• * La Chaîne d’Union

     La Chaîne d’Union 

    Introduction

    Lorsque j’étais Apprenti, j’avais tracé une petite planche au sujet de la « Chaîne d’Union ». Dix ans plus tard, j’avais déjà souhaité refaire le point sur ce rite, reconsidérer mes premières réflexions, bref, « remettre ma planche sur le métier ». J’en ai donc rédigé une nouvelle version au cours de l’année 2007 !

    En 2008, au sein d’un nouvel Atelier et dans le cadre d’un Rite que je commençais seulement à découvrir et à apprécier, j’ai remis une nouvelle fois cet ouvrage sur le métier car une planche peut toujours être améliorée : la réflexion, les recherches se poursuivent ; les expériences vécues se partagent et apportent de nouvelles idées, de nouvelles possibilités de développement.

    Depuis que je me suis impliqué dans le Rite Écossais Rectifié, j’ai découvert que le Vénérable Maître nous invite à participer à ce rite par la formulation « Avant de nous séparer, formons la Chaîne de l'union fraternelle ! », alors qu’au Rite moderne qui m’a initié, le Vénérable Maître se contente de dire simplement « Mes Frères, formons la Chaîne d’Union » !

    Apparemment, la « Chaîne d’Union » incarne un concept très proche, très simple et très accessible : celui de la fraternité des êtres humains. Il me semble assez évident que la « Chaîne d’union » unisse des êtres qui se donnent la main. Or, donner la main à quelqu'un, c’est l’aider. Mettre la main à quelque chose, c’est y participer. La conception maçonnique de la « Chaîne d’Union » comme expression d’une fraternité universelle d’entraide et de participation vient sans doute de là.

    La « Chaîne d’Union », reprise par bon nombre d’obédiences de la Franc-maçonnerie, symbolise ce que devrait être sur la terre une fraternité humaine permanente et profonde.

    Le terme « chaîne » viendrait du latin catena, qui aurait donné le mot cadenas, évoquant ainsi la Tradition dans le sens d’un secret bien gardé puisque nul ne peut s’y introduire s’il n’en possède pas la clef. Ainsi, c’est bien dans le secret de la Loge que nous formons la « Chaîne d’Union », pas dans le monde profane avec des inconnus.

    Puisque au sens propre, une chaîne est une succession de maillons, et qu’au sens figuré il s’agit d’un objet composé d’éléments successifs solidement liés, ou une suite de personnes qui se transmettent quelque chose, plusieurs idées ressortent donc de ce terme : celle de lien, celle d’une succession ininterrompue d’éléments, et celle de transmission.

    Qu’est-ce que la « Chaîne d’union » ? Quelles sont ses origines ? Que signifie ce rituel ? Quand le pratique-t-on ? Pourquoi ? Comment le pratiquer correctement pour qu’il soit efficace ? Quel symbolisme véhicule-t-il ? Tentons à nouveau de faire la lumière !

    Les origines de la Chaîne d’Union

    La « Chaîne d’Union » nous vient d’un lointain passé. Pour Jean Ferré, la « Chaîne d’Union » est un usage issu des rites des gens de Métiers qui continue à être pratiqué par le Compagnonnage et la Franc-maçonnerie. La première description maçonnique de la Chaîne d’Union semble apparaître en 1696 dans un manuscrit des archives d’Edimbourg.

    Pour aider le lecteur à se repérer dans la forêt des symboles maçonniques, Jean Ferré s'est attaché à faire ressortir la diversité des interprétations, sans toutefois privilégier une école aux dépens d'une autre, et a pris appui sur les textes fondateurs (anciens devoirs, manuscrits, rituels...) pour retrouver les racines du symbole, sa progression historique, sa richesse. Il a étudié chaque outil, précisé le rôle des officiers et détaillé les divers rites en vigueur. Son « Dictionnaire des symboles maçonniques » est une remarquable synthèse sur le monde maçonnique. Il est à la fois un outil de travail pour le Franc-maçon soucieux d'approfondir le sens de sa démarche et un instrument de réflexion pour le Profane désireux de pénétrer un monde imprégné de secret.

