• * La Colonne d'harmonie

    * La Colonne d'harmonie

     Le Frère Maître de la Colonne d'Harmonie 

    Introduction

    La préparation de l’illustration musicale de chaque Tenue demande un temps certain et des choix personnels : il faut tracer un plan de travail en fonction de l’ordre du jour de la Tenue (qui est communiqué via la convocation), choisir un ou plusieurs compositeurs et écouter des œuvres musicales adaptées aux rituels selon ses critères personnels mais aussi en respectant certains principes.

    Au cours de la Tenue, il est très difficile de vivre le rituel comme si on était un Frère sur sa Colonne car la tâche relève d’actions très profanes : lire et suivre un plan de travail indispensable, manipuler un lecteur de CD's, une table de mixage, un amplificateur et des interrupteurs pour le réglage des lumières.

    Interrogeons-nous donc sur cette appellation « Colonne d’harmonie », voyons quelles sont ses origines et son évolution au fil du temps. Envisageons ensuite quelques principes relatifs à la charge.

    L’homme et la musique

    Partout et de tout temps, l'homme a accompagné de musique toutes ses activités qui sortent de l'ordinaire, de la banalité du quotidien, que ce soient les diverses fêtes de familles (rituelles ou pas) ou plus sociales comme les festivités (religieuses ou profanes) autour des saisons, des anniversaires, des commémorations etc.

    Les humains de toutes civilisations ont reconnu à la musique ses facultés incantatoires, de rassemblement, de mise en condition, de transcendance.
    Après les rythmes des percussions des origines, les chants sont venus ajouter la dimension humaine, l'harmonie au chaos du début.

    Avec l'amélioration des instruments de musique, on a ensuite assisté au développement d'une expression mélodique plus accentuée, plus élaborée, capable de faire écho aux sentiments les plus complexes et de les souligner. On pourrait dire qu'alors la musique devient supérieure à la parole et s'oppose, d'une manière positive, au côté rigide et pragmatique du langage. Même si, bien entendu, la dimension symbolique des mots reste un élément essentiel de réflexion.
    Seul l'Art, trait d'union vers l'Universalité, et surtout la musique, peut suggérer l'inexprimable et enrichir la perception du Sacré. Les diverses religions l'ont bien compris.

    La Franc-maçonnerie et la musique

    La Franc-maçonnerie ne pouvait se passer de cet élément fédérateur essentiel qu'est la musique. Dès les premières années du 18ème siècle, des orchestres – avec parfois des chanteurs – étaient présents dans les Loges et accompagnaient avec profit les rituels.

    Dans son livre « La Colonne d'Harmonie - histoire, théorie et pratique » Philippe Autexier écrit : « La musique est, elle-même, une « Maçonnerie » ; les éléments qui la composent ne sont pas des sons (des pierres brutes), mais des notes (des pierres taillées), mesurées dans leur hauteur (ce que l'on appelle la note proprement dite) dans leur longueur – ou leur durée – et dans leur densité (l'intensité de la note). Les trois paramètres qui régissent la taille de la pierre régissent aussi celle du son :

    • la FORCE réside dans la densité (l'intensité du son : forte ou piano par exemple)
    • la SAGESSE dans la longueur (la durée de la note)
    • la BEAUTÉ dans la hauteur (la note elle-même) »

    Comme le Franc-maçon au sein de la société, chaque note a sa place, son rôle dans la partition. Une place unique et fondamentale, comme la pierre taillée est indispensable à l'édifice que construit le Maçon. La musique, en Loge, n'a de sens que dans le vécu et le partage.

    Toutes ces qualités fédératrices de la musique sont à utiliser lors de la création d'une colonne d'Harmonie. Celle-ci ajoute une dimension supplémentaire aux passages du rituel les plus significatifs.

    Définition et fonction de la « Colonne d’Harmonie

    Définition

    L’expression « Colonne d’Harmonie » est le nom donné au 18ème siècle aux formations musicales qui jouaient les musiques nécessaires aux diverses phases des cérémonies d’admission ou de passage à un degré supérieur.

    La « Colonne d’Harmonie » s’est vue remplacée de nos jours par les chaînes stéréophoniques.

