•  Tenue, rites et rituels 

    Quelques réflexions spontanées

    Je commencerai par faire un constat. Une Tenue, c’est l’application d’au moins un rituel, depuis l’appel au Travail lancé en salle humide, au nom du Vénérable Maître par le Maître des Cérémonies, jusqu'à la sortie bien ordonnée de tous les Frères, en passant par tout ce qui se déroule dans le Temple.

    En conséquence,

    1. Si le rituel n’existait pas, il n’y aurait pas de Tenue au sens strict et le regroupement des Frères dans le Temple serait tout simplement une réunion d’amis bienveillants entre eux.
    2. Le rituel serait donc un ensemble de phrases, imposées par l’Obédience, généralement prononcées par le Vénérable Maître et les deux Surveillants sous forme de dialogue, mais encore des gestes et actes symboliques, des déplacements ainsi que la présence de nombreux symboles indispensables pour qu’une Tenue existe et se déroule correctement.

    Un ou des rituels ?

    Le rituel ne me semble pas unique. Il existe des rituels. Lesquels ?

    • pour une Tenue ordinaire il nous faut au moins: le rituel d’Ouverture des Travaux et le rituel de Fermeture des Travaux.

    Il y a aussi un rituel spécifique :

    • pour l’Initiation d’un Profane ;
    • pour les passages aux 2ème et 3ème degrés ;
    • pour le Réveil de la Loge ;
    • pour le Solstice d’hiver et pour le Solstice d’été ;
    • pour l’installation du Vénérable Maître ;
    • pour une Tenue de deuil lorsqu'un Frère est passé à l’Orient Éternel ;
    • pour l’interrogatoire sous le bandeau ;
    • pour l’élection du nouveau Vénérable Maître ;
    • pour la prestation de serment de tout Maître qui accepte une charge.

    Extrêmement réduit lors des Tenues blanches, le rituel varie en fonction du Rite adopté par la Loge. C’est ainsi que, au Rite moderne, les trois Piliers entourant le Tapis de Loge sont allumés et éteints par le Vénérable Maître assisté par les deux Surveillants et aidés par le Maître des Cérémonies. Au Rite Écossais Ancien Accepté, ce sont les Frères Expert et Maître des Cérémonies qui s’en chargent. Au Rite Écossais Rectifié, le Maître des Cérémonies précède le Vénérable Maître qui allume ou éteint lui-même les luminaires surmontant les trois Piliers.

    Les Rituels et les Rites

    Ne confondons pas « rites » et « rituels ». Le mot « rite » a été emprunté au langage religieux par la Franc-maçonnerie anglaise au milieu du 18ème siècle. Le rite regroupe l’ensemble des usages prescrits (langage, protocole, comportement, cérémonies, manifestations, déroulement des séances…) pour le bon fonctionnement d’une structure maçonnique.

    Il existe de par le monde des dizaines de rites, chacun affirmant sa différence en fonction de sa propre conception de l’idéal maçonnique, mais aussi de son rattachement particulier aux Landmarks, considérés comme la référence universelle.

    Quels sont les Rites pratiqués en Belgique ?

    La majorité des loges de la G.L.R.B. travaillent au Rite (belge) Moderne. C’est le rite officiel de notre Obédience.

    D'autres loges travaillent, par exemple, au Rite Français Moderne, au Rite Écossais Rectifié, au Rite Écossais Philosophique, au Rite Écossais Ancien Accepté… Il en existe d’autres… : l’historien Ragon en a recensé cinquante-deux ! Bernard Baudouin les cite et les décrit (cf. Bibliographie, pour aller plus loin en ce qui concerne les rites).

    Les rituels varient en fonction du Rite adopté par la Loge.

    C’est ainsi que, dans notre Loge, les trois Piliers entourant le Tapis de Loge sont allumés et éteints par le Vénérable Maître assisté par les deux Surveillants. Au Rite Écossais Ancien Accepté, ce sont le Frère Expert et le Maître des Cérémonies qui s’en chargent.

    Le rituel est un ensemble de phrases, imposées par l’Obédience, prononcées par le Vénérable Maître et les deux Surveillants sous forme de dialogue, mais encore des gestes et actes symboliques, des déplacements dans un environnement riche de nombreux symboles indispensables pour qu’une Tenue existe et se déroule correctement.

    Les éléments indispensables du rituel d’une Tenue

    Voici les éléments du Rituel qui me paraissent indispensables. Ce qui suit est le résultat de ma simple réflexion personnelle.

    • l’entrée respectueuse dans le Temple ;
    • une place pour chacun et chacun à sa place ;
    • une planche musicale pour nous aider à quitter le monde profane ;
    • l’Ouverture des Travaux ;
    • la présence des Trois Grandes Lumières de la Loge : le Volume de la Loi sacrée, l'Équerre et le Compas ;
    • la vérification de la Couverture de la Loge, tant extérieurement qu’intérieurement.
    • le dialogue entre le Vénérable Maître qui dirige nos Travaux et les deux Surveillants qui l’assistent ;
    • toutes les phrases qui nous rappellent nos devoirs et que nous sommes là pour travailler, pour chercher la Vérité, la Lumière ;
    • quelques planches musicales pour nous aider à méditer les paroles qui ont été prononcées, les actions qui viennent de se dérouler, des gestes forts qui viennent d’être posés ;
    • des coups de maillets pour marquer des moments importants ;
    • le mot sacré et le mot de passe ;
    • les batteries d’allégresse et d’acclamation ;
    • les déplacements du Maître des Cérémonies pour conduire et reconduire tout Frère appelé à se déplacer dans le Temple ;
    • la Chaîne d’union fraternelle dans un profond recueillement ;
    • la circulation du Tronc de Bienfaisance et du Sac aux Propositions…qui ne devrait pas être un moment identique à la mise «en récréation » de la Loge !
    • à tout moment, le respect du caractère sacré du Temple ;
    • la présence du Tableau de la Loge, des luminaires, des symboles, des bijoux fixes et des bijoux mobiles ;
    • le port des Gants blancs et du Tablier ;
    • pendant toute la Tenue, le respect du silence ;
    • la Fermeture des Travaux.

    Rien ne me paraît superflu. Tout me semble important. Je dirais même que tout est indispensable puisque prescrit par nos traditions et certaines dispositions par les plus hauts Dignitaires de l’Obédience.

    Reflets de mes recherches dans la littérature maçonnique

    Vers une définition du rituel

    Pour Raoul Berteaux, « on donne aujourd'hui le nom de « rituel » à l’ensemble des textes que l’on suit pour ouvrir et fermer les Travaux de Loge et pour conférer la Réception d’un Récipiendaire».

    Les rituels maçonniques se sont inspirés du théâtre romantique dans lequel l’action est jouée sur scène. Ils ont pris la forme d’un scénario de pièce de théâtre où les détails de régie sont fixés minutieusement. Le Vénérable Maître et les Officiers dignitaires qui l’entourent agissent comme des acteurs de théâtre.

    Le scénario doit être adapté à l’esprit du temps et à la mentalité du milieu culturel ambiant. C’est cette nécessité qui a justifié les aménagements des textes des rituels. Mais trop souvent les changements ont touché au caractère universel de l’enseignement  initiatique. Pourtant chaque génération a le devoir et la mission de rechercher l’essentiel et de dégager l’accessoire. L’essentiel doit être sauvegardé ou rétabli ; l’accessoire doit être aménagé.

    Mais définir le rituel revient aussi à dresser l’inventaire de ses composantes.

    C’est ainsi que A. Benuraud et C. Brugnaux considèrent tout rituel comme un symbole agi. Symboles et rituels sont inextricablement liés. Ces auteurs incluent dès lors dans le rituel :

    • le port du bandeau lors de l’interrogatoire ;
    • la banderole « vigilance et persévérance » accrochée au mur du Cabinet de réflexion ;
    • le Cabinet de réflexion lui-même, symbole de la grotte, de la caverne ;
    • la Chaîne d’union, symbole de fraternité et de cohésion de la Loge ;
    • la circulation dans la Loge, codifiée de manière différente selon les rites. Elle constitue un élément rituélique important pour le déroulement ordonné de la Tenue ;
    • la Colonne d’harmonie qui doit veiller à ce que la musique choisie fasse surgir des sentiments et donne corps aux rituels ;
    • les symboles du Cabinet de réflexion tel le Coq, le Crâne, la Faux, le Pain, le Sablier, le Sel, le Soufre ;
    • la Fermeture des Travaux ;
    • l’Initiation ;
    • les maximes reproduites sur les murs du Cabinet de réflexion ainsi que le célèbre acrostiche emprunté à la tradition alchimique occidentale «V.I.T.R.I.O.L.» ;
    • l’Ouverture des Travaux ;
    • le Travail en Loge qui est d’abord rituélique et symbolique mais aussi une condition pour toute augmentation de salaire (passage d’un degré à un autre).

    Edouard E. Plantagenet estime que « le rituel est un auxiliaire précieux pour l’Apprenti car si les épreuves lui ont appris le sens de l’action, les traditions rituéliques auxquelles il est invité à se soumettre en constituent positivement le moteur. Sous leurs différentes formes, elles lui dictent continuellement son devoir et l’incitent, sans cesse, à l’accomplir sans défaillance ».

    Cet auteur inclut dans le rituel les éléments suivants :

    le Mot sacré, le Mot de passe, le Signe d’ordre, la Marche, l’Ouverture et la Fermeture des Travaux, l’âge maçonnique, le Livre de la Loi, la Chaîne d’union et l’acclamation mais également les symboles rituéliques que sont  le Tablier et les Gants, les bijoux et les outils et enfin la Pierre brute.

    Pour Christian Guigue, le « rituel » vient du latin rituales libris ou livres rituels. Il définit un rituel comme un recueil contenant les différents rites ou actes célébratoires sacramentaux.

    Pour Jean Ferré, le rituel est l’ensemble des connaissances symboliques que l’on veut transmettre, leur formulation, leur mise en pratique : gestes, signes, paroles, mots, attouchements… Il constitue l’essence même de la cérémonie.

    Par glissement, le mot « rituel » signifie aussi le livre qui décrit le déroulement de la Tenue, qui permet de décorer le Temple, de fixer les rôles de chacun…

    Mais le mot « rituel » est aussi adjectif. Il convient donc de ne pas dire des agapes « rituéliques » – ce qui est un belgicisme – mais des agapes rituelles.

    Pour Bernard Baudouin, le rituel était à l’origine un cahier dans lequel étaient consignés les divers éléments qui concourraient à la bonne conduite d’une cérémonie. Par extension, le mot désigne aujourd’hui la cérémonie elle-même, avec tous les paramètres qui la composent, depuis les gestes, les signes, les paroles, les mots, les attouchements, etc…

    L’utilité du rituel

    Le rituel multiplie les suggestions verbales. Viennent s’y ajouter la suggestion visuelle des symboles rituéliques dont le rôle se borne à concrétiser certaines formules essentielles. Leur assimilation intégrale doit nous permettre d’aborder l’étude et l’interprétation des symboles initiatiques.

    Pour Raoul Berteaux, « tout rituel d’initiation maçonnique comporte des éléments structurels appartenant à deux domaines différents :

    • le premier concerne l’enseignement initiatique proprement dit. Il relève d’une tradition, d’un caractère sacré;
    • le second concerne la façon de le conférer. Il relève des us et coutumes du milieu culturel ambiant ».

    Pour Edouard E. Plantagenet, « le rituel est la lettre ; l’initiation est l’esprit. Le rituel est une route que jalonnent les bornes de la sagesse ; l’initiation est une échelle dont les échelons nous élèvent vers de nouveaux horizons ».

    Depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours, les philosophes comme les psychiatres ont démontré que ce qui ordonne notre activité consciente n’est autre que le subconscient, force obscure cachée dans notre cerveau.

    Pour Alfred Binet, « la transformation d’une idée en acte est un fait psychologique régulier qui se produit toutes les fois que l’idée atteint un degré suffisant de vivacité. L’idée se produit par un travail subconscient à l’insu du sujet ».

    C’est donc l’idée de suggestion qu’il me faut finalement évoquer. Qu’est-ce que la suggestion ? La suggestion est la réalisation subconsciente d’une idée. L’idée qui tend à se matérialiser est celle sur laquelle l’attention s’est particulièrement concentrée.

    Luc Nefontaine qualifie la Franc-maçonnerie de société hautement symbolique avec un appareil rituel très développé. Elle apparaît tout autant comme une institution véhiculant un sens et des valeurs, par le biais des symboles et des rituels. Il n’y a pas lieu de subordonner les buts aux rites, ou vice-versa. Même dans nos loges dites « régulières », souvent plus formalistes que les loges qui ne sont pas reconnues comme telles, les rites n’en viennent jamais à masquer les buts.

    Pour Julien Behaeghel, le rituel est le symbole en action. Il est le verbe créateur du monde intemporel, créateur du nom qui donne vie et de l’espace sacré qui s’inscrit dans le présent éternel, cet espace qui définit le sens, le sens qui va de l’ombre vers la lumière, de l’Occident vers l’Orient, de l’inconscience vers la conscience – connaissance. Le sens est la lumière et le rituel n’a d’autre raison d’être que de faire jaillir la lumière, la lumière invisible de l’Esprit. C’est bien pourquoi certaines circumambulations se font dans le sens de la lumière, de l’Occident vers l’Orient. Dans le rituel maçonnique cependant, le sens de la circumambulation est inversé afin de garder le centre à sa droite ; autrement dit, le Maçon défie le temps par le rituel ; il l’inverse. C’est à l’envers du temps que se trouve la raison mystérieuse de notre devenir.

    Le candidat à l’Initiation devra donc faire le trajet inverse du trajet solaire pour recevoir la lumière : il ira de l’Occident à l’Orient… Et tous les déplacements en loge, toutes les circumambulations se feront de l’Occident à l’Orient en passant par le Nord, en tournant autour du centre afin de devenir le centre.

    C’est au centre de la loge que le Maçon dessine l’espace magique de sa création. Il trace le carré double (« carré long ») dont la diagonale contient le nombre d’or en puissance. Puis à la verticale de son tracé, il disposera les trois fenêtres grillagées…

    Dans le rituel, le son devient lumière, la lumière parole et la parole devient l’outil qui permettra à l’Initié d’inscrire la vision du Géomètre dans la pierre.

    Le Maçon fait trois pas sur les carrés noirs et blancs du Pavé mosaïque, passe entre les Colonnes, reçoit le Maillet et le Ciseau et frappe trois coups sur la pierre vibrante et le monde bascule, se renverse dans un autre temps, le temps du rituel et du symbole, le temps des bâtisseurs du Grand Temps, c’est-à-dire du temps hors du temps.

    Répéter inlassablement les mêmes paroles du rituel équivaut à sortir du temps profane. Il est alors éternellement midi, au zénith de la voûte étoilée du temple. Le rituel parlé ou chanté correspond d’une certaine façon aux semences verbales des mantras de l’hindouisme.

    Etablir le dieu dans son image, tel est bien le rôle du rituel, et en l’établissant dans son image, le chercheur de lumière le reçoit en lui. C’est la raison pour laquelle tout est fait et dit en loge à la gloire du Grand Architecte de l’Univers. C’est en son nom qu’est donnée l’Initiation. C’est en son nom que tout travail de Maçon commence et finit.

    Le rituel, par les questions et réponses des maîtres, organise le monde dans son ordre primordial.

    Pour Pierre Dangle, c’est le rituel qui donne corps au spirituel et réanime l’ensemble des forces créatrices.

    Les rituels initiatiques racontent la création en esprit par le jeu des symboles, véritables paroles de vie qui rendent présentes les fonctions rituelles remplies par les Frères.

    Ainsi les rituels relient-ils les symboles entre eux pour leur donner leur pleine et entière signification et nous permettre de les vivre.

    Participer aux rituels est un acte majeur pour tous les Frères de la Loge, et chaque rituel est une nouvelle naissance, à la fois de la Loge elle-même et de chacun de ses Frères.

    Selon Guy Boisdenghien, notre Ordre dispense des préceptes induisant à la connaissance réelle de soi par symboles, signes, emblèmes et paroles dont les significations transcendantales ne peuvent s’appréhender que par le moyen de l’Initiation et la progression du membre dans celle-ci. En effet, « progression » est un maître mot de l’Initiation car les rituels ne transmettent pas de façon linéaire. Ils agissent par projections dans le sens psychologique de ce mot. A travers le rituel, le Frère ressent dans des gestes, des paroles et des modèles symboliques des états affectifs qui lui sont propres. Ces états affectifs vont progressivement pénétrer au plus profond de son être, le modifier en son centre spirituel et, peut-être, provoquer une transmutation, un changement de nature.

    Chaque degré s’appuie sur un rituel d’Initiation et un autre de Travaux ordinaires. Le rituel détaille l’acte cérémoniel qui se présente en un ensemble de symboles vécus, réglés et mis en scène dans une forme définie. Les rituels ont donc pour fonction de placer les participants dans une atmosphère initiatique frappant l’imagination, les sentiments et l’intellect. Ils requièrent de chaque Frère une adhésion effective car tout rituel ne peut être compris sans la volonté de percer l’esprit qui y préside.

    Le but du rituel d’Ouverture est de provoquer la rupture du temps et de l’espace. La modification met en place un autre espace atemporel et aspatial.

    Le rituel rompt tant avec le temps historique qu’avec notre espace environnant. Mais pendant que les Frères, durant la Tenue, sont conduits par le rituel à participer à un moment atemporel, les heures continuent à s’égrener en dehors de la Loge. La Tenue ne peut donc s’achever sans provoquer une nouvelle rupture visant à réinsérer le temps profane.

    Ma conclusion provisoire

    Cette recherche relative à l’importance du rituel me permet de dire que le rituel nous dicte inconsciemment nos devoirs. Il nous suggère tout d’abord d’apprendre à nous connaître nous-même en tant qu’Apprenti, de travailler à la construction de notre propre Temple puis à celle du Temple de l’Humanité.

    Il nous incite à pratiquer le symbolisme et à étudier les symboles, ce qui devrait nous aider dans notre recherche de la Vérité.

    Le rituel nous suggère encore de vouloir la justice, d’aimer nos Frères, de pratiquer la fraternité, la bienfaisance et de nous soumettre à la Loi. Il nous impose aussi de nous taire devant les profanes.

    La première version de cette planche avait été tracée à l’époque où j’étais encore un jeune Apprenti !

    Il me semble l'avoir bien fait évoluer.

    R :. F :. A. B.

    Bibliographie 

     

    Berteaux Raoul - La symbolique au grade de Compagnon

    Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 69 à 77

     

    Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti

    Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 88 et 89

     

    Boucher Jules - La symbolique maçonnique

    Editions Dervy, Paris, 1995 - Pages 186 à 192 ; 203 ; 216 ; 311

     

    Nefontaine Luc - Symboles et Symbolisme dans la Franc-maçonnerie

    Tome 2 - Editions de l’U.L.B., Bruxelles, 1994 - Pages 105 ; 109 à 111

     

    Plantagenet Edouard E.

    Causeries initiatiques pour le travail en chambre de Compagnons

    Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 122 à 126

     

    Plantagenet Edouard E.

    Causeries initiatiques pour le travail en loge d’Apprentis

    Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 72 à 96


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  •  Une approche de la kabbale et du soufisme 

    Introduction

    Pour un de nos Frères – éminent théologien protestant que chacun reconnaîtra aisément ici – il y a 3 cabales. Après vérifications dans plusieurs dictionnaires et consultation de quelques sites sérieux, il y a la cabale qui s’écrit avec un k et deux b (c’est la kabbale juive) ; la deuxième s’écrit avec un c (ce peut être la cabale dite chrétienne) ; une troisième qui s’écrirait avec un q et deux b serait l’équivalent d’une qabbale islamique qui porte le nom de soufisme.

    Dans cette planche, je n’ai fait que rassembler des informations, en principe bien vérifiées, de les comparer puis de choisir ce qui m’apparaissait comme le plus plausible. Je n’ai jamais exprimé d’avis ou de réflexion. Je commencerai par développer le sens de ces trois orthographes possibles.

    Orthographe et définitions

    Selon le site « Wikipédia » qui est loin d’être une référence sans failles, la kabbale est un nom commun qui nous vient de l'hébreu Qabbalah. C’est une forme anglicisée qui devrait plutôt être écrite « cabale » ou « quabale » en français.

    Sans encore entrer dans les détails de sa signification, disons que le terme « kabbale » désigne une tradition ésotérique du judaïsme, présentée comme étant la « Loi orale et secrète » donnée par YHWH (Dieu) à Moïse sur le Mont Sinaï, en même temps que la « Loi écrite et publique » (la Torah). Le mot kabbale ne désigne pas un dogme, mais un courant à l'intérieur du judaïsme et un état d'esprit. Il signifie « réception » au sens le plus général. Le terme est parfois interprété comme « tradition ». Le kabbaliste est donc celui qui a reçu la tradition.

    Charles Mopsik rappelle la différence orthographique entre cabale et kabbale :

    « La première graphie a été consacrée en français depuis plusieurs siècles alors que la seconde, importée de l'allemand, a été employée en France dans le but de distinguer la « Cabale » des occultistes et autres mystériosophes douteux de la « kabbale » de la tradition juive authentique. Cette distinction graphique est devenue inutile depuis que « kabbale » a été adoptée par les occultistes précités ».

    Pourtant, il ne faudrait pas confondre la cabale (commençant par un « c »), avec la kabbale (commençant par un « k ») ordinairement envisagée et demeurée purement hébraïque. Aussi bien, pour les différencier, convient-il d'appliquer, à chacun des deux termes, l'orthographe qui lui est propre et que réclame d'ailleurs leur étymologie différente : le premier se réfère au grec « kabbales », qui signifie cheval, tandis que le second vient de l'hébreu « qabbalah » avec le sens de tradition. Mais il semble qu’il y ait encore d’autres nuances à mettre en évidence par rapport aux différences d’orthographe.

    Pour conclure cette introduction, essentiellement consacrée à l’orthographe, j’ajouterai que le mot « cabale », qu’il débute par un « c », un « k » ou un « q », est toujours un nom commun. Ces trois lettres ne peuvent donc être que des minuscules. Or, dans la littérature, cette erreur apparaît souvent !

