 1804 par le Congrès de Paris. Ces deux Congrès, très importants dans l’histoire de la Franc-maçonnerie, sont à l’origine du R.E.A.A. et l’on peut donc affirmer que ce rite est fondamentalement français puisqu'il se trouve articulé sur le Rite de Perfection à peine réaménagé.

    Néanmoins, à titre historique, cela ne l’autorise pas à récupérer tout ce qui existait et présentait un caractère écossais avant lui, ce que beaucoup d’auteurs actuels non objectifs ne manquent pas de faire !

    Quelques-uns cherchent désespérément des textes originaires d’Ecosse pour affirmer le caractère écossais du R.E.A.A., n’hésitant pas à mélanger rite originaire d’Ecosse, réellement écossais, avec des rites originaires de France, faussement écossais.

    La Maçonnerie réellement écossaise vénère saint André alors que les Maçons français se placent sous les auspices de l’un ou l’autre saint Jean, voire des deux.

    A l'origine, le R.E.A.A. est donc un rite destiné uniquement aux grades qui suivent le grade de Maître et il n'acquiert sa pleine pertinence qu'à partir du 4ème degré.

    Les Grandes Constitutions du Rite Écossais Ancien et Accepté datent de 1786. Elles font état d’une hiérarchie de trente-trois grades successifs et sont attribuées à Frédéric II de Prusse.

    Ce rite est habituellement pratiqué dans le cadre de deux organismes complémentaires mais distincts :

    • une Obédience maçonnique qui fédère des Loges des trois premiers grades de la Franc-maçonnerie ;
    • une « juridiction » de Hauts Grades maçonniques, dirigée par un « Suprême Conseil », qui regroupe des Ateliers du 4ème au 33ème degré.

     

    Tentons à présent de comprendre le qualificatif « Ancien ».

     

    Le qualificatif « Ancien »

    Le terme « ancien » se rapporterait à la Grande Loge des Anciens fondée
    par Laurence Dermott. Tentons ici aussi d’y voir plus clair.

    Au début du 19ème siècle, le Rite Écossais nouvellement arrivé d’Amérique, voulut se doter, face au Grand Orient de France, de ses propres Loges bleues. Après avoir travaillé quelque temps au Rite Écossais Philosophique – qui est de type moderne – les Maçons du Rite Écossais Ancien Accepté ont opté pour un rite de Loge bleue qui leur fut propre et eurent l’idée de se réclamer de la Maçonnerie des « Anciens » qui jusque-là n’était pas représentée en France.

    Le « Guide des Maçons écossais », qui est la forme achevée des premiers rituels du Rite Écossais Ancien Accepté, situe expressément ce rite dans la Maçonnerie des « Anciens ».

    Les rituels pratiqués aux trois premiers degrés proviennent donc des rituels des Anciens, par l’intermédiaire de la Loge Saint-Jean d’Ecosse du Contrat Social, une des rares à les pratiquer en France au 18ème siècle et à laquelle appartenait Auguste de Grasse-Tilly.

    Les grades suivants sont conférés et pratiqués dans des Ateliers particuliers de divers niveaux, chacun constituant un « cercle intérieur » des précédents dans lesquels il recrute. Ces grades, quasiment tous d’origine française, proviennent du Suprême Conseil de Charleston.

     

    Si le qualificatif « Ancien » peut nous paraître à présent un peu plus clair, examinons pourquoi ce rite est aussi qualifié d’ « Accepté » ?

     

    Le qualificatif « Accepté »

    Bien que de nombreux ouvrages désignent encore ce rite en unissant les adjectifs « ancien » et « accepté » par la conjonction « et », il semble qu’il soit devenu plus courant de dire tout simplement « Rite Écossais Ancien Accepté ».

    Les recherches publiées par des auteurs comme Pierre Chevalier, Le Forestier, Alec Mellor, Lindsay, sans parler de l'œuvre de Paul Naudon et de nombreux articles parus dans les  « Cahiers de Villard de Honnecourt » ont permis d'éclaircir bien des points demeurés encore obscurs jusqu'à ces dernières années.

    N'oublions pas le Très Illustre Frère Charles Riandey, ancien Grand Orateur du Suprême Conseil de France, qui refusait pour sa part d'accoler le mot « Maçonnerie » à celui de l'Ecossisme qu'il considérait comme « autre chose » que des pseudo-mystères de l'art de bâtir. Il substitua même le vocable d'Ordre Écossais à celui de Maçonnerie Écossaise.

    « L'autre chose » dont il voulait parler, c’étaient les éléments traditionnels et initiatiques, tels que l'hermétisme, la Kabbale, la Gnose chrétienne, le néo-platonisme, ce que l'on pourrait désigner sous le terme de Christianisme transcendant tel qu'il fut défini par Joseph de Maistre et, enfin, le Templarisme, celui-ci ayant été introduit relativement tard avec la création du grade de chevalier Kadosch, vers 1765, d'origine allemande.

    Mais ce sont principalement  l'hermétisme, voire des éléments magiques qui ont inspiré les rituels du Rite Écossais. S. Theakston écrit que « dès sa naissance, l'Ecossisme s'était créé une filiation différente qui le rattache, non seulement aux Ordres de la Chevalerie, mais également aux formations traditionnelles et parfois légendaires ».

    Il faut croire que le souvenir de la Tradition était encore vivant et c'est dans le but de le perpétuer que les fondateurs de l'Ecossisme avaient imaginé une institution où l'enseignement ésotérique pouvait se faire suivant les méthodes en usage dans les formations initiatiques depuis la haute Antiquité.

    Ce qui semble caractériser l'Ecossisme et ce qui le distingue de la Maçonnerie classique, c'est son éclectisme et son syncrétisme qui expliquent et justifient l'introduction dans le système de nombreux grades ouvrant au Maçon du R.E.A.A. de multiples moyens d'atteindre les cimes initiatiques en choisissant telle ou telle autre voie correspondant à ses goûts, ses penchants, ses affinités et ses possibilités.

    C'est ainsi (et vue sous cet angle) qu'en parcourant les différents grades,  le Maçon pratiquant le R.E.A.A. apprend ces principales voies menant à la Connaissance, inspirées tantôt par la bible et les Prophètes, tantôt la Kabbale, la Gnose ou les philosophes anciens et modernes.

    Il est essentiel de souligner que tous les grades constituant le R.E.A.A. sont reliés entre eux par une seule et unique idée de l'Unité primitive, celle de la communion originelle du Grand Architecte de l'Univers, de Dieu, avec les hommes et qu'il appartient aux Maçons Ecossais de retrouver.

    L'épithète « accepté » semble se référer à l'acceptation dans les loges symboliques de membres extérieurs au métier. Un petit ouvrage de Didier Michaud paru dans la collection « Les symboles maçonniques » m’a été d’un grand secours à ce sujet !