    En matière de Colonne d’Harmonie beaucoup d’idées et de conceptions ont circulé. Le problème, c’est qu’elles reposent pour la plupart sur des bases empiriques. Chacun peut donc lancer des affirmations chargées de subjectivité sans qu’il soit possible de trancher quant à leur bien fondé.

    L'expression s'applique originellement à un ensemble instrumental maçonnique composé de deux clarinettes, deux bassons, deux cors et un timbalier. Cette formation initiale, empruntée à la musique militaire, a subi quelques modifications et ajouts, en fonction du recrutement musical des Loges ou des progrès de la facture instrumentale. L'orgue, les flûtes traversières les cordes, la harpe ou les trompettes par exemple, ont également été entendus dans les temples.

    L’expression « Colonne d'Harmonie » a vite désigné tout ensemble instrumental ou vocal agrémentant les Travaux de Loges.

    Dans les comptes-rendus des cérémonies, le terme adopté est «harmonie» : «l'harmonie se fit entendre», «aux sons de l'harmonie» et, sous cette appellation générique, les Maçons ont pu aussi comprendre des artistes non initiés, parents de Maçons, ou sympathisants.

    La Colonne d'Harmonie pourrait se définir ainsi : « La Colonne d'Harmonie est constituée de l'ensemble de la musique diffusée au cours des Tenues ; elle doit s'inscrire harmonieusement dans les rituels ».

    Pour Irène Mainguy, « l’utilisation de la Colonne d’Harmonie devrait ouvrir l’accès à la communion avec l’harmonie des sphères, si on s’en réfère à l’expression pythagoricienne. Ceci signifie que l’usage de la musique en Loge demande au Frère Maître de la Colonne d’Harmonie une connaissance approfondie du répertoire maçonnique ainsi qu’une bonne compréhension du rituel ».

    Quelle est sa fonction ?

    • Elle doit d'abord fédérer, unifier, créer une sorte de communion, transcender et participer à la création d'un égrégore positif dont chacun bénéficiera.
      Elle ajoute une dimension, parallèlement au rituel, qui n'est pas du domaine de la raison mais de l'émotion.
    • La Colonne d'Harmonie ne remplit pas les « vides » mais, au contraire, elle contribue à créer une nouvelle perspective, un nouveau regard sur l'Instant vécu collectivement et individuellement.
    • Il s'agit d'une planche à part entière, avec un début, une fin, un développement, un sens ... en cela, elle est partie prenante de la Transmission qui est une des missions essentielles de la Franc-maçonnerie.
    • La Colonne d'Harmonie est le complément idéal des rituels (s'il n'y a pas de musique, le manque est perceptible). Les anciens l'avaient bien compris puisque, à défaut des moyens modernes de reproduction sonore, ils avaient – quand les moyens financiers étaient suffisants – de véritables musiciens ou des chanteurs en Loge.

    La Colonne d’Harmonie ponctue le rythme. La musique est l’art d’harmoniser les sons. Ceux-ci, ajustés dans leur hauteur, leur longueur et leur intensité, deviennent des notes. La musique est l’organisation cohérente du son, de plusieurs sons simultanés ou consécutifs. Répétons-le : la beauté du son est dans sa hauteur, sa force dans sa densité et sa sagesse dans sa longueur.

    La Colonne d’Harmonie doit accompagner le rituel et le servir de manière adaptée à ses besoins en restant en parfaite adéquation avec lui, d’où la difficulté de la tâche impartie à celui qui en a la responsabilité.

    La Colonne d'Harmonie : symbole ou « accessoire » maçonnique ?

    Les historiens de l’Ordre maçonnique s’accordent généralement à dire que la Franc-maçonnerie spéculative utilise une symbolique et une méthodologie de Travail fondée analogiquement sur celle des Compagnons Tailleurs de Pierre. C’est donc sans surprise que le grade central des Ateliers Bleus est celui de Compagnon et que la méthode progressive qu’il emploie est celle de la transmission du « savoir et du savoir-dire » représentée par les Sept Arts Libéraux (rappelés dans la cérémonie de Passage au grade de Compagnon au R.E.A.A.), pour qu’un jour le Franc-maçon puisse « savoir-faire ».

