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* La faux
La faux
Introduction
Dans le cadre de la cérémonie d’Initiation, Maillet et Ciseau sont apparemment les premiers outils symboliques dont l’Apprenti fait la connaissance lorsqu'il accomplit son « Premier Travail ».
Je dis bien « apparemment » car s’il a suffisamment bien prêté attention lors de son séjour dans le Cabinet de Réflexion, en subissant l’épreuve de la Terre, l’Apprenti a déjà rencontré un autre outil symbolique : il s’agit de la faux que je me propose d’évoquer dans la présente planche.
Après avoir défini la faux, évoqué très brièvement son histoire puis son utilisation dans l’agriculture, je m’étendrai davantage sur son symbolisme.
Définition et histoire
Qu’est-ce qu’une faux ? Il s’agit d’un outil manuel utilisé en agriculture pour moissonner et récolter les céréales et, en jardinage, pour faucher l'herbe. C’est un instrument muni d'un long manche et d'une lame recourbée, à l'aide duquel on coupe notamment les plantes fourragères.
Bien que presque disparue dans les pays occidentaux aujourd'hui depuis l'arrivée des tracteurs, elle est toujours très utilisée par les fermiers dans plusieurs pays en voie de développement.
La faux (en catalan dalla) est un outil très ancien : les peuples celtiques utilisaient dans l'Antiquité des faux manœuvrées à deux mains beaucoup plus grandes que celles des Romains. Mais pendant des siècles, cet outil fut réservé à la coupe des prés ou à celle de l'avoine, ainsi qu'à celle des chaumes après la moisson.
L’usage de la faux semble effectif vers le 12ème siècle en France. D'abord utilisée pour couper l'herbe, elle ne remplaça la faucille pour la récolte des céréales qu'à partir du 16ème siècle.
Il fallut attendre le 18ème siècle pour qu'elle se généralise en France comme outil de moissonnage dans les grandes plaines à blé, et elle mettra beaucoup plus de temps à gagner les régions méridionales, plus pauvres en rendement. En effet, l'usage de la faux entraîne une perte de grains forcément plus grande qu'avec le volant, sa manœuvre brutale faisant égrener un nombre considérable d'épis trop mûrs et son mouvement moins précis laissant en place une proportion d'épis elle aussi assez importante. Les glaneuses immortalisées au 19ème siècle par le peintre Millet sont là pour recueillir tout ce qui a échappé au travail de la faux. Cette perte de récolte est négligeable dans les vastes champs, mais elle est jugée insupportable par le petit propriétaire, qui préférera continuer le travail à la faucille.
Son usage a fortement régressé depuis l'apparition des faucheuses mécaniques puis des moissonneuses-batteuses.
La faux est appelée aussi « faucille à couper le blé ». Dans les représentations artistiques, le passage de la faucille – avec son manche court – à la faux – avec son manche long – témoigne de l’évolution des outils.
La faux est formée d'une longue lame effilée, de 60 à 90 cm, et arquée, fixée perpendiculairement sur un manche en bois relativement long, de 140 à 160 cm, muni de deux poignées, l'une à mi-hauteur et l'autre à l'extrémité opposée à la lame.
La lame se termine en pointe lui donnant un aspect de croissant de lune.
Voilà pour sa description. Envisageons brièvement son utilisation.
Utilisation d’une faux
Savoir bien utiliser la faux demande un peu de pratique. Il faut tenir la poignée du centre avec la main forte et l'autre poignée avec l'autre main, puis effectuer la coupe avec des va et vient circulaires. Autrefois, les apprentis fermiers prenaient généralement plusieurs jours avant de devenir apte à bien manipuler la faux.
Le fauchage requiert en effet un apprentissage spécifique : il s'effectue par un balancement régulier des deux bras tout en maintenant la lame bien horizontale à la hauteur voulue.
Le faucheur doit fréquemment aiguiser sa lame, utilisant pour cela un marteau et une petite enclume nommée "enclumette", puis une pierre à aiguiser rangée dans un étui à pierre à faux ou coffin.
A présent que vous êtes recyclés dans l’art de manier la faux, permettez-moi d’entrer dans le vif du sujet avec le symbolisme de cet outil.
Approche du symbolisme de la faux
Dans le Cabinet de Réflexion, le premier outil que devrait découvrir tout Récipiendaire ou candidat à l’Initiation, c’est la faux. Parfois, il s’agit de la représentation d’un squelette qui tient une faux, semblable à celui des danses macabres du moyen âge, où elle symbolise un changement d’état: la naissance à une autre vie.
La faux est l'outil symboliquement associé à la mort, aussi appelée la Faucheuse ou même la grande Faucheuse, sous-entendu faucheuse de vies ! Mais le symbolisme ne s’arrête pas là ! La faux symbolise la mort physique.