    Par sa ressemblance formelle avec les lacs d’amour ornant la houppe dentelée, la Chaîne d’Union, qu’on trouve d’ailleurs évoquée en 1723 dans une chanson maçonnique imprimée à la fin des Constitutions d’Anderson, semble une réalisation concrète de la houppe dentelée et de ses lacs d’amour symbolisant la solidarité et l’amour qui unit chacun des Frères de la Chaîne.

    Cette chaîne puissante de fraternité qui unissait les Compagnons bâtisseurs du moyen âge explique comment les monuments édifiés en Europe sont d’une grande ressemblance. Beaucoup des constructeurs de cette époque avaient acquis leurs connaissances à une même école, celle de l’université de Cordoue où les musulmans avaient apporté leurs richesses culturelles dans des domaines aussi variés que la littérature, la poésie, les sciences exactes et l’architecture.

    Ils observaient les mêmes lois de l’architecture et de la géométrie. Ils dirigeaient leurs travaux et leurs constructions d’après des principes et des traditions ésotériques.

    Grâce à leur chaîne d’union fraternelle, les Maçons disséminés dans toute l’Europe étaient toujours en contact les uns avec les autres. Ils transmettaient leur art et ses améliorations connues. De cette manière, ils étaient intégrés aux techniques de toute la corporation. Ce bel exemple d’échanges des Francs-maçons opératifs du moyen âge a permis la construction des édifices que nous admirons. Ils se sont unis pour construire une œuvre commune et leur pierre comme la nôtre va s’insérer dans une construction : le Temple Idéal de I’Humanité.

    Comment bien pratiquer la Chaîne d’Union ?

    Les Frères assemblés rituellement et formant une chaîne tout autour du Tapis de Loge porte le nom de « Chaîne d’Union » qui se pratique « longue » ou « courte » selon l’importance de l’assemblée.

    Sa constitution répond à une exigence particulière : les mains, mises à nu, se tiennent entrelacées et croisées droite/gauche et gauche/droite rappelant ainsi la forme du huit couché, emblème de l’infini.

    Pour Irène Mainguy, la « Chaîne d’Union » relève d’un geste rituel, d’une mise en relation active par l’union des mains de tous les participants d’une Loge, contrairement à la corde à nœuds avec laquelle elle est souvent confondue et qui, elle, est une représentation statique.

    N.B. : Irène Mainguy est bibliothécaire-documentaliste, diplômée d'État, responsable de la Bibliothèque maçonnique du Grand Orient de France à Paris.

    Elle est vice-présidente de la Société Française d'Études et de Recherches sur l'Écossisme (SFERE).

    La « Chaîne d’Union » courte

    La « Chaîne d’Union » dite « croisée » se forme en croisant les bras, celui de droite passant sur celui de gauche, les mains dégantées, les pieds en équerre. En d’autres termes, chaque Frère, déganté, croise son bras droit par-dessus son bras gauche. Avec sa main droite, il prend la main gauche du Frère situé côté cœur. De sa main gauche, il tient la main droite du Frère placé à sa droite. Ainsi, tous les membres de l’Atelier se tiennent par la main, avant-bras droit par-dessus l’avant-bras gauche. Généralement, le Vénérable ne croise pas les bras. Il donne les mains sans les croiser.

    Toutes les conditions sont alors réunies intentionnellement pour que circule, entre les participants, comme un véritable courant magnétique, régulateur d’énergie. Les mains doivent être dégantées pour optimiser le contact et éliminer les isolants de toute nature pouvant gêner la qualité de cette précieuse communion.

    J’ajouterais que, pour moi, idéalement, il conviendrait en plus de se prendre réciproquement le pouls afin de favoriser au maximum la circulation du flux d’énergie.

    Cette chaîne est la matérialisation de la solidarité, de la fraternité qui lie les Maçons. Quand la Loge œuvre bien, quand le Vénérable a su bâtir l’unité dans son Atelier, il y a « un courant qui passe ». Il se crée un phénomène dont chaque maillon est à la fois émetteur et récepteur.

    Avant de former la « Chaîne d’Union », certains Vénérables Maîtres donnent un thème, souvent une idée maçonnique, sur lequel les Frères concentrent leur esprit.

    La « Chaîne d’Union » longue

    Selon Christian Guigue, il est aussi possible d’envisager une « Chaîne d’Union » « longue ». Dans ce cas, elle se fait bras écartés, les mains se tenant simplement.