    Pour comprendre le terme « accepté » dans la dénomination du R.E.A.A., nous dit Didier Michaud, il faut se référer aux origines possibles du terme « francs » attribué à des maçons :

    1. d’une part, les constructeurs de cathédrales ont été appelés « maçons francs » parce qu’ils constituaient une main d’œuvre affranchie de toute allégeance, se regroupant en loges libres, isolées ou fédérées ;
    2. d’autre part, une certaine qualité de la pierre, dite « franche» a pu avoir eu une influence sur l’appellation des maçons qui la travaillaient.

    A partir de là, le rapprochement s’impose avec le terme « accepted masons » qui, en Angleterre, désigne les maçons au même titre que « free masons ». Les termes « free » et « accepted » sont ainsi devenus équivalents. Ils nomment les nouveaux maçons libres à l’égard du métier, donc non opératifs.

    En conséquence, ce qui faisait le « franc-maçon », c’était le fait d’être « affranchi » du métier de maçon. Donc de ne plus être maçon du tout ! C’est ce qui s’est passé avec la création de la Franc-maçonnerie anglaise moderne puis sa propagation sur le continent et tout particulièrement en France.

    La Franc-maçonnerie anglaise du 18ème siècle est devenue très vite un cercle réservé à une supposée élite sociale, noblesse ou grande bourgeoisie dans laquelle la maçonnerie n’avait plus rien à voir, ni d’ailleurs aucune forme de métier puisque les artisans en étaient d’office exclus.

    C’est en Ecosse que le phénomène de « l’acceptation » de non-maçons de métiers dans les loges opératives a été la plus durablement attesté et qu’il s’est développé de nouveau en Angleterre lorsqu'un roi Stuart, écossais, y a régné. En Angleterre, la situation s’est en effet modifiée à partir de 1607, année où Jacques 1er s’est déclaré protecteur de la Maçonnerie. Des personnages de marque, désireux de culture, ont été incités à demander leur admission dans la Fraternité. Se faire recevoir Maçons est rapidement devenu une mode pour les nobles et les riches.

    La transformation s’est accélérée sous des influences philosophiques, politiques et religieuses. Au moyen âge, les associations maçonniques avaient souvent donné accueil aux philosophes hermétistes et aux alchimistes, dont le langage symbolique recoupait et complétait celui des maçons. Au moment de la Renaissance, la philosophie, dans sa soif de connaissance, a repris la voie de la tradition initiatique.

    C’est ainsi que le mouvement des Rose-Croix, qui ne se satisfaisait plus du langage symbolique des alchimistes, a alors imprégné le plus la Franc-maçonnerie. On peut donc affirmer que l’acceptation, telle qu’elle s’est pratiquée en Angleterre, est incontestablement d’origine écossaise.

    A partir de 1630, des personnes extérieures au métier de maçon sont apparues dans les Loges écossaises : elles étaient soit membres d’autres corps de métier que celui de maçon, soit des gentlemen.

    Aucun lien de continuité n’est historiquement prouvé entre les rares mentions de métier anglaises du 17ème siècle et le début du 18ème, et la création de la Grande Loge de Londres. Les gentlemen, bourgeois vivant noblement, qui ont participé à des cérémonies organisées par des professionnels de la maçonnerie en Ecosse et en Angleterre ont modelé un groupe d’appartenance nouveau en 1717.

    Ils ont adopté, en les transformant, à la fois le système écossais des loges de métier et ses usages, la tradition de l’acceptation de la Compagnie des maçons de Londres et celle des corporations médiévales.

    C’est donc ainsi qu’est apparue une Maçonnerie que l’on qualifie de « spéculative », mais qui n’a plus grand-chose à voir avec l’ancienne acceptation, celle avec laquelle le R.E.A.A a voulu renouer.

     

    Caractéristiques essentielles du Rite Ecossais Ancien Accepté

    Quelles sont donc les caractéristiques fondamentales du Rite Écossais Ancien Accepté ?

    Ses deux caractéristiques principales sont d'être un rite :

    • initiatique, car il met graduellement ses membres sur la voie de la réalisation spirituelle, grâce à un travail intérieur et collectif effectué à l'aide de symboles et de rituels qui constituent les moyens d'accès au contenu initiatique du rite ;
    • traditionnel, car il se réfère à toutes les sources initiatiques ancestrales et universelles qui, sous forme de mythes et de symboles, maintiennent vivante la chaîne initiatique, support du cheminement vers la Connaissance.

    Mais je relève d’autres caractéristiques importantes à mes yeux.

    Tout d’abord le caractère a-dogmatique de l’Initiation au sein du Rite Écossais Ancien Accepté est à mes yeux la plus fondamentale.

    Bien que l’une de ses origines soit judéo-chrétienne, et bien que par certains aspects, la démarche inclut une aspiration « religieuse », le Rite n’est en aucune manière une religion au sens habituel de ce terme.

    Ce Rite ne propose aucun culte, n’assure aucune liturgie, n’impose aucun dogme à la conscience de chaque Frère.

    Ensuite, l’invocation au Grand Architecte de l’Univers apparaît dans cette perspective comme une clef de voûte indispensable : une invocation à la gloire et non pas « au Nom » du Grand Architecte, pas plus que les Travaux ne se déroulent en présence du Grand Architecte ou au Nom du Très Haut.

    Au Rite Écossais Ancien Accepté, les Travaux maçonniques ne font jamais référence, à une quelconque perspective théiste qui inclurait obligatoirement l’existence d’un Dieu – tel le Dieu biblique créateur – ou d’un autre. Les Maçons travaillent en toute humilité face à ce problème qui est du ressort de la conscience individuelle de chaque Frère. Travaillant à la gloire du Grand Architecte, ils œuvrent par rapport à un principe qui est aussi un symbole.

    Le Grand Architecte est ici présenté comme un principe créateur. Mais il n’est pas question du Créateur au sens chrétien du terme, mais simplement d’un principe qui a créé le Monde et qui l’organise à partir des matériaux qu’il y a découverts. Le Rite n’impose nullement la croyance en une création ex nihilo. Il ne l’a réfute pas non plus. Et il s’agit bien d’un principe, c’est-à-dire, de ce qui a en lui-même la force de commencer et qui est déjà présent. Mais c’est aussi un symbole, non défini comme tout symbole complexe, et, de ce fait, parfaitement interprétable dans l’intimité de la conscience de chaque Frère.

    Une autre caractéristique du Rite, c’est la présence du Volume de la Loi Sacrée sur l’Autel des serments. Ce Volume étant la Bible par respect de la Tradition, et par référence au contenu initiatique de l’Ordre, ne se conçoit que s’il s’agit bien d’un livre de spiritualité, et non d’un livre d’une religion révélée. Le Franc-maçon, dans les Travaux de sa Loge, et même s’il est chrétien, ne peut pas considérer ce livre comme un livre religieux.

