• * Réflexions à propos du toast du Couvreur

     Réflexions à propos du toast du Couvreur 

    Quelques constats !

    L’expression « Il est neuf heures ! », énoncée presqu'à la fin des agapes, entraîne chez la plupart d’entre nous trois réflexes : nous nous levons, nous reboutonnons notre veston et nous nous dépêchons de remplir nos verres et de les aligner, alors que jusqu’à présent personne n’a demandé de charger ni d’aligner quoi que ce soit !

    L’expression « Mes Frères, il est neuf heures ! » nous inviterait-elle tout simplement à nous lever ? Mais pour quoi faire ? « Neuf heures » ne serait-il qu’un simple déclencheur pavlovien ? Le signal d’une certaine agitation ou d’une soif soudaine ?

    Neuf heures. Est-ce un indice pour nous rappeler que les Maçons travaillent entre Midi et Minuit ? Et puisque nous sommes encore à table, à l’issue des agapes fraternelles, ne serait-ce pas une heure choisie délibérément avant Minuit ? N’est-ce pas l’occasion de réfléchir à un nombre hautement chargé de signification symbolique ? Ou une invitation à vivre un évènement important ?

     

    Mes réflexions personnelles

    L’expression « Il est neuf heures » retentit dans mon esprit comme quand nous sommes en Tenue et que le Vénérable Maître nous dit « A l’ordre, mes Frères ! ».

    N’agit-elle pas comme une invitation à être attentifs, alors que nos conversations tous azimuts vont bon train ? N’est-ce pas une sorte de mise en condition pour nous inviter à être témoins et même acteurs de quelque chose d’important, voire de sacré ? N’est-ce pas une invitation à vivre un moment privilégié : celui d’avoir une pensée pour tous les Maçons de l’univers qui sont nos Frères ?

    Or, certains de nos Frères ne sont précisément pas tous aussi heureux que nous en ce moment ! Le texte du « Toast du Couvreur » est assez précis à ce sujet : certains de nos Frères sont malheureux ; certains ont perdu leur liberté ; certains sont peut-être sinon esclaves, sinon en prison, derrière des barreaux ; certains ne sont pas chez eux et voyagent peut-être dans des conditions difficiles, dans un contexte de menaces ou de conflit.

    L’expression « Il est neuf heures ! », ne vient-elle pas nous rappeler la fin tragique du Christ, mort à la neuvième heure ? L’expression « Il est neuf heures ! », ne devrait-elle pas aussi nous rappeler que le Christ nous a encouragés à faire œuvre de bonté, de charité, de compassion, de fraternité, de partage… ?

    N’est-ce pas aussi nous rappeler que la Franc-maçonnerie spéculative était chrétienne lors de sa création en 1717 et que la Maçonnerie régulière à laquelle nous appartenons aujourd'hui reste fidèle aux Constitutions d’Anderson dans lesquelles le célèbre pasteur a réaffirmé le caractère chrétien de la Maçonnerie ?

    Lorsque nous entendons « Il est neuf heures ! », nous pouvons facilement imaginer la position des aiguilles sur notre montre ou sur l’horloge de la salle des agapes : la grande aiguille sur le 12 et la petite aiguille sur le 9 formant une équerre à 90°. L’expression « Il est neuf heures ! », ne serait-elle pas alors formulée pour évoquer l'Équerre, ce puissant symbole de la droiture du comportement que nous devrions développer davantage dans le monde profane, à l’issue de nos Travaux en Loge ?

    J’ai appris qu’autrefois, les Tenues débutaient bien plus tôt dans la fin d’après-midi. Si bien que les Frères passaient à table à une heure bien plus décente que nous de nos jours ! Et lorsqu'il était effectivement neuf heures du soir, le Vénérable Maître se levait et annonçait cette heure. Il portait alors un toast aux Frères excusés, malades ou se trouvant dans une situation difficile. Et quand les Frères avaient levé leur verre aux absents, le Vénérable Maître annonçait qu’il allait ensuite porter un toast à tous les Maçons de l’univers, ce qu’énonce aujourd'hui le Frère Couvreur.

     

    A propos des Travaux de Table

    Dans les traditions des Loges qui travaillent au Rite moderne, nous ne pratiquons de véritables Travaux de table qu’à l’occasion de la célébration du Solstice d’hiver. Ce n’est qu’en cette occasion précise qu’il y a lieu de disposer d’une serviette en papier qui sert de drapeau à placer sur l’épaule gauche ; ce n’est qu’en cette occasion seulement que nous utilisons notre couteau faisant office de glaive ; ce n’est qu’en cette occasion précise que notre verre est appelé « arme » et le vin « poudre ».