La « Faucheuse » est une allégorie de la mort, symbolisée par un personnage énigmatique ou un squelette capé portant une faux à la main. Ce symbole d'origine italienne est très présent au moyen âge et à la Renaissance dans les peintures apocalyptiques et macabres comme celle de Pieter Bruegel l'Ancien (Le Triomphe de la Mort). À une époque où la peste noire fait des ravages, la « Faucheuse » représente un être terrifiant qui vient happer les vivants d'un coup de lame.
La « faucheuse » abat tout ce qui est né et vit, tout ce qui est sorti de la terre. Pour le Profane, le faucheur ou « la faucheuse » ruine tout sur son passage. Or, il faut savoir qu’un pré fauché au bon moment donnera une herbe plus verte, plus riche, plus abondante. Il faut qu’une génération meure pour que la suivante puisse naître et s’épanouir.
La faux est l’emblème de la mort en tant que passage d’un cycle à un autre, où la profane meurt au sein de la terre afin que le germe sacré de son esprit, se vivifie et puisse renaître à une vie nouvelle, son être ayant la possibilité d’épanouir sa conscience et son entendement à la Lumière.
La mort vient chercher les mourants pour les emporter.
La mort a été représentée en tant que figure anthropomorphe ou comme personnage fictif dans la mythologie et la culture populaire depuis l'aube de la civilisation. Parce que la réalité de la mort a eu une influence considérable sur la psyché humaine et le développement de la civilisation dans son ensemble, la personnification de la mort en tant entité vivante, consciente et sensible, est un concept qui semble avoir existé dans de nombreuses cultures, depuis l'aube de notre Histoire. Selon les langues, elle est un personnage soit féminin, soit masculin. Elle est souvent représentée sous forme d'un squelette (ou d'un squelettoïde présentant quelques rares lambeaux de peau sur certains os), parfois vêtu d'un grand manteau à capuche.
Aux États-Unis, la mort est généralement représentée comme un squelette portant une robe, une toge, noire avec capuche, éventuellement une grande faux, tandis qu'en Europe elle est souvent dépeinte similairement mais vêtue d'un linceul blanc.
Ce choix de la faux, du point de vue symbolique, n’est pas neutre. En effet, la spécificité de cet outil est particulièrement significative, c’est de couper à ras, à la racine. Elle ne laisse rien passer ; elle tranche net, sans discrimination, tout ce qui dépasse en surface. Ce qui a pour effet de préserver la vie en laissant intactes les racines, de l’entretenir, selon le principe de l’élagage qui favorise la repousse par la régénération. Elle permet ainsi au végétal de s’alléger de ce qui est devenu inutile. Elle détruit l’accessoire pour ne sauvegarder que l’essentiel.
La moisson est l’instant de vérité. Elle est la rétribution de celui qui a semé, qui a veillé à arracher constamment l’ivraie, les mauvaises herbes, celui donc qui a vaincu ses vices et ses passions, afin qu’elles n’entravent pas la croissance de sa récolte. La faux est à la fois outil de mort et de résurrection, d’abondance et de disette, de rétribution et de châtiment.
La faux et le sablier – que nous trouvons aussi représenté dans le Cabinet de Réflexion – sont les attributs de Saturne, identifié à Chronos, dieu du temps.
Les Grecs avaient en effet identifié au temps Chronos ou Saturne, le dieu qui mange ses enfants. D'où la représentation sous les traits d’un vieillard armé d’une faux, personnifiant de manière allégorique la brièveté de la vie.
Il y a une relation entre le temps qui s’écoule sans interruption jusqu’au moment fatidique, et la faux qui tranche la vie, c’est-à-dire divise le temps illimité en portion limitée.
La représentation de la mort portant une faux remonte donc à l'image du dieu grec Chronos, père des dieux de l'Olympe, dont Zeus. Celui-ci était fréquemment représenté en portant un globe surmonté d'une faux. Cependant, pour échapper au cycle infernal du temps qui le condamne à vieillir, (le préfixe chrono- signifie le temps en grec) il décide de dévorer ses enfants. Au sixième enfant, son épouse Rhéa, lassée de ces infanticides lui donne une pierre à manger. Chronos « vomit » ses enfants, qui le renverseront plus tard. Exilé sur Terre, en qualité de simple mortel, il fonde une communauté agricole, désignée par les Anciens sous le nom d'Âge d'Or. De là viendrait l'attribut de la faux, outil qui symbolise les récoltes, et de cette manière les saisons qui rythment l'existence que Cronos a cru pouvoir maîtriser.
Ainsi la faux, souvent associée au sablier, est un outil qui rappelle le côté éphémère de l’instant qui passe. Elle symbolise aussi le temps qui, inexorablement, sectionne le fil ténu de la vie dans l’envol vers l’éternité. La faux dévastatrice du temps rappelle que chaque être sera un jour fauché, et sera réuni à la chaîne de ses aînés.