    Il est alors possible pour chacun d’entre nous d’en effectuer une lecture symbolique personnelle, afin d’y puiser les notions d’éthique, de justice, de devoir, d’Amour et d’Action qu’elle recèle et qui contribuent au développement de sa propre spiritualité.

    Donner un sens à sa vie et tenter d’atteindre la Sagesse, c’est le but du Franc-maçon et c’est ce que propose le Rite Écossais Ancien Accepté.

    Enfin, la méthode progressive qu’utilise ce Rite est tout aussi fondamentale. Elle se réalise par la médiation d’un cheminement en degrés successifs. Chaque degré apporte à l’Initié un outillage spécifique et un support de réflexion particulier.

    L’outillage est initialement l’outillage symbolique hérité des métiers de la construction. Si, pour les bâtisseurs, il s’agissait de perfectionner l’architecture du temple, pour nous, Maçons d'aujourd'hui, il convient surtout, dans un premier temps, de poursuivre le travail de constant perfectionnement qui commence par nous-mêmes.

    Mais, en même temps, il nous est demandé, et ce, dès le premier degré, de méditer et de comprendre le schéma mythologique et symbolique qui nous est présenté : l’outillage rationnel qui est présent dans la Loge, comme les Trois Grandes Lumières qui servent à éclairer la conduite du Franc-maçon, nécessite, dans un même mouvement  discursif et intuitif, d’être utilisé pour nous construire et d’être intériorisé pour nous connaître.

    Et c’est ainsi que de degré en degré, s’adjoignant de nouveaux outils symboliques et s’incorporant de nouveaux schémas mythologiques, l’Initié – du moins celui qui est véritablement sur le chemin de l’Initiation – progressera, abandonnant ses préjugés et ses métaux, améliorant du même pas Connaissance et Conscience.

    Chacun à son rythme, refusant tout dogme et toute injustice, avancera ainsi vers plus de liberté et plus d’Amour.

     

    J’en viens à présent à évoquer le Rite Écossais Rectifié et à vous faire part de mes recherches et réflexions à propos des origines du R.E.R., de ses caractéristiques essentielles, de son caractère chrétien, de sa qualification de « rectifié » et enfin de sa méthode initiatique.

     

    Le Rite Ecossais Rectifié

    D’où provient le Rite Ecossais Rectifié ?

    Le Rite Écossais Rectifié ou Régime Écossais Rectifié – en abrégé « R.E.R. » – est   un rite maçonnique d'essence chrétienne, fondé à Lyon en 1778. Commençons par en examiner les circonstances.

    Alors que naissait, en Angleterre et en France, une Franc-maçonnerie souchée sur la tradition du métier de constructeur de cathédrales, se créait en Allemagne une Maçonnerie qui se prétendait l’héritière de la Tradition templière.

    Il s’agissait de la « Stricte Observance Templière », un système de hauts grades maçonniques fondé par le baron Karl Gotthelf von Hund. Celui-ci prétendait avoir reçu son initiation de Charles-Edouard Stuart, roi d’Ecosse en exil.

    Dans ce système allemand, l'aspect chevaleresque primait absolument sur l'aspect maçonnique, car il se voulait non seulement l'héritier, mais le restaurateur de l'ancien Ordre du Temple aboli en 1312.

    La « Stricte Observance Templière » a très rapidement joui d’un grand prestige outre-Rhin. C’est dans cette obédience que furent initiés des Frères aussi célèbres que Goethe, Mozart et Haydn.

    Des Maçons français avaient adhéré à cette Maçonnerie allemande puis avaient créé en France des Loges et Chapitres placés sous la juridiction de la Stricte Observance Templière.

    En 1764, au Convent d’Altenberg, l’authenticité des déclarations du baron von Hund sur l’origine de ses pouvoirs maçonniques fut mise en question. Le baron von Hund prétendait en effet se référer à des « Supérieurs inconnus » dont il ne donna jamais les noms et dont l’existence même fut mise en doute.

    Les Frères décidèrent qu’ils ne se soumettraient plus qu’à des responsables connus et librement choisis. C’est ainsi que ce Convent d’Altenberg rejeta catégoriquement l’obéissance à des supérieurs inconnus, nomma de nouveaux responsables pour les provinces d’Allemagne et simplifia l’organisation administrative de la S.O.T.

    C’est à cette époque que naît probablement l’idée centrale de toute la vie de Jean-Baptiste Willermoz et qu’il s’efforcera de mener à bien en dépit de la brutale interruption des activités maçonniques causée par la Révolution d’abord, et la Terreur ensuite. Cette idée est celle de la réforme spirituelle de l’Ordre maçonnique, par un retour aux sources authentiques qu’il semblait avoir abandonnées.

    Vers le milieu du 18ème siècle, la Maçonnerie française connaissait en effet des déviations et des innovations blâmables. C’est pourquoi certains Frères de la région lyonnaise ont décidé de retourner à ce qu’ils considéraient comme la véritable Maçonnerie des origines. Les Frères lyonnais et strasbourgeois ont alors préparé ensemble, à l’intention de trois provinces françaises, les rituels et les textes réglementaires qui allaient donner naissance au Rite Écossais Rectifié.

    Les principaux artisans de cette réforme furent le lyonnais Jean-Baptiste Willermoz et le strasbourgeois Jean de Turkheim, chacun entouré d’une petite équipe de Frères. Ils arrivèrent au Convent des Gaules avec leur projet de réforme bien préparé et, malgré certaines oppositions, parvinrent à faire adopter le « Code maçonnique » auquel ils ajoutèrent une « Règle maçonnique ».

    Cette réforme, appelée fréquemment « Réforme de Lyon », menée au cours des Convents de 1778 à Lyon et de 1782 à Wilhelmsbad a abouti à la création du Rite Écossais Rectifié en France, et aussi, peu de temps après, en Italie où Willermoz avait un solide contact. Le Convent de Wilhelmsbad a décidé de refondre les rituels et les règlements qui seront désormais exclusivement qualifiés de « rectifiés ».

    Un peu plus tard, en Allemagne, la « Stricte Observance Templière » s’est éteinte.

     

    Tentons à présent de synthétiser pourquoi on qualifie ce Rite Écossais de « Rectifié » ?

     

    Pourquoi « Rectifié » ?

    Notre bien aimé Frère  Jean Van Win, m’a permis de mieux comprendre le sens de l’adjectif « rectifié » qui est synonyme de « réformé ». Il vient du verbe latin « rectificare », c’est-à-dire redresser, remettre dans le droit chemin. Le R.E.R. se dit donc réformé, rectifié par rapport à ce qu’était devenue la Maçonnerie française à l’époque de Jean-Baptiste Willermoz !