    Classée usuellement comme sixième Art libéral, la musique propose, avec l’arithmétique et la géométrie, « l’équilibre physique des choses ». Depuis l’antiquité, en effet, la musique est reconnue indispensable pour la formation et l’épanouissement individuel de l’homme dans l’acceptation de soi et de l’autre. Elle est ainsi utilisée d’une manière pédagogique pour développer l’esprit du travail de groupe, notamment par le chant choral et par la musique d’ensemble.

    L’apprentissage d’un métier, ou mieux, la « transmission » d’un « Art » sont indissociablement liés à la connaissance de soi et à l’émancipation de l’individu.

    La Franc-maçonnerie spéculative a trouvé bon de réduire l’activité musicale à une symbolique théorique et, quand pratique il y a, elle reste facultative. Y a-t-il sens et nécessité, d’une part à écouter, d’autre part à faire de la musique dans nos Loges, l’un et l’autre considérés comme gestes conscients et actes culturels majeurs ?

    Contrairement à une idée largement répandue, le chant choral ou solo, avec accompagnement ou a cappella semble « l’épicentre » de la « construction » de la Colonne d’Harmonie.

    Cette approche paraît naturelle car la voix humaine est l’instrument musical par excellence, celui à partir duquel tous les autres instruments se construisent et se développent.

    Considérer la Colonne d’Harmonie selon un profil purement technique et statique fondé sur les moyens techniques ou la diversité des Frères musiciens dont disposeraient les Ateliers, paraît une démarche arbitraire. N’y a-t-il pas là un oubli de la raison d’être de cette même Colonne : le symbole de la musique et son rôle, sa pratique en Franc-maçonnerie ?

    De plus, est-il possible de ne faire qu’un usage et de ne donner qu’un sens au mot «harmonie» de la Colonne d’Harmonie ? Tel un Compas, la musique trace et mesure ; elle ouvre le cœur et marque l’action du Franc-maçon, qu’elle soit faite par une voix solo, « a cappella », par un ensemble de Frères ou entonnée par la Loge toute entière.

    La symbolique musicale est fondée, comme la plupart de nos symboles, sur la transmission. Celle-ci plonge l’Ouvrier dans des temps immémoriaux et varie naturellement selon les moyens logistiques et aujourd'hui techniques des Loges. La valeur intrinsèque de cette transmission est ou doit être pour nous à l’origine du besoin de faire et de faire entendre de la musique en Loge. Les louanges, les textes maçonniques historiques traitant de la symbolique musicale ainsi que les paroles utilisées par les chansonniers de toute époque soulignent l’importance de cette perspective.

    C’est sans surprise que nous trouvons, dès les premières approches de la musique au 18ème siècle, les syncrétismes propres aux symboles maçonniques, qu’ils viennent des écoles de pensée, des approches académiques, des courants spiritualistes etc.

    Soulignons que le terme d’harmonie, fondement central de la musique, symbole de concorde entre les hommes, désignait depuis le 18ème siècle les ensembles de musique constitués d’instruments à vent (bois et cuivres). Mais ces ensembles, d’usage courant dans certaines Loges, n’étaient ni une exclusive ni une « règle » musicale. Nous trouvons souvent des interventions d’orgue, des cordes et des voix solistes, duos, etc. et bien évidemment le chœur, traité à l’unisson ou pas.

    Progressivement et naturellement, toute pratique musicale, et pour cause, va être englobée dans la nomenclature « Colonne d’Harmonie » qui, aujourd’hui, est constituée, la plupart du temps, par une chaîne hi-fi.

    Il me semble qu’en Franc-maçonnerie spéculative il ne faut pas confondre technicité et symbolique.

    Certes, nous ne pouvons pas analyser l’histoire de l’Ordre par les symboles, comme l’ont fait certaines branches mystiques et par mode d’autres affabulateurs jusqu'à la moitié du 20ème siècle, certains effets néfastes perdurant jusqu'à aujourd'hui. Mais quand on parle de la pratique des Travaux maçonniques à partir de 1717, il faut tenir compte de leur évolution et de leur mutation, et il ne semble pas y avoir de justification historique valable pour considérer qu’une chaîne hi-fi puisse être considérée comme Colonne d’Harmonie et pas le chant. Bien au contraire. L’idée que, le moment « d’un chant », toute la Loge se « transforme » en une seule Colonne d’Harmonie, suffit pour valider sa symbolique.