    N.B. : Christian Guigue est Franc-maçon, historien et éditeur à Mons-en-Barœul (France)

    A ce stade de mon exposé, quelques remarques s’imposent :

    • La « Chaîne d’Union » est vécue par tous les membres présents, sans distinction de grade.

    • J’observe que la « Chaîne d’Union » est formée facultativement avant la Clôture des Travaux dans nombre de Loges de notre Obédience mais obligatoirement pour l’incorporation d’un nouvel Apprenti à la Loge.

    • Il ne me semble pas qu’il existe une règle précise quant à l’obligation de la former à l’issue des Travaux. Je remarque cependant qu’au Rite Ecossais Rectifié, elle est toujours pratiquée en fin de Tenue et qu’elle est l’occasion pour le Vénérable Maitre d’y réciter la prière de Clôture.

    • Remarquons que la Maçonnerie anglo-saxonne ne pratique pas la « Chaîne d’Union » et qu’elle ferme les Travaux par des chants.

    Approche du symbolisme de la Chaîne d’Union

    Pour Irène Mainguy, la « Chaîne d’Union » remplit auprès de chaque Maçon le double rôle de bouclier protecteur et d’appareil émetteur / récepteur d’influences bénéfiques. Cette chaîne unit les Francs-maçons en dehors de l’espace et du temps. Le monde des apparences tient les êtres physiquement prisonniers, mais les esprits sont libres au-delà des murs du temple, des frontières et des mers. Les mains jointes dans une « Chaîne d’Union » établissent la pérennité de la fraternité qui devrait régner de façon permanente et profonde entre tous sur la terre.

    Le mot « chaîne » exprime aussi une notion de transmission. En faisant le geste de se réunir dans la « Chaîne d’Union », chaque Maçon incarne l’idée de transmission qui symbolise la vie et l’énergie créatrice. Cette chaîne formée de personnes de bonne volonté représente une communauté de cœur et de pensée. Tous les Maçons du monde forment une seule et même famille dans le temps et dans l’espace.

    Dans le mot « chaîne » se perçoit aussi une notion de lien indissoluble comme celui qui unit chaque Maçon par un serment prêté reliant chacun dans une chaîne d’union fraternelle sur toute la surface du globe. La chaîne est formée de maillons animés par une soif de Vérité et de Lumière.

    Cette chaîne apparaît essentiellement comme le symbole d’une solidarité humaine, mieux encore comme celle d’une réconciliation universelle. Il s’agit en quelque sorte d’une intégration de tout être dans la société humaine idéale et l’intégration consciente à un univers dont chacun est un maillon actif. La « Chaîne d’Union » se forme par une boucle complète fermée en cercle.

    Pour notre bien aimé Frère Guy Boisdenghien, la main droite, active, émet et transmet le fluide magnétique à la main gauche passive. La droite est considérée comme emblème d’avenir tandis que la gauche représente le passé sur lequel l’homme n’a plus d’emprise.

    Dans la « Chaîne d’Union » maçonnique, on aime à considérer que la main droite est émettrice, qu’elle transmet à la main gauche, qualifiée alors de réceptive, l’énergie reçue et transmise par le Vénérable Maître. Voilà pourquoi il convient de bien respecter les dispositions précises de ce rite, la manière correcte d’effectuer la chaîne. Ce n’est que dans ces conditions que l’énergie peut se propager auprès de chaque maillon, chargeant chaque participant d’un potentiel collectif, celui de tous les éléments confondus de cette chaîne.

    Cette conception n’est pas exhaustive. Guillaume de Saint Thierry, commentant le Cantique des Cantiques, y exprime que la Droite est la marque de la sagacité et de la raison qui s’exercent dans l’effort. La Gauche, amie du repos, désigne la vie contemplative et la sagesse se réalisant dans la paix et le silence.

    N. B. : Natif de Liège, Guillaume de Saint Thierry poursuivit ses études à Laon très probablement, avant de devenir moine à Saint-Nicaise de Reims. Il fut ensuite abbé de Saint-Thierry, près de Reims, de 1119-1120 à 1135. Homme d'action, il se dépensa pour le bien de son abbaye et pour le succès du renouveau monastique ; il fut surtout un penseur qui a écrit ses premières œuvres, florilèges et traités, durant son abbatiat. Retiré finalement chez les Cisterciens de Signy, il y termina sa carrière littéraire, polémique et mystique que la mort vint interrompre le 8 septembre 1148.