    Notre bien aimé Frère Roland Bermann m’avait déjà mis sur la piste : « Rectifié » est le terme qui fut choisi en 1778 pour désigner notre Rite qui se voulait une refondation écartant toutes les dérives constatées et assez bien décrites dans le préambule du « Code des Loges réunies et rectifiées de France ».

     

    Alors, en quoi consiste la réforme ou la rectification du Rite ?

     

    La réforme du Rite Écossais Rectifié

    La réforme du R.E.R. est issue de la volonté de Willermoz et de ses amis, de restaurer, dans un contexte délabré et chaotique, une Franc-maçonnerie française et si possible européenne, renouant avec son passé et ses fondements chrétiens et chevaleresques.

    J’ai essayé de vous la synthétiser de la manière suivante :

    1. La Maçonnerie nouvelle est une société qui cultive la morale et la religion, qui transcende celle des églises particulières.
    2. Cette Maçonnerie se réfère aux principes les plus purs du christianisme qui deviennent assez semblables à ceux du droit naturel.
    3. Cette réforme aboutit à une synthèse et à une simplification : elle revient aux origines chrétiennes de la Maçonnerie, tout en écartant avec insistance les éléments hermétiques et alchimistes, dont Willermoz avait horreur.
    4. Les doctrines martinésistes perdent néanmoins leur poids dans le Régime rectifié, qui prend désormais une courbe nettement maçonnique et chevaleresque, avec une tendance finale proche d’une gnose johannique, c’est-à-dire d’une gnose chrétienne.

    Pour élaborer le Régime Écossais Rectifié en 1778, Jean-Baptiste Willermoz y a intégré des éléments de l'ordre des « Elus Cohen » et a renoncé à l'héritage templier. Il s'est inspiré de différents systèmes initiatiques existant à l'époque, à savoir :

    1. l'Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l'Univers auquel se rattache le nom de Martines de Pasqually,
    2. la Stricte observance templière, Maçonnerie chevaleresque initialement établie en Allemagne milieu du 18ème siècle puis étendue au reste de l'Europe,
    3. l'Écossisme maçonnique, c’est-à-dire les divers Hauts Grades maçonniques dont l'organisation n'était pas encore formalisée à cette époque,
    4. la Maçonnerie bleue en trois grades (Apprenti, Compagnon, Maître) telle que pratiquée par la Franc-maçonnerie française à cette époque-là, c’est-à-dire au G.O.D.F. et qui est devenue l'actuel Rite Français.

    Depuis, les rituels du R.E.R. n'ont pas ou que peu évolué.

    Le Rite Écossais Rectifié est donc le résultat d'une évolution issue de la réforme de Dresde de 1774, jusqu'à la dernière révision approuvée par les Frères Lyonnais au Convent des Gaules de 1778.

     

    Mais quelles sont les caractéristiques essentielles du Rite Écossais Rectifié ?

     

    Les caractéristiques principales du R.E.R.

    Une question me paraît essentielle parce qu’elle est régulièrement posée et fait l’objet de beaucoup de discussions : le Rite Écossais Rectifié est-il chrétien ?

    Le Rite Écossais Rectifié semble en effet avoir un caractère chrétien mais si tel est le cas, ce caractère s’affiche comme non dogmatique et renvoie au christianisme primitif, voire judéo-chrétien, au travers de la composante martinésiste. Ce caractère tient à l’esprit du christianisme très dépouillé très proche du message originel du Christ, se référant à la loi d’Amour, mais sans typologie confessionnelle. C’est un rite de pensée, spirituelle et théosophique.

    Disons que le R.E.R. est un rite d'essence chrétienne et qu’il a pour doctrine sous-jacente le « Traité de la réintégration des êtres », de Martinez de Pasquali. Si certains d’entre nous affirment, haut et fort, que le Rite Écossais Rectifié est chrétien, pour les responsables de notre obédience, ce christianisme est admis soit dans un sens strict faisant référence à la Sainte Trinité et à l'Incarnation du Verbe, soit dans un sens plus large du terme, c'est-à-dire sans référence aux dogmes de l’Eglise catholique.

    Plus que déiste, ce rite est franchement théiste, ce qui explique ses problèmes à l’époque du scientisme triomphant. Pour le pratiquer, il faut croire en Dieu. Non seulement les Trois Grandes Lumières y sont présentes, mais surtout, le Volume de la Loi Sacrée contient la volonté révélée du Grand Architecte de l’Univers évoqué dans les rituels. Le caractère chrétien du Rite Écossais Rectifié est le résultat d’un choix délibéré et raisonné qui fut fait à l’époque de sa fondation.

    Le « Code des Loges Réunies et Rectifiées » de 1778 déclare qu’ « aucun Profane ne peut être reçu Franc-maçon s’il ne professe la religion chrétienne ». Et la formule de notre serment comporte l’engagement « d’être fidèle à la sainte religion chrétienne ».

    Rappelons que tous les rites étaient chrétiens au 18ème siècle et que toutes les Loges symboliques régulières sont des Loges de Saint-Jean ; précisons que c’est lui, saint Jean, qui inventa l’expression « Bien Aimé Frère » et que les Maçons réguliers prêtent traditionnellement leurs serments sur l'Evangile de saint Jean, cérémonial que le Rite Écossais Rectifié a conservé depuis 1778, et cette tradition a également été maintenue dans toutes les Loges de la G.L.R.B.

    L'Ordre prescrit à ses membres non seulement la profession de la religion chrétienne, mais aussi une bienfaisance active envers tous les hommes ainsi que le respect de toutes les croyances et de toutes les idées et la défense des opprimés.

    La deuxième caractéristique du Rite Écossais Rectifié est d’avoir un enseignement initiatique explicitement énoncé au fil de l'avancement de l'impétrant. Et cet enseignement prend pour fondement la doctrine chrétienne traditionnelle. Il incite l'homme, qui est image de Dieu, à retrouver sa ressemblance originelle avec son Créateur par des symboles, des maximes et des discours.

    Se déclarer athée n’est pas compatible avec les prescriptions de la Maçonnerie régulière, donc avec celles de la G.L.R.B., et encore moins avec l’esprit et la finalité du R.E.R.

     

    La finalité du Rite Ecossais Rectifié

    Précisons quelle est cette finalité : aider l’homme « déchu » à vivifier, par la voie de l’Initiation, la part de divinité qui demeure en lui après ce que l’on appelle symboliquement « la Chute », et lui donner les moyens, tel le Phénix renaissant de ses cendres, de réintégrer sa « nature divine » originelle.