    Abordons à présent le sens de ce mot écrit de deux façons différentes.

    Qu'est-ce que la kabbale ?

    Généralités sur la kabbale

    La kabbale, c'est un autre regard sur l'Homme et la Bible et l'Univers.

    La kabbale, c’est un ensemble de spéculations métaphysiques sur Dieu, l'Univers et les Hommes. Elle prend ses racines dans les traditions ésotériques juives - du Judaïsme de Tradition. Cette définition ne fait pas ressortir l'Universalité de la Kabbale, la richesse des thèmes qu'elle aborde, ainsi que les multiples aspects qui allie et unit à la fois observation métaphysique et raison mais aussi symbolisme.

    La kabbale peut être un outil d'aide à la compréhension du Monde, en ce sens qu'elle incite à modifier la perception que nous avons de ce Monde (la « réalité ») malgré la subjectivité de notre perception, compliquée et augmentée du fait de la sensibilité de la multiplicité des individus.

    La kabbale est donc un outil d'analyse qui aide à la compréhension en mettant à la disposition des « cherchants » un diagramme synthétique qui englobe :

    • L'arbre des Sephiroth, des clés de lecture pour de multiples ouvrages, avec un foisonnement de concepts, tels les degrés de signification, les contractions ;

    • Dieu, les Voiles, le plaisir, le Mal, le Golem, le Tout et enfin la Restauration.

    Ainsi découlent des ébauches de réponses aux questions essentielles que sont l'origine de l'Univers, le devenir de l'Homme. Ce qui fait de la kabbale un véritable outil de travail sur soi et un puissant moyen d'appréhender, d'aborder les autres systèmes de pensée, aussi divers soient-ils.

    Le sens du mot « kabbale »

    Toutes les religions ont un volet mystique ou ésotérique — accès direct à Dieu sans prêtre et/ou sans église constituée — mais l'originalité de la kabbale réside dans son approche de la genèse par la voie mystique et la voie de la connaissance.

    D'après le Dictionnaire des religions, la kabbale est un système théosophique qui a été très répandu dans le judaïsme médiéval à partir du 10ème siècle, et qui a joui par la suite d'une grande diffusion dans le monde chrétien.

    Le mot « kabbale » transcrit de l’hébreu « qabbalah » qui signifie « tradition ». Il désigne une composante ésotérique et mystique de la culture juive, fondée sur l’étude des niveaux de l’Être qui s’étagent entre l’espèce humaine et Dieu ainsi que sur les médiations qui relient ces divers niveaux. Elle s’appuie notamment sur une méthode d’interprétation de la Bible fondée sur la transcription numérique des caractères hébreux (sefira veut dire « nombre » et a la même racine que l'arabe sifr dont le français a fait « chiffre » et « zéro » : la kabbale accorde, comme l'école de Pythagore, une valeur mystique aux nombres.

    La kabbale se veut un outil d'aide à la compréhension du monde en ce sens qu'elle incite à modifier notre perception du monde (ce que nous appelons « la réalité » malgré la subjectivité de notre perception). Pour ce faire, la kabbale met à la disposition de ses adeptes un diagramme synthétique : l'Arbre de la Vie ou Arbre des Sephiroth ou encore Arbre séphirotique, et autres clés de lecture pour de multiples ouvrages, ainsi qu'un foisonnement de concepts (degrés de signification, contraction, etc.).

    Rappelons que l’Arbre de Vie (Etz haHa'yim עץ - החיים en hébreu) représente symboliquement, dans la kabbale, les lois de l'Univers (Certains auteurs le rapprochent de l'Arbre de la vie mentionné par la Genèse en 2:9). Sa description est considérée comme celle de la cosmogonie de la mystique kabbalistique.

    Elle propose ses réponses aux questions essentielles concernant l'origine de l'univers, le rôle de l'homme et son devenir. Elle se veut à la fois un outil de travail sur soi et un moyen d'appréhender d'autres systèmes de pensée.

    La kabbale, en tant que phénomène, est souvent comprise comme la mystique de la merkabah [1].

    Dans la kabbale hébraïque, trois sens peuvent être découverts en chaque mot sacré. D'où trois interprétations ou kabbales différentes :

    1. la première, dite « gematria», comporte l'analyse de la valeur numérale ou arithmétique des lettres composant le mot ;

    2. la seconde établit la signification de chaque lettre considérée séparément ;

    3. la troisième emploie certaines transpositions de lettres. 

    La kabbale hermétique s'applique aux livres, textes et documents des sciences ésotériques de l'Antiquité, du Moyen Âge et des Temps modernes. Elle est une véritable langue. Et, comme la grande majorité des traités didactiques de sciences anciennes sont rédigés en hébreu, le lecteur n'en peut rien saisir s'il ne possède au moins les premiers éléments de l'idiome secret.

    Cette mystique se présente comme accès, en un voyage ascensionnel et intérieur, au cœur même du divin, au jardin de la science du Livre, au Sod, quatrième terme du Pardès. On lui associe tout ce qui est littérature apocalyptique — de l'apocalypse juive.

    La kabbale a influencé les chrétiens, surtout à la Renaissance. Mais la communication entre les deux cultures a été bloquée par le durcissement de l’Église lors de la contre-réforme, par les risques de persécution, et aussi par le fait que l’Église ayant toujours tenté de convertir les juifs en s’appuyant sur ce qu’ils lui avaient enseigné, ceux-ci ont été incités à conserver leur savoir par devers eux.

    La kabbale, étant une mystique, a été considérée avec suspicion par certains rabbins. Mais d’autres rabbins l’ont étudiée et elle n’a jamais été condamnée par l’orthodoxie juive.

    L’enseignement de la kabbale est ésotérique. Réservé au petit nombre de ceux qui peuvent lui consacrer tout leur temps de travail, il suppose la connaissance de l’hébreu, une abondante lecture, et aussi un contact personnel prolongé entre le maître et l’élève. Il est en pratique impossible pour une personne qui n’est pas de confession juive, ou qui ne connaît pas l’hébreu, de recevoir cet enseignement.

    Ésotérisme, transcription numérique des textes, mysticisme, voilà de quoi éveiller la méfiance des rationalistes. Mais tout rationaliste doit connaître les limites du rationalisme.

    Les cabalistes ont sur le monde et sur l’histoire, un point de vue singulier. Ils se classent dans le courant philosophique du néoplatonisme mais, alors que celui-ci place la matière au plus bas niveau de la « procession des êtres », les cabalistes « hissent la matière au niveau de l’Intelligence suréminente ».

    L’idéalisme platonicien est ainsi renversé, la matière devenant « source et réservoir primordial des formes et des semences de toute réalité ». Cette option métaphysique permet au judaïsme d’échapper à l'idéalisme ; il prépare à un rapport respectueux et expérimental avec la nature.

    Par ailleurs « le judaïsme n’est pas une religion fondamentalement historique » : alors que pour les chrétiens le temps va comme une flèche de la révélation à la résurrection, pour les juifs l’histoire ne peut commencer qu’avec l’arrivée du Messie. Dans l'attente de celle-ci, le temps n’est pas orienté ni circulaire mais scandé par la répétition de périodes fastes et néfastes : « Ce qui a été, c’est ce qui sera. Ce qui a été fait, c’est ce qui se fera. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Cette conception du temps ressemble à celle de l’hindouisme. Il s’agit, là aussi, d’une option métaphysique aux conséquences profondes.

    Le mot « kabbale » peut avoir beaucoup de significations différentes selon les personnes qui emploient ce terme. En un mot, il s'agit d'une sagesse très ancienne qui nous révèle le fonctionnement de la vie et de l'univers. Au sens littéral, le mot kabbale signifie « recevoir ». En étudiant la kabbale, nous apprenons à accomplir notre destinée.

    Parfois, nous négligeons le fait que nous n'avons pas réussi à accomplir notre destinée. Ce sentiment d'insatisfaction domine chez la plupart des gens à un moment ou un autre de leur vie. Et malheureusement, plus nous nous efforçons d'accomplir notre destinée, plus elle nous échappe.

    « Accomplir sa destinée » ne veut pas dire éprouver un bonheur ou un bien-être temporaire, car nous avons tous vécu des moments fugitifs de bonheur. Lorsque nous parlons de nous relier à l'énergie qui nous permettra d'accomplir notre destinée, nous voulons dire que nous serons reliés à cette énergie de manière durable et même permanente.

    La kabbale est un paradigme très ancien et cependant entièrement nouveau qui nous enseigne comment vivre. Il nous enseigne que tous les domaines de notre vie – la santé, les relations avec autrui, les affaires – ont la même origine et la même racine.

    Il s'agit d'une technologie qui nous explique comment l'univers fonctionne au niveau fondamental. Il s'agit d'une manière totalement nouvelle de percevoir le monde qui peut nous apporter la paix et la sérénité que nous recherchons peut-être.

    La véritable preuve de la valeur de la kabbale, nous l'aurons grâce à notre expérience personnelle.

    Pour pratiquer la kabbale, nous n'avons pas besoin de changer de croyance ou de religion. La kabbale peut nous permettre d'approfondir notre compréhension de l'univers et nous donner davantage d'informations et d'outils pour comprendre ce qui nous arrive et comment nous pouvons être mieux reliés à la Lumière du Créateur et atteindre l'accomplissement que nous recherchons.

    La kabbale enseigne des principes universels qui sont valables pour les personnes de toutes les croyances et de toutes les religions, quelle que soit notre appartenance ethnique ou notre origine. L'étude de la kabbale est particulièrement séduisante parce que nous conservons notre liberté de penser.

    Le mot « kabbale » qui dérive donc de l'hébreu Qabbalah, désigne les « doctrines reçues par tradition ». On l'appliquait dans l'ancienne littérature judaïque, à toute doctrine révélée, à l'exception de la Torah. Mais il finit par désigner un ensemble de doctrines occultes contenues dans un certain nombre d'ouvrages ésotériques dont les plus importants sont le « Livre de la Création » (Sepher Yelzirah), attribué au rabbin Akiba, et le « Livre de la Splendeur » (Sepher ha-Zohar, ou Zohar tout court).

    Le Zohar

    La kabbale, c’est aussi un livre, le fameux Zohar (qui signifie l'illumination), ou Livre de la Splendeur. Il s'agit d'un manuel mystique du 13ème siècle, attribué au maître Siméon bar Yo’haï, rabbin de Palestine qui vivait au 2ème siècle de notre ère, mais plus probablement rédigé par le mystique espagnol Moses Ben Schemtob de Léon (1250 – 1305), mieux connu sous le nom de Moïse de Léon, juif espagnol de Grenade qui mit le livre en circulation.

    Ecrit en araméen, la langue de Jésus, l'ouvrage comprend 2400 pages très denses et résume l'ensemble des traditions kabbalistiques connues. Il y est notamment question de la hiérarchie du mal, ce que l'on appelle les esprits impurs des sept palais du démon. Ils constituent la polarité opposée aux dix « Sephiroth » divines, appelées « émanations » de Dieu, issues de l'unité divine immuable et qui procurent à l'homme bonheur et bénédiction. C'est à ces dix degrés que s'intéresse prioritairement la kabbale.

    Le Zohar pourrait donc avoir été composé en Espagne, à la fin du 13ème siècle. Mais quoi qu’il en soit, l’ouvrage reste le plus important de toute la littérature kabbalistique.

    Si l'on pense qu'il est étrange qu'un livre apocryphe ait pu s'imposer à tant de savants théologiens, aussi bien de la Synagogue que de l'Eglise, il faut se rappeler qu'il a circulé durant des siècles une masse de textes plus ou moins hérétiques, dans lesquels le strict monothéisme des Hébreux était interprété à la lumière de notions empruntées aux néo-platoniciens et aux néo-pythagoriciens : quelques-uns de ces livres remontent à une assez lointaine antiquité, et la kabbale, en dépit de sa systématisation relativement tardive, est l'héritière de tout un gnosticisme juif dont les Esséniens étaient déjà pénétrés.

    La doctrine kabbalistique embrasse la nature de la Divinité, les émanations divines ou Sephiroth, la création des anges et de l'homme, leur destinée future et le caractère réel de la Loi révélée.

    La théologie est panthéistique : toutes choses émanent de la Divinité insondable, l'En Soph ; tout ce que nous sommes, tout ce que nous voyons résulte d'un processus grandiose d'expression de, la Divinité par soi.

    La Divinité a 10 attributs les Sephiroth : la Couronne, la Sagesse et l'Intelligence forment la première triade ; l'Amour, la Justice et la Beauté la seconde ; la troisième triade comprend la Fermeté, la Splendeur et le Fondement. Le Royaume entoure les 9 autres car c'est la Che’hina ou halo divin.

    Les Sephiroth réunies forment une Unité stricte. Elles sont la Divinité à l'état de manifestation. Elles sont les unes masculines, les autres féminines : leur union a engendré l'univers. Celui-ci est formé de 4 mondes différents, par ordre de spiritualité décroissante : le monde de l'Action ou de la Matière est le plus inférieur ; Ie plus élevé est le monde de l’Émanation qui a procédé de l'En Soph, et qui est le monde céleste ou Archétype, la réunion des 10 Sephiroth formant l'Homme primordial (Adam Kadmon).

    Des diagrammes représentant un homme nu couronné, avec les 10 Sephiroth associées aux diverses parties du corps, jouaient un rôle dans les études mystiques, magiques et spéculatives des kabbalistes.

    Toutes les âmes qui doivent s'incarner ici-bas préexistent dans le monde des Émanations : chaque âme possède dix « potentialités » groupées en triades, chacune de ces âmes, avant d'entrer dans ce monde, est formée d'une partie masculine et d'une partie féminine, unies en un seul être. C'est ce que représentent plusieurs symboles occultes comme le Yin et le Yang ou l'hexagramme : un triangle représente la partie masculine et l'autre la partie féminine.

    Séparées sur la terre, les deux moitiés cherchent à se découvrir pour pouvoir se réunir à nouveau : c'est ce qui arrive dans le mariage authentique, mais seulement si l'âme est pure et si sa conduite est agréable à Dieu : sinon, elle doit revenir s'incarner ici-bas dans un corps humain, pour une ou deux existences. Si son corps est encore pollué par le péché, une autre âme est envoyée pour s'unir à elle, dans l'espoir que leur effort combiné engendrera un corps pur et sans tache. Quand toutes les âmes en attente auront accompli leur pèlerinage terrestre et auront habité des corps humains, réussi leur épreuve et seront retournées d'où elles sont venues, dans le sein infini de Dieu, le « Jour du Jubilé » commencera : le Messie descendra du Monde des âmes pour instaurer une ère de bonheur parfait, sans péché ni douleur, un « Sabbat qui n'aura pas de fin ».

    Les kabbalistes affirmaient qu'ils trouvaient toutes ces doctrines dans les Écritures hébraïques et, bientôt, des théologiens chrétiens soutinrent que la kabbale fournirait la preuve de la divinité du Christ et des autres doctrines chrétiennes essentielles : il y eut même, durant la Renaissance, un nombre respectable de juifs qui embrassèrent le christianisme à la suite de ces tentatives de l'ésotérisme chrétien.

    Les idées kabbalistiques ont subsisté jusqu'au 16ème siècle, et l'intérêt pour ces spéculations théosophiques n'a jamais disparu complètement sinon dans le judaïsme lui-même (où seuls les Hassidistes en sont encore partisans), du moins dans les divers mouvements occultistes, surtout ceux d'inspiration « chrétienne ». Puis la kabbale est tombée en discrédit dans le judaïsme, à mesure que l'élément magique tendait à en chasser la philosophie réelle.

    La kabbale est le mysticisme et le gnosticisme des juifs, dans lequel on trouve : 

    une théologie [2] mystique dont le fond était le dogme de l'émanation divine et une explication allégorique des Écritures

    une théurgie [3] par laquelle on prétendait soumettre à la volonté humaine les puissances surnaturelles en prononçant certains mots, et opérer avec leur secours toutes sortes de miracles.

    La kabbale, qui signifie tradition ou réception et désigne les doctrines mystiques du judaïsme fondées sur l’exégèse symbolique de la Bible, est en quelque sorte l'antithèse de la philosophie rationaliste : autant celle-ci tend à diminuer la part du surnaturel, autant celle-là tend à l'exagérer, à en scruter les profondeurs et à l'introduire partout, même dans la pratique journalière.

    Le nom de la kabbale n'est peut-être pas antérieur au 10ème siècle. En l'adoptant, les cabalistes juifs ont voulu dire que la kabbale était une science ancienne, transmise oralement, et expliquer par-là comment, malgré la haute antiquité qu'ils lui attribuent, elle ne peut prouver son authenticité par aucun monument écrit.

    Les adeptes de la kabbale et la superstition populaire ont fait de cette science, plus ou moins mystérieuse et secrète, une science divine, merveilleuse, par laquelle on opère des miracles, et qu'on fait remonter, par les artifices connus de la pseudépigraphie [3], à Abraham, à Moïse, aux docteurs les plus célèbres du Talmud (1er et 2ème siècles de l'ère chrétienne).

    Les quatre niveaux de lecture de la kabbale

    La kabbale consiste en l'étude du sens caché de la Torah, composée des 5 premiers livres de la Bible. Cette étude est basée sur diverses techniques de décryptage et de permutation des lettres, qui laissent apparaître de nouveaux sens et de nouveaux contenus. Il est dit que tous les événements de l'histoire passée et future y sont mentionnés et que chacun de nous y figure.

    La kabbale enseigne que l’on peut trouver quatre niveaux de lecture différents dans la Torah ou Pentateuque [5] :

    - « pshath » qui est le sens littéral, immédiat.

    - « réméz », le sens allusif (clin d’œil). Le texte suggère un symbole ou une image.

    - « drash », le sens donné par les Sages et concrétisé par le Talmud (allégorie ou exemple).

    - « sod », le sens caché (secret) incommunicable, et résultat d’une quête, avec à la clef la promesse d’aboutissement ou « pardes » mot qui signifie « jardin » en persan et est à l’origine du mot Paradis.

    La première lettre de chacun des quatre niveaux de lecture provient de l’acrostiche P.a.R.D.e.S.

    La kabbale symbolique utilise différents procédés de lecture d’un texte :

    • « Guematria »

    La gématrie ou encore guématrie, pour européaniser le terme, est l'une des trois méthodes de lecture des textes. Elle est basée sur le rapprochement des mots dont la somme des lettres qui les compose est identique.

    En hébreu, les lettres ont aussi une valeur numérique et chaque mot est un nombre. Il s’ensuit que deux mots différents dont les lettres sont écrites dans un autre ordre peuvent avoir la même valeur numérique, ou encore qu’un mot a la même valeur numérique que la somme de deux autres. Dans ces cas, il existe toujours une relation entre les différentes significations.

    En Hébreu le procédé peut être employé, car à chaque lettre de l'alphabet est associé un nombre et l'on distingue trois façons d'associer valeur et lettre :

    - la gématrie par rang, où chaque lettre a la valeur du rang qu'elle occupe (Aleph vaut 1 VAU vaut 6….)

    - la gématrie classique, basée sur le même principe que la gématrie par rang jusqu'à la 10ème lettre, ensuite les lettres valent 20 - 30 … (ainsi BETH vaut 2 ; LAMED vaut 30 - SHIN vaut 300 …)

    - la gématrie au carré ; chaque lettre vaut le nombre défini par la gématrie classique, multiplié par sa propre valeur, c'est à dire élevé au carré (BETH vaut 2x2 = 4 - VAU vaut 6 x 6 = 36 - ALEPH, invariable vaut 1…).


    Pour rétablir les valeurs classiques les correspondances numériques sont les suivantes :

    ALEPH ….1 - BETH ….2 - GUIMEL….3 - DALETH …4 - HE….5 - VAU…6 - ZAYIN ...7 - HETH...8 - TETH...9 - YOD...10 - KAPH...11 ou 20 - LAMED...12 ou 30 - MEM...13 ou 40 - NOUN ...14 ou 50 - SAMER ...15 ou 60 - AYIN …16 ou 70 - PE …17 ou 80 - TZADDE …18 ou 90 - QUOF…19 ou 100 - RESH …20 ou 200 - SHIN …21 ou 300 - TAV … 22 ou 400.

    Les valeurs des points voyelles, placés en finale des mots sont les suivantes :
    KAPH…500 - MEM…600 - NOUN…700 - PE … 800 - TZADDE … 900

    Prenons un exemple :

    « Adonaï » (Seigneur) a pour valeur numérique 10+5+6+5 = 26 qui est le nombre de Dieu.

    La gématrie n'est nullement un instrument de démonstration. C'est plutôt un outil de relativisation de la façon de percevoir un texte mais hélas, elle est sujette à de nombreuses dérives qui servent à édifier des théories farfelues - surtout si elle est appliquée à n'importe quelle langue alors qu'elle est exclusive à l'Hébreu. Son emploi aux divers alphabets, grec moderne par exemple, est infondé. Ainsi, le mot « désirs » de la langue française vaut « 666 » - nombre de la bête de l'Apocalypse de Saint Jean - et l'interpréter par « le désir n'est pas bien voire peu souhaitable » est plus qu'hasardeux !

    • « Notaricon »

    Le notarikon, c’est le second procédé de lecture des textes sacrés en hébreu. Il consiste à interpréter chaque lettre d'un mot comme l'abréviation d'une phrase (comme en France les sigles SNCF, RAPT…et pour nous autres GLRB… GADLU…)

    En d’autres termes, c’est une méthode basée sur la réunion des lettres initiales ou finales de plusieurs mots pour en former un seul « Themoura ». Elle consiste à transposer (permuter) les lettres d’un mot, ou à leur substituer, d’après certaines règles, d’autres lettres de l’alphabet de façon à former un autre mot que celui qui est dans le texte. Pour la kabbale, il y a toujours un sens sous le sens, sous le sens... !

    C'est le principe du sigle ou de l'acronyme.

    A titre d'exemple, le titre du livre clé de la kabbale, le Zohar s'écrit ZAYIN - HE - RESH est généralement traduit par SPLENDEUR. Mais il peut être considéré comme l'acronyme de la phrase « ZEH HA RESHIT » qui signifie « Voici le commencement… ».

    Le notarikon peut dévoiler ainsi des ressorts subtils.