    Un peu d’histoire

    La Franc-maçonnerie spéculative a toujours entretenu un rapport intime avec la musique et cela depuis sa naissance au 18ème siècle. Est-ce le concours de mécènes, souvent Maçons, qui a joué un rôle particulièrement important dans la création et le fonctionnement des « Sociétés de Concert », véritable innovation sociale ? Est-ce le besoin « d’extériorisation » qui a poussé la Franc-maçonnerie à utiliser la musique pour souligner et mettre en œuvre son aspiration égalitaire en élargissant l’accès du public à la musique savante dans des conditions dignes ?

    N’oublions pas que cette nouvelle pratique a pris forme dans les dernières années de l’Ancien Régime. Au 18ème siècle, le résultat social le plus palpable tiré de cette action est la mise en œuvre de l’indépendance progressive des musiciens du joug de la cour et l’opportunité donnée aux compositeurs d’avoir des commandes musicales libres d’entraves comme l’effroyable « convenance » de suivre la mode et le goût imposés par les courtisans. Sans oublier les rarissimes occasions qu’avaient les compositeurs de réentendre certaines de leurs œuvres.

    Les concerts organisés par ces Sociétés avaient également souvent un caractère de bienfaisance, ce qui permettait aux organisateurs de destiner les recettes à des œuvres philanthropiques, aux Frères nécessiteux ou à des orphelinats.

    Parmi les plus connues de ces « Sociétés de Concert » au 18ème siècle, ayant une nature presque ou complètement paramaçonnique, nous trouvons : le « Philo-musicae » et « Architecturae Societas Apolloni », le Concert Spirituel, le Concert des Amateurs et la Société Olympique, émanation directe de la Loge « L'Olympique de la Parfaite Estime » qui a été le commanditaire des six symphonies n° 82 à 87 dites «les symphonies parisiennes» écrites par notre Frère Joseph Haydn et créées en 1787.

    L’effectif instrumental de base était celui d’une formation orchestrale « classique » du 18ème siècle (cordes, bois, cuivres et timbales). Dans les Loges, la musique était plutôt assurée par des ensembles à « géométrie variable » comme « l’harmonie » (instruments à vent – bois et/ou cuivres), l’orgue avec ou sans soliste, des chœurs et d’autres possibilités qui englobaient aussi des instruments à cordes etc.

    Dans le monde profane, la révolution de 1789 va clôturer le siècle des Lumières et annoncer l’aube du 19ème siècle. Après les événements révolutionnaires, les Travaux ainsi que les activités musicales des Loges reprendront avec force et vigueur.

    Au cours de la première moitié du 19ème siècle, ces « Sociétés de Concerts » prennent la forme de véritables « collèges musicaux ». Parallèlement, les Obédiences ont créé des structures similaires pour leurs cérémonies et c’est ainsi que, vers la moitié du 19ème  siècle, les activités musicales dans les Loges sont à leur apogée. C’est en France, aux environs de 1840, que nous voyons apparaître pour la première l’appellation si bien choisie de « Colonne d’Harmonie ».

    Jusqu'alors on appelait les ensembles instrumentaux des Loges « l’harmonie » (surtout pour les vents – bois et cuivres), les « Frères d’harmonie », les « collèges musicaux » mais aussi tout simplement les « musiciens ».

    Cette nouvelle nomenclature, non seulement éclaircit le rôle de la musique au sein des Ateliers, mais s'insère également de façon remarquable dans les idéaux maçonniques. Surtout, cette « apogée » coïncide avec la prise de conscience du besoin d’appliquer « l’égalité sociale » aussi bien à l’intérieur qu'à l’extérieur du Temple.

    La révolution de 1848, l’événement fondateur de la Commune de Paris de 1870, la réalité dramatique des luttes ouvrières ont imposé comme priorité absolue la conquête des libertés individuelles, ce qui servit d’impulsion à l’action directe des Frères dans le monde profane.