    A l’issue de chacune de nos agapes par contre, nous tentons également de pratiquer un rituel et c’est sur ce point que je voudrais apporter ce Midi quelques commentaires et précisions.

    Même si aujourd’hui je n’ai pas la charge de « Gardien de la Loi », c’est-à-dire Orateur de la Loge, je dois vous rappeler que si nos agapes comprennent un rituel de table, tel que « le Toast du Couvreur », le Vénérable Maître ne peut le commander que si tous les Frères présents autour de la table des agapes sont bien des Frères réguliers.

    Ainsi, à l’occasion d’une cérémonie d’Initiation par exemple, si des Frères appartenant à une Obédience non reconnue par la G.L.R.B. participaient à nos agapes fraternelles, nous ne pourrions pas effectuer le « Toast du Couvreur » ni d’ailleurs de « Travaux de table » car il s’agit d’un véritable rituel.

    Par contre, si nous réfléchissons à table à propos de quelques idées contenues dans une planche qui vient d’être présentée en Tenue, ces moments de réflexion – entre deux plats – ne sont pas considérés comme de véritables Travaux de table au sens maçonnique du terme : il s’agit tout simplement d’un exercice intellectuel. Des Frères d’autres Obédiences pourraient très bien y assister, voire même y participer activement en donnant leur avis.

     

    A propos du toast du Couvreur

    En ce qui concerne le « Toast du Couvreur » qui est au centre de mes propos de ce Midi, je souhaiterais apporter les six précisions suivantes :

    1. Il s’agit bien d’un « toast ». C’est-à-dire que nous nous apprêtons à lever nos verres à la santé de nos Frères répandus sur toute la surface de la Terre. Mais personnellement, je préfèrerais qu’en réalité nous levions nos verres en ayant une pensée profonde à l’égard de nos Frères Maçons et non pas à l’égard de la boisson que nous nous apprêtons à ingurgiter !

    2. Car si ce n’est pas pour prêter attention aux mots utilisés dans ce texte, alors autant ne pas le dire. Je vous le relis :

    A TOUS LES MAÇONS, HEUREUX OU MALHEUREUX, LIBRES OU DANS LES FERS, VOYAGEURS OU SÉDENTAIRES,

    QU’ILS SOIENT SUR TERRE, SUR MER, SOUS LES MERS OU DANS LES AIRS, POUR LA RÉALISATION DE LEURS VŒUX,

    LA FIN RAPIDE DE LEURS SOUFFRANCES ET UN PROMPT RETOUR DANS LEUR PAYS NATAL,

    SI TEL EST LEUR DÉSIR ! A TOUS LES MAÇONS !

    Et le texte officiel s’arrête là ! En effet, mes Frères, vous ne trouverez probablement l’impératif du verbe  « boire » que dans des rituels en provenance d’anciennes Loges militaires !

    Ce texte officiel (que l’on trouve par exemple dans l’ouvrage de Christian Guigue intitulé « La formation maçonnique ») met en évidence des oppositions auxquelles nous devons rester attentifs afin que notre attitude finale ne soit pas en contradiction avec ces mots choisis. De par le monde, il y a effectivement des Maçons momentanément malheureux, des Maçons emprisonnés, des Maçons dans la souffrance, dans la détresse, des Maçons malades, des Maçons temporairement éloignés de leur foyer, contre leur volonté…

    A mes yeux, nous devons certes rester optimistes. Mais avons-nous le droit de nous réjouir à l’issue de ce toast ? En levant notre verre, notre devoir est d’avoir une pensée émue à l’égard de nos Frères malheureux et il convient que notre souhait de les voir retourner promptement dans leur foyer soit un souhait vraiment sincère. Je me demande même si, à l’issue de notre libation, nous ne devrions pas nous accorder quelques instants de méditation sur le sens des mots que nous venons d’entendre.

    1. De plus, il s’agit bien du « Toast du Couvreur ». L’appellation, elle aussi, doit être respectée : il ne s’agit pas de «Faire neuf heures», même si l’exécution de ce rituel de table est annoncée par le Vénérable Maître en disant « Mes Frères, il est 9 heures ! », expression qui nous invite à nous lever, à nous préparer à un rituel et non pas à une plaisanterie et encore moins à une beuverie.