    Le notarikon, à l'instar de la gématrie, peut s'appliquer à bien des langues.

    La cabale chrétienne

    A partir de la Renaissance, on a donné le nom de cabalistes non seulement à ceux qui étudient la kabbale judaïque, mais encore à tous ceux qui ont cru trouver des mystères dans les nombres, et à ceux qui ont cherché le moyen de communiquer avec ce qu'ils ont appelé « les esprits élémentaires ».

    La cabale chrétienne, comme la kabbale juive tire bon parti de certains mots mystérieux. Elle explique les choses les plus obscures par les nombres, par le changement de l'ordre des lettres et par des rapports dont les cabalistes se sont formé des règles.

    A l'instar les kabbalistes juifs, les cabalistes chrétiens se sont revendiqué de lointains ancêtres. Ainsi, dès les commencements du christianisme, les philosophes platoniciens et pythagoriciens cherchèrent à allier les nouveaux dogmes avec le système des émanations et des nombres, tels furent les gnostiques, Basilide, Valentin, Marc, Euphrate, qu'on ne peut considérer véritablement comme les premiers cabalistes, mais du moins comme les initiateurs de ce qu'on nommera plus tard la grande cabale

    La cabale chrétienne est parfois nommée « cabale philosophique » ou « cabale de la Renaissance ». C’est un courant philosophique chrétien inauguré par Pic de la Mirandole au 15ème siècle.

    Il consiste à adapter les techniques d'interprétation kabbalistique au christianisme en général et au Nouveau Testament en particulier. Selon Pic de la Mirandole, la cabale était un système d'interprétation capable d'éclaircir les mystères du christianisme.

    La « cabale de la Renaissance » avait pour objet principal de montrer l'unité des religions monothéistes. Pour cette raison, elle fut souvent combattue par les autorités ecclésiastiques hostiles à l’œcuménisme. Avec Pic, Gaffarel y définit la cabale comme « l'explication mystique des Saintes Écritures, explication qui fut transmise avant et après la venue du Christ ».

    Courant majeur du judaïsme ésotérique, la kabbale fut également étudiée par les auteurs chrétiens de la Renaissance, au point de donner naissance à une véritable cabale chrétienne. Mais, que ce soit chez les catholiques ou dans les Églises issues de la Réforme, la cabale chrétienne n’intéresse que quelques théologiens généralement influencés par le néo-platonisme mystique et l’ésotérisme chrétien : les différentes traditions entretiennent à la fois des courants favorables à l’usage de la cabale et d’autres qui lui sont foncièrement hostiles.

    La mystique ou le mysticisme qui a trait aux mystères, aux choses cachées ou secrètes, relève principalement du domaine religieux, et sert à qualifier ou à désigner ce qui relève d'expériences spirituelles de l'ordre d'un contact ou d'une communication avec une réalité non discernable par le sens commun. Le mystique chrétien privilégie « l’expérience personnelle de Dieu » plutôt que la réflexion : il lui faut ressentir plutôt que penser.

    Kabbale et soufisme

    La kabbale est la voie de l’ésotérisme hébraïque, et même elle est la forme spécifiquement hébraïque de la Tradition primordiale, comme le soufisme en est la forme musulmane, et l’ésotérisme chrétien, la forme spécifiquement chrétienne.

    Elle repose entièrement sur cette singularité de l’Écriture sainte, selon ce qu’en rapporte le Zohar : « Dans chaque parole de l’Écriture, le Saint, béni soit-il, a caché un mystère suprême qui est l’âme du mot, et d’autres mystères moins profonds, qui sont l’enveloppe du premier mystère. L’homme profane ne voit que dans chaque mot que le corps, c’est-à-dire le sens littéral. Par contre les hommes clairvoyants voient dans chaque mot l’enveloppe qui entoure l’âme et, à travers cette enveloppe, ils entrevoient l’âme bien que la vue claire et nette de cette âme leur soit impossible ».

    Ainsi la Sagesse d’en Haut qui fut révélée à Moïse, au mont Sinaï, en même temps que le Pentateuque, la Loi écrite, l’exotérisme du judaïsme, constitue la connaissance cachée qui est l’objet de l’ésotérisme hébraïque : « La kabbale, Loi orale secrète, recoupe le Pentateuque, la Loi écrite, qu’elle transcende ».

    Le mystérieux guide de Moïse mentionné dans le saint Coran – et que l’on identifie à Khidr – est le dépositaire, lui, d’une « Science émanant de nous » que Dieu lui a conférée (XVIII, 65).

    Mais la kabbale, en tant que tradition ésotérique, remonte naturellement à Adam. Et en tant que Science sacrée, elle remonte même à l’origine de Dieu et des choses, car elle « est la Science de l’Etre par excellence ». La kabbale est moins une technique, qu’un « mode de vie spirituelle ». Elle a été incarnée par quelques grands noms, tous des docteurs juifs, tels que Siméon bar Yo’haï, Abraham Aboulafia, Moïse de Léon, bien sûr, Moïse Cordovera, Isaac Louria (1534 – 1572), etc., chacun développant sa propre approche.

    Enfin, si la kabbale, à strictement parler, est une « voie de connaissance » qui « traite à la fois de l’essence de Dieu et des causes premières, de la création ainsi que de la connaissance des principaux noms sacrés et de leur énonciation exacte », et si elle se réfère principalement au Zohar, elle a aussi connu un développement original à compter du 18ème siècle, avec le Hassidisme.

    On peut dire que « les hassidim font apparaître la kabbale davantage comme une introduction à la vie sainte et à l’amour de Dieu que comme une science d’une rigueur tout intellectuelle ». On se trouve donc ici plutôt dans une voie d’amour, où la prière l’emporte sur les actes et même sur l’étude de la Torah. La kabbale se distingue par un mode opératoire pour lequel elle dispose d’instruments : un alphabet, des textes sacrés et les sephiroth.

    Les sephiroth

    * Une approche de la kabbale et du soufisme

    Les sephiroth ou « nominations pures », qui sont au nombre de 10, comptent parmi les 32 « mystérieux chemins de Sagesse » selon lesquels Dieu a créé le monde - les 22 autres « sentiers » étant constitués des 22 lettres de l’alphabet hébreu. Ces 10 sephiroth sont 10 aspects de l’Un par lesquels l’Un se manifeste, autrement dit, ils sont les « intermédiaires » entre l’Être et la création.

    La création elle-même a été rendue possible par le « retrait de Dieu à l’intérieur de lui-même », selon la théorie d’Isaac Louria (1534 - 1572), qui demeure le maître de la kabbale dite de Safed, la théorie du tsimtsoum, selon laquelle « Dieu s’est exilé en réservant à l’intérieur de son propre Être « une sorte d’espace mystique » pour la Création ».

    Au-dessus du monde des sephiroth « par lequel Dieu se manifeste », se place le monde caché de l’En-Sof, la « Volonté suprême », monde qui est sans commencement ni fin et qui demeure tout à fait inaccessible à l’homme. Chaque sephira est l’archétype d’un membre ou d’un organe de l’homme, l’unité séphirotique est appelée « l’Homme d‘en haut ».

    1. Kether – la Couronne – est la première sephirahet la 10ème est Malkhout – le Royaume. Les autres sephiroth unissent donc la Tête, le « Point suprême » où commencent les mystères intelligibles au Malkhuth, qui est le Royaume. De Kether émanent les 22 lettres de l’alphabet, et naissent aussi d’une part la Sagesse, ou le Père, car « sans elle il n’y aurait pas de commencement » et, d’autre part, l’Intelligence qui est appelée la Mère. Kether est, enfin, « l’Essence pure et divine » de l’homme.

    2. La seconde sephirah est Chokhmah, la Sagesse. Elle est le souffle qui vient de l’esprit et, pour l’homme, elle est sa connaissance de Dieu.

    3. La troisième est Binah, l’Intelligence. Elle est l’eau, et le discernement de l’homme entre le réel et l’irréel.

    4. La quatrième est Chesed, la Miséricorde. Elle est le feu, et la nature lumineuse de l’homme qui aspire toujours au Divin.

    5. La cinquième est Geburah, la Rigueur, ou Dîn, le Jugement, qui est le jugement véritable de l’homme sur toutes choses.

    6. La sixième est Tiphareth, la Beauté, qui est la beauté extérieure et intérieure de l’homme, sa sérénité et son amour.

    7. La septième est Netzach, l’Éternité. Elle est sa « puissance spirituelle ».

    8. La huitième est Hod, la Gloire (ou la Réverbération), qui est sa force naturelle.

    9. La neuvième est Yesod, le Fondement, qui est l’activité de l’homme. Les six dernières sephiroth représentent également les quatre points cardinaux et les deux pôles. 

    10. Il faut également ajouter Daath, la science qui est née de l’union de la Sagesse et de l’Intelligence, quoiqu'elle n’appartienne pas aux dix sephiroth traditionnels.

    Che’hina

    La 10ème sephirah, Malkhuth ou Royauté représente la « Présence de Dieu » ou la « présence réelle » de la Divinité : la Che’hina. On aura reconnu naturellement la Sakinah arabe, qui est la « Grande Paix ». « Selon la doctrine cachée, il est du devoir des hommes de foi de diriger tout leur esprit et toute leur intention vers la Che’hina», dit le Zohar. La Che’hina est, en effet, la « Résidence divine », le principe féminin en Dieu, séparée de son principe masculin, qui est le Saint, béni soit-il, Kadoch Baroukh Hou. C’est tout le drame de la Chute, de la séparation des deux principes en Dieu, et de l’Exil de la Che’hina qui constitue l’Histoire depuis les temps paradisiaques jusqu’à la venue du Messie Roi.

    L’exil de la Che’hina et sa séparation d’avec le Saint, béni soit-il, a donné lieu à des développements particulièrement suggestifs. Le Zohar rapporte ainsi cet enseignement de Siméon bar Yo’haï : « Il incombe à l’homme d’être mâle et femelle », toujours, afin que sa foi puisse rester inébranlable et que la Présence divine [la Che’hina] ne l’abandonne jamais.

    Une des principales fonctions de la Che’hina est, toujours selon le Zohar, de « servir d’intermédiaire au monde d’en haut pour correspondre avec celui d’ici-bas, et aussi d’intermédiaire au monde d’ici-bas pour correspondre avec celui d’en haut. Ainsi, elle est la Médiatrice parfaite entre le ciel et la terre ».

    A cette présence divine, enfin, est associé l’Ange Metatron ou l’Ange des Théophanies, « l’Ange de la Face », dont René Guénon fera remarquer, dans son « Roi du monde », qu’il est le « Pôle céleste », comme « le chef de la hiérarchie initiatique » est le « Pôle terrestre ». L’un et l’autre sont d’ailleurs « en relation selon l’Axe du monde ».

    Les instruments de la Kabbale

    L’alphabet

    Les 22 lettres-consonnes de l’alphabet hébreu ont une valeur numérique, et elles traduisent « la réalité ontologique ». L’alphabet hébreu ne peut en aucune manière être comparé aux alphabets des langues profanes, sauf à l’arabe, mais l’arabe n’est justement pas une langue profane. On fera remarquer, après René Guénon, que les mots qabbalah, kabbale en hébreu, et qibla, qui désigne l’orientation rituelle, en arabe, ont la même racine Q B L – ainsi d’ailleurs que la même orthographe.

    Par ailleurs, du fait de leur valeur numérique des consonnes, « des mots de consonnes différentes, mais de valeurs correspondantes, possèdent un radical ontologique identique ». Cette singularité de l’alphabet hébreu fera dire à A.- D. Grad : « On ne conçoit d’ailleurs pas d’autre langue idéale, où la différence entre l’Homme (Adam : Aleph-Daleth-Mem, soit 1+4+40+45) et la Femme (Havah - Heth - Vav - Hé, soit 8+6+5 = 19) peut donner le nombre de Yahweh, c’est-à-dire 26 (45 – 19 = 26) ».

    A partir de l’alphabet hébreu, Les kabbalistes ont donc développé une véritable science des lettres, qui repose sur des combinaisons multiples et divers procédés, dont la guématrie, qui consiste à comparer deux mots de même valeur numérale.

    Il existe d’autres procédés (plus de 70) dont les plus connus sont :

    • la notariquequi isole les lettres d’un mot et les confronte à d’autres mots. Par exemple Adam (Alef, Dalet et Mem) et Abraham, David, Messiah ; et encore

    • la thémourie qui consiste à substituer à une lettre la lettre qui suit immédiatement – « il faut un « langage en mouvement » pour un « homme en mouvement ».

    Les textes chiffrés

    Les kabbalistes opèrent sur des textes chiffrés tous tirés de l’Ancien Testament, qui reste le seul document traditionnel non tronqué – à l’exception notoire du saint Coran. Ils privilégient le Livre de la Genèse, et le Livre d'Ezéchiel. Mais aussi le premier chapitre du Livre de la Genèse, et le premier verset qui « contient déjà tout le Livre », et le premier mot qui, lui-même « contient le premier verset ». « Et la première lettre du premier mot, beith, de valeur numérique 2, renferme à elle-seule toute une cosmogonie ».

    Autre livre d’une égale importance pour les kabbalistes : Le Cantique des Cantiques : « De tous les cantiques qui existent, dit le Zohar, aucun n’est aussi agréable au Saint Béni soit-il, que le Cantiques des Cantiques ». Il est dit également qu’il renferme « tout ce qui existe, tout ce qui a existé, tout ce qui existera » et aussi que « tous les événements qui se passeront au septième millénaire, qui est le Sabbat du Seigneur », s’y trouvent résumés.

    Abordons à présent la troisième forme de kabbale : la qabale arabe, autrement dit le soufisme.

    Le soufisme

    Qu’est-ce que le soufisme ?

    Le soufisme (ou Tasawwouf) est une quête ontologique et religieuse dans l'islam. C'est une voie intérieure apparue avec la révélation prophétique de l'islam, ayant pris ses racines initiales dans l'orthodoxie sunnite essentiellement, mais qui a évolué épistémologiquement — pour certains de ses courants — pour ensuite problématiser les dissidences chiites (ismaïlisme, Druzes).

    Le tassawouf est par conséquent un élan de l'âme loin du théisme orthodoxe de l'islam. Son discours est contemplatif et son esthétique verbale est poétique.

    Le soufisme est le mysticisme de l’Islam. Comme tel, il a la particularité d’exister aussi bien dans l’Islam sunnite que dans l’Islam chiite. Décrire le soufisme est une tâche redoutable. Comme tout mysticisme, il est avant tout une recherche de Dieu et son expression peut prendre des formes très différentes. D'autre part, par ses aspects ésotériques, il présente des pratiques secrètes, des rites d’initiation, eux aussi variables selon les maîtres qui l’enseignent.

    Bien que le soufisme se veuille rigoureusement musulman, l’Islam traditionnel, sunnite et chiite, considère le soufisme avec la plus grande méfiance !

    En Iran, la grande majorité des mollahs y est vivement opposée et dans l’Islam sunnite, la plupart des Ouléma sont beaucoup plus intéressés par la lettre du Coran et ses interprétations juridiques que par les spéculations des soufis auxquelles ils trouvent une odeur de soufre. Cette opposition généralisée contribue à la discrétion du soufisme.

    En outre le soufisme n’a aucune unité. Chaque maître se constitue une cohorte de disciples attirés par la réputation de son enseignement. Tout au plus, ces maîtres déclarent se rattacher à une « confrérie », elle-même fondée par un célèbre soufi des siècles passés ; personne ne vérifie une quelconque orthodoxie de l’enseignement donné, du moment qu’il se réfère à l’Islam.

    L’importance de cet Islam secret n’en est pas moins remarquable. Historiquement, il a joué un rôle de premier plan dans la naissance des déviations du chiisme que sont l’Ismaélisme et la religion druze. En littérature, il a profondément inspiré certaines des œuvres arabo-persanes les plus remarquables comme les « contes des Mille et Une Nuits » ou le poème d’amour de « Layla et Majnoun ».

    C’est cependant par sa spiritualité que le soufisme est le plus original.

    La spiritualité du soufisme

    Les musulmans soufis sont des personnes qui recherchent l'intériorisation, l'amour de Dieu, la contemplation, la sagesse. Il s'agit d'une organisation initiatique et ésotérique.

    Souvent mis en opposition avec l'islam traditionnel par les Occidentaux et les musulmans, et bien qu'en réalité les anciennes « voies » soufies aient fait l'intense promotion d'un enseignement très orthodoxe, le soufisme cultive volontiers le mystère, l'idée étant que Mahomet aurait reçu en même temps que le Coran des révélations ésotériques qu'il n'aurait partagées qu'avec quelques-uns de ses compagnons.

    En tant que notables, les soufis combattent au nom de l'islam le vice sous toutes ses formes, montrant justement par là leur aspiration à l'application pleine et entière des lois islamiques. Leurs luttes se sont souvent tournées contre ceux qui menacent de dévoyer la spiritualité des croyants, y compris des émirs licencieux.

    Dans la conception soufie, l’approche de Dieu s’effectue par degrés. Il faut d’abord respecter la loi du Coran, mais ce n’est qu’un préalable qui ne permet pas de comprendre la nature du monde. Les rites sont inefficaces si l’on ignore leur sens caché. Seule une initiation permet de pénétrer derrière l’apparence des choses. L’homme, par exemple, est un microcosme, c’est-à-dire un monde en réduction, où l’on trouve l’image de l’univers, le macrocosme. Il est donc naturel qu’en approfondissant la connaissance de l’homme, on arrive à une perception du monde qui est déjà une approche de Dieu.

    Selon les soufis, toute existence procède de Dieu et Dieu seul est réel. Le monde créé n’est que le reflet du divin, « l’univers est l’Ombre de l’Absolu ». Percevoir Dieu derrière l’écran des choses implique la pureté de l’âme. Seul un effort de renoncement au monde permet de s’élancer vers Dieu : « l’homme est un miroir qui, une fois poli, réfléchit Dieu ».

    La doctrine du soufisme

    Du point de vue des idées, le soufisme est un courant ésotérique et initiatique, qui professe une doctrine affirmant que toute réalité comporte un aspect extérieur apparent (exotérique) et un aspect intérieur caché (ésotérique). Il se caractérise par la recherche d'un état spirituel qui permet d'accéder à cette connaissance cachée. Cette importance accordée aux secrets a même mené jusqu'à l'invention des langues artificielles par les confréries.

    Le Dieu que découvrent les soufis est un Dieu d’amour et on accède à Lui par l’Amour : « qui connaît Dieu, L’aime ; qui connaît le monde y renonce ». « Si tu veux être libre, sois captif de l’Amour ».

    Ce sont des accents que ne désavoueraient pas les mystiques chrétiens. Il est curieux de noter à cet égard les convergences du soufisme avec d’autres courants philosophiques ou religieux : à son origine, le soufisme a été influencé par la pensée pythagoricienne et par la religion zoroastrienne de la Perse ; l’initiation soufie, qui permet une re-naissance spirituelle, n’est pas sans rappeler le baptême chrétien et l’on pourrait même trouver quelques réminiscences bouddhistes dans la formule soufie « l’homme est non-existant devant Dieu ».

    Même diversité et même imagination dans les techniques spirituelles du soufisme : la recherche de Dieu par le symbolisme passe, chez certains soufis, par la musique ou la danse qui, disent-ils, transcende la pensée ; c’est ce que pratiquait Djalal ed din Roumi, dit Mevlana, le fondateur des derviches tourneurs. Chez d’autres soufis, le symbolisme est un exercice intellectuel où l’on spécule, comme le font les juifs de la kabbale, sur la valeur chiffrée des lettres ; parfois aussi, c’est par la répétition indéfinie de l’invocation des noms de Dieu que le soufi recherche son union avec Lui.

    Le soufisme apporte ainsi à l’Islam une dimension poétique et mystique qu’on chercherait en vain chez les exégètes pointilleux du texte coranique. C’est pourquoi ces derniers, irrités par ce débordement de ferveur, cherchent à marginaliser le soufisme. C’est pourquoi aussi les soufis tiennent tant à leurs pratiques en les faisant remonter au prophète lui-même : Mahomet aurait reçu, en même temps que le Coran, des révélations ésotériques qu’il n’aurait communiquées qu’à certains de ses compagnons. Ainsi les maîtres soufis rattachent-ils tous leur enseignement à une longue chaîne de prédécesseurs qui les authentifie.

    Cette légitimité par la référence au prophète n'entraîne cependant pas d'uniformisation du mouvement soufi : les écoles foisonnent et chacune a son style et ses pratiques. Ces écoles sont généralement désignées en français sous le nom de confréries.

    Ces confréries sont devenues, non pas une institution, mais au moins une manière de vivre l'Islam si généralement admise que toutes sortes de mouvements, mystiques ou non, se parent du titre de confrérie pour exercer leurs activités. Qu'on ne s'étonne donc pas de rencontrer parfois des confréries fort peu mystiques à la spiritualité rudimentaire, bien éloignée des spéculations élevées qui ont fait du soufisme l'une des composantes majeures de la spiritualité universelle.

    Soufisme, mystique et & ésotérisme

    Le soufisme recouvre des réalités très différentes dans l’Islam.

    La « mystique » au sens propre consiste à vivre le plus possible uni à Dieu. La vie mystique est ouverte à tous : il s’agit de laisser Dieu, par amour, vivre en nous. La mystique n’est pas une disparition de la personne qui garde son caractère, son histoire, son génie même, et tout ce qui fait qu’elle est unique et lui permet d’être aimée.

    Toutes les religions proposent-elles une mystique ?

    A l’évidence seulement celles qui ont rencontré Dieu comme personne et donateur de vie. Dans ce sens il n’est pas impossible à des musulmans de vivre la mystique, qu’ils soient soufistes ou non. Il est certain que le soufisme met l’accent sur cette union à Dieu.

    Mais est-ce toujours dans des conditions dignes de Dieu et de l’homme ? C’est ici qu’il est nécessaire de voir la distinction radicale entre « mystique » et « ésotérisme ». Car l’ésotérisme tourne véritablement le dos à la mystique.

    L’ésotérisme, c’est la volonté de puissance spirituelle par l’accession à des « secrets » ou des techniques. Loin de libérer l’homme, ces secrets et ces techniques fabriquent un spiritualisme artificiel dans lequel le « connaissant » s’enferme.