    Pour être reçu au sein d’une Loge « Rectifiée », faut-il donc croire en cette nature divine originelle de l’Homme ? Certains Frères adhèrent profondément à la doctrine du Rite ; d’autres se bornent à la respecter et à tenter de la comprendre. Il ne nous est pas demandé de rendre compte de nos convictions intimes. Nous sommes seuls juges de leur adéquation avec le rite ; nous sommes seuls juges de notre capacité ou de notre incapacité à poursuivre nos efforts dans l’Ordre Intérieur. Nous n’avons pas à nous juger les uns les autres. Aussi ne le faisons-nous pas. Il n’est qu’un seul Juge…

    Une autre question se pose : faut-il être nécessairement chrétien pour fréquenter une Loge rectifiée belge ? Non, il faut tout simplement satisfaire aux exigences de la G.L.R.B., c'est-à-dire admettre que « l’obédience affirme l’existence de Dieu ». Les convictions religieuses ou philosophiques des candidats ne regardent finalement qu’eux-mêmes.

    Mais alors pourquoi trouvons-nous un rite chrétien dans une Franc-maçonnerie qui se veut universaliste ?

    En d’autres termes, comment un rite maçonnique peut-il se revendiquer d’une seule religion ou croyance, voire d’un seul mythe, alors que la Franc-maçonnerie est par définition universaliste et constitue le centre d’union de toutes les croyances ?

    Qu’il me suffise de rappeler que :

    • la Franc-maçonnerie britannique et protestante est devenue universaliste et s’est ouverte à toutes les religions depuis 1813, date de la réconciliation et de l’union entre la Grande Loge des Anciens et celle des Moderns ;
    • en France, dès ses débuts en 1730, la Franc-maçonnerie était très majoritairement fréquentée par des catholiques apostoliques et romains, et que toutes les structures de l’Etat étaient soumises au pouvoir de l’Eglise catholique ;
    • enfin, en 1813 et sous Napoléon, la Franc-maçonnerie française est restée chrétienne par fidélité à ses origines sociologiques propres mais aussi par loyauté envers les valeurs qui ont constitué l’Ordre maçonnique moderne en 1717.

     

    Tentons à présent de préciser la nature du caractère chrétien du Rite Écossais Rectifié.

     

    La nature du caractère chrétien du Rite Ecossais Rectifié

    Les sources spirituelles du Rite Écossais Rectifié sont :

    • d’une part, la doctrine « ésotérique » de Martinez de Pasquali dont l'essentiel porte sur l'origine première, la condition actuelle et la destination ultime de l'homme et de l'univers ;
    • d’autre part, la tradition chrétienne indivise, nourrie des enseignements des Pères de l'Eglise avec comme fondement la foi en la Sainte Trinité et en la divino-humanité de Jésus-Christ.

    Bien que certains prétendent le contraire, ces deux doctrines, non seulement ne se contredisent pas, mais se corroborent l'une l'autre. Tous les textes prouvent la parfaite orthodoxie, au regard de l'ensemble des confessions chrétiennes, du Rite Rectifié, qui s'occupe, non de ce qui divise les chrétiens, mais de ce qui les réunit.

    Le christianisme du Rite Écossais Rectifié n’apparaît donc pas comme hérétique. Ni Willermoz ni Martinez n’étaient des théologiens mais ils étaient tous deux de bons catholiques traditionnels.

    Jean-Baptiste Willermoz, Louis-Claude de Saint-Martin et Martinez de Pasquali sont considérés comme les « Pères Spirituels » du Rite. Pour en faire partie, il faut soit être chrétien, soit accepter sans réserve son caractère chrétien.

    Jean-Baptiste Willermoz est resté davantage attaché au christianisme traditionnel que Martinez de Pasquali et Louis-Claude de Saint-Martin mais il a redéfini nombre d’articles de foi. Le résultat est un rite chrétien qui se situe en dehors de toute orthodoxie ecclésiale.

    Je me suis personnellement longtemps demandé s’il fallait qualifier le Rite Écossais Rectifié de « chrétien » ou de « christique ». L’adjectif « chrétien » est relatif au christianisme. Il qualifie ce qui appartient à l’une des religions issues de la prédication du Christ. L’adjectif « christique » est relatif à Jésus-Christ. Il concerne la personne du Christ. Si quelques-uns ont nié l'existence de Jésus, personne n'a pu nier l'existence de la doctrine christique : c'est là le point essentiel.

    Chrétien ou christique, n’est-ce pas un peu jouer sur les mots ? La littérature maçonnique laisse apparaître uniquement le terme « chrétien » pour caractériser le Rite Écossais Rectifié.

    Nous dirons donc sans réserve que le Rite Écossais Rectifié, depuis sa création, n'a eu de cesse d'affirmer son caractère chrétien qui est, non point d'exclure, mais au contraire de rassembler en son sein tous ceux pour qui le Christ est bien le Fils de Dieu.

    Le Rite Écossais Rectifié n'a jamais eu la prétention d'être le seul Rite maçonnique chrétien mais, compte tenu de sa spécificité doctrinale, qui consiste en un ésotérisme initiatique chrétien, il estime être un enrichissement pour la Maçonnerie universelle.

     

    Pour en terminer avec le caractère chrétien du R.E.R., j’aimerais rappeler quelle est la doctrine ou le message du Christ car il me semble qu’on ne l’évoque pas assez.

     

    Le message du Christ

    Le Dieu chrétien est Amour et non terreur et domination. Il aime l’humanité entière. La morale chrétienne contient l’amour des ennemis, le courage de la vérité, le désintéressement, la responsabilité de l’existence, la hiérarchie des valeurs, le combat pour la liberté, la volonté de paix entre les hommes : aime Dieu de toutes tes facultés et, en fonction de cet amour, aime le prochain comme toi-même.

    Le caractère chrétien du R.E.R. ne peut être altéré. Le R.E.R. est et reste un rite chrétien mais il doit être assorti de toutes les nuances qu’implique son exercice dans la société du 21ème siècle. Celle-ci n’est plus celle du 18ème siècle. L’évolution de la société et la structuration obédientielle de la Maçonnerie nécessitent de nos jours le placement des trois grades symboliques sous l’autorité d’une Grande Loge Régulière universellement reconnue.

    Le caractère chrétien du R.E.R. doit être scrupuleusement préservé, en dépit des incompréhensions dues à l’ignorance.

    Ce qui caractérise le Rectifié n’est pas uniquement son caractère chrétien, et ce caractère n’est pas une exclusivité du Rectifié.

    Le R.E.R. est un rite extraordinairement homogène et cohérent. Il bénéficie d’une grande richesse ésotérique et symbolique. Il dévoile progressivement son enseignement en dehors de toute contrainte dogmatique ou confessionnelle, mais dans un cadre chrétien, ouvert à tout Maçon régulier comme à tout Profane croyant, animé d’un vrai désir de progression spirituelle et respectueux du caractère chrétien du rite dans son Esprit et non dans sa lettre.

     

    Pour terminer l’exposé de cette recherche, j’examinerai enfin quelle est la méthode du Rite Écossais Rectifié.