    2. Dans son exécution : c’est bien le Frère Couvreur qui doit venir se déplacer derrière le Vénérable Maître à son invitation sauf si, exceptionnellement, le Frère Couvreur ne participait pas aux agapes ou était absent à la Tenue. Le Vénérable Maître pourrait éventuellement désigner un autre Officier Dignitaire de sa Commission pour dire ou lire le texte. A la limite, il pourrait désigner un Frère Compagnon qui pourrait ainsi s’exercer à la prise de parole.

    3. Le Frère qui énonce ledit toast pose la main gauche sur l’épaule droite du Vénérable Maître et tient son verre dans la main droite.

    4. Bien que ce soit devenu une habitude, je me demande depuis longtemps s’il est vraiment indispensable dans le cadre de nos agapes habituelles, d’aligner les verres et bouteilles et de reprendre des expressions issues du rituel des Travaux de Table de la célébration du Solstice d’hiver, telles que « Veuillez charger et aligner ! ».

    Encore que, si l’on y songe bien, des verres et des bouteilles alignées peuvent évoquer la Règle voir l'Équerre si nos tables sont dressées en forme de U. Cependant, le Vénérable Maître doit quand même veiller à ce que le verre de chaque Frère soit encore suffisamment rempli que pour pouvoir boire à la santé de nos Frères répartis sur toute la surface du globe !

    Poursuivons notre réflexion à propos de l’expression « Il est neuf heures » qui pourrait sans doute aussi être en relation avec le symbolisme du nombre neuf. Alors, osons effectuer cette approche !

     

    Le nombre 9

    Constatons tout d’abord que neuf termine la série des nombres formés d’un seul chiffre.

    Neuf est un nombre très ambigu : c'est à la fois le nombre de la mort et de la vie. Le Nouveau Testament nous apprend en effet que le Christ expira à la neuvième heure. Par ailleurs, neuf est le temps de gestation de l’embryon humain, soit neuf mois.

    Neuf semble souvent le symbole de la perfection et de la création après le passage des épreuves. C'est l'aboutissement. Je songe notamment à l’accueil dit « Maillets battants » qui s’effectue par 9 X 3 coups, soit 27 au total. Et 27, c’est la juxtaposition de 2 et 7 dont la somme fait 9. Pour parvenir au neuf, nombreuses sont les étapes ternaires. C'est aussi le symbole de l'amour (Chez Dante). Il annonce une fin et un recommencement.

    Restons un instant encore dans le domaine des mathématiques.

    Neuf est le carré de trois. Ou, si vous préférez, 9 = 3 X 3.

    Et la somme théosophique du nombre neuf c’est 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 + 9, ce qui donne 45. Et cette somme théosophique nous ramène au nombre lui-même puisque 45 nous permet de dire 4 + 5 = 9.

    Enfin, neuf, c’est bien un nombre cubique puisque l’on peut le représenter tel un cube, avec ses huit sommets et le point central.

     

    Neuf heures et la fin de la vie du Christ

    Vu l’origine chrétienne de la Franc-maçonnerie, la neuvième heure nous rappelle aussi la fin de vie du Christ. Son agonie commença à la troisième heure pour expirer à la neuvième heure. Cette neuvième heure ne demande-t-elle pas aux croyants et pratiquants de faire une neuvaine, c’est-à-dire de prier pendant neuf jours ?

    De l'avis quasi unanime, il semble que Jésus ait fêté Pâque avec ses disciples le jeudi 13 Nisan au soir, qu’il a été jugé et condamné par les Juifs dans la nuit du jeudi au vendredi, puis que sa condamnation a été avalisée par Pilate le vendredi matin. Il a été crucifié vers midi, est mort vers 15 heures et a été enseveli avant 18 heures.

    Ainsi, le nombre neuf apparaît comme sacré et exprime l’achèvement. Tout se termine par neuf comme sa preuve d’ailleurs ! Dans notre symbolique maçonnique, neuf représente notamment l’immortalité.

    Les neuf heures, c’est le moment où le soleil se couche et que lentement la douceur du soir permet aux corps fatigués par un dur labeur de sentir ce moment de bien-être. La journée de labeur est accomplie et les hommes ont envie de parler. Neuf heures du soir, n’est-ce pas un instant d’une profonde humanité ?

    Il semble aussi que les bâtisseurs de cathédrales commençaient leurs journées de travail très tôt et qu’ils avaient pour habitude de faire une pause qu’ils appelaient les neuf-heures.