    L’illusion de « connaître » empêche d’entendre Dieu qui se révèle en parlant à qui est assez humble pour désirer le connaître tel qu’il se dit.

    Ainsi certains s’enferment dans une théorie numérologique, d’autres dans les différents tiroirs d’une caractérologie déterministe, d’autres encore dans des rubriques d’horoscopes, d’autres dans des techniques de méditation.

    Alors que la mystique est accueil de Dieu, de sa révélation et de son amour, l’ésotérisme prétend donner le pouvoir d’acquérir Dieu, voire de devenir Dieu en franchissant par ses propres efforts des degrés de « connaissance » réservés à des « initiés » qui se réservent ces pouvoirs.

    Il n’est sans doute pas difficile de comprendre que si Dieu existe véritablement, il est encore plus « personne » que l’Homme. Il a donc aussi une liberté. Et s’il est libre de se donner, comment pourrait-on mettre la main sur lui par des « connaissances » et des « initiations ». Dieu ne s’atteint que s’il se donne lui-même, et si on l’accueille.

    Une kabbale des druides et des magiciens ?

    Enfin, à l’issue de cette longue suite d’informations à propos « des » kabbales, il semblerait qu’il existe aussi une kabbale des druides et des magiciens qui serait une autre approche mystique du mystère de la Création, proche des mythes des peuples sumériens et égyptiens. Il y a plusieurs manières d’interpréter et de pratiquer la kabbale, et chacun a sa perception différente de la signification des symboles et des sens. D'origine sémite mais complètement déformée dans le temps, le socle de cette kabbale est la mystique égyptienne et son astronomie.

    En synthèse

    Le mot « kabbale » qui dérive donc de l'hébreu Qabbalah, désigne les « doctrines reçues par tradition ». La vraie kabbale est un système de philosophie et de métaphysique mystique. Son originalité réside dans son approche de la genèse par la voie mystique et la voie de la connaissance. Il s'agit d'une sagesse très ancienne qui nous révèle le fonctionnement de la vie et de l'univers.

    La kabbale accorde, comme l'école de Pythagore, une valeur mystique aux nombres. Trois sens peuvent être découverts en chaque mot sacré. D'où trois interprétations ou kabbales différentes.

    En dépit de sa systématisation relativement tardive, la kabbale est l'héritière de tout un gnosticisme juif dont les Esséniens étaient déjà pénétrés.

    La kabbale est comme une introduction à la vie sainte et à l’amour de Dieu.

    Mais la kabbale, c’est aussi un livre : le fameux Zohar (qui signifie l'illumination), ou Livre de la Splendeur.

    La kabbale est la voie de l’ésotérisme hébraïque. Elle est même la forme spécifiquement hébraïque de la Tradition primordiale, comme le soufisme en est la forme musulmane, et l’ésotérisme chrétien, la forme spécifiquement chrétienne.

    La cabale chrétienne est parfois nommée « cabale philosophique » ou « cabale de la Renaissance ». C’est un courant philosophique chrétien inauguré par Pic de la Mirandole au 15ème siècle.

    Quant au soufisme, il est le mysticisme de l’Islam, une quête ontologique et religieuse dans l'islam. Il recouvre des réalités très différentes dans cette religion. Il met l’accent sur l’union à Dieu. C'est une voie intérieure apparue avec la révélation prophétique de l'islam, un élan de l'âme loin du théisme orthodoxe de cette religion. Son discours est contemplatif et son esthétique verbale est poétique.

    Le message du soufisme est celui du miracle de l'union entre l'âme individuelle et l'Absolu de la nature divine. L'homme reçoit la révélation et peut déployer son âme. Ce déploiement se fait dans l'extase, la dissolution de l'ego et du soi. Touchant alors directement tout être et toute chose, l'âme de l'individu devient conscience divine.

    Le soufisme exige que l'âme se dépouille des limitations de l'homme, de ses habitudes et de ses préjugés qui étaient devenus une « seconde nature » et se couvre des caractéristiques de la nature primordiale de l'homme, c'est à-dire la pureté, la sincérité, la générosité...

    Le soufisme comme la Franc-maçonnerie comporte des grades et des degrés d'initiation débutant par l'apprenti « Talib » qui, en suivant un long et difficile parcours initiatique, deviendra un aspirant « Murîd ». Celui-ci passera par des « Maqâmat », c’est-à-dire des étapes d'initiations successives, et accédera à la dignité de « Murshid », directeur spirituel, guide des disciples, collaborateur du maître, gardien des règles et rites. Le moment venu, toutes les épreuves surmontées, le maître confère l'investiture au « Murshid » pour devenir un « Cheikh », maître possédant la « baraka » et le secret de la science divine «al-ma'rifa».

    A ce stade-là, il est dit que le maître sait distinguer l’homme (son maître passé) de son enseignement, s'attacher à la valeur propre de cet enseignement et non pas du comportement du maître.

    Conclusion provisoire

    Cette planche devrait avoir permis de préciser les orthographes possibles du mot « kabbale » : cabale, cabbale ou qabbale. Ce mot vient de la racine hébraïque KBL qui signifie « recevoir ». Je ne me suis pas préoccupé du sens figuré du mot « cabale » qui signifie alors « un complot formé par plusieurs personnes afin de nuire à autrui ».

    Ensuite, plus longuement, ce travail m’a permis de collecter une foule de précisions quant au sens du mot « kabbale ».

    La kabbale est une manière de regarder le monde, de se regarder voir le monde. Cette « manière » est originale parce qu'elle associe l'attente d'une révélation fulgurante (la voie mystique, ou intuitive) à l'étude patiente (la voie rationnelle).

    Autrement dit, le kabbaliste cultive l'art de comparer et de rendre compte de ses observations tout en intériorisant l'expérience de l'Unité retrouvée. Il fait travailler en même temps les deux hémisphères de son cerveau. Ses exercices ont pour effet d'établir des connexions entre la raison, l'intuition et l'imagination. Sa démarche est à la fois intellectuelle et spirituelle.

    Puisse ce long travail avoir permis à mes Frères de mieux percevoir la signification du mot kabbale pour envisager de nouvelles recherches dans le symbolisme, le mysticisme, l’ésotérisme, la Tradition… que nous sommes chargés de transmettre.

    R:. F:. A. B.

    [1] La Merkabah ( ou Merkavah) est un terme hébreu qui signifie char (de la racine R - K - B signifiant chevaucher). C'est un des plus anciensthèmes de lamystique juive. Il s'agit pour le mystique d'accéder à la contemplation de ce trône céleste. 

    [2] La théologie est l’étude de la religion, des textes sacrés, des dogmes...

    [3] La (une) théurgie, est une forme de magie, qui permettrait à l'homme de communiquer avec les « bons esprits » et d'invoquer les puissances surnaturelles aux fins louables d'atteindre Dieu.

    [4] La pseudépigraphie désigne un ouvrage dont le nom de l’auteur ou le titre a été faussement attribué. Un pseudépigraphe est le nom donné aux livres bibliques qui portent de faux titres, de faux noms.

    [5] Le terme Pentateuque désigne les cinq premiers livres de la Bible, aussi appelés les cinq Livres de Moïse, bien qu'ils aient probablement été rédigés ou compilés par Esdras. Les Livres du Pentateuque sont : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, Nombres, et le Deutéronome. Ces cinq livres racontent l'histoire du peuple d'Israël, depuis la création du Monde jusqu'à la mort de Moïse. Ils constituent dans la religion juive la Torah (la Loi) car, outre les récits historiques, on y trouve tout un ensemble de prescriptions religieuses, rituelles, culturelles, juridiques, etc., bases du judaïsme.

     

    Bibliographie

    Canseliet Eugène - Alchimie

    Etudes diverses de symbolisme hermétique et de pratique philosophale

    Editions Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1964

    Nouvelle édition revue et augmentée – 1978

     

    Fulcanelli - Les Demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré

    Pauvert Editions, 1992

     

    Gershom Scholem - Le Zohar, Le Livre de la Splendeur

    Editions du Seuil, Paris, 1980

     

    Grad A. – D.  -  Pour comprendre la kabbale

    Editions Dervy, Paris, 1999

     

    Ifrah Georges - Histoire universelle des Chiffres

    Editions Robert Laffont, Paris, 1994

     

    Malherbes Michel - Les religions de l’humanité

    Editions Critérion, 2004 – pages 192 - 194

     

    Royston Pike E. - Dictionnaire des religions

    Adaptation française de Serge Hutin

    Presses Universitaires de France, 1954

     

    Schaya Léo - L’homme et l’absolu selon la kabbale

    Editions Dervy, Paris, 1995

     

    Secret François - Les Kabbalistes chrétiens de la Renaissance

    Dunod, Paris, 1964

     

    Z’ev ben Shimon Halevi - La cabbale

    Editions du Seuil, Paris, 1980


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  •  De Midi à Minuit, l'heure des Travaux 

    Introduction

    C’est avec surprise et curiosité que les nouveaux Initiés entendent la demande du Vénérable Maître d’ouvrir les Travaux « puisqu'il est Midi » puis de les fermer lorsqu'il est Minuit, alors qu’en réalité les Travaux débutent généralement vers 19 h 45 et durent à peine deux heures !

    Pourquoi nous annoncer qu’ils commencent à Midi et s’étendent sur douze pleines heures, en totale contradiction avec nos montres ?

    Ce décalage avec la réalité des horloges est tel qu’il ne peut, à l’évidence, être fortuit. Le rituel nous envoie un message qu’il nous faut décoder.

    Commençons cette planche par un examen de notre rituel d’Ouverture et de Fermeture des Travaux au Rite moderne.

    Examen de nos rituels d’Ouverture et de Fermeture des Travaux

    A L’OUVERTURE DES TRAVAUX

    V:. M:.

    F :. 1er Surveillant, à quelle heure les Apprentis – Maçons ont-ils coutume d'ouvrir leurs Travaux ?

    1er Surv:.

    A Midi !

    V:. M:.

    F:. 2nd Surveillant, quelle heure est-il ?

    2nd Surv:.

    Il est Midi !

    Les seules explications qu’un bienveillant Frère Surveillant avait pu me donner, il y a longtemps, en séminaire d’Apprentis étaient les suivantes : « tout ce qui vient de se faire s’est fait avant « Midi ». Car c’est à « Midi » que commence symboliquement la Tenue. Le soleil est à son zénith et à l’heure de midi, il répand sa pleine lumière. Les Travaux se déroulent symboliquement de Midi à Minuit ».

    Mais je n’avais pas eu droit à d’autres explications.

    A LA CLÔTURE DES TRAVAUX

    V:. M:.

    F:. 1er Surveillant, à quelle heure les Apprentis – Maçons ont-ils coutume de clore leurs Travaux ?

     

    1er Surv:.

    A Minuit, V:. M:.

    V:. M:.

    F:. 2nd Surveillant, quelle heure est-il ?

    2nd Surv:.

    Il est Minuit.

     

    Ici aussi les explications furent très succinctes : « Les Travaux se sont déroulés symboliquement de Midi à Minuit ».

    Notre Frère Surveillant nous avait simplement expliqué qu’en Loge, le temps n’existe plus et que c’est à « Minuit », heure symbolique à laquelle se termine la Tenue, c’est-à-dire généralement entre 22 et 23 h profanes !

    A « Minuit » symbolique, les conditions ne sont plus remplies pour pouvoir poursuivre les Travaux. Nous nous apprêtons donc à regagner le monde profane, pour y poursuivre l’œuvre commencée dans l’espace sacré. La Lumière que chacun emporte dans son cœur devrait continuer à illuminer la voie.

    Cette planche, intitulée « De Midi à Minuit, l’heure des Travaux », est une modeste réflexion sur ce temps propre aux Travaux maçonniques qui se déroulent symboliquement entre Midi et Minuit. Je vais donc tenter de vous faire découvrir quelque peu le symbolisme qui s’offre à nous.

     

    L’heure des Travaux

    Confirmons tout d’abord ce constat : lors des Travaux en Loge, il est en effet de coutume pour le Vénérable Maître de s’informer de l’heure au début et à la fin de toute Tenue ou cérémonie. Et les Frères Surveillants de répondre invariablement qu’il est Midi ou qu’il est Minuit, l’heure d’Ouvrir ou de Clore les Travaux.

    Les  Travaux, quant  à eux, sont toujours délimités dans un espace compris entre l’Orient et l’Occident, le Septentrion et le Midi, le Zénith et le Nadir.

    Ainsi, à chaque Tenue, le rituel nous rappelle que le Travail maçonnique commence, d’une manière symbolique, à Midi pour se terminer à Minuit.

    Cet échange verbal entre le Vénérable Maître et les Frères Surveillants, ne devrait-il pas nous faire prendre conscience que la Lumière ne peut s’observer que par rapport aux Ténèbres ?

     

    De Midi à Minuit

    « De Midi à Minuit », cela veut dire que les Travaux commencent à Midi en pleine lumière quand le soleil est à son zénith, là où aucune ombre ne subsiste. Cette pleine lumière est nécessaire pour éclairer notre esprit. Et les Travaux  s’achèvent à Minuit plein, quand la Lune et la nuit prennent possession de la voûte céleste et que l’obscurité la plus profonde descend jusqu'au Nadir. C’est l’annonce du repos et la fin du travail du jour.

    Bien entendu la Fermeture des Travaux ne veut pas dire que tout finit «  ici et maintenant » car, comme nous pouvons l’entendre dans le rituel de Fermeture des Travaux de certaines Loges travaillant au Rite Écossais Rectifié, le Vénérable Maître ajoute un peu après :

    « Que la lumière qui a éclairé nos Travaux continue de briller en nous pour que nous achevions au dehors l’œuvre commencée dans le temple, mais qu’elle ne reste pas exposée aux regards des profanes » !

    Il s’agit alors pour nous tous d’amener la Lumière dans le monde profane !

    Chaque Tenue n’est-elle pas un voyage et un petit pas vers nous-mêmes ?

    Un proverbe chinois ne dit-il pas qu’un long voyage commence toujours par un premier pas ?

    Nous avons tous effectué ce premier pas lors de notre Initiation au grade d’Apprenti. Mais ce n’est souvent que bien plus tard que nous comprenons les raisons de la rédaction de notre testament philosophique qui met un terme à notre vie profane. Ce dépouillement et l’abandon des métaux servent de relais à notre nouvelle vie d’initié, et nous fait prendre conscience de ce que nous sommes venus chercher en Maçonnerie, c’est la Lumière !

    Le premier travail symbolique qui nous a été demandé juste après notre Initiation fut de donner trois coups de Maillet avec le Ciseau sur la Pierre brute. A ce moment-là notre travail de recherche sur nous-mêmes venait de commencer. Et ce travail, qui s’effectue symboliquement entre Midi et Minuit n’a de sens que pour les Initiés.

    C’est ce moment entre Midi et Minuit où nous sommes en dehors du monde profane, que commence la construction de notre temple intérieur, fait de compréhension et de tolérance, et  qui ne peut se faire que dans le silence, en prêtant beaucoup d’attention. A ces moments-là, point de place à la dispersion car cet enseignement reçu doit rejaillir plus tard sur nos attitudes, dans nos propos et dans nos manières d’être dans le monde profane.

    Cette vie initiatique, qui est la nôtre, est l’accomplissement d’un permanent et difficile voyage qui, avec l’expérience doit nous amener à une élévation morale qui nous conduira  à terminer cette vie en homme meilleur.

    Cette recherche personnelle intérieure doit nous permettre de donner un sens à notre vie et de modifier notre manière d’être.

    Ce travail fait en commun symboliquement entre Midi et Minuit permet à chaque Maçon de recevoir symboliquement son salaire et d’être content et satisfait.

    Mais vient le moment de nous séparer, non sans avoir auparavant partagé tous ensemble ce merveilleux moment trop rapide de communion, de sincérité et de respect : la Chaîne d’union dans laquelle nous pouvons sentir toute la force et l’énergie de la Loge nous envahir. Chaîne d’union qui nous unit par les mains, le cœur, et l’esprit.

    Ne serait-ce pas merveilleux si la fraternité qui nous unit à ce moment-là pouvait régner sur l’humanité toute entière, et pas uniquement entre Midi et Minuit ?

     

    Tentative d’interprétation

    Dans la phase initiale du rituel du 1er degré, lors d’une série de « triangulations » avec les deux Surveillants, le Vénérable Maître annonce que, puisqu'il est l’heure et que nous avons l’âge, il est temps d’ouvrir les Travaux !

    L’heure d’Ouverture des Travaux correspond – comme on le dit au Rite Écossais Rectifié – à « Midi plein », c’est-à-dire au moment de la journée où la lumière est à son maximum et le Soleil au Zénith.

    De même, la Clôture des Travaux doit être effectuée à « Minuit plein », quand l’obscurité est à son maximum et le Soleil au Nadir. Ainsi, les Travaux de Loge, du fait de leur caractère rituel, se déroulent symboliquement en conformité harmonique avec les cycles naturels et notamment avec le parcours journalier du soleil.

    Mais la précision de cette interprétation requiert un examen plus détaillé.

    Avant tout, il faut se demander pour quelle raison les Travaux maçonniques doivent – nécessairement, pourrait-on dire – être ouverts et fermés respectivement à Midi et à Minuit.

    La « clef » d’interprétation la plus adéquate me semble contenue dans certaines considérations de René Guénon qui, traitant de la correspondance analogique existant entre les différentes « échelles » des cycles cosmiques, remarquait que « dans la journée, la moitié ascendante est de minuit à midi, la moitié descendante de midi à minuit » [1].

    Ainsi, les phases du jour, comme celles du mois, mais à une échelle encore plus réduite, reproduisent analogiquement celles de l’année ; il en est de même, plus généralement, pour un cycle quelconque, qui, quelle que soit son étendue, se divise toujours naturellement suivant la même loi quaternaire.

    Suivant le symbolisme chrétien, la naissance de l’Avatâra [2] a lieu non seulement au solstice d’hiver, mais aussi à minuit ; elle est donc ainsi doublement en correspondance avec la « porte des dieux » dont il est question dans nos rituels de la Saint-Jean.

    À partir de ces correspondances entre cycle annuel et cycle journalier, ne pourrions-nous pas considérer que midi et minuit jouent dans le cycle journalier un rôle analogue à celui des deux solstices dans le cycle annuel ?

    Le monde du jour et de la nuit

    Alors que le temps profane du travail s’étend ordinairement du lever au coucher du soleil, le temps imparti aux Travaux du Maçon est délimité par le passage du soleil aux deux demi-méridiens.

    En astronomie, ces bornes midi – minuit correspondent au passage du soleil à son zénith, c'est-à-dire au maximum de sa lumière puis, douze heures plus tard, au nadir, dans l'obscurité d’un noir minuit.

    Le Travail du Maçon est ainsi placé sous la lumière du soleil descendant qui, à peine après avoir montré le maximum de sa lumière, va diminuer d’intensité pour faire place aux Ténèbres, qu’un pâle reflet lunaire pourrait adoucir.

    Soleil, Ténèbres et Lune : voilà trois pistes que le rituel nous invite à explorer.

    Le soleil est, dans toutes les civilisations, l’image vitale par excellence. C’est le père cosmique, le principe actif qui fait naître, fortifie et épanouit. Se consumant pour tous les êtres vivants sans exception, sa lumière généreuse est disponible pour tous. Elle est donnée sans contre partie : c’est l’image de l’amour toujours présent, éternel, qu’on peut qualifier de divin car, sans lui, rien n’existe ni ne peut exister.

    Cet amour, renouvelé à chaque lever, il nous demande de le propager comme il le fait, sans en imposer les formes, sachant cependant que les premières d’entre elles s’appellent fraternité, entraide et solidarité.

    Ce soleil symbolique, entrant dans les recoins de l’âme, dissout le doute, et, comme le feu auquel il renvoie, purifie pour régénérer. Son rayonnement est une force vitale qui pousse vers l’avant, vers une vie nouvelle, débarrassée du passé et des pulsions morbides.

    Il est Midi, la lumière au Zénith est à son maximum d’intensité ; ses vertus bienfaisantes à leur paroxysme. Il n’est pas de meilleure heure pour débuter nos Travaux, l’âme purifiée, le cœur baigné de l’amour que ses rayons insufflent, conduisant au désir de construire une vie nouvelle dans la promesse d’une moisson abondante.

    Cependant comme excès de soleil brûle et assèche, il faut que sa chaleur s’atténue pour qu'elle soit bienfaisante. C’est précisément à Midi que le soleil commence à décliner, brillant sans brûler.

    Puis, le soleil s’enfonce inexorablement sous l’horizon ; sa lumière s’éteint, cédant place à l'obscurité qui efface la lumière de l’amour que l’on souhaiterait pourtant éternellement présente.

    Ces Ténèbres qui s’installent ne viennent pas pour nous effrayer mais pour nous rappeler que « le monde visible est fait de lumière et de ténèbres, mêlés avec le plus bel art » (Goethe,  Traité de Physique).

    Lumière et Ténèbres, bien et mal, ange et démon, mêlés en s’opposant, en lutte perpétuelle car si l’un l’emporte, il n’y aurait ni mouvement, ni changement, ni évolution pour l’homme devenu alors enchaîné car privé de sa liberté.

    Cette obscurité en contraste avec le plein jour, c’est l’expression de la tension existentielle, conséquence de notre liberté de choix entre des contraires présents en nous.

    Ces Ténèbres nous questionnent sur le sens de notre existence, suggérant qu’existence et liberté sont des termes complémentaires. La condition humaine est dans la possibilité, le choix de soi-même ; l’homme en existant se découvre responsable de soi, non pas étant mais ayant à être.

    Mais, voici qu’apparaît la Lune, renvoyant la lumière solaire que l’on croyait disparue.

    La Lune, qui reçoit et réfléchit la lumière solaire, symbolise le principe passif en contraste avec le soleil, principe actif par essence.