    Pour notre bien aimé Frère Guy Boisdenghien, le côté gauche conditionne la vie elle-même car elle est le siège du cœur.

    Beaucoup considèrent que la « Chaîne d’Union » ne peut pas être limitée à la présence physique des seuls participants, estimant que sa force relève aussi de celle de tous les Initiés qui les ont précédés et qui sont passés dans l’invisible. La Chaîne d’Union inclut symboliquement dans sa mémoire tous les membres de la Loge et par extension de l’Ordre, depuis sa fondation !

    L’idéal symbolique voudrait que, dans ce geste, le rythme de chacun des participants se mette à l’unisson, dans un souffle commun, rappelant le Verbe de l’Origine.

    Pour notre bien aimé Frère Guy Boisdenghien, qui, comme vous le savez sans doute, a exercé des responsabilités au sein du Grand Prieuré de Belgique,  la Chaîne d’Union, composée d’une suite d’anneaux engagés les uns dans les autres, est l’emblème de l’action commune. En Franc-maçonnerie, elle prend la forme théorique du cercle – qui symbolise le Ciel – et les mains entrelacées font passer de Frère en Frère l’influx conjugué de la Loge.

    Pas en usage au Rite Français et facultative au Rite moderne belge, sauf lors des cérémonies solennelles de Réception, de Passage ou d'Élévation, la Chaîne d’Union termine par contre toute Tenue du Rite Écossais Rectifié. Elle prend particulièrement toute sa valeur lorsque l’Atelier vient de s’enrichir d’un nouveau Frère. Elle se met en place autour du Tableau de Loge où les Frères s’assemblent en croisant les bras.

    Pour Christian Guigue, le rite de la « Chaîne d’Union » s’effectue autour du point central de la Loge qui, situé au milieu du Pavé mosaïque, au milieu du Tableau de la Loge, figure l’axis mundi ou Centre du Monde.

    Avatar de l’arbre de vie ou arbre cosmique, il permet l’accès aux trois zones cosmiques correspondant aux mondes de la réalité, de la vie sans limite et de la sacralité. Lieu privilégié de l’ascension collective, cet ombilic devient l’athanor où s’opèrent la transcendance et la libération. Car l’esprit n’a pas vocation à se trouver prisonnier du corps, de la chair, de ce monde de la matière. Il est lumière, énergie, vie. Il a le désir de réintégrer son univers mais pour cela il lui faut parvenir à abandonner cette enveloppe corporelle : c’est ce qui s’opère par la fusion, cette forme de l’extase collective, au moyen des rites dits d’envol, ou d’ascension, qui prouvent la réalité du dépassement de la condition humaine par le « céleste » ou la spiritualité la plus épurée, d’où la nécessité de l’invocation au G.A.D.L.U. faite en préambule et en ce milieu.

    Dans ce geste rituel, la transmission s’opère parce que à chaque niveau on est trois : chacun, à tour de rôle, devient un centre qui prend vie par la grâce du pôle énergétique représenté et constitué par le Frère qui se trouve à la droite comme par celui qui se situe sur la gauche. Mais ceci ne dure que la brièveté d’un éclair car nous nous fondons tous pour ne faire qu’un.

    Les participants sont simultanément conscients d’une situation limitée où les identités sont séparées et d’une prééminence extatique divine où les identités sont similaires.

    Pour parvenir à cet état, nous quittons nos gants, forme symbolique du dénuement pour s’oublier à soi, quitter la chair, et former le cercle en nous tenant par les mains nues. Nos doigts se serrent, nos êtres se fondent. Ce contact énergétique crée une sorte de fluide qui se répand dans la chaîne et s’élève.

    Ce courant réchauffe, réconforte, apaise à l’instar des mains magiques qui bénissent, baptisent et guérissent. Ce fluide qui circule et nous aspire vers le haut est Amour. Or cet Amour, cette immense compassion, qui vibre universellement en chacun de nous, nous relie à tous nos Frères répandus sur la surface de la terre comme là-haut avec ceux qui ont gagné l’Orient éternel. Il se densifie par cette fusion rituelle et collective mais il brûle toujours en nous, comme une petite particule aimantée qui croît en énergie chaque jour davantage pour se laisser attirer naturellement vers la Lumière, car, bien que nous n’ayons guère conscience, nous n’aspirons qu’à une chose : la victoire sur la mort et sur la matière ; nous n’aspirons qu’à passer du microcosme vers le macrocosme, de l’animalité humaine à la déité. C’est par la lumière que se manifeste la vie. Sans ce centre tout devient chaos.