La faux met en action les forces destructrices de la nature, qui permet de passer à un autre état d’existence par la mort : c’est une transmutation. Dans les danses macabres du moyen âge, elle était très souvent utilisée par un squelette comme figuration de la mort.
La faux, par son action de faucher et de couper les mauvaises herbes enseigne qu’il faut savoir discerner le bon grain de l’ivraie, pour s’en défaire. Dans ce symbolisme de la transformation du blé fauché, celui-ci marque la disparition de sa manifestation. Il est ramené à son principe avec toutes ses potentialités positives.
La faux est aussi associée à la fécondité. Je m’explique : symbole de la mort, la faux annonce le renouvellement de la vie, la promesse et l’espérance de prochaines semailles. La moisson représente la fin d’un processus cyclique amorcé par la graine semée en terre qui aboutit à une plante porteuse de fruits. Celle-ci contient des graines qui représentent toutes autant de possibilités de développement d’un nouveau cycle.
Écoutons à ce sujet la parole de l’apôtre Paul : « Ce que tu sèmes ne reprend pas vie sans mourir d’abord. Ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps de la plante à venir mais c’est un simple grain… Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Semé dans la corruption, le corps ressuscite incorruptible ; semé dans le mépris, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite vigoureux ; semé corps animal, il ressuscite corps spirituel ».
Chaque être est confronté à ses limites. Il sait qu’il doit vivre sa courte existence sous le rapport du temps et de l’espace. Au cours de sa vie, il est confronté constamment aux épreuves de sa condition, qu’il doit surmonter dans la mesure de ses capacités.
Pour pouvoir trouver sa place sur terre et le sens de sa vie, il faut un ordre intérieur et extérieur. L’ordre intérieur procède de la conscience d’un sentiment d’unité, d’une recherche du juste milieu qui établit un lien entre le matériel et le spirituel.
Enfin, sans pour autant avoir été exhaustif dans le domaine du symbolisme de la faux, j’ajouterai pour terminer :
- que la stylisation du chiffre 7 représente une faux, symbole de mort. Ce n'est pas par hasard non plus. Il faut, comme dit la tradition « tuer le vieil homme », c'est à dire enlever en nous les défauts et lourdeurs de ce qui n'est pas bon.
- et que la treizième carte du Tarot de Marseille symbolise la mort : on y voit également un squelette maniant une faux !
Conclusion
La faux est un outil agricole fascinant qui a tenu une place essentielle dans l'histoire des populations paysannes. Elle se révèle complexe, tant dans sa fabrication que dans son maniement, et son adoption est à l'origine d'importants bouleversements économiques et sociaux. Si la faux s'est imposée très tôt pour la coupe des foins, son usage est cependant longtemps condamné pour les moissons.
Instrument de récolte et de révolte, attribut du Temps et allégorie de la Mort, la faux apparaît comme un symbole fort et ambivalent.
Instrument agricole et symbole de mort que l’on rencontre dessiné derrière le sablier dans bien des Cabinets de Réflexion, la faux, recoupe la parabole de la moisson et évoque le grain qui meurt pour donner la vie.
Dans ce lieu de méditation précédant la cérémonie d’Initiation, on trouve parfois la représentation d’un squelette qui tient une faux, invitant le Récipiendaire à mourir à une vie illusoire d’apparences, pour renaître à une vie spirituelle. Ainsi, la faux coupe symboliquement le Récipiendaire de son passé profane.
La mort du vieil homme, qu’incarne le Profane introduit dans le Cabinet de réflexion, sera suivie d’une renaissance spirituelle lors de sa Réception de la Lumière, à l’image du grain de blé jeté en terre, mourant pour renaître.
Le travail de la faux est dans le prolongement du dépouillement des métaux subi par le Récipiendaire. Elle rappelle le travail que le Néophyte devra accomplir pour acquérir la connaissance spirituelle et éveiller sa conscience. Celle-ci doit devenir la nourriture de son âme, tout comme le blé est la nourriture du corps.
La présence de la faux dans le Cabinet de Réflexion revêt tout son sens. Elle indique au Récipiendaire qu’il doit opérer un changement radical dans sa vie pour poursuivre son évolution. Le Néophyte doit mourir à la vie profane, à l’illusion, au paraître. Initié, il sera régénéré par une vie nouvelle, une vie où la conscience est éveillée à la Lumière reçue dans le Temple.
R :. F :. A. B.
Bibliographie
Ferré Jean - Dictionnaire des symboles maçonniques
Editions du Rocher, Monaco, 1997
Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001
Mainguy Irène - Symbolique des outils et glorification du Métier
Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2007
Vernus Michel - La faux : de l'outil au symbole
Editions des Musées des techniques et cultures comtoises, 2005
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