    Dans la plupart des mythologies et traditions encore actuelles, elle est associée à l’idée de fertilité, lui prêtant une influence, faste si l’on sait s’en faire une alliée, sur la végétation, les maladies, les animaux…

    La Lune est la matrice dans laquelle le germe se développe. Elle symbolise le processus secret de la gestation dans le mystère de l’âme. C’est la lumière de l’intérieur qui indique que toute connaissance profonde passe par une communion spirituelle. La Lune absorbe la pensée discursive, logique et la mêle à l’imagination, l’intuition, la sensibilité, la nuance, le rêve, la poésie. Elle est l’inconscient profond, le trésor des origines ou du passé. Elle correspond à l'eau, sous son aspect purificateur qu’on retrouve au baptême ou à l’Initiation ; l’eau, solvant universel qui dissout ce que le feu a laissé. La Lune, mère nourricière, est la matrice, le creuset d’une possible renaissance.

    Le message symbolique

    Soleil et Lune, Lumière et Ténèbres vont de pair sans s’opposer ; leurs qualités propres s’ajoutent et se complètent. De cette fusion des principes actif et passif, naît l’« androgyne », harmonieuse conciliation des parts masculine et féminine.

    Ne pourrions-nous pas aussi voir dans ces douze heures de travail, bornées par Midi et Minuit, l’image d’une année de vie (douze mois), faite d’une lutte herculéenne (douze travaux) entre Lumière et Ténèbres ? Continuant cette symbolique des nombres, ne pourrions-nous encore y voir une incitation à contribuer au parachèvement de l’œuvre du Grand Architecte de l’Univers en agissant sur la Matière (4) par l’Esprit divin (3) présent en nous ?

    Toute cette symbolique de la nuit, du jour, du nombre, ne nous rappelle-t-elle pas que le Temps maçonnique, c’est le temps créateur, dédié à la construction de soi. Elle peut aussi nous rappeler que ce temps est limité, que Kronos dévore ses enfants et que la mort est son terme.

    Temps commun et Temps maçonnique

    Le Temps des Travaux maçonniques s’oppose au temps économique et social profane, tout en s’écoulant dans le temps des horloges, reflet du mouvement diurne et annuel du ciel. C’est ce temps commun que réfèrent la physique, la métaphysique, l’art, la littérature, l’ésotérisme, etc.…

    Comment le Temps maçonnique s’insère-t-il dans ce temps commun ? La décomposition naturelle du temps entre passé, présent et avenir donne un rôle central au présent, instant ponctuel entre passé qui n’est plus et futur immédiat qui n’est pas encore. Entre un passé figé, immobile, sur lequel nous ne pouvons rien, et un futur incréé, non advenu, se tient le présent. Mais celui-ci est un point de durée insaisissable car au moment où nous voulons l’appréhender il est devenu passé.

    Comment alors assigner une durée à cet insaisissable ? Le temps a-t-il une durée ou n’est-ce qu’une pure représentation commode de l’esprit, « une structure de réceptivité grâce à laquelle les sens peuvent être affectés par les objets ? » (Kant)

    Le temps ne serait-il pas hors de nous mais en nous, produit dans et par l’intériorité de la conscience ?

    Goethe formule une lumineuse réponse : « seul l’homme peut accorder une durée à l'instant ». C’est en nous-mêmes que nous donnons du temps au temps et faisons ainsi de l’éphémère du durable. Ce durable, nous pouvons également le penser, sans nous contredire, jusqu’à sa limite, représentée par un présent suspendu, immobile, comme gelé en un moment perpétuellement figé, absolu, sans succession, que l’on appelle éternité.

    Platon ne voyait d’ailleurs dans le temps que l’image mobile de l’éternité. Cette aspiration à la durée fait, de ce renouvellement irréversible d’un instant évanescent qu’est le présent, un état de la conscience qui forme continuité avec le passé et le futur immédiat.

    C’est cette réalité du présent qui ouvre le champ de l’action. Présent et action, indissociables complémentaires, liés par Bergson dans cette définition : «mon présent, c’est mon attitude vis-à-vis de l’avenir immédiat, c’est mon action imminente».

    Cette liaison présent – action implique un futur proche, la pensée allant de l’avenir vers le présent, comme à rebours du temps ! Le lieu véritable du temps serait le futur et non le présent.

    Ce présent – action s’interprète comme une projection continuelle de notre pensée vers le futur, tout acte étant un façonnement de l’avenir où l’homme sent qu’il s’y prolonge.

    Ces visions des temps maçonnique et commun me paraissent compatibles. Dans ces deux conceptions, le temps est une construction, propre à lui donner un sens, une justification. Cependant, à la construction d’un temps vital, utilitaire de l’urgence profane, la symbolique maçonnique nous invite à bâtir celui du devenir. Elle nous enseigne que l’avenir n’est pas ce qui vient vers moi, amené par la flèche irréversible du temps, mais ce vers quoi je vais.

    Il est bientôt Minuit… Permettez-moi de conclure, du moins provisoirement !

    En guise de conclusion provisoire

    De Midi à Minuit, de l’Orient à l’Occident, du Septentrion au Midi et du Zénith au Nadir, ces heures et cet espace conventionnels ne traduisent-ils pas une relativisation du temps et de l’espace ? Le temps et l’espace de travail du Franc-maçon semblent alors figés.

    Ces délimitations spatio-temporelles ne commandent-elles pas à tout Franc-maçon de maîtriser et d’utiliser rationnellement son temps et l’espace dans lequel il évolue ?

    Ne rappellent-elles pas également le caractère universel de la Franc-maçonnerie ?

    R:. F:. A. B.

    [1] Minuit correspond à l’hiver et au nord, midi à l’été et au sud ; le matin correspond au printemps et à l’est (côté du lever du soleil), le soir à l’automne et à l’ouest (côté du coucher du soleil).

    [2] L'avatâra est la descente du Divin «au-dessous de la ligne qui sépare le monde divin du monde humain ou de la condition humaine».

     


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  •  A propos du temps 

    Introduction

    L’homme est conscient du temps de sa propre vie car il a une mémoire. Il se rapporte à l’histoire de sa vie, de son pays, et sait aussi qu’au bout du « chemin » il y a la mort. Indépendamment de nous, le temps existe-t-il ? Non : tandis que les animaux et les plantes vivent dans l’instant, c’est notre conscience d’être humain qui fait le temps. Le temps n'est-il pas ce qui permet l'existence, à l'être d'être, sans être lui-même ? Même quand il ne se passe rien, pendant ce temps, le temps passe !

    La présente planche tentera d’apporter quelques éléments de réponses aux questions suivantes à propos du temps :

    • On dit que le temps passe, mais qu’est-ce que le temps ?

    • Le temps passe-t-il vite ? Trop vite ?

    • Le temps s’accélère-t-il ? S’agit-il d’une réalité ou d’une illusion ? 

    • Le temps est-il linéaire ou cyclique ?

    • Quelle différence y-a-t-il entre le temps historique et le temps subjectif ?

    • Y a-t-il un commencement au temps ?

    • Peut-on concevoir la fin du temps ?

    • Peut-on penser l’éternité ?

    Cette première partie se prolongera par une réflexion à propos du temps maçonnique.

    L’expression « le temps passe »

    Cette expression métaphorique – « le temps passe » – nous la devons au philosophe Héraclite. Nous l’utilisons parce que nous constatons des changements. Le temps passe comme un fleuve coule. Héraclite avait déjà remarqué que « l'on ne se baignait jamais deux fois dans le même fleuve », à cause de l'écoulement du fleuve lui-même d'une part, mais surtout à cause de notre perception du fleuve, qui évolue avec la mémoire de nos différents bains. La reproduction exacte d'un geste ou d'une action, en termes d'environnement comme de perception de l'acteur, nous semble donc difficile à concevoir.

    On ne voit pas le temps ! Ce que nous percevons, ce sont les phénomènes physiques. Le temps passe ; les gens changent mais les souvenirs restent...

    Ce sont nos souvenirs qui font de nous ce que nous sommes. Et ce sont nos rêves qui feront de nous ce que nous deviendrons. Ce qui est passé a fui, ce que nous espérons est absent, mais le présent est à nous !

    « On dit que le temps change les choses, mais en fait le temps ne fait que passer et nous devons changer les choses nous-mêmes ». (Andy Warhol).

    Qu’est-ce que le temps ?

    Nous pouvons tenter de définir le temps : dire qu'il est ce qui passe quand rien ne se passe ; qu'il est ce qui fait que tout se fait ou se défait ; qu'il est l'ordre des choses qui se succèdent ; qu'il est le devenir en train de devenir ; ou, plus plaisamment, qu'il est le moyen le plus commode qu'a trouvé la nature pour que tout ne se passe pas d'un seul coup. Mais toutes ces expressions présupposent ou contiennent déjà l'idée du temps. Elles n'en sont que des métaphores, impuissantes à rendre compte de sa véritable intégrité.

    Les physiciens sont parvenus à faire du temps un concept opératoire sans être capables de définir précisément ce mot.

    Le temps est relatif aux choses qui passent : le temps des horloges est un temps astronomique (celui du déplacement de la Terre) ; le temps est donc le temps de notre système solaire. Le temps est relatif : si l’on vivait par exemple sur la planète Jupiter (dont la période de révolution sidérale est de presque douze ans), nos montres ne seraient pas valables. Le temps est indépendant des phénomènes physiques.

    La mesure du temps a rapidement été une préoccupation importante, notamment pour organiser la vie sociale, religieuse et économique des sociétés. C’est dès la plus haute antiquité que l’homme a senti le besoin de mesurer le temps. Cela a toujours été une des préoccupations majeures de l’humanité dès qu’elle a réussi à organiser des institutions religieuses, sociales et économiques

    Que ce soit avec un gnomon ou un cadran solaire [1], avec la clepsydre [2] des Égyptiens ou les cadrans solaires des Romains, avec une horloge ou un sablier [3] ou encore avec nos montres devenues digitales, nous ne mesurons pas le temps mais une durée.

    En fait, le temps est la mesure des phénomènes physiques : le temps que la Terre met pour faire un tour sur elle-même (période de rotation) et pour tourner autour du Soleil (période de révolution). Le temps est une grandeur physique. De nos jours son unité légale est la seconde. Le temps est un phénomène périodique qui se reproduit identique à lui-même à intervalles de temps réguliers : l’attraction de la Lune autour de la Terre ; la rotation de Terre sur elle-même ; la rotation de la Terre autour du Soleil.

    • Pour Aristote, « le temps est le nombre du mouvement selon l’avant et l’après».

    • Pour Platon, « le temps est une image mobile de l’éternité immobile».

    • « Le temps, c’est ce qui passe quand rien ne se passe» pense Jean Giono.

    • Le temps est isochrone : sa périodicité est régulière.

    • Le temps est irréversible : on ne peut pas revenir en arrière, contrairement à l’espace dans lequel on peut aller et venir.

    Ces quelques phrases et citations ont-elles défini le temps ? Non : elles sont tautologiques.

    Pour Kant, le temps n’est pas une substance ou une chose mais une forme de la connaissance humaine. Elle est un principe d’organisation de toutes les expériences (extérieures et intérieures) que fait l’homme. C’est une forme a priori car elle précède les données sensibles et s’appliquent à elles. C’est une forme sensible car elle se donne comme intuition et non conceptualisation.

    Pour Bergson, la conception physico-mathématique, quantitative, du temps faisant de celui-ci une suite d’instants identiques et extérieurs les uns aux autres est insatisfaisante. Il lui substitue une conception qualitative fondée sur les vécus psychiques qui montre que le temps est durée, chaque état de conscience étant inséparable des précédents, en ce sens qu’il les conserve tout en y ajoutant quelque chose.

    Le temps linéaire et le temps cyclique

    Temps linéaire

    … ▬▬▬▬▬▬► …

    Exemples : de la naissance à la mort, succession d’événements…

    Temps circulaire (temps cyclique)

    Exemples : alternance jour / nuit, les mois, les saisons...

    Le temps linéaire est en fait un temps historique.

    Nous sommes des êtres historiques. Le sens de notre rapport historique au temps est donné par des événements fondateurs d’une ère nouvelle (cf. les religions ou, par exemple, le calendrier révolutionnaire).

    La fin du temps est la fin physique du monde (de la Terre et de l’espèce humaine).

    Le thème du commencement du temps suppose un temps 0.

    Comment concevoir le commencement du temps sans événement physique ?

    Le temps historique est découpé en trois périodes :

    • Le passé qui désigne ce qui n’est plus, avant le présent.

    • Le présent qui désigne entre le passé qui n’est plus, et le futur ce qui n’est pas encore.

    • Le futur qui désigne ce qui n’est pas encore, après le présent.

    Lorsqu'on parle de temps cyclique, on imagine plutôt un temps ayant la forme d’un cercle. Cependant ce n’est qu’en partie vrai. Certes, il existe bien l'idée d’un temps « circulaire » recommençant éternellement, chaque acte accompli l'ayant déjà été des milliers de fois et visant à être accompli de nouveau. Mais Il existe également une autre forme de temps cyclique, ayant la forme d’une spirale. 

    La conception d’un temps cyclique ayant la forme d’une roue s’est rapidement développée dans diverses civilisations, sans doute par analogie avec les différents cycles de saisons, des lunaisons, du jour et de la nuit…

    Claude Levi-Strauss et Lucien Levy-Bruhl ont décrit la « mentalité primitive ». Ils ont expliqué que certaines sociétés primitives percevaient un « temps du mythe » qui était en opposition avec l’idée linéaire du temps. En effet, ces tribus considéraient que le temps du mythe était sacré, ce qui leur inspirait crainte et respect. Ils n’ont par conséquent eu aucune envie « d’avancer dans la vie » au risque de s’éloigner du temps mythique qui leur apparaissait comme parfait.

    En reproduisant régulièrement des rituels millénaires, ils avaient l’impression de renouer avec leurs ancêtres qui accomplissaient déjà les mêmes gestes, de rentrer dans quelque chose qui les dépassait, de transcendant, de participer à la bonne marche du monde.

    C’est cette notion que Mircea Eliade nommait « Le mythe de l’éternel retour » et qui impliquait que les membres de ces tribus vivaient dans le présent plutôt que d’espérer sans cesse l’avenir.

    En réalité on remarque que la plupart des sociétés non-occidentales ont une perception plus cyclique que linéaire du temps. Cependant toutes n’ont pas la forme d’un cercle.

    Aujourd'hui encore, temps circulaire et linéaire s'opposent, tout comme diffèrent les perceptions individuelles du temps et s'affrontent temps perçu et temps mesuré. La mesure du temps serait-elle une quête circulaire ?

    Les critiques que les défenseurs du temps linéaire font au temps cyclique sont principalement basées sur l’impossibilité d’un recommencement exact des actes produits, que ce soit de façon physique ou philosophique.

    En effet, en physique, il existe bien un théorème expliquant qu’un gaz se déplaçant de façon aléatoire finira toujours par être aussi proche que voulu de sa position initiale, à condition d’attendre suffisamment longtemps ; cependant il ne dit rien au sujet d’actes accomplis par des êtres vivants. De plus, étant donné le nombre de particules dans l’Univers, il faudrait attendre un nombre d’années impossible à imaginer pour les voir toutes revenir à leur position initiale.

    La théorie de la spirale du temps a l’avantage de passer outre cet argument. En effet cette théorie, surtout présente dans la religion indienne, combine celle du retour circulaire avec à chaque fois un léger décalage linéaire dû aux spires. Le temps ne reste donc pas figé, les actes ne se reproduisent donc pas exactement. De plus elle fait référence à des durées immenses jusqu'à son terme, la fin de l’Univers.

    Face à ces durées immenses il est extrêmement difficile de prouver ou d’infirmer cette théorie. En effet, de notre point de vue, le temps semble être linéaire. Cependant il est très facile d’imaginer qu’avec le peu de recul dont nous disposons nous ne percevions qu'un infime morceau d'une spirale géante dont nous ne serions pas capables de concevoir la forme. L’Histoire ne serait ainsi qu’un point de cette spirale, et la droite que nous imaginons, une tangente de cette courbe.

    Le propre de la conscience humaine est de se projeter vers le futur. Or, la conscience de notre mortalité se pose comme une limite à nos projections dans le futur. La conséquence de cette prise de conscience, selon Heidegger, c’est le souci, autrement dit la préoccupation quant au sens que nous allons donner à notre existence. C’est ce souci qui nous fait pleinement humains : les animaux n’ont pas ce souci du sens qu’ils vont donner à leur existence.

    Le temps subjectif ou temps psychologique

    Le temps subjectif, c’est le temps vécu. Ce temps est beaucoup plus fluide que le temps objectif, celui des montres. « Le temps psychologique serait comme une sorte de second temps, le deuxième temps qui évoluerait en marge du temps physique ».

    Le temps subjectif de la naissance à la mort : la conscience du temps s’accroît-elle avec le vécu, l’expérience du temps ? Le temps est-il lié au poids de la mémoire et à ce que l’on a fait ?

    Pour Sigmund Freud, l’inconscient ignore le temps. Notre personnalité est fixée : elle revient toujours sur les mêmes événements (mémoire) ; elle répète les mêmes passions sans l’intervention du temps.

    Le temps est un concept développé par l'homme pour appréhender le changement dans le monde. Le questionnement s’est porté sur sa « nature intime » : propriété fondamentale de l'Univers, ou plus simplement produit de l'observation intellectuelle et de la perception humaine ? La somme des réponses ne suffit pas à dégager un concept satisfaisant du temps. Mais l’examen minutieux de chacune d’entre elles et de leurs relations peut apporter d’intéressantes réponses.

    Toutes ne sont pas théoriques : la « pratique » changeante du temps par les hommes est d’une importance capitale. Il n'existe pas de mesure du temps comme il existe, par exemple, une mesure de la charge électrique.

    L'histoire de la mesure du temps écoulé entre deux évènements a évolué à travers les âges et cela ne fut pas sans conséquence sur l’idée que les hommes en eurent au fil de l’histoire. De rudimentaire qu’elle était, sa mesure a gagné aujourd’hui une précision reposant sur l’atome. Ses progrès irréguliers sont donc à relier directement aux transformations du concept de temps. Ses retombées ont affecté bien plus que la simple estimation des durées : la vie quotidienne des hommes s’en est trouvée changée bien sûr, mais aussi et surtout la pensée, qu’elle fût de nature scientifique, philosophique ou encore religieuse.

    L’étymologie peut-elle nous aider à définir le temps ?

    Le mot temps provient du latin tempus, de la même racine que grec τεμνεῖν, temnein, couper, qui fait référence à une division du flot du temps en éléments finis. Temples (templum) dérive également de cette racine et en est la correspondance spatiale (le templum initial est la division de l’espace du ciel ou du sol en secteurs par les augures). Enfin, « atome » (insécable), du grec ἄτομος (non coupé, indivisible) dérive également de la même racine.

    Le temps vécu

    Bergson définit le temps comme « une donnée immédiate de la conscience ». 

    La principale caractéristique du temps, c’est donc d’être vécu.

    C’est pourquoi Bergson distingue le temps homogène du physicien, qui constitue la réalité objective du temps, de la durée psychologique, celle qui est éprouvée par la conscience.

    Le temps est-il en train d'exister ?

    Dans un passage célèbre de ses Confessions [4] , saint Augustin (IVème siècle après J.-C.) donne deux définitions du temps :

    • le temps tend à n’être plus : « le temps à l’être seulement parce qu’il tend au néant » ;

    • l’être du temps n’existe que dans notre âme, dans notre pensée. Autrement dit, il relève de notre idéalité (par opposition à la réalité). Le passé, le présent et le futur (les trois temps) n’existent que parce que nous sommes capables de les penser. Pour les physiciens, au contraire, le temps a une réalité objective (cf. la théorie de la relativité d’Einstein).

    L’homme pense le temps à partir de trois mots : le passé, le présent et le futur.

    • Le passé est un temps qui a été mais qui n’est plus et qui est donc irrémédiablement révolu. Cette partie du temps que nous nommons le « passé » n’a donc plus d’être.

    • Le futur est un temps fondamentalement contingent. On ne peut que faire le pari qu’il existera. Cette partie du temps que nous nommons le « futur » n’a donc pas encore d’être.

    • Le présent est un temps dont l’être est d’être mais qui, dès qu’il est, n’est plus (il devient immédiatement passé).

    Dans ce texte, saint Augustin définit la mémoire comme une représentation de la réalité passée, faite par des images ou des mots. Le mode d’enregistrement des souvenirs passe ainsi aussi bien par les sens que par la pensée, elle-même structurée par la maîtrise d’une langue (ce qui explique que nous n’ayons pas de souvenirs de la période où nous ne parlions pas).

    Saint Augustin arrive finalement à la conclusion qu'il n’existe qu’un seul temps dont nous faisons l’expérience : le présent. Ni le passé, ni le futur n’existent (par là même, saint Augustin critique le langage : « il est impropre de dire : il y a trois temps, le passé, le présent, l'avenir »).

    Saint Augustin préfère parler de ces trois instances qui n’existent que dans notre âme :

    • le présent au sujet du passé (relatif à la mémoire) ;

    • le présent au sujet du présent (relatif à la perception) ;

    • le présent au sujet de l'avenir (relatif à l’attente).

    La question de l’objectivité du passé

    Dans le présent, grâce à la mémoire, nous pouvons penser une réalité passée. Mais le souvenir ne correspond jamais exactement à l’événement tel que nous avons vécu. Nos souvenirs sont toujours des interprétations, des reconstructions.

    Cependant, ce qui importe dans le souvenir, ce n’est pas de se souvenir exactement d’un événement mais plutôt de lui donner un sens selon ce que la vie a fait de nous. Évoquer le passé, c’est donc toujours lui donner un sens. Evidemment, le passé en soi ne change pas, c’est l’interprétation que nous en faisons qui peut évoluer en fonction de notre présent, de notre futur. Cela montre bien l’unité de notre existence : nous pensons notre présent comme résultant de notre passé et s’ouvrant sur notre futur. Il y a donc bien un lien entre l’existence et le temps.

    Nous sommes constitués par notre mémoire : nous ne pouvons faire table rase de notre passé. En revanche, l’homme est libre en ce qu’il interprète librement son passé. Il peut toujours décider d’en faire un appui positif. Cette conservation du passé par la mémoire, aussi subjective soit-elle, nous constitue. Cela signifie aussi accepter la complexité de la vie : il n’existe pas de vérité une et stable, la valeur d’un événement, le sens qu’il prend peuvent évoluer au cours de notre vie.