     

    La méthode du Rite Ecossais Rectifié

    Le Rite Écossais Rectifié est une voie particulière, spécifique, au sein de la Maçonnerie. Tout y est donné dès le premier grade. Mais sa plénitude ne deviendra évidente que beaucoup plus tard, et rien n’est accessible directement sans effort.

    La pédagogie propre au Rite Écossais Rectifié consiste en effet à tout nous offrir dès l’abord, mais en le présentant de telle façon que nous soyons contraints d’effectuer un réel travail personnel qui seul peut être un facteur de progrès sur la voie de la réconciliation d’abord, préalable à celle de la réintégration de l’être.

    Le Rite Écossais Rectifié joue de la dialectique du « caché – révélé » propre à tous les véritables enseignements ésotériques et initiatiques depuis les temps les plus reculés.

    Tout est dit dès le premier grade, sans l’être réellement. Tout se trouve derrière un voile qu’il faut faire l’effort d’écarter pour approfondir et assimiler chaque donnée.

    Chaque nouvelle étape vient préciser l’enseignement déjà reçu.

    Tout n’est accessible que par l’effort du Cherchant qui devient Persévérant, ce qui le conduira nécessairement à devenir Souffrant. Car chaque étape provoquera des remises en question de croyances et d’acquis, ce qui n’est jamais facile à faire.

    Au désir, il faudra joindre le courage et l’intelligence du cœur, celle qui conduit à la compréhension intime.

     

    R :. F :. A. B.

     

     

    [1]  Parue dans le n° 14 de la revue « Acta Macionica », p. 371 à 377.

    [2] L'Ecossisme est un terme qui est employé pour désigner globalement tout ce qui concerne l’apport des Loges « écossaises » à la Franc-maçonnerie en France. Cela concerne particulièrement l’innovation qu’a constituée l’introduction des Hauts Grades.

     

    Bibliographie

    Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie

    Editions De Vecchi, Paris, 1995

     

    Chevallier Pierre

    Histoire de Saint-Jean d’Ecosse du Contrat Social – Mère Loge Ecossaise de France

    Editions Ivoire-Clair, Groslay (France), 2002

     

    Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie

    Editions Dervy, Paris, 1994

     

    Ferré Jean - Dictionnaire des symboles maçonniques

    Editions du Rocher, Monaco, 1997

     

    Guigue Christian - La formation maçonnique

    Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 2003

     

    Lhomme Jean, Maisondieu Edouard, Tomaso Jacob

    Dictionnaire thématique illustré de la Franc-maçonnerie

    Editions du Rocher, Monaco, 1993

     

    Mondet Jean-Claude

    La Première Lettre - L’Apprenti au Rite Ecossais Ancien et Accepté

    Editions du Rocher, Monaco, 2007

     

    Schnetzler Jean-Pierre - La Franc-maçonnerie comme voie spirituelle

    De l’Artisan au Grand Architecte

    Editions Dervy, Paris, 1999

     

    Ursin Jean - Création et histoire du Rite Ecossais Rectifié

    Editions Dervy, Paris, 1993 ou 2004

     


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  •  Réflexions à propos du toast du Couvreur 

    Quelques constats !

    L’expression « Il est neuf heures ! », énoncée presqu'à la fin des agapes, entraîne chez la plupart d’entre nous trois réflexes : nous nous levons, nous reboutonnons notre veston et nous nous dépêchons de remplir nos verres et de les aligner, alors que jusqu’à présent personne n’a demandé de charger ni d’aligner quoi que ce soit !

    L’expression « Mes Frères, il est neuf heures ! » nous inviterait-elle tout simplement à nous lever ? Mais pour quoi faire ? « Neuf heures » ne serait-il qu’un simple déclencheur pavlovien ? Le signal d’une certaine agitation ou d’une soif soudaine ?

    Neuf heures. Est-ce un indice pour nous rappeler que les Maçons travaillent entre Midi et Minuit ? Et puisque nous sommes encore à table, à l’issue des agapes fraternelles, ne serait-ce pas une heure choisie délibérément avant Minuit ? N’est-ce pas l’occasion de réfléchir à un nombre hautement chargé de signification symbolique ? Ou une invitation à vivre un évènement important ?

     

    Mes réflexions personnelles

    L’expression « Il est neuf heures » retentit dans mon esprit comme quand nous sommes en Tenue et que le Vénérable Maître nous dit « A l’ordre, mes Frères ! ».

    N’agit-elle pas comme une invitation à être attentifs, alors que nos conversations tous azimuts vont bon train ? N’est-ce pas une sorte de mise en condition pour nous inviter à être témoins et même acteurs de quelque chose d’important, voire de sacré ? N’est-ce pas une invitation à vivre un moment privilégié : celui d’avoir une pensée pour tous les Maçons de l’univers qui sont nos Frères ?

    Or, certains de nos Frères ne sont précisément pas tous aussi heureux que nous en ce moment ! Le texte du « Toast du Couvreur » est assez précis à ce sujet : certains de nos Frères sont malheureux ; certains ont perdu leur liberté ; certains sont peut-être sinon esclaves, sinon en prison, derrière des barreaux ; certains ne sont pas chez eux et voyagent peut-être dans des conditions difficiles, dans un contexte de menaces ou de conflit.

    L’expression « Il est neuf heures ! », ne vient-elle pas nous rappeler la fin tragique du Christ, mort à la neuvième heure ? L’expression « Il est neuf heures ! », ne devrait-elle pas aussi nous rappeler que le Christ nous a encouragés à faire œuvre de bonté, de charité, de compassion, de fraternité, de partage… ?

    N’est-ce pas aussi nous rappeler que la Franc-maçonnerie spéculative était chrétienne lors de sa création en 1717 et que la Maçonnerie régulière à laquelle nous appartenons aujourd'hui reste fidèle aux Constitutions d’Anderson dans lesquelles le célèbre pasteur a réaffirmé le caractère chrétien de la Maçonnerie ?

    Lorsque nous entendons « Il est neuf heures ! », nous pouvons facilement imaginer la position des aiguilles sur notre montre ou sur l’horloge de la salle des agapes : la grande aiguille sur le 12 et la petite aiguille sur le 9 formant une équerre à 90°. L’expression « Il est neuf heures ! », ne serait-elle pas alors formulée pour évoquer l'Équerre, ce puissant symbole de la droiture du comportement que nous devrions développer davantage dans le monde profane, à l’issue de nos Travaux en Loge ?

    J’ai appris qu’autrefois, les Tenues débutaient bien plus tôt dans la fin d’après-midi. Si bien que les Frères passaient à table à une heure bien plus décente que nous de nos jours ! Et lorsqu'il était effectivement neuf heures du soir, le Vénérable Maître se levait et annonçait cette heure. Il portait alors un toast aux Frères excusés, malades ou se trouvant dans une situation difficile. Et quand les Frères avaient levé leur verre aux absents, le Vénérable Maître annonçait qu’il allait ensuite porter un toast à tous les Maçons de l’univers, ce qu’énonce aujourd'hui le Frère Couvreur.