    Pour Christian Guigue, la « Chaîne d’Union » est une communion spirituelle collective réalisée par les Frères présents, liés physiquement et immatériellement par l’âme et le cœur des uns et des autres. C’est cette conjonction particulière que l’on nomme égrégore. Elle provoque l’ébranlement vibratoire d’une énergie « spiritueuse » par la réalisation du triple cercle symbolique, par la chaîne constituée aux trois niveaux et plans particuliers.

    Tentons d'expliquer ce point de vue !

    Les pieds se touchant les uns les autres réalisent le premier niveau de contact, celui de la communauté de l’incorporisation de l’esprit dans la chair, de l’identité de quête vers la lumière à travers le parcours terrestre, comme celui du même devoir d’accomplissement personnel.

    Les mains nues se tenant les unes aux autres constituent le deuxième cercle, celui du renoncement, de la libération des contraintes, de l’affranchissement des contraires : c’est l’éveil de l’esprit.

    Cet acte évoque l’ouverture vers les hommes et le monde. Il indique la générosité, le don sans contrepartie, les actes à accomplir sans que nous recherchions le moindre fruit ou quelque bénéfice matériel que ce soit, ni même la satisfaction d’une récompense morale toujours apte à célébrer une vanité ou un orgueil trop prompts à s’éveiller. Les mains jointes expriment notre solidarité, notre identité car, tous, nous sommes créés sur la même image : celle du Créateur. Le cercle du renoncement apparaît au plan initiatique comme étant le plus difficile à réaliser et franchir, car il faut parvenir auparavant à se libérer mentalement de l’activité intellectuelle inhérente à notre système de valeur occidental établi sur l’avoir et l’être extérieur, et des diverses contraintes sociales.

    Il ne s’agit pas ici d’une liberté physique, mais de la prise de conscience de la présence vivifiante de ce feu intérieur qui se trouve refoulé, ignoré ou rejeté, et de la nécessité qu’il y a de se mettre en retrait du monde pour parvenir à l’exalter souverainement et amorcer le processus de la Quête qui commence alors.

    Vient ensuite le troisième contact de la Chaîne d’Union: celui des esprits ou des âmes, de la puissance spirituelle, de la lumière du monde sensible, qui constitue une force particulière d’action fluidique. Ici, l’avis de Christian Guigue rejoint le point de vue d’Irène Mainguy : à la fois créatrice et réceptive, la « Chaîne d’Union » remplit auprès du Franc-maçon le double rôle de bouclier protecteur et d’appareil récepteur d’influences bénéfiques. De tous les gestes, de tous les rites, la « Chaîne d’Union » est peut-être le plus important, au point de vue occulte comme au point de vue symbolique.

    La « Chaîne d’Union » prend une force considérable si le Vénérable Maître signale à tous les maillons un but commun, ce vers quoi chacun doit diriger sa pensée. Pour quelle raison forme-t-on la Chaîne ? Le Vénérable Maître peut la destiner à un Frère dans la souffrance ou dans la détresse, à un nouvel Initié, à un Frère passé à l’Orient Éternel. Il peut aussi inviter tous les Frères participants à prendre conscience d’un évènement important pour la Loge, tel celui que nous avons vécu le soir de notre première Tenue ici-même dans ce temple.

    Chaque Frère de la Chaîne reprend mentalement le ou les mots prononcés par le Vénérable Maître en les répétant intérieurement. Tout Frère peut aussi faire le vide en lui pour devenir « neutre », laisser passer le fluide sans l’affaiblir, pour ne pas réduire à néant la chaîne ainsi formée.

    Lorsque le Vénérable Maître joint une intention particulière à son invocation, celle-ci revêt une forme solennelle qui, au mieux, peut demeurer dans les pensées, imprégnée dans chacun au-delà même de l’enceinte du temple.