    A notre époque, la pause que nous effectuons à la fin des agapes se situerait plutôt vers vingt-deux heures, tout comme celle que font les écoliers dans leurs études vers dix heures du matin, moment de la récréation. Excusez-moi, le maître d’école refait encore une fois surface !

    Jadis, lorsqu'il y avait encore des soldats dans les casernes, les militaires devaient être rentrés à la caserne ou dans leur campement à 10 heures du soir, soit  à 22 heures. Les rituels de loges de militaires nous en apprendraient sans doute un peu plus sur ce que signifiait pour eux la neuvième heure.

    Il y aurait sans doute aussi une explication à trouver dans l’Apocalypse de Jean. Mais cela relève plutôt de la théologie !

    Enfin, pour la petite histoire, il semblerait aussi que « neuf heures » serait inclus dans un mot de passe chez les Druides, un terrain sur lequel je ne m’aventurerai pas ce Midi, préférant laisser ce sujet à un spécialiste qui m’écoute en ce moment !

     

    A propos de l’usage de tirer des santés

    Pour terminer cette réflexion, je voudrais encore attirer votre bienveillante attention sur une autre appellation de ce rituel. Dans notre langage maçonnique, il est quelques fois questions de tirer des santés, ce qui signifie porter un toast. Cette pratique remonte loin dans le temps et l’usage prescrivait déjà, en 1742, sept santés rituelles qui se décomposaient comme suit : au Roi, au Grand Maître, au Maître (de la Loge), aux 1er et 2nd Surveillants, à l’Initié (du jour-même s’il y en avait un), et pour terminer, aux Frères de la Loge.

    Cette coutume s’exerçait et s’exerce parfois encore de nos jours dans certaines Loges selon une codification régie par un rituel dit « de table ». On distingue les santés collectives, ou d’obligation, et des santés individuelles.

    Les santés collectives se font au commandement du Vénérable Maître lorsqu'il dit « Frères Surveillants, faites charger et aligner sur vos colonnes ».

    L’usage actuel, tel que pratiqué au Rite Écossais Rectifié, et notamment à la R:.L:. « L'Eperon d’Or » à l’Or:. de Namur, comprend les sept santés d’obligation suivantes. Le Vénérable Maître les tire :

    • en l’honneur du Chef de l’Etat qui protège la Franc-maçonnerie. Les participants répondent : « Au Roi ! » en levant leur verre ;

    • en l’honneur du Très Respectable Grand Maître de la Grande Loge Régulière de Belgique et à ses Grands Officiers, passés et actifs ;

    • en l’honneur des Frères Visiteurs ;

    • en l’honneur de tout nouveau Frère (initié, avancé ou affilié).

    • Une santé particulière est ensuite proposée par le Frère Premier Surveillant : c’est celle en l’honneur  du Vénérable Maître.

    • Enfin, la dernière santé est en réalité le « Toast du Couvreur » que l’on nomme aussi parfois « Toast du Tuileur ».

    Lorsqu'une santé est tirée en l’honneur d’un Frère – visiteur ou membre nouvellement reçu dans la Loge ou à un grade supérieur – celui-ci reste assis tandis que tous les autres Frères se lèvent pour porter le toast.

    Lorsque tous les Frères se sont rassis, le Frère ainsi mis à l’honneur peut se lever à son tour, emplir son verre si nécessaire, exprimer brièvement quelques mots de remerciements et terminer en levant son verre à son tour au Vénérable Maître et à tous les Frères de la Loge.

    Enfin, mes très chers Frères, sans entrer dans des détails qui vous dévoileraient ce que je ne puis vous révéler d’un Haut Grade de la Maçonnerie Écossaise, je vous dirai simplement qu’au 18ème degré, les santés portent le nom de « libations ». Ainsi, tirer une santé devient exécuter les libations. Le nombre de libations reste identique à celui de la Maçonnerie symbolique et il est permis de les exécuter entre chaque service.

    Mes Frères, puisse le rituel du « Toast du Couvreur » de ce Midi être des mieux pensés et des plus réussis ! Et puissiez-vous aussi, mes Frères, être dorénavant mieux informés quant aux sens possibles de cette expression lorsque votre Vénérable Maître vous annoncera qu’il est neuf heures !

    R :. F :. A. B.

     


  • Commentaires

    1
    Paul B
    Samedi 23 Mai 2015 à 20:59

    MTCF André,

    Comme à l'accoutumée que voila de la belle ouvrage . . .

    Merci beaucoup.

    Amitiés.

    Paul B.

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