     

    A propos des Travaux de Table

    Dans les traditions des Loges qui travaillent au Rite moderne, nous ne pratiquons de véritables Travaux de table qu’à l’occasion de la célébration du Solstice d’hiver. Ce n’est qu’en cette occasion précise qu’il y a lieu de disposer d’une serviette en papier qui sert de drapeau à placer sur l’épaule gauche ; ce n’est qu’en cette occasion seulement que nous utilisons notre couteau faisant office de glaive ; ce n’est qu’en cette occasion précise que notre verre est appelé « arme » et le vin « poudre ».

    A l’issue de chacune de nos agapes par contre, nous tentons également de pratiquer un rituel et c’est sur ce point que je voudrais apporter ce Midi quelques commentaires et précisions.

    Même si aujourd’hui je n’ai pas la charge de « Gardien de la Loi », c’est-à-dire Orateur de la Loge, je dois vous rappeler que si nos agapes comprennent un rituel de table, tel que « le Toast du Couvreur », le Vénérable Maître ne peut le commander que si tous les Frères présents autour de la table des agapes sont bien des Frères réguliers.

    Ainsi, à l’occasion d’une cérémonie d’Initiation par exemple, si des Frères appartenant à une Obédience non reconnue par la G.L.R.B. participaient à nos agapes fraternelles, nous ne pourrions pas effectuer le « Toast du Couvreur » ni d’ailleurs de « Travaux de table » car il s’agit d’un véritable rituel.

    Par contre, si nous réfléchissons à table à propos de quelques idées contenues dans une planche qui vient d’être présentée en Tenue, ces moments de réflexion – entre deux plats – ne sont pas considérés comme de véritables Travaux de table au sens maçonnique du terme : il s’agit tout simplement d’un exercice intellectuel. Des Frères d’autres Obédiences pourraient très bien y assister, voire même y participer activement en donnant leur avis.

     

    A propos du toast du Couvreur

    En ce qui concerne le « Toast du Couvreur » qui est au centre de mes propos de ce Midi, je souhaiterais apporter les six précisions suivantes :

    1. Il s’agit bien d’un « toast ». C’est-à-dire que nous nous apprêtons à lever nos verres à la santé de nos Frères répandus sur toute la surface de la Terre. Mais personnellement, je préfèrerais qu’en réalité nous levions nos verres en ayant une pensée profonde à l’égard de nos Frères Maçons et non pas à l’égard de la boisson que nous nous apprêtons à ingurgiter !

    2. Car si ce n’est pas pour prêter attention aux mots utilisés dans ce texte, alors autant ne pas le dire. Je vous le relis :

    A TOUS LES MAÇONS, HEUREUX OU MALHEUREUX, LIBRES OU DANS LES FERS, VOYAGEURS OU SÉDENTAIRES,

    QU’ILS SOIENT SUR TERRE, SUR MER, SOUS LES MERS OU DANS LES AIRS, POUR LA RÉALISATION DE LEURS VŒUX,

    LA FIN RAPIDE DE LEURS SOUFFRANCES ET UN PROMPT RETOUR DANS LEUR PAYS NATAL,

    SI TEL EST LEUR DÉSIR ! A TOUS LES MAÇONS !

    Et le texte officiel s’arrête là ! En effet, mes Frères, vous ne trouverez probablement l’impératif du verbe  « boire » que dans des rituels en provenance d’anciennes Loges militaires !

    Ce texte officiel (que l’on trouve par exemple dans l’ouvrage de Christian Guigue intitulé « La formation maçonnique ») met en évidence des oppositions auxquelles nous devons rester attentifs afin que notre attitude finale ne soit pas en contradiction avec ces mots choisis. De par le monde, il y a effectivement des Maçons momentanément malheureux, des Maçons emprisonnés, des Maçons dans la souffrance, dans la détresse, des Maçons malades, des Maçons temporairement éloignés de leur foyer, contre leur volonté…

    A mes yeux, nous devons certes rester optimistes. Mais avons-nous le droit de nous réjouir à l’issue de ce toast ? En levant notre verre, notre devoir est d’avoir une pensée émue à l’égard de nos Frères malheureux et il convient que notre souhait de les voir retourner promptement dans leur foyer soit un souhait vraiment sincère. Je me demande même si, à l’issue de notre libation, nous ne devrions pas nous accorder quelques instants de méditation sur le sens des mots que nous venons d’entendre.

    1. De plus, il s’agit bien du « Toast du Couvreur ». L’appellation, elle aussi, doit être respectée : il ne s’agit pas de «Faire neuf heures», même si l’exécution de ce rituel de table est annoncée par le Vénérable Maître en disant « Mes Frères, il est 9 heures ! », expression qui nous invite à nous lever, à nous préparer à un rituel et non pas à une plaisanterie et encore moins à une beuverie.

    2. Dans son exécution : c’est bien le Frère Couvreur qui doit venir se déplacer derrière le Vénérable Maître à son invitation sauf si, exceptionnellement, le Frère Couvreur ne participait pas aux agapes ou était absent à la Tenue. Le Vénérable Maître pourrait éventuellement désigner un autre Officier Dignitaire de sa Commission pour dire ou lire le texte. A la limite, il pourrait désigner un Frère Compagnon qui pourrait ainsi s’exercer à la prise de parole.

    3. Le Frère qui énonce ledit toast pose la main gauche sur l’épaule droite du Vénérable Maître et tient son verre dans la main droite.

    4. Bien que ce soit devenu une habitude, je me demande depuis longtemps s’il est vraiment indispensable dans le cadre de nos agapes habituelles, d’aligner les verres et bouteilles et de reprendre des expressions issues du rituel des Travaux de Table de la célébration du Solstice d’hiver, telles que « Veuillez charger et aligner ! ».

    Encore que, si l’on y songe bien, des verres et des bouteilles alignées peuvent évoquer la Règle voir l'Équerre si nos tables sont dressées en forme de U. Cependant, le Vénérable Maître doit quand même veiller à ce que le verre de chaque Frère soit encore suffisamment rempli que pour pouvoir boire à la santé de nos Frères répartis sur toute la surface du globe !

    Poursuivons notre réflexion à propos de l’expression « Il est neuf heures » qui pourrait sans doute aussi être en relation avec le symbolisme du nombre neuf. Alors, osons effectuer cette approche !

     

    Le nombre 9

    Constatons tout d’abord que neuf termine la série des nombres formés d’un seul chiffre.

    Neuf est un nombre très ambigu : c'est à la fois le nombre de la mort et de la vie. Le Nouveau Testament nous apprend en effet que le Christ expira à la neuvième heure. Par ailleurs, neuf est le temps de gestation de l’embryon humain, soit neuf mois.