    Avec le recul « panoramique » de l’histoire, nous voyons que, paradoxalement, à partir de la révolution de 1848 les Colonnes d’Harmonie se font de plus en plus rares. Irène Mainguy affirme même que « la Révolution de 1848 a vu disparaître les formations musicales des loges qui avaient peu auparavant pris le nom de colonnes, rappel des autres colonnes du temple maçonnique en usage dans l’antiquité qui voulait que les listes soient inscrites sur des colonnes de pierre ».

    Cependant, même affaiblie par la raréfaction de son moyen privilégié de diffusion, la musique est encore présente dans les Loges car elle va de pair avec l’aspiration majeure de l’émancipation symbolique de l’individu vers et dans le réel.

    Mais, dans le crépuscule des « tourmentes » romantiques du 19ème la « dernière nuit » cache l’aube d'un siècle qui sera le plus effroyable qu'ait connu l’humanité. Le voile du 20ème siècle tombe et avec lui une nouvelle mythologie voit le jour, celle de l’homme machine. Le travail étant de plus en plus déshumanisé, l’artisanat est remplacé progressivement par la mécanique.

    Sans étonnement, nous voyons qu’après la paix, les arts subissent la même destinée et la musique, dans le monde profane, détournée de son but d’harmonie, d’émancipation et d’union des humains est instrumentalisée vers une unification homogène de masse à des fins productivistes et d’illusion politique et/ou économique.

    Mise en conserve par les disques au cours de la première moitié du 20ème siècle ou relayée par la radio, la musique se rend, passive, à domicile et dans les Loges. Les méfaits de la mécanisation et du rythme de vie asphyxiant de la société industrielle ne laissent pas de place à la sensibilisation des Frères quant au besoin de faire et d’entendre de la musique en Loge. L'absence de continuité dans les quelques tentatives des Obédiences, de certains Ateliers et de certains Frères interdit de relancer la réflexion sur la pratique musicale. Les Colonnes d’Harmonie vivantes y compris le chant en Loge, deviennent quasi inexistantes et leur remplacement par l’apparent confort de l'utilisation des chaînes hi-fi se traduit dans la pratique comme une simple ponctuation, voir une distraction rituelle.

    Ces facilités techniques apparentes apportées par les phonogrammes et le support numérique (CD) ont-elles contribué à banaliser la Colonne d’Harmonie au point de la déshumaniser ? Question difficile !

    Même si cette possibilité de diffusion ne peut remplacer une Colonne d’Harmonie vivante, elle présente, au moins, la possibilité de pouvoir exploiter une diversité de répertoire immense et cela sans les problèmes logistiques inhérents à cette diversité.

    Cela mériterait une réflexion approfondie sur la forme à donner aux interventions musicales en rapport avec le fond du rituel.

    Notre préoccupation est, précisément, de proposer aux futurs Frères Maîtres qui auront la charge d’animer la Colonne d’Harmonie, qu’ils soient musiciens, mélomanes ou néophytes, une base de réflexion et la possibilité de constituer un programme cohérent avec l’essence des Travaux et ses différentes variantes rituelles.

    La possibilité que donne la musique de susciter l’effort d’appropriation, puis de réelle assimilation du passé par le présent, effort que semble devoir intégrer toute évolution musicale, va de pair avec le développement de l'ensemble des connaissances humaines. Jusqu'au tout début du 20ème siècle, la musique n'a cessé d'être un récit de ses propres origines, et plus précisément un récit qui porte en soi la célébration d'une identité et d'un langage. Or notre période contemporaine nous fait mesurer le progrès ou la stagnation de ce langage, comme celui de l'intérêt que suscite la musique elle-même, comme aussi celui de l'écoute musicale.

    Du « Frère à talent » au Frère Maître de la Colonne d’Harmonie

    Pour le 18ème siècle, ils étaient les « Frères à talent », « Frères musiciens », « Frères artistes » ou « Frères de l’Harmonie ». Ils s’occupaient et/ou jouaient au sein des diverses formations musicales des Loges.