    Temps et mouvement

    La notion de temps est un corollaire de la notion de mouvement : le mouvement se fait dans la durée et si le temps venait à s’arrêter plus rien ne bougerait. Ainsi, selon Aristote, le temps est le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur. A contrario, le temps semble ne plus faire sens quand l’idée de mouvement disparaît, car le temps suppose la variation.

    L’homme constate en effet trivialement que des « objets » de toutes sortes sont altérés par des « événements » et que ce processus prend place dans un temps partagé par tous ceux qui ont conscience de son cours. Ces objets, ou du moins leur substance, sont cependant censés demeurer les mêmes, numériquement, malgré les changements qu’ils subissent. Le temps semble donc supposer à la fois changement et permanence. Il a comme corrélat la notion de substance, que Descartes avait assimilée à l’espace en ce qui concerne les choses matérielles.

    Ces constatations amènent encore à un autre couple de notions essentielles quant à l’étude du temps :

    • la simultanéité (ou synchronie), qui permet d’exprimer l’idée qu’à un même moment, des événements en nombre peut-être infini se déroulent conjointement, a priori sans aucun rapport les uns avec les autres ;

    • en corrélation se trouve la notion de succession, ou diachronie, (et par-là, l’antériorité et la postériorité) : si deux événements ne sont pas simultanés, c’est que l’un a lieu après l’autre, de sorte que d’innombrables événements simultanés semblent se suivre à la chaîne sur le chemin du temps.

    Deux moments ressentis comme différents sont ainsi nécessairement successifs. De ces deux considérations, il est appris que le temps, si difficile à imaginer et à conceptualiser de prime abord, ne peut être examiné que sous l’angle de l'expérience individuelle universelle : l’avant, l’après et l’en-même temps.

    Néanmoins, de la simple succession, ou de la simultanéité, la durée ne peut être déduite. En effet, quand un même film est projeté à une vitesse plus ou moins grande, l’ordre des événements y est conservé, mais pas la durée. Remarquons aussi que la projection à l’envers ne correspond à rien dans l’expérience du temps, qui est, lui, irréversible.

    Ces notions font notamment appel à la mémoire : le classement des événements dans un ordre quelconque ne peut se faire que si l’observateur se souvient. De façon opposée, la mémoire se construit grâce au fait que certains événements se répètent, autorisant ainsi l’apprentissage.

    De façon plus générale, il semble que le temps puisse être considéré (et considérer n’est pas connaître) sous deux aspects :

    • l’aspect cyclique :cycle des jours, des saisons, de la vie…

    • l’aspect linéaire : évolution, transformation irréversible, passage de la naissance à la mort…

    Au commencement du temps

    L'écoulement du temps a-t-il des extrémités ? Cette question, qui renvoie aux croyances innombrables sur la genèse et la fin du monde, a été posée par de nombreux chercheurs et penseurs.

    Selon la théorie du Big Bang, l'Univers a eu un début, il y a environ 13,7 milliards d'années. C'est là que le temps aurait commencé, et que l'espace et la matière seraient apparus. Plusieurs observations permettent de valider cette théorie. Citons par exemple le décalage vers le rouge du spectre lumineux émis par les étoiles lointaines, ainsi que l'existence d'un rayonnement cosmique provenant de toutes les directions de l'univers, correspondant à un rayonnement du corps noir de température 2,73 kelvin.

    Et « avant » ? Si l'Univers a connu un instant primordial, initial, il ne s'appuie sur aucun phénomène physique, l'Univers n'existant pas encore à cet instant primordial. De plus, outre le point de vue scientifique, comment imaginer le fait que le temps ait eu un début, et que la question « qu'y avait-il avant le début du temps ? » n'ait pas de sens ? Difficile !…

    Tous ces questionnements posent la question de la définition d'un temps cosmique : le temps général prévalant dans l'Univers. Plusieurs modèles liés à la théorie du Big Bang semblent probables, en offrant les meilleures formalisations d'un temps cosmique et en permettant d'étudier l'évolution de l'Univers [5] .

    Le temps et la Création

    Si l’on veut considérer la création du monde comme un événement, cela implique de la situer au sein de l’écoulement du temps, de lui assigner une date. Si l’on conçoit le temps comme une entité linéaire, comme c’est le cas en Occident, on est alors inévitablement amené à s’interroger sur l’existence et la signification d’un « avant ».

    Mais si le temps existait avant la création du monde, il ne fait pas lui-même partie du monde. Conception difficile à soutenir…

    Les penseurs médiévaux qui déjà s’étaient penchés sur ce paradoxe avaient donc dû opter pour une création simultanée du monde et du temps. Ainsi, saint Ambroise, évêque de Milan au 4ème siècle, écrit dans son Hexaméron : « C’est au commencement du temps que Dieu a créé le Ciel et la Terre. Car le temps existe depuis qu’existe ce Monde, il n’existait pas avant le Monde ».

    Au début du 13ème siècle, Guillaume d’Auvergne approfondit le raisonnement en s’appuyant sur des considérations analogues concernant l’espace : « De même que le Monde n’a pas de dehors, n’a pas d’au-delà, puisqu'il contient et embrasse toute chose, de même le temps, qui a commencé à la création du Monde, n’a pas d’auparavant ni de précédemment, puisqu'il contient en lui tous les temps qui sont ses parties.

    Celui qui pose cette question : « Avant le commencement du temps, y a-t-il eu quelque chose ? » alors que le mot avant implique l’idée de temps, fait exactement comme s’il demandait : « Dans le temps qui a précédé le commencement du temps, quelque chose a-t-il existé ? ».

    Ces interrogations sont restées les mêmes aujourd'hui, et les questions : « Qu’y avait-il avant le Big Bang ? » et « Dans quoi l’Univers se dilate-t-il ? », reviennent plus simplement à demander : « Y avait-il du temps avant le temps ? » et « Y a-t-il un espace en dehors de l’espace ? ». La physique moderne, en identifiant l’Univers avec l’espace-temps, lève toute ambiguïté : la création du monde ne peut être envisagée comme un phénomène temporel.

    Mais jusqu'aux premières versions de la cosmologie quantique, la plupart des réflexions cosmogoniques ne pouvaient être menées que dans une perspective temporelle. C’est le cas par exemple, dans le contexte chrétien, d’une question fondamentale, corollaire de celle de la Création : Dieu a-t-il créé le monde instantanément ou par étapes successives ? Là encore, les différents récits des Écritures invitent à deux interprétations possibles. La plus répandue découpe la Création en six jours, l'hexaméron [6] auxquels s’ajoute un jour de repos.

    L’autre interprétation, celle d’une Création instantanée, fut notamment soutenue par Philon le Juif, contemporain de Jésus, et par Origène au 3ème siècle, tous deux d’Alexandrie. Comment la course du temps pouvait-elle avoir commencé avant que n’apparaissent, au quatrième jour, les deux « horloges astronomiques » que sont le Soleil et le Lune ?

    Certains philosophes chrétiens tentèrent de concilier ces deux points de vue apparemment antagonistes. Saint Thomas d’Aquin, par exemple, avança que Dieu aurait créé la substance des choses en un instant, mais qu’il aurait mis six pleines journées pour accomplir le travail plus lent de séparation, de mise en forme et d’ornementation. Là encore, cette conception semble anticiper les visions modernes puisque les divers modèles de « big bang » font commencer l’histoire de l’Univers avec l’apparition d’une entité matière-espace-temps, suivie d’une phase de différenciation (matière et rayonnements, interactions fondamentales…).

    À partir de là, les théories cosmologiques rendent compte de la lente et progressive structuration de la matière, depuis une « soupe de quarks » indifférenciée jusqu'à la formation d’objets complexes (galaxies, étoiles, planètes…), mais elles reconnaissent leur impuissance à parler de l’origine primordiale.

    Origines et limites du temps

    Ces questions cosmologiques agitent encore aujourd'hui bien des esprits, dans un cadre conceptuel néanmoins très différent, celui des modèles de « Big bang ». Ceux-ci sont souvent considérés – à tort – comme décrivant l’origine de l’Univers. En réalité, s’ils en décrivent l’évolution depuis un passé très reculé puisqu'on l’évalue à une quinzaine de milliards d’années, ils ne prétendent pas y voir un « temps zéro », ni a fortiori une origine ou une création. Les conditions extrêmes dans lesquelles la genèse de l’espace, du temps, de la lumière et de la matière aurait pu se dérouler restent inaccessibles à l’investigation scientifique.

    La reconstitution du passé cosmique se heurte tout d’abord aux limites de l'observation, due à la non-transparence de l’Univers durant son premier million d’années.

    Les scientifiques peuvent néanmoins reconstituer cette époque primitive en s’appuyant notamment sur les connaissances acquises dans le domaine des particules élémentaires. Les grands accélérateurs fournissent en effet une information sur le comportement de ces particules aux énergies très élevées correspondant aux conditions de l’Univers primordial. On peut en effet recréer en laboratoire les conditions qu’a connues l’Univers un millième de milliardième de seconde (100-12 s) après le début de son expansion, quand il se présentait comme une « soupe » de quarks et d’électrons.

    Mais les accélérateurs, et la physique qu’ils mettent à l’épreuve, rencontrent évidemment une limite expérimentale. Pour reconstituer les époques encore plus primitives, les physiciens ne peuvent que tenter d’imaginer le comportement des particules à très haute énergie. Il s’agit alors de spéculations plus que de théories, dont on ne peut tester, en l’absence d’expériences, que la cohérence logique.

    Un éventuel « temps zéro », qui correspondrait à une température infinie, reste inaccessible. La physique est totalement impuissante à décrire les phénomènes pour des températures dépassant une limite de 1032 degrés, appelée « température de Planck ». À cette température, les énormes énergies mises en jeu produisent des effets au cœur même de la structure de l’espace et du temps, rendant tout calcul physique impossible dans le cadre des théories actuellement développées.

    Cette limite théorique, véritable « barrière » de la connaissance, interdit d’accéder à un passé trop lointain. L’histoire « intelligible » du monde ne débute donc pas au temps zéro, mais à la fin de cette « ère de Planck », soit 10-43 seconde (un cent millionième de milliardième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde) plus tard. D'avant ce « temps de Planck », au-dessus de la température de Planck, la physique ne peut rien dire.

    Si le temps a commencé, finira-t-il un jour ? En d’autres termes, peut-on concevoir la fin du temps ?

    La disparition du temps

    Le philosophe mathématicien Leibniz, contemporain de Newton, s’est élevé contre les idées d’espace et de temps en tant qu’entités absolues prônées par ce dernier. Par des arguments d’ordre philosophique, il a soutenu que l’espace et le temps n’existaient qu’en relation avec la matière.

    Deux siècles plus tard, le philosophe Ernst Mach a repris les idées de Leibniz, et c’est en partie sous son influence qu’Einstein a bâti l’édifice de la relativité générale où espace, temps, matière et lumière sont inextricablement liés.

    Aujourd'hui, certains physiciens cherchent à éliminer purement et simplement le temps de leurs théories. Car le temps c’est le changeant, le variable, tandis que la physique prétend à l’immuable, à l’invariant. Son but n'est-il pas, en effet, d'extraire des lois éternelles, c'est-à-dire affranchies du temps, à partir de phénomènes passagers ?

    La fin des temps ou temps de la fin est une expression désignant la Fin du monde dans la Bible. C’est le mythe eschatologique. Cette expression de « fin des temps » figure six fois dans le livre du prophète Daniel. Elle désigne une période marquant l’achèvement d’un système de choses et aboutissant à sa destruction. Il fut donné au prophète Daniel de voir par avance des évènements qui devaient se produire dans un avenir lointain.

    Peut-on penser l’éternité ?

    Spinoza affirme que puisque la nécessité, l’essence, la vérité ne sont pas soumises aux vicissitudes du temps (le vrai ne pouvant avoir été ou devenir faux), nous sommes nous-mêmes aptes à nous sentir éternels et à faire l’expérience de l’éternité lorsque nous nous attachons à la compréhension des choses nécessaires, universelles et donc intemporelles.

    L’éternité

    L'éternité est un état censé être indépendant du temps et n’avoir donc ni début, ni fin.

    Dans le langage religieux, en tout cas chrétien, il s’agit d’une soustraction à l’emprise du temps. À ce titre, elle n’a ni commencement ni fin, ces termes n’y ayant pas même de sens. Elle est donc à distinguer de l’immortalité, qui a un début et pas de fin.

    Thomas d'Aquin distingue dans la Somme théologique quelque chose qui est distinct de l'éternité comme de l'immortalité, et qu'il nomme l'aevum : l'éternité n'a ni commencement, ni fin, l'aevum un commencement et pas de fin, le temps un commencement et une fin (la fameuse fin des temps). Dieu est alors dans l'éternité, ses créatures dans l'aevum et le monde matériel dans le temps.

    Dans certaines religions, Dieu est dit « éternel » puisque son existence n'a pas de commencement. Chez les chrétiens protestants, on appelle souvent Dieu : l'Éternel. Ce mot est aussi celui qui revient le plus dans l'Ancien Testament, comme chacun peut le vérifier.

    Dans la religion catholique, s'il faut en croire des docteurs de l'Église comme saint Augustin et Thomas d'Aquin, le temps est une création de Dieu au même titre que l'espace, et est lié à ce dernier. Dieu est appelé « l'éternelle Trinité ».

    Dans la religion mormone (Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours) distinction est faite entre l'immortalité, donnée à tous les hommes quels qu'ils soient, et la vie éternelle qui est de vivre éternellement en présence de Dieu, accordée à ceux qui auront accepté l'Évangile de Jésus-Christ.

    Comment représente-t-on le temps ?

    La représentation du temps

    La régularité de certains événements a permis d’établir très tôt une référence de durée (calendrier, horloge…) et donc de quantifier le temps.

    « Quantifier le temps », c’est lui associer un nombre et une unité, en effectuer une mesure. Toutefois, cette connaissance est au mieux celle d’une substance du temps : elle n’apprend rien sur sa nature intime, car la mesure n’est pas le temps. Il faut du temps pour établir une mesure. Et bien que l’intuition du cours du temps soit universelle, définir le temps en lui-même semble au-delà de nos capacités.

    Cela inspira une célèbre boutade à saint Augustin dans ses Confessions. Voici ce qu’il écrit à propos de la définition du temps : « Ce mot, quand nous le prononçons, nous en avons, à coup sûr, l’intelligence et de même quand nous l’entendons prononcer par d’autres. Qu'est-ce donc que le temps? Si personne ne m'interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l'ignore. ».

    Il est vrai que décrire le temps ne semble possible que par une analogie, notamment au mouvement, qui suppose de l’espace. Imaginer le temps c’est déjà se le figurer et, en quelque sorte, le manquer.

    Il faut donc distinguer la problématique de la représentation du temps de sa conceptualisation, tout comme il faut établir ce qu'on sait du temps par l’expérience pour mieux s’en détacher. Au fil des siècles, ces penseurs ont essayé d’évaluer le temps au travers de la méditation, du mysticisme, de la philosophie ou encore de la science. Il en ressort en fait que bien qu'il puisse être supposé avec raison que tous les hommes ont la même expérience intime du temps – une expérience universelle – le chemin vers le concept de temps n’est pas universel. Ce n’est donc qu’en détaillant ces modèles intellectuels et leurs évolutions historiques que l’on peut espérer saisir les premiers éléments de la nature du temps.

    Le temps est souvent représenté de façon linéaire (frises chronologiques). Cependant, des représentations en spirales, voire en cercles (le temps est un éternel recommencement) peuvent être trouvées marquant ici l'aspect cyclique et répétitif de l'histoire des hommes.

    Dans presque toutes les cultures humaines le locuteur se représente avec le futur devant et le passé derrière lui. Ainsi, en français, on dit : « se retourner sur son passé » et « avoir l'avenir devant soi ». Cependant, le peuple aymara (originaire de la région du lac Titicaca au croisement de la Bolivie, du Pérou, de l'Argentine et du Chili) inverse cette direction du temps : le passé, connu et visible se trouve devant le locuteur alors que le futur, inconnu et invisible, se trouve derrière lui.

    Deux conceptions du temps qui passe peuvent être perçues : soit l'individu est en mouvement par rapport à l'axe du temps (« se diriger vers la résolution d'un conflit... »), soit ce sont les évènements qui se dirigent vers un individu statique (« les vacances approchent... »). La première est plus fréquente en français.

    Le temps est orienté : il coule du passé au futur. Grâce au profond sentiment de durée, l’Homme peut agir, se souvenir, imaginer, mettre en perspective… si bien que le temps lui est essentiel, et par-là… banal. Le niveau de complexité du rapport au temps est assez bien traduit par le langage, quoique imparfaitement : certaines cultures primitives ont peu de mots porteurs d’un sens temporel, et se situent essentiellement dans le présent et le passé.

    Pour les peuples anciens de Mésopotamie, par exemple, le futur est « derrière » et le passé, connu, est placé « devant ». Dès lors qu’un peuple s’intéresse à l’avenir, toutefois, cet ordre intuitif s’inverse : on attend du temps qu’il nous apporte le moment suivant. Ce qui constitue une première confusion entre temps et mouvement. La simplicité de ce rapport s’estompe rapidement : bientôt, l’homme essaye de se jouer du temps. « Perdre son temps » ou « prendre son temps », ou toutes autres expressions de quelque langue que ce soit, traduisent la volonté séculaire de gagner un contrôle sur ce temps subi. Somme toute, c’est encore d’une conception faussement spatiale qu’il s’agit : pouvoir agir sur notre flèche du temps intime, la tendre, la distordre, l’infléchir. Mais le temps reste fidèle à lui-même, et sa dimension rigide est également exploitée avec ténacité, par la quête de la mesure juste et précise.

    Quantifier, voilà une autre façon de décrire le temps qui fut engagée très tôt. Bien que privilégiée des sciences, elle n’en est pas moins source d’amalgames et de tromperie toujours renouvelées. Ainsi, compter le temps n’est pas le saisir en soi, car l’action de compter le temps, présuppose du temps.

    Quel est donc ce « vrai » temps qui mesure le temps, celui invoqué par la boutade « laisser le temps au temps » ? Cette question a laissé muettes des générations entières de penseurs ; les disciplines modernes tentent d’y répondre en exhibant un temps pluriel, physique, biologique, psychologique, mais le temps de la vérité évidente ne semble pas encore venu.

    Pour réfléchir au concept du temps, l’homme s’appuie sur son langage ; mais les mots sont trompeurs et ne nous disent pas ce qu’est le temps ! Pire, ils viennent souvent nous dicter notre pensée et l’encombrer de préjugés sémantiques. La dimension paradoxale du langage temporel n’est pas très complexe : il suffit de s’attarder sur une simple expression courante comme « le temps qui passe trop vite » pour s’en rendre compte. Cette expression désigne un temps qui s’accélérerait.

    Mais l’accélération, c’est bien encore une position (spatiale) dérivée (deux fois) par rapport au temps : voilà que resurgit le « temps-cadre » immuable ! Le temps n’est ni la durée, ni le mouvement : en clair, il n’est pas le phénomène temporel. Ce n’est pas parce que des évènements se répètent que le temps est nécessairement cyclique. Cette prise de recul, distinction entre temps et phénomène, sera relativement effective au cours de l’histoire en sciences et peut-être moins en philosophie, parfois victime des apparences sémantiques.

    Toutefois, en distinguant ainsi le temps et les évènements portés par lui surgit une dualité embarrassante : dans quelle réalité placer ces phénomènes qui surviennent, si ce n’est dans le temps lui-même ? Le sage dira, dans le « cours du temps ». Cette scène animée des phénomènes est séduisante et juste, mais il faut prendre garde au piège sémantique.

    Le cours du temps, c’est ce que beaucoup ont figuré dans leurs cahiers d’écolier par la droite fléchée : au-delà de l’amalgame trompeur avec le mouvement, il y a l’idée de la causalité, et aussi de la contrainte. Le cours du temps illustre la sensation de chronologie imposée, qui est une propriété du temps pour lui-même. Rien ici n’indique encore l’idée de changement ou de variation.

    Il s’agit véritablement d’un cadre, du Chronos, du devenir rendu possible par Kronos. L’homme, pour sa part, devient, et les phénomènes, eux, surviennent. C’est là l’affaire de la flèche du temps, qui modélise les transformations au cours du temps, ou plutôt, « au cours du cours du temps ». Elle est une propriété des phénomènes.

    Ces deux notions sont importantes et non intuitives : elles sont mélangées et brouillées par le langage en un seul et même tout, une fausse idée première du temps. La science, notamment, s’est appuyée sur elles pour édifier plusieurs visions successives du temps au fil de ses progrès.

    L’instant est le produit de la projection du présent dans la série successive des temps, c’est-à-dire que chaque instant correspond à un présent révolu. Le présent lui-même est cependant à son tour une abstraction, puisque personne ne vit un présent pur, réduit à une durée nulle. Le passé est l’accumulation, ou plutôt l’organisation des temps antérieurs, selon des rapports chronologiques (succession) et chronométriques (les durées relatives). Le futur est l’ensemble des présents à venir. Seuls les contenus à venir, les événements futurs, sont susceptibles d’être encore modifiés. C’est ce qui fait que l’avenir n’est pas encore.

    L'existence et le temps

    Pour Pascal, le temps est un terme premier qui fait l’objet d’une intuition immédiate. Les hommes expérimentent tous le temps de la même manière. Le temps est tellement lié au sentiment de notre existence que toute explication est inutile.

    Le mot « existence » désigne le fait d'être, par exemple le fait d'être d'une manière absolue, le fait d'être donné pour la perception, ou encore pour la conscience.

    L’existence s'oppose à la fois à l'essence (le « ce que c'est ») et au néant qui est sa négation.

    Peut-on finalement définir ce qu'est le temps ?

    • Il est impossible de définir le temps dans ses trois dimensions (passé, présent et avenir) ; définir le temps, ce serait dire : « le temps, c'est… ». Or, on ne peut demander ce qu'est le passé (qui n'est plus) ou l'avenir (qui n'est pas encore) : seul le présent est, mais le présent n'est pas la totalité du temps.

    • Plus qu'une chose à définir, le temps est la dimension de notre conscience, qui se reporte à partir de son présent vers l'avenir dans l'attente, vers le passé dans le souvenir et vers le présent dans l'attention (Saint Augustin).