    Neuf semble souvent le symbole de la perfection et de la création après le passage des épreuves. C'est l'aboutissement. Je songe notamment à l’accueil dit « Maillets battants » qui s’effectue par 9 X 3 coups, soit 27 au total. Et 27, c’est la juxtaposition de 2 et 7 dont la somme fait 9. Pour parvenir au neuf, nombreuses sont les étapes ternaires. C'est aussi le symbole de l'amour (Chez Dante). Il annonce une fin et un recommencement.

    Restons un instant encore dans le domaine des mathématiques.

    Neuf est le carré de trois. Ou, si vous préférez, 9 = 3 X 3.

    Et la somme théosophique du nombre neuf c’est 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 + 9, ce qui donne 45. Et cette somme théosophique nous ramène au nombre lui-même puisque 45 nous permet de dire 4 + 5 = 9.

    Enfin, neuf, c’est bien un nombre cubique puisque l’on peut le représenter tel un cube, avec ses huit sommets et le point central.

     

    Neuf heures et la fin de la vie du Christ

    Vu l’origine chrétienne de la Franc-maçonnerie, la neuvième heure nous rappelle aussi la fin de vie du Christ. Son agonie commença à la troisième heure pour expirer à la neuvième heure. Cette neuvième heure ne demande-t-elle pas aux croyants et pratiquants de faire une neuvaine, c’est-à-dire de prier pendant neuf jours ?

    De l'avis quasi unanime, il semble que Jésus ait fêté Pâque avec ses disciples le jeudi 13 Nisan au soir, qu’il a été jugé et condamné par les Juifs dans la nuit du jeudi au vendredi, puis que sa condamnation a été avalisée par Pilate le vendredi matin. Il a été crucifié vers midi, est mort vers 15 heures et a été enseveli avant 18 heures.

    Ainsi, le nombre neuf apparaît comme sacré et exprime l’achèvement. Tout se termine par neuf comme sa preuve d’ailleurs ! Dans notre symbolique maçonnique, neuf représente notamment l’immortalité.

    Les neuf heures, c’est le moment où le soleil se couche et que lentement la douceur du soir permet aux corps fatigués par un dur labeur de sentir ce moment de bien-être. La journée de labeur est accomplie et les hommes ont envie de parler. Neuf heures du soir, n’est-ce pas un instant d’une profonde humanité ?

    Il semble aussi que les bâtisseurs de cathédrales commençaient leurs journées de travail très tôt et qu’ils avaient pour habitude de faire une pause qu’ils appelaient les neuf-heures.

    A notre époque, la pause que nous effectuons à la fin des agapes se situerait plutôt vers vingt-deux heures, tout comme celle que font les écoliers dans leurs études vers dix heures du matin, moment de la récréation. Excusez-moi, le maître d’école refait encore une fois surface !

    Jadis, lorsqu'il y avait encore des soldats dans les casernes, les militaires devaient être rentrés à la caserne ou dans leur campement à 10 heures du soir, soit  à 22 heures. Les rituels de loges de militaires nous en apprendraient sans doute un peu plus sur ce que signifiait pour eux la neuvième heure.

    Il y aurait sans doute aussi une explication à trouver dans l’Apocalypse de Jean. Mais cela relève plutôt de la théologie !

    Enfin, pour la petite histoire, il semblerait aussi que « neuf heures » serait inclus dans un mot de passe chez les Druides, un terrain sur lequel je ne m’aventurerai pas ce Midi, préférant laisser ce sujet à un spécialiste qui m’écoute en ce moment !

     

    A propos de l’usage de tirer des santés

    Pour terminer cette réflexion, je voudrais encore attirer votre bienveillante attention sur une autre appellation de ce rituel. Dans notre langage maçonnique, il est quelques fois questions de tirer des santés, ce qui signifie porter un toast. Cette pratique remonte loin dans le temps et l’usage prescrivait déjà, en 1742, sept santés rituelles qui se décomposaient comme suit : au Roi, au Grand Maître, au Maître (de la Loge), aux 1er et 2nd Surveillants, à l’Initié (du jour-même s’il y en avait un), et pour terminer, aux Frères de la Loge.

    Cette coutume s’exerçait et s’exerce parfois encore de nos jours dans certaines Loges selon une codification régie par un rituel dit « de table ». On distingue les santés collectives, ou d’obligation, et des santés individuelles.

    Les santés collectives se font au commandement du Vénérable Maître lorsqu'il dit « Frères Surveillants, faites charger et aligner sur vos colonnes ».

    L’usage actuel, tel que pratiqué au Rite Écossais Rectifié, et notamment à la R:.L:. « L'Eperon d’Or » à l’Or:. de Namur, comprend les sept santés d’obligation suivantes. Le Vénérable Maître les tire :

    • en l’honneur du Chef de l’Etat qui protège la Franc-maçonnerie. Les participants répondent : « Au Roi ! » en levant leur verre ;

    • en l’honneur du Très Respectable Grand Maître de la Grande Loge Régulière de Belgique et à ses Grands Officiers, passés et actifs ;

    • en l’honneur des Frères Visiteurs ;

    • en l’honneur de tout nouveau Frère (initié, avancé ou affilié).

    • Une santé particulière est ensuite proposée par le Frère Premier Surveillant : c’est celle en l’honneur  du Vénérable Maître.

    • Enfin, la dernière santé est en réalité le « Toast du Couvreur » que l’on nomme aussi parfois « Toast du Tuileur ».

    Lorsqu'une santé est tirée en l’honneur d’un Frère – visiteur ou membre nouvellement reçu dans la Loge ou à un grade supérieur – celui-ci reste assis tandis que tous les autres Frères se lèvent pour porter le toast.

    Lorsque tous les Frères se sont rassis, le Frère ainsi mis à l’honneur peut se lever à son tour, emplir son verre si nécessaire, exprimer brièvement quelques mots de remerciements et terminer en levant son verre à son tour au Vénérable Maître et à tous les Frères de la Loge.

    Enfin, mes très chers Frères, sans entrer dans des détails qui vous dévoileraient ce que je ne puis vous révéler d’un Haut Grade de la Maçonnerie Écossaise, je vous dirai simplement qu’au 18ème degré, les santés portent le nom de « libations ». Ainsi, tirer une santé devient exécuter les libations. Le nombre de libations reste identique à celui de la Maçonnerie symbolique et il est permis de les exécuter entre chaque service.

    Mes Frères, puisse le rituel du « Toast du Couvreur » de ce Midi être des mieux pensés et des plus réussis ! Et puissiez-vous aussi, mes Frères, être dorénavant mieux informés quant aux sens possibles de cette expression lorsque votre Vénérable Maître vous annoncera qu’il est neuf heures !

    R :. F :. A. B.

     


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