    Tous les chaînons sont égaux : le Vénérable comme l’Apprenti, l’intellectuel comme le manuel. Tous sont au même diapason en une présence indispensable à la solidité de la chaîne, responsables individuellement de sa continuité.

    Par la constitution de la « Chaîne d’Union », la puissance magnétique se diffuse au-delà de chaque participant puisque la Loge, c’est-à-dire l’ensemble des Frères, ne forme plus qu’un. Tous les enseignements de la Tenue se synthétisent dans la « Chaîne d’Union » établie justement autour du Tableau de Loge. Elle est un cercle considéré en son absolu, manifestation de l’Univers.

    Au Rite Écossais Rectifié, la force magnétique ainsi créée a un but précisé par le Vénérable Maître dans la prière de clôture qu’il récite précisément pendant la Chaîne d’Union : « … et que la Chaîne d’une amitié parfaite et fraternelle soit désormais si forte entre nous que rien ne puisse jamais l’altérer ».

    L’invocation constitue « l’ouverture » de la chaîne. La « clôture » s’opère en la rompant, après trois balancements verticaux des bras et en pressant fortement les mains avant de les lâcher.

    Dans certaines Loges, le Vénérable Maître prend parfois l’initiative de dire : « Rompons la Chaîne d’Union en trois temps, mes Frères, mais que celle de nos cœurs ne se brise jamais ! ».

    Même si elle se tient à la fin de nos Tenues, ne pourrions-nous pas considérer que la « Chaîne d'Union » occupe une place centrale dans le Travail maçonnique ? C’est le point de vue de Jacques Tornay, membre de la Respectable Loge « ALPINA » que je vais à présent vous exposer brièvement.

    La Chaîne d'Union : une place centrale dans le Travail maçonnique

    Le premier élément à considérer au sujet de la « Chaîne d’Union », c’est le cercle, le cercle d'alliance et son riche symbolisme avec ses points de convergence, ses repères et ses références obligatoires liés à la Tradition. Parmi ses propriétés à caractère universel, on note l'homogénéité, l'absence de division – donc l’unité – et une aspiration commune dirigée vers la perfection de soi et de toute chose.

    Les participants tendent à ne former qu’un seul corps, une force unique dans laquelle convergent les énergies de la terre et du ciel. Le temple convient particulièrement à cette opération puisqu'il a été bâti en fonction de lois cosmiques connues et qu’il reflète concrètement en son sommet un univers sans exclusive.

    Ce que nous faisons à ce moment précis de la Tenue, où nous sommes liés physiquement l’un à l’autre par la chaleur de nos mains, est désigné par la voûte immensément céleste au-dessus de nos têtes, espace démesuré que l’on imagine peuplé d’astres différents de par leur nature, leur composition, leurs fonctions et leur mouvement perpétuel. Les uns sont le miroir des autres.

    L’identification est possible grâce à cette projection hors de soi vers l’illimité. La division entre le haut et le bas s’abolit d’elle-même et l’individu regagne pour un instant sa pleine intégrité.

    Il est relativement facile de s’abîmer dans l’infini ; il l’est moins de se pencher sur son Frère avec la sollicitude que nous lui devons. Sur ce plan très tactile de la chaîne, les divisions n’existent pas non plus car nous voici réunis, solidaires, en nos grades et qualités, chacun nanti de son parcours de vie aussi différent qu’une étoile l’est de sa voisine. Doigts et paumes apportent et transmettent une confiance qui anime le cercle.

    Ainsi, au terme d’une Tenue qui nous a demandé un effort d’attention, voilà que la « Chaîne d’Union » exige de chacun un effort encore plus grand, un recueillement actif et une réflexion d’autant plus profonde qu’elle sera de courte durée ! Et nous nous en souvenons longtemps après la sortie du temple. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que si la « Chaîne d’Union » s’enracine dans le carré long de nos rencontres et nous concerne en premier lieu, elle doit aller plus loin et englober l’humanité, où trop d’êtres anonymes et inconnus ont besoin de fraternité, ne serait-ce qu’en pensée. Mais, pour cela nous devons absolument croire au pouvoir des ondes bienfaisantes.

    Pour conclure, du moins, provisoirement…

    Permettez-moi à présent de conclure, du moins, encore une fois, provisoirement ! Lorsque le Récipiendaire apprend qu’il vient d’être admis dans la Franc-maçonnerie, il est invité à entrer dans la « Chaîne d’Union ». C’est sans doute bien plus qu’un simple signe que le nouveau Frère découvre intuitivement dans cette cérémonie rituelle : il reçoit la révélation d’un message de fraternité universelle transmis par ses Frères.