    En quoi la conscience est-elle temporelle ?

    • Husserla montré comment la conscience est toujours conscience intime du temps. Si je regarde à l'intérieur de moi, je n'y trouve pas une identité fixe et fixée d'avance, mais une suite de perceptions sans rapport entre elles (le chaud puis le froid, le dur puis le lisse par exemple).

    C'est alors la conscience du temps qui me permet de poser mon identité : la conscience du temps me permet de comprendre que dans cette suite de perceptions, ce n'est pas moi qui change, mais c'est le temps qui s'écoule. Mon identité est donc de part en part temporelle.

    • Surtout, la perception suppose que ma conscience fasse la synthèse des différents moments perceptifs : j'identifie la table comme table en faisant la synthèse des différentes perceptions que j'en ai (vue de devant, de derrière, etc.). Or, cette synthèse est temporelle : c'est dans le temps que la conscience se rapporte à elle-même ou à autre chose qu'elle.

    Si le temps n'est pas une chose, qu'est-il ?

    • Selon Kant, le temps n'est ni une intuition(une perception), ni un concept, mais plutôt la forme même de toutes nos intuitions : cela seul explique que le temps soit partout (tout ce que nous percevons est dans le temps) et cependant nulle part (nous ne percevons jamais le temps comme tel).

    • Nous ne pouvons percevoir les choses que sous forme de temps et d'espace ; et ces formes ne sont pas déduites de la perception, parce que toute perception les suppose. La seule solution consiste donc, pour Kant, à faire du temps et de l'espace les formes pures ou a priori de toutes nos intuitions sensibles : le temps n'est pas dans les choses, il est la forme sous laquelle notre esprit perçoit nécessairement les choses.

    La solution proposée par Bergson

    • Ni le passé, ni l'avenir ne sont : seul l'instant présent existe réellement, et le temps n'est que la succession de ces instants ponctuels de l'avenir vers le passé. Quand nous essayons de comprendre le temps, nous le détruisons en en faisant une pure ponctualité privée d'être.

    • Bergson montre ainsi que notre intelligence comprend le temps à partir de l'instant ponctuel : elle le spatialise, puisque la ponctualité n'est pas une détermination temporelle, mais spatiale. Le temps serait alors la succession des instants, comme la ligne est une succession de points. Notre intelligence comprend donc le temps à partir de l'espace : comprendre le temps, c'est le détruire comme  À ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il faut donc opposer notre vécu interne du temps ou « durée ».

    • A ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il faut donc opposer notre vécu interne du temps ou « durée » : la durée, c'est le temps tel que nous le ressentons quand nous ne cherchons pas à le comprendre. Elle n'a pas la ponctualité abstraite du temps : dans la durée telle que nous la vivons, notre passé immédiat, notre présent et notre futur immédiat sont confondus.

    Tout geste qui s'esquisse est empreint d'un passé et gros d'un avenir : se lever, aller vers la porte et l'ouvrir, ce n'est pas pour notre vécu une succession d'instants, mais un seul et même mouvement qui mêle le passé, le présent et l'avenir. La durée n'est pas ponctuelle, elle est continue, parce que notre conscience dans son présent se rapporte toujours à son passé et se tourne déjà vers son avenir. La durée non mesurable, hétérogène et continue est donc le vrai visage du temps avant que notre intelligence ne le décompose en instants distincts.

    Sous quel signe le temps place-t-il notre existence ?

    • Non seulement le temps place notre existence sous le signe de l'irréversible, mais il éveille en nous la possibilité d'une conscience morale : je me reproche mon passé parce que je ne peux rien faire pour annuler les erreurs que j'ai commises.

    • Parce que le temps est irréversible, je crains mon avenir et je porte le poids de mon passé ; parce que mon présent sera bientôt un passé sur lequel je n'aurai aucune prise, je suis amené à me soucier de ma vie.

    Selon Heidegger, c'est même parce qu'il est de part en part un être temporel que l'homme existe.

    Les choses sont, mais seul l'homme existe (au sens étymologique) : l'homme est jeté hors de lui-même par le temps. Être temporel, ce n'est donc pas simplement être soumis au temps : c'est être projeté vers un avenir, vers du possible, avoir en permanence à se choisir et à répondre de ses choix (ce que Heidegger nomme le souci).

    Le temps fait-il de la mort notre horizon ?

    • Si je ne savais pas d'avance que je vais mourir un jour, si je n'étais pas certain de ne pas avoir tout le temps, je ne me soucierais pas de ma vie. Ce n'est donc pas la mort qui nous vient du temps, mais le temps qui nous vient de la mort [7].

    • Je ne meurs pas parce que je suis un être temporel et soumis aux lois du temps, au contraire : le temps n'existe pour moi que parce que la perspective certaine de ma mort m'invite à m'en soucier (inconscients de leur propre mort, les animaux ne connaissent pas le temps). Et comme personne ne pourra jamais mourir à ma place, personne ne pourra non plus vivre ma vie pour moi : c'est la perspective de la mort qui rend chacune de nos vies uniques et insubstituables.

    La fin des temps selon l’éthique chrétienne

    La fin des temps et la certitude de son imminence ont occupé, depuis toujours, une large place dans les espérances chrétiennes, et engendré des comportements éthiques parfois très contradictoires.

    La notion de « fin des temps » est une idée qui revient de façon récurrente dans les écrits du Nouveau Testament. 

    Les enjeux de la notion de temps

    Poser la question de ce qu’est le temps, cela semble relever à première vue d’enjeux purement théoriques. En quoi cette question se rattache-t-elle à notre existence, à notre activité pratique ?

    Quelques auteurs ont fourni des réponses si subtiles, si « abstraites » qu’il pourrait sembler que le temps est un objet de connaissance comme les autres dont on peut traiter sans se sentir engagé, impliqué dans la réponse même.

    Mais pourquoi alors le temps a-t-il été un problème fondamental de la pensée philosophique (il serait par exemple aisé de démontrer qu’il a bien plus occupé les philosophes que le problème de l’espace duquel on le rapproche souvent). Ce qu’il faut bien comprendre ici (et qui vaut pour toute réflexion philosophique), c’est qu’une « bonne » abstraction n’est pas ce qui s’oppose au concret mais ce qui donne les moyens d’en rendre compte, de l’expliquer et parfois de le modifier.

    La question du temps est bien ancrée dans des questions d’ordre « existentielles ».

    Tout d’abord, ce que chacun éprouve du temps, c’est son irréversibilité [8].

    Ce qui a eu lieu est irrévocable. Il y a déjà bien des choses dont on inverserait l’ordre qu’avec violence mais, en ce qui concerne le temps, cela est tout simplement impossible. De ceci découle la dimension profondément morale du temps. En effet, si l’acte dès qu’il est réalisé, dès qu’il tombe dans le passé (du plus immédiat au plus lointain) ne peut plus être corrigé, alors, le savoir ou le sentiment moral (selon que l’on définisse la moralité comme une science ou un sentiment) est requise afin de ne pas commettre l’irréparable. On comprend également à quel point la volonté est ici décisive.

    Quoi qu’il en soit, il n’en reste pas moins que chacun de nous aura un passé sur lequel il ne pourra rien (du moins sur les faits puisque chacun peut modifier sa relation à son propre passé), passé qui menace de faire naître le regret ou le remords.

    Comment alors procéder pour que cette irréversibilité ne conduise pas à interdire toute action, toute passivité ? Dire que c’est seulement par « inconscience » des conséquences de leurs actes que les hommes agissent est bien sûr insuffisant. Ce qu’il faut alors rechercher, c’est l’action droite, l’action morale ou plus modestement l’action appropriée à une situation.

    Si le passé échappe au contrôle de l’homme, il en va de même pour au moins une dimension du futur, cette dimension qui se situe après la mort. A ce titre, il n’est pas inintéressant de remarquer que nous sommes bien plus préoccupés par l’après de la mort que par l’avant de la naissance, alors même qu’il n’y a pas de différence entre ces deux moments du point de vue de notre existence.

    De la peur de la mort naît le désir d’immortalité. La majorité des théories de l’âme ont ainsi pensé celle-ci comme éternelle.

    Être éternel, c’est ne plus être soumis au temps et à ces vicissitudes, à la vieillesse du corps ou encore à ce qu’Aristote appelle la corruption des êtres organiques. Même si cela paraîtra évident à chacun, que le temps se laisse penser sous les trois modalités du passé, du présent et du futur, le présent ayant souvent une prééminence sur le passé qui est mémorisé et sur le futur qui est projeté.

    Comprendre les relations qu’entretiennent ces trois modalités du temps, c’est probablement comprendre ce qu’est le temps lui-même.

    Il ne me parait pas concevable de terminer cette réflexion toute provisoire sans évoquer le temps dans notre univers maçonnique.

    Le temps en Franc-maçonnerie

    Qu’entend-on par Temps maçonnique ? Est-ce celui passé en Loge ? Celui du Franc-maçon ou celui de toute sa vie entière d’initié ? Qu’en faire ? A quoi sert-il ? Comment l’occuper ? Dispenser en dehors ce que l’on enseigne à l’intérieur du Temple ? Ne plus être un Profane mais un Initié en terre profane ?

    La notion du temps est un élément très important dans la vie maçonnique. Le temps n'est pas compté. Pas de stress ! Seule l'assiduité est demandée. La Franc-maçonnerie offre le temps nécessaire à chacun pour grandir. Pour un individu, la Franc-maçonnerie sert à prendre le temps de se construire à nouveau.

    Pour le Franc-maçon, le Chantier s’ouvre à Midi et se ferme à Minuit.

    Et le reste du temps que fait-il ?

    Répondre à cette question, c’est considérer que le Franc-maçon se ménage un espace « d’heures sacrées » qui le soustraient de l’emprise de la division mathématique du temps qui rive le commun des mortels au cadran de sa montre, aux feuillets du calendrier.

    Nos Tenues nous permettent de faire une pause dans cet espace-temps profane. Un arrêt pendant lequel nous pouvons réfléchir calmement à notre action future en tirant expérience de notre vécu passé. Le rituel nous met en condition de fusionner le futur et le passé par un juste équilibre dans le présent.

    Sa signification est clairement « être présent dans le présent », c’est-à-dire être totalement en accord avec ce que nous faisons à l’instant où nous le faisons pour fusionner l’esprit, l’action et la matière sur laquelle nous travaillons. L’initié sait que le passé n’existe plus, que rien ne sert de se lamenter sur ses erreurs passées et qu’il ne faut pas appréhender l’avenir. Seul compte le moment présent pour organiser activement sa vie au lieu de laisser le temps s’écouler passivement.

    Bien sûr, comme tout un chacun, le Franc-maçon puise chaque jour les besoins de son existence dans la vie profane mais à cette différence près que le jour passé n’est pas échu et le jour à venir, inexistant.

    Il est habité par le « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? » Et il essaie d’y répondre à partir de sa condition d’ « éveillé par initiation » : Mystique par intuition, Philosophe qui s’ignore, Ouvrier de perfection.

    Effectivement, notre rituel nous invite à travailler dans un laps de temps théorique, symbolique, mais quelle est l’utilité de ces principes de fonctionnement s’il n’y a aucune incidence dans la vie profane ?

    Le Franc-maçon doit donc s’affairer à répercuter au-dehors, ce qu’il a acquis au-dedans et ce, en permanence, 24 heures sur 24. A quoi servirait-il de plancher sur des thèmes séduisants comme la tolérance ou le racisme par exemple, si c’est pour ne pas être sensible à ce type de valeurs dans la vie profane ?

    Le Franc-maçon construit. Il a un idéal, qui bien loin d’être atteint, reste une magnifique ambition et une direction à suivre. Son action s’accomplit donc au présent sans ignorer l’apport des devanciers mais tout en considérant l’incertitude de l’avenir.

    Sa conception du temps ne découle pas de la pensée néo-platonicienne :

    • l’éternité, siège de l’intelligence de l’Un,

    • le temps primordial, expliqué par la perpétuelle évolution de l’Âme du monde,

    • le temps physique, basé sur le mouvement des êtres sensibles ;

    ni de la pensée contemporaine :

    • le temps aboli du new-Age,

    • le temps irréversible des astronomes,

    • le temps réversible de la physique quantique et relativiste.

    Alors que peut-on dire du temps ? Le passé est dépassé ; quant au futur, il n’est pas encore advenu. Quand on se souvient des choses ou des personnes passées, la réalité est souvent déformée, idéalisée. Le futur lui, est souvent envisagé avec espoir ou angoisse et donc ne représente pas encore la réalité. Le temps semble être à la fois ce qui fait durer les choses et ce qui fait que rien ne demeure définitivement. Seul le temps présent est objectif, réel et dans lequel on peut agir. Le temps est ce par quoi les choses persistent à être présentes ; mais il est aussi ce renouvellement du présent.

    Lors de chaque Tenue, nous évoquons souvent la notion de temps : nous ouvrons et nous refermons les Travaux. Il y a le temps du Travail et le temps du repos. Entre Ouverture et Fermeture des Travaux se situe le Temps sacré, renouvelé à chaque Tenue. Il est l’image même de cette organisation et déstructuration qu’est celle de l’Univers, et de l’Homme.

    Tout comme les dimensions du Temple sont sans limites réelles, de même nos références chronologiques se situent en dehors du temps profane. C’est ainsi que les Ouvriers que nous sommes travaillent allégoriquement de Midi à Minuit.

    Lorsque le Franc-maçon entend « Il est Minuit ! », c’est l’heure de terminer les Travaux, qui ont commencé à Midi. Pourquoi commencer à Midi et terminer à Minuit, dans une culture moderne de loisirs et d’horaires variables? L’explication historique venant à l’esprit est simple. Les rites maçonniques sont des rites solaires. Midi est l’heure où le mouvement visible du Soleil est suspendu. C’est aussi le moment qui ne varie pas, par rapport au lever et au coucher du Soleil qui se déplace au fil des jours.

    En passant, il faut remarquer que Midi est le moment où l’ombre portée par le corps est minimale ; c’est donc le temps de l’illumination maximale. Quant à Minuit, dans la mesure où le monde profane est celui des Ténèbres, en tout cas par opposition à la Lumière à laquelle accède l’Initié, il est normal que le retour à ce monde profane se fasse à l’heure où règne l’ombre absolue.

    Midi marque le passage symbolique du profane au sacré, et Minuit, le retour au profane. Un temps est aussi nécessaire à notre construction… 

    Notre âge maçonnique nous déconnecte du monde profane et contribue à l’aspect intemporel de la Maçonnerie.

    Le temps en Loge est au-delà du temps. La Loge est une représentation du cosmos, dans l’espace et le temps universels. Dans le Temple, espace sacré, c’est le rituel qui nous plonge dans ce temps mythique. Par sa tradition initiatique et symbolique, la Loge nous permet de prendre la juste mesure du temps grâce aux outils. Le rite sacralise le Temple et le temps, entre la découverte et le recouvrement du Tableau de Loge.

    En tête de chaque planche tracée de notre Frère Secrétaire, une date est donnée dans laquelle les jours et les mois sont indiqués en quantièmes (ex : le 21ème jour du 1er mois de l’an 6014). C’est pour lui une façon de nous situer dans une année de « Vraie Lumière ». 

    Rappelons que les deux Saint-Jean, fêtes reprenant de très anciennes traditions, sont placées aux deux solstices. Alors, le temps maçonnique? Dans certaines Loges, le Cabinet de Réflexion propose au Néophyte un certain nombre de maximes et d’axiomes. Parmi ceux-ci, venus du tréfonds des âges sous des formes différentes selon les penseurs, il en est une qui trouve bien sa place dans cette recherche à propos du temps : « Travaille comme si tu devais atteindre cent ans, et prie comme si c’était ton dernier jour ! ».

    En Tenue nous partageons aussi un temps important : c’est le temps de parole. Il faut savoir attendre, réfléchir, ne pas se précipiter : autant de gages de bonne gestion du temps.

    Professionnellement et spirituellement en prise avec les urgences du présent, le Franc-maçon considère que le passé est constitué des strates de l’expérience humaine dans lesquels il ira puiser des réponses à ses urgences. Encombré de projets (perspectives, projections, prédictions …etc.), il considère que l’avenir se joue sur des probabilités et que, de tous les projets, un seul est viable à ses yeux : mieux habiter le présent.

    Alors que le Profane remet souvent son action à demain, le Franc-maçon prend conscience qu’il est l’heure d’agir et de prendre en main son destin, car bientôt il sera Minuit. Nous ne serons pas satisfaits à l’heure de notre mort. Si nous avons le sentiment de ne pas avoir accompli notre devoir dans le temps qui nous était imparti. Que restera-t-il de nous après être passé à l’Orient Eternel, si ce n’est l’empreinte de nos actes?

    Ce qui nous fait dire que le temps maçonnique n’est pas seulement constitué de « l‘espace d’heures » occupées par le Franc-maçon en Loge, mais aussi du reste de la journée pendant lequel il s’affaire à répercuter au-dehors, ce qu’il a acquis au-dedans. N’est-on pas Maçon toute sa vie ? Chaque jour et à chaque heure du jour ?

    Le temps reste le temps, surtout présent, et on peut le qualifier de « maçonnique » parce que nous avons été initié. Le Franc-maçon doit répondre à tous ses engagements et responsabilités dans ses deux vies totalement liées et qui semblent indissociables. Le temps maçonnique ne serait-il donc pas un éternel présent consigné dans les Tracés des Loges, manuscrits relatant les moments riches de la Franc-maçonnerie intra et extramuros ?

    Pour conclure, du moins provisoirement

    Par définition, le temps humain est fini, et le temps divin infini, ou plutôt, il est la négation du temps, l’illimité. L’un est le siècle, l’autre l’éternité. Il n’existe donc entre eux aucune commune mesure possible. Cette différence de nature, que l’intelligence ne peut normalement concevoir, trouve son contrepoids dans l’intensité d’une vie intérieure, non dans un prolongement indéfini de la durée : sortir du temps, c’est sortir totalement de l’ordre cosmique, pour entrer dans un autre ordre, un autre univers. Le temps est indissolublement lié à l’espace.

    La vie profane est marquée par deux dates rapprochées et qui paraissent en même temps très éloignées : le 31 décembre et le 1er janvier. La première est censée marquer la fin d'une période qui serait définitivement derrière soi, alors que la deuxième signifierait le début d'une nouvelle ère pleine d'espoir et de réjouissances. Si nous penons la peine d'y réfléchir quelque peu, les festivités qui marquent ce non-événement ne sont-elles pas vides de sens et ne ressemblent-elles pas davantage à une fuite en avant qu'à une prise de conscience du temps qui passe ?

    Ces deux dates sont en effet tout ce qu’il y a de plus artificiel. Elles ne correspondent à rien de naturel, au sens propre du mot, ni à rien de symbolique. Ce n'est pas un hasard si les Francs-maçons rythment leur temps selon la cadence des saisons. Les fêtes solsticiales, que nous appelons Fêtes de saint Jean, correspondent au rythme naturel du temps, à la Lumière qui diminue puis se fait plus forte, au temps nécessaire au repos et à la méditation qui précèdera le temps de l'action et de l'effort.

    Dans un temps pas si éloigné que cela, les fêtes de la Saint-Jean étaient l'occasion de réjouissances très marquées dans les campagnes où l'on allumait de grands feux. Dans sa simplicité, le monde rural avait compris l'essentiel sur le temps qui passe et qui se déroule comme un fleuve sans fin. Nous sommes comparables à des navigateurs qui dirigent leur embarcation au milieu du cours. Nous nous approchons quelques fois de la gauche ou de la droite du fleuve, mais nous ne pouvons que suivre son cours sans jamais parvenir à le remonter.

    N’est-il pas temps de revenir à l'essentiel et de nous affranchir des chaînes matérialistes qui nous privent de liberté ? Les fêtes et les réjouissances sont certes indispensables à l'Homme. Il y a tant de raisons de nous réjouir tous ensemble, pour autant que chacun veuille bien retrouver l’autre, l'écouter et le comprendre. Cela vaut-il réellement la peine de chercher des prétextes futiles pour faire semblant de se réjouir ?

    R:. F:. A. B.

     

    « O temps ! suspens ton vol, et vous, heures propices,
    Suspendez votre cours :
    Laissez-nous savourer les rapides délices
    Des plus beaux de nos jours !

     

    [1] Le cadran solaire est considéré comme un des tout premiers objets utilisés par l’homme pour mesurer l’écoulement du temps. La première « horloge », le gnomon, une sorte de cadran solaire rudimentaire, fut créée au 3ème millénaire avant J.-C. Le cadran solaire le plus ancien est égyptien et date de 1500 avant J.-C. Ce système est connu dans toutes les civilisations mais il est imprécis. 

    [2] Une clepsydre (étymologiquement, il s’agit d’une voleuse d’eau), inventée par le grec Ctésibios, est un récipient percé dont de l’eau s’écoule. À l’intérieur du récipient, des graduations permettent de mesurer des intervalles de temps. L’heure était indiquée par le niveau d’un flotteur.

    Parties d’Égypte, en – 1530, les clepsydres se sont répandues chez les Grecs à partir de la seconde moitié du 5ème siècle avant J-C puis chez les Romains en 159 avant J-C. C’est le cadran solaire qui a été utilisé pour les graduer.

    Ces horloges à eau furent les premiers réveils : elles étaient utilisées dans les monastères pour déclencher une sonnerie aux heures de prière. Les Grecs et les Romains l’utilisaient pour limiter le temps de parole dans les tribunaux ou pour limiter des horaires dans les règlements concernant les services publics.

    Elle fut maintes fois perfectionnée jusqu’au 18ème siècle pour donner naissance à de véritables horloges à eau.

    [3] Le sablier était peu pratique pour mesurer des longues durées car il fallait le retourner souvent. Le bulbe rempli de sable qui était constitué de coquilles d’œufs pulvérisées (car utiliser du vrai sable était trop grossier), est placée en haut et par l’effet de la gravité, le sable s’écoule lentement et régulièrement dans l’autre. Une fois que tout le sable est dans le bulbe du bas, on peut retourner le sablier pour mesurer une autre période de temps. Il est fiable, précis et peu coûteux ; c’est l’instrument le plus répandu du 14ème au 18ème siècle. Il est utilisé essentiellement pour des durées courtes (pour des fractions d’heures). Le premier sablier apparaît vers l’an 1000, la légende raconte qu’ils ont été inventés afin de limiter le temps de parole des orateurs trop bavards.