    Pour le 19ème siècle, ils sont aussi appelés « Directeur du collège musical ». Aujourd’hui, l’appellation qui semble la plus adaptée est celle de « Frère Maître de la Colonne d’Harmonie » car elle tient compte à la fois, de son rôle, de son office et de son « symbole ». Il va apporter la musique en Loge, la placer dans le rituel pour le compléter.

    Le fait d’être la seule variante rituelle acceptée en Loge souligne l’importance que peut prendre cet office s’il est pratiqué comme un acte conscient et « fonctionnel » par rapport au rite. Dans le cas contraire, il est vite réduit à une gêne ou une distraction passagère.

    Y a t-il un « office libre dans une Loge libre » ? – Oui, celui de Maître d’Harmonie. Rappelons-nous que cet office est facultatif voire complètement inexistant selon certains règlements généraux. « Sept la rendent Juste et Parfaite », et il ne fait pas partie des « Sept ». Pourquoi ? « L’Harmonie » symbolisée par la musique serait-elle juste un agrément de la pensée, comme le travail du Maître des Banquets ne servirait qu'à l'agrément du corps ? Ne rendent-il pas l’un et l’autre la Loge Unie et Humaine ? L’adjectif – Unie – complèterait le binaire, un tant soit peu aseptisé et donnerait : « Maître d’Harmonie et Maître des Juste, Parfaite et Unie ».

    Les « Frères Maîtres des Banquets », symbolisent à eux seuls la nourriture sensorielle de la pensée et la nourriture sensorielle du corps – ou d’après une « analogie » chère au 18ème siècle - « la nourriture céleste et la nourriture terrestre » ou encore « la musique des sphères et l’éveil des sens ».

    Est-ce utile en ce début du 21ème siècle de vouloir renforcer le sens artistique des membres de l’Art Royal, d'apporter dans les Ateliers le vécu, l'émancipation et l'humanité par ce symbole vivant qu'est la musique ?

    Quelques principes à respecter

    Le Maître de la Colonne d’Harmonie est chargé de préparer un programme pour chaque Tenue. Il peut être amené à soumettre son choix d'œuvres au Vénérable Maître. Autrefois, les simples Frères à talent n’étaient tenus d'assister qu'aux travaux incluant des interventions musicales.

    Dans la plupart des cas, les règlements ne prévoient que des recours occasionnels à la musique, notamment pour les fêtes de Saint-Jean ou pour les cérémonies funèbres. La réglementation touche peu au répertoire : il suffit qu'il soit « analogue à la cérémonie » et ne choque pas la morale. Des pièces profanes peuvent même être adoptées dès lors qu'elles s'inscrivent, dans l'esprit, au motif de la réunion.

    Il semble que dans la plupart des Obédiences françaises, la Colonne d’Harmonie soit le plus souvent utilisée par les Loges pour accompagner les cérémonies d’Initiation, de passage de grades, les Tenues funèbres, etc.  Dans les Loges de notre Obédience régulière, la musique est habituellement présente lors de chaque Tenue et joue aussi un rôle important de mise en condition tant lors de l’Ouverture que de la Clôture des Travaux.

    Elle ne peut qu’apporter un accompagnement approprié du rituel et non pas un divertissement. Si elle est utilisée comme bouche-trou ou moyen de meubler le silence, il est préférable de s’en passer, l’observation du silence étant plus éloquent.

    Le répertoire utilisé dans les Colonnes d‘harmonie pourrait être constitué principalement d’œuvres maçonniques de Mozart, de Haydn, de Liszt ou Sibelius. Mais la musique baroque est souvent de très bon goût également.

    Le bijou du Maître de la Colonne d’harmonie

    * La Colonne d'harmonie

    Le bijou suspendu au sautoir du Maître de la Colonne d’Harmonie représente une lyre. La lyre, inventée par Hermès ou par l’une des neuf Muses, Polymnie, est l’instrument de musique d’Apollon et d’Orphée, aux accents prestigieux, et le symbole des poètes. Plus généralement, elle est le symbole et l’instrument de l’harmonie cosmique : au son de la lyre, Amphion bâtit les murs de Thèbes.

    Dans l’iconographie chrétienne, elle évoque la participation active à l’union béatifique. Ce rôle est celui de la harpe de David.