    La fraternité implique les notions de partage, de loyauté, de fidélité et d’amour entre les êtres humains, entre les membres d’une société en particulier la nôtre. La fraternité n’est pas forcément innée mais la structure de la Loge maçonnique est favorable à l’épanouissement fraternel et, par conséquent, propice aux développements de qualités telles que la charité, l’indulgence, l’humilité, la fidélité, la tolérance.

    Le Frère Apprenti, cherchant et travailleur, parviendra à assimiler, à perfectionner ces valeurs en faisant preuve d’abnégation, en abandonnant ses convictions pour se mettre entièrement à l’écoute de l’autre et se remettre constamment en question, pour progresser lui-même et ensuite pour le rayonnement de sa Loge et de la Franc-maçonnerie.

    Par ce geste rituel que constitue la « Chaîne d’Union », la Franc-maçonnerie nous permet de créer l’unification de l’énergie des Frères. En effet, si lors d’une Tenue, une énergie, une atmosphère se dégage déjà par l’orientation du Temple et la disposition des Frères selon leur fonction, cette atmosphère s’accentuera lors la « Chaîne d’Union » où tous les Frères se donnent la main en formant idéalement un cercle, symbole d’unité.

    Il se dégage alors une puissante énergie. Les Frères transmettent leur énergie un peu comme en physique les particules dans un accélérateur. De même, chaque Frère apporte sa propre énergie en même temps qu’il reçoit celle de ses Frères.

    La « Chaîne d’Union » est le moyen charnel de nous rassembler. Elle symbolise notre unité. Réservée à quelques êtres qui ont traversé des épreuves rituelles pour en arriver là, la « Chaîne d’Union » corporifie un instant de cohérence, celui de la fraternité de la Loge vibrant à l’unisson de celle du ciel.

    La « Chaîne d’Union » est pour moi ce lien mystique puissant qui nous permet instantanément d’aimer de parfaits étrangers. Car c’est à ce moment-là où véritablement nous nous sentons davantage Frères, que passe une onde indéfinissable que beaucoup appellent l’égrégore. Puisse cette chaîne s’allonger à l’infini !

    Que nos cœurs se rapprochent en même temps que nos mains ! Que l’amour fraternel unisse tous les anneaux de cette chaîne que nous formons librement. Comprenons la grandeur et la beauté de ce symbole. Inspirons-nous de son sens profond. Cette chaîne nous lie dans le temps comme dans l’espace : elle nous vient du passé et tend vers l’avenir. Par elle, nous sommes rattachés à la lignée de nos Frères passés à l’Orient Éternel, nos Maîtres qui la formaient hier. Par elle, doivent s’unir les Francs-maçons de tous les rites et de tous les pays. Enrichissons-la de nombreux et solides anneaux et, élevant nos esprits vers l’idéal de notre Ordre, efforçons-nous de rapprocher tous les hommes par la fraternité.

    R:. F:. A. B.

     

    Bibliographie

    Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie

    Editions De Vecchi, Paris, 1995

    Berteaux Raoul - La symbolique au grade d'Apprenti

    Editions Edimaf, 1986

    Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie

    Sentiers de la Tradition - Editions L’Etoile, Bruxelles, 1999

    Boucher Jules - La symbolique maçonnique

    Editions Dervy, Paris, 1995

    Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie

    Editions Dervy, Paris, 1994

    Guigue Christian - La formation maçonnique

    Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1996

    Guigue Christian - Les Planches de l’Apprenti

    Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1996

    Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire

    Editions Dervy, Paris, 2001

    Nefontaine Luc - Symboles et symbolisme dans la Franc-maçonnerie, Tome 2

    Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1997

    Onofrio Jean - La Chaîne d’Union

    La Maison de Vie, Fuveau, 2006

    Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le Travail en Loge d'Apprentis

    Dervy-Livres, Paris, 1988

    Spaeth Marcel - Le symbolisme de la Chaîne d’Union

    Editions Detrad, Paris, 1998

    Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes

    Tome I « L'Apprenti » - Editions Dervy,  Paris, 1994

     


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