    Les sept cordes de la lyre correspondraient aux sept planètes : elles s’accordent dans leurs vibrations, comme celles-ci dans leurs révolutions cosmiques ; quand le nombre des cordes fut élevé à douze, on voulut y voir une correspondance avec les douze signes du Zodiaque.

    Présentation d’un ouvrage : « La Colonne d’harmonie »

    Cet ouvrage de Philippe Alexandre Autexier concerne l’histoire, la théorie et la pratique de la Colonne d’Harmonie. Il est paru en septembre 1995 chez Detrad – AVS à Paris.

    On peut résumer cet ouvrage de la manière suivante : comment, de la simple trompette à l'orchestre complet, en passant par l'orgue ou la musique de chambre, les compositeurs ont épousé dans leurs œuvres les rituels de la Franc-maçonnerie. L'ouvrage présente une méthode très rigoureuse pour créer des programmes riches et bien assortis aux rituels. Ce livre est le premier travail d'ensemble sur la Colonne d'harmonie.

    De l'histoire de cette formation, il y a encore tout à découvrir, car l'abondante littérature sur la « musique maçonnique » a presque systématiquement ignoré la Colonne d'Harmonie proprement dite. On découvrira qu'elle n'a trouvé son nom que tardivement, au 19ème siècle, qu'elle a très tôt pris les visages les plus divers, de la simple trompette à l'orchestre, en passant par l'orgue ou par de petits ensembles souvent composites, comment les musiciens ont épousé dans leurs œuvres le symbolisme et les rituels de la Franc-maçonnerie, et comment ils ont agi au-delà de la porte du temple. On découvrira enfin une théorie de la musique fonctionnelle, avec ses exigences et son esthétique propres.

    L'exposé sur l'histoire et la théorie est suivi d'un véritable manuel pratique. Y sont décrits les moyens de la Colonne d'Harmonie et la méthode pour composer des programmes riches et bien assortis au rituel. Très développée, la méthode s'appuie sur de nombreux exemples – une dizaine pour la seule cérémonie de Réception – pris dans tout le répertoire qui correspond aux trois siècles que couvre l'histoire de la Colonne d'Harmonie elle-même. Elle permet d'utiliser toutes les œuvres qui ont été conçues pour les Tenues maçonniques, tel le fameux recueil de Sibelius, mais aussi de travailler sur le champ ouvert de toute l'histoire musicale, entre autres en compagnie de Bach, Mozart, Beethoven ou Brahms.

    L'auteur, souvent consulté pour des programmes de Colonne d'Harmonie, a travaillé pendant plus de vingt ans sur la question, ce qui l'a conduit en particulier à étudier toutes les grandes collections d'archives maçonniques en Europe (Paris, Strasbourg, Zurich, Vienne, Bayreuth, Berlin, La Haye, etc.). Il a déjà signé une centaine de publications sur la musique maçonnique, dont le livre « Mozart et Liszt sub Rosa » (qui a bouleversé les connaissances sur les rapports de Liszt avec les Loges) et l'édition critique de la version originale avec chœur de l'Ode funèbre maçonnique de Mozart (sous le titre de « Musique de Maîtrise »).

    Au sommaire :

    Histoire
    Théorie
    · Prémisses esthétiques
    · La fonction dans le rituel
    · Du symbole
    · L'utilisation du matériel
    · Les avantages de chaque lecteur
    · Le répertoire

    Pratique
    · L'examen d'une œuvre
    · Les implications musicales
    · Variations sur un thème
    · Autres programmes homogènes
    · Œuvres rituelles de l'après-guerre
    · Finale

     

    Bibliographie

    Autexier Philippe - La colonne d'harmonie : Histoire - Théorie - Pratique

    Editions Detrad, Paris, 1995

     

    Autexier Philippe - La Lyre maçonne

    Editions Detrad, Paris, 1997

     

    Cotte Roger - La musique maçonnique et ses musiciens

    Editions du Borrego, Le Mans, 1991

     

    Gefen Gérard - Les musiciens et la Franc-maçonnerie

    Collection « Les chemins de la musique » - Editions Fayard, 1993

     

    Guigue Christian - La formation maçonnique

    Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995

     

    Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire

    Editions Dervy, Paris, 2001


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