    [4] (Livre XI. Paragraphe: XIV, XVIII, XX)

    [5] Le déroulement du temps y est logique d'après le point de vue humain, car linéaire, unidirectionnel.

    [6] Du grec hexa : six et hhêmera : jour.

    [7] Cf. Heidegger.

    [8] cf. Jankélévitch

    Bibliographie

    Augustin d'Hippone - La Cité de Dieu - Tome 14

    Traduction d’Isabelle Koch - Essai (broché)

    Edité par Cécile Defaut en 2012

     

    Bergson Henri

    Essai sur les données immédiates de la conscience

    Editions F. Alcan, Paris, 1889

     

    Bergson Henri

    Matière et mémoire

    Essai sur la relation du corps à l'esprit 1896

     

    Bergson

    L’Évolution créatrice

    1907

     

    Camus Albert

    Le mythe de Sisyphe

    Essai sur l’absurde

    Éditions Gallimard, Paris, 1942

     

    Gilson Etienne

    L'être et l'essence

    Editions Vrin, « Bibliothèque des Textes Philosophiques », 1994

     

    Hegel

    Encyclopédie des sciences philosophiques

    La science de la logique – Tome 1

    Traduction de Bernard Bourgeois

    Heidelberg, 1817

    Editions Vrin,‎ 1986

     

    Heidegger Martin

    Être et temps

    Traduction par Emmanuel Martineau

    Authentica, hors commerce, 1985 (épuisé)

     

    Husserl Edmund

    Méditations cartésiennes

    Sous-titré « Introduction à la phénoménologie »

    Editions Vrin, 1947 - Editions de Poche 1992

     

    Husserl Edmund

    Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps

    Editions des Presses universitaires de France, 1996

     

    Jankélévitch Vladimir

    L’irréversible et la nostalgie

    Collection : Champs Essais

    Editions Flammarion, 2011

     

    Kant Emmanuel

    Critique de la raison pure

    Editions des Presses universitaires de France, 2001

     

    Leibniz Gottfried

    Opuscules philosophiques choisis

    De la production originelle des choses prise à la racine

    « Bibliothèque des Textes Philosophiques – Poche », 2001

     

    Levy-Bruhl Lucien

    La mentalité primitive 

    Editions Félix Alcan, Paris, 1922

     

    Merleau-Ponty Maurice

    Phénoménologie de la perception

    Editions Gallimard, Paris, 1945

     

    Mircea Eliade

    Le Mythe de l'éternel retour. Archétypes et répétition

    Traduit du roumain par Jean Gouillard et Jacques Soucasse

    Editions, Gallimard, « Les Essais », Paris, 1949

    Nouvelle édition revue et augmentée - « Idées », 1969

     

    Nietzsche Friedrich

    Le gai savoir

    Traduit par Patrick Wotling

    Editions Flammarion, 1998 – Réédition de 2007

     

    Platon

    Timée

    Traduction, notices et notes par Émile Chambry

    La Bibliothèque électronique du Québec. Collection Philosophie

     

    Saint Augustin

    Confessions 

    Introduction et commentaire par Jean-Claude Fraisse

    Philosophie, 1989

     

    Spinoza Baruch 

    Éthique

    Folio, Collection Folio Essais, 1994

     


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  •  Initiation, liberté et serment 

    Introduction

    La présente planche avait été tracée en février 2004 et constituait une réponse à quelques Frères qui se permettaient d’en dévoiler d’autres et notamment à des Profanes qu’ils approchaient pour les faire entrer dans notre Obédience !

    C’est ainsi que je me suis trouvé un jour devant un Profane qui connaissait non seulement mon appartenance, mais aussi mes responsabilités précises dans les trois Respectables Loges dont j’étais membre à l’époque !

    Dans sa version initiale, cette planche se voulait surtout une mise au point de ma part quant à ce que je souhaitais venir faire en Franc-maçonnerie, quelles étaient les valeurs que je souhaitais défendre et aussi ce que j’attendais de mes Frères. Il est évident que cette planche est toujours d’actualité pour préciser ce à quoi je crois, ce que j’espère trouver dans nos Loges et que tous mes Frères partagent avec moi. J’espère ne pas vous décevoir !

    Le point de départ de mon raisonnement se résume en une ou deux questions :

    • Pourquoi sommes-nous entrés en Franc-maçonnerie ?
    • Pourquoi sommes-nous venus ici ?

    Mon propos concernera notre liberté et ce qu’elle devient lorsque nous avons prononcé notre serment et que nous sommes devenus des Initiés.

    Certains d’entre nous sont arrivés spontanément à la Franc-maçonnerie : ils ont introduit une candidature spontanée. D'autres ont été approchés par l’un d’entre nous, généralement par celui qui, dès le début de la procédure d’admission, est devenu leur parrain, et ont été pressentis comme étant aptes à faire partie d’une élite digne de poursuivre l’œuvre du G :. A :. D :. L':. U :. sur cette Terre.

    Dieu a, dit-on, fait l’homme à son image. C’est sans doute la raison pour laquelle, quand nous étions enfants, la plupart d’entre nous, conditionnés par des images de nos livres de religion, ont imaginé Dieu comme un vieil homme barbu.

    Mais n’est-ce pas l’inverse qu’il faudrait imaginer ? Les êtres que nous sommes ne seraient-ils pas des étincelles de lumière, à l’image de Dieu qui est la Lumière, cette lumière qui, dit-on, luit ou brille dans les Ténèbres, ce monde de l’ignorance, de la violence, du mal ?

    Dieu n’aurait-il pas voulu que nous, Francs-maçons, soyons précisément des étoiles dont la mission est de rayonner ici sur Terre et de montrer dans le monde profane un comportement exemplaire tel qu’il l’aurait souhaité ?

    Ce à quoi je crois, c’est que nous sommes ici pour tailler symboliquement notre Pierre brute, c’est-à-dire pour apprendre à nous connaître, à nous améliorer, à tendre vers une certaine perfection ; tailler notre pierre pour l’édification de notre propre temple intérieur.

     

    Des hommes probes et libres

    Tous, nous sommes venus ici de plein gré, de notre libre consentement. Mais, rapidement, au cours de la procédure d’admission, nous avons pris conscience que nous allions perdre une bonne partie de notre liberté.

    Tout d’abord, lors de l’interrogatoire sous le bandeau, au rite moderne belge, le Vénérable Maître nous a tous prévenus en nous disant : « Monsieur ! Les premières qualités que nous exigeons pour être admis parmi nous et sans lesquelles on ne peut être initie à nos mystères sont : la plus grande sincérité, une docilité absolue, une constance à toute épreuve ».

    • Importance de la sincérité, donc. Importance d’être vrai aussi !

    Si nous ne sommes pas sincères, qui est trompé sinon nous-mêmes avant tout ?

    • Importance d’une grande docilité également !

    Ne venons-nous pas ici pour soumettre notre volonté, pour vaincre nos passions et faire des progrès en Maçonnerie ?

    Si nous ne faisions pas preuve d’une docilité absolue et d’une constance à toute épreuve, si nous nous rebellions sans cesse, si nous chahutions pendant les Tenues, si nous n’acceptions pas de vivre nos Tenues dans le plus grand silence, comment l’Initiation et la transformation de nous-mêmes pourraient-elles s’opérer ?

    • Importance aussi de venir de notre propre volonté.

    Au début de la cérémonie d’Initiation, le Frère Couvreur, le Frère 2nd Surveillant et le Frère Premier Surveillant nous ont rappelé, par leurs interventions successives, que l’être qui frappe à la porte du Temple est : « Un profane qui erre dans les ténèbres et qui aspire à la lumière ; qu’il a été régulièrement présenté et soumis au scrutin de cette loge et (qu’il) vient de sa propre volonté, dûment préparé, solliciter son admission aux mystères et privilèges de la Franc-maçonnerie ».

    A trois reprises, le rituel a mis l’accent sur le fait que nous agissions en toute liberté. Plusieurs extraits en témoignent. Ainsi, au cours des trois voyages, le Maître des Cérémonies est amené à dire trois fois que nous sommes un Profane libre et de bonnes mœurs. De même, au cours d’un des trois voyages, le Frère Orateur renforce encore cette idée de liberté en disant : « Nul n’entre ici que de sa propre et libre volonté ; mais quiconque est admis doit respecter les convictions de chacun, comme chacun respectera les siennes ».

    Avant notre prestation de serment, le texte de celui-ci nous a été lu et brièvement commenté. Le Vénérable Maître nous a dit que ce serment ne contenait rien de contraire à l'honneur et que, depuis des siècles, sur toute la surface de la terre, des millions d'hommes l'ont prêté. Il a ajouté que de cette obligation, rien au monde ne pouvait nous délier, même si nous devions en souffrir ».

    Il a même précisé : « Si vous doutez de vous-même, si vous éprouvez quelque réticence, ... n'hésitez pas... quittez cette Loge... vous êtes libre. Nous respecterons votre décision.

    Après une petite pause, le Vénérable Maître a ajouté : « Réfléchissez une dernière fois. Etes-vous décidé à vous conformer intégralement et sans restriction au serment qui vient de vous être lu ? ».

    Avant de prêter ce serment, le Vénérable Maître nous demande une dernière fois si nous persistons dans notre désir d’être reçu Franc-maçon.

    Et nous tous, et tous nos Frères réguliers, nous avons tous répondu « oui » parce que nous étions des hommes libres mais décidés à nous conformer aux exigences d’un Ordre dont l’objectif est de nous fournir une méthode de transformation et d’amélioration de nous-mêmes.

    Pourtant vous le savez certainement, le contraire s’est déjà passé. Il est arrivé qu’un Frère ait quitté une Loge en pleine cérémonie ! C’était normal…  il était (encore) libre !

    Sans dévoiler quoi que ce soit du rituel du 2ème degré, le Vénérable Maître nous a rappelé qu’au cours de notre apprentissage, écoutant et méditant dans le silence, nous avions appris à travailler sur nous-mêmes. Notre pierre brute, dégrossie et équarrie, s’est transformée peu à peu en cube parfait et le moment était arrivé de pouvoir insérer notre pierre cubique dans l’édifice qui est le Grand – Œuvre de la Franc-maçonnerie.

    Notre augmentation de salaire ne nous a été accordée que pour autant que nous persistions dans notre désir de joindre nos efforts à ceux de nos Frères.  Ici aussi, il nous a fallu nous engager ! Et le Vénérable Maître nous a à nouveau demandé si nous étions prêts à le faire. Nous avons tous accepté de prêter à nouveau un serment.

    Au 3ème degré, le Vénérable Maître nous a bien recommandé d’avoir des pensées pures et des paroles sincères. Mais, pour moi, le plus important c’était le rappel du caractère sacré de nos serments.

    Nous sommes donc libres d’entrer en Franc-maçonnerie. Mais le sommes-nous encore une fois entrés ?

     

    Liberté et devoirs

    Certes, vis-à-vis du monde profane, nous ne sommes pas entrés dans une secte. Nous sommes toujours libres de nous absenter et seule notre conscience peut nous juger. Nous sommes aussi libres de ne plus jamais remettre les pieds dans notre Loge. Nous sommes toujours libres de quitter la Franc-maçonnerie si elle nous a déçus. Mais ceux qui restent seront aussi déçus car le départ d’un Frère est toujours la cause d’une grande tristesse et souvent le constat d’un échec, en particulier pour le parrain.

    Puisque nous avons été créé, consacré et reçu Franc-maçon, nous avons donc décidé de rester. C’est librement que nous avons promis d’aimer nos Frères et de les secourir dans le besoin. C’est tout aussi librement que nous avons accepté – par notre serment – de ne pas révéler les noms de nos Frères, de ne pas les tracer, les graver ou les buriner, et sous-entendu, de ne pas aller dévoiler des Frères auprès de Profanes, même auprès de candidats Maçons.

    Certes, cela peut nous arriver à tous de citer par mégarde ou par intérêt le nom d’un Frère lorsque nous parlons entre nous : « Tiens, tu sais, untel, il est au G.O. ! ». « Oui, unetelle, c’est une sœur ! »

    Mais pourquoi dévoiler le nom des membres de notre Atelier à des Profanes ? Quel intérêt  si ce n’est celui de donner de fausses illusions, risquer de laisser penser que la Franc-maçonnerie ne serait rien d’autre qu’un club de bavards ?

    Seule notre conscience, si nous en faisons un examen sérieux, nous mettra mal à l’aise. Les plus jeunes d’entre nous n’ont pas vécu la guerre et les atrocités du nazisme. Mais nous en avons tous entendu parler. Si chacun avait pu vivre cette pénible expérience d’un emprisonnement rien que pour les idées qu’il défend… il saisirait mieux la nécessité de cette Loi du Silence que tout Vénérable Maître  nous rappelle systématiquement à l’issue de chacune de nos Tenues.

    Libre à vous de penser que je dramatise. Je vous invite cependant à observer les progrès des mouvements d’extrême droite à chaque élection, que ce soit en Belgique, en France et dans quelques pays européens proches du notre.

    Je vous invite aussi à vous rappeler que le monde profane n’a généralement pas une approche des plus positives à l’égard de notre Ordre souvent assimilé à une secte ou à une caste de privilégiés qui exercent une influence considérable sur le gouvernement de nos institutions.

    Notre liberté est aussi limitée par notre devoir de réserve, de discrétion. Un des plus difficiles sans doute. Ne dit-on pas du Franc-maçon qu’il est bavard ?

    Dans son sens maçonnique, la discrétion implique effectivement un devoir de réserve et de silence mais surtout de ne pas dévoiler nos Frères, de ne pas révéler les détails de nos rituels, le caractère sacré de nos Tenues par ailleurs difficilement communicable.

    A ce sujet, j’aimerais vous livrer une brève citation que je laisse à vos méditations. C’est Edouard Plantagenet  qui a dit : « Savoir se taire est une force ; c’est aussi une vertu ! ».

    Notre liberté semble donc sérieusement restreinte une fois que nous sommes entrés dans notre Ordre. Au seuil du Temple, nos Frères ont voulu s’assurer que nous avions bien conscience de quelques obligations que nous devions remplir pour pouvoir être considérés comme « initiables ».

    C’est pourquoi, enfermé dans le Cabinet de réflexion, le Récipiendaire, que nous avons tous été, a été invité à répondre à trois questions sur ses devoirs. Une multitude de devoirs nous incombe en effet.

    Cette liberté dont nous sommes si fiers est tout d’abord sérieusement restreinte par le devoir de silence qui nous est imposé dès le début de notre parcours maçonnique.

    Ce n’est pourtant qu’à la faveur de ce long silence que nous avons pu faire cet indispensable retour sur nous-mêmes qui nous affranchit définitivement de l’influence pernicieuse de notre existence antérieure et nous fait découvrir, en même temps, que la Lumière que nous sommes venus chercher dans le Temple se trouve déjà en nous.

    Notre liberté est aussi remise en question par notre devoir d’assiduité.

    L’assiduité, c’est notre présence régulière aux Tenues comme aux séminaires. Elle est primordiale car, pour progresser, il me parait indispensable de suivre un rythme de travail et de rencontres. Sans assiduité, le travail à opérer sur soi-même me semble difficile car il implique le concours et l’aide de nos Frères.

    Un autre devoir, sinon le premier, est de méditer les enseignements du rituel afin d’y conformer notre conduite. C’est là notre devoir par excellence.

    Notre liberté est aussi limitée par notre devoir de travailler. Si nous venons en Loge, ce n’est pas pour nous reposer des fatigues d’une longue journée voire d’une longue semaine, c’est encore pour travailler, pour travailler sur nous-mêmes. Pour les Officiers Dignitaires, travailler c’est se mettre au service de la Loge. Sachons donc adopter physiquement une attitude correcte qui favorise la méditation. Je n’ai pas dit la somnolence.

    Le Travail maçonnique, c’est l’intériorisation des pratiques, des actes accomplis en Loge ; c’est la méditation sur les symboles et le rituel.

    Le Travail maçonnique se partage. Les Frères y participent d’une manière enthousiaste. Ils reçoivent un salaire et des augmentations de salaire car le chantier est ouvert depuis longtemps et restera encore ouvert longtemps.

    Le « travail » ainsi annoncé est en réalité cette transformation qui s’accomplit en chacun d’entre nous par la recherche de l’équilibre entre l’individu et le groupe que constitue la Loge.

    Le Travail maçonnique est en fait l’activité de l’homme en soi, la conquête de son identité, la maîtrise de ses passions, la reconnaissance de ses faiblesses et de ses vertus.

    Tout Travail maçonnique se fait à la gloire du Grand Architecte de l’Univers et en présence des Trois Grandes Lumières de la Franc-maçonnerie : le Volume de la Loi Sacrée sous l'Équerre et le Compas sur lesquels sont prêtés tous les serments.

    C’est pourquoi les Trois Grandes Lumières de la Franc-maçonnerie doivent toujours être exposées pendant les Travaux de la Grande Loge et des Loges placées sous son contrôle. Tous les Initiés doivent prêter leur Obligation sur le Livre de la Loi Sacrée dans lequel est exprimée la Révélation d’En Haut.

     

    Notre serment

    Lors de notre Initiation, nous nous sommes tous engagés par notre serment à respecter la Constitution et le Règlement général de notre Obédience.

    Prêté la main droite dégantée et posée sur le Volume de la Loi Sacrée afin que nous nous engagions sur ce qu’il y a de plus sacré, notre serment nous enjoint :

    • de garder le secret ;
    • de rester fidèle et discret, c’est-à-dire de ne trahir ni l’Ordre maçonnique ni nos Frères ;
    • de persévérer dans le perfectionnement, c’est-à-dire de marcher sur le chemin de l’Initiation.

    Par tout serment solennel, l’homme renonce à une certaine part de sa liberté, ce qu’il fait devant une autorité qui a le pouvoir en tous lieux et en tout temps de connaître un manquement à cette renonciation et de le punir.

    A ce sujet, René Désaguliers s’est interrogé : « Quelle peut être une telle autorité sinon un Dieu ou le Dieu unique ? »  C’est cet aspect qui est plus particulièrement marqué dans le mot latin « sacramentum », d’où le terme « serment » dérive directement. « Sacramentum » est lié au mot « sacer » qui signifie sacré ou ce qui appartient au monde divin.

    Pour moi, le serment est un acte essentiel de la Franc-maçonnerie.

    Pratique extrêmement ancienne de l’humanité, le serment est obligatoirement sanctionné par une autorité supérieure à l’homme, par une transcendance capable de le juger. En Franc-maçonnerie, le serment consiste en une promesse solennelle faite par le Néophyte qui s’engage à garder les secrets de la Maçonnerie et à se conformer en toutes choses aux règlements de l’Ordre, conformes aux lois en vigueur dans le pays.

    Le serment est empreint d’un caractère solennel, de la gravité d’un pacte, du sérieux extrême de l’engagement indissoluble entre celui qui le prête et celui qui le reçoit.

    Ce serment initiatique a aussi un caractère antique et sacré. Il est prononcé de la libre volonté du Récipiendaire, sans contrainte et devant une assemblée de Maçons témoins qui vont devenir ses Frères et en présence du principe de l’Ordre.

    Ce serment (cf. texte en annexe page 10) spécifique se décompose en trois parties : une invocation, une promesse, une imprécation. Le plus souvent, et en tout cas dans notre Obédience régulière, l’invocation est faite à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers.

    Le serment est prêté sur la Bible, ouverte au Prologue de l'Evangile de saint Jean. On peut considérer que le serment a un caractère d’alliance cosmique avec l'Eternel. C’est une obligation réciproque consentie librement entre l’Ordre et le Néophyte qui est accepté en qualité de nouveau maillon de la chaîne initiatique. Cette promesse au caractère solennel engage notre être tout entier à être fidèle.

    Finalement, pourquoi sommes-nous entrés en Franc-maçonnerie ? Pourquoi sommes-nous venus ici ? Que venons-nous faire en Franc-maçonnerie ? Que sommes-nous venus chercher en Franc-maçonnerie ?

    Le rituel de notre Initiation nous a donné une réponse à ces questions : nous demandions la Lumière. Nous sommes venus chercher la Lumière. Mais si le but suprême de la Franc-maçonnerie est la recherche de la Lumière, encore faut-il donner un sens plus personnel à cette expression.

     

    Conclusion provisoire

    Que suis-je venu faire parmi mes Frères ? Chercher la Lumière ? Pourtant je n'ignore pas qu'elle ne se confère point ! Que peut-elle être ? Certains y croient et l'appellent « Dieu ». D'autres pensent la détenir et l'appellent « Raison ».  Enfin certains la devinent et la cherchent : ils l'appellent « la Vérité ».

    La Lumière, n’est-ce pas avant tout la connaissance de soi ? Je pense que c'est en nous-même qu'elle se trouve et qu'elle apparaîtra une fois que nous serons effectivement sortis des Ténèbres. Ce qui importe donc, finalement, c'est de chercher.

    Pour pouvoir travailler en vue de notre élévation spirituelle, il nous faut construire nos connaissances par nos recherches personnelles, par l'introspection, par l'écoute attentive des points de vue exprimés par nos Frères plus anciens, par l’expression de leur expérience et par les ajustements appropriés de nos Surveillants.

    Pour pouvoir participer à l'amélioration du monde et des hommes en particulier, il nous faut en premier lieu songer à notre perfectionnement personnel, à devenir une Pierre bien taillée, adaptable dans l'édification du Temple idéal dont nous devrions devenir les pierres parfaites.

    Chacune des étoiles de la voûte de notre Temple symbolise comme une victoire de la lumière sur l'obscurité et du savoir sur l'ignorance. C'est pourquoi nous, Francs-maçons, dans notre trajectoire initiatique tournée vers l'éveil et la recherche de la pureté, nous pouvons nous apparenter ou nous identifier à l'une d'elles. Chacun d'entre nous n'est qu'un individu isolé, qui brille de sa propre lumière. Mais tous les Maçons réunis dans leur fraternité forment un ciel constellé de lumières qui sont autant de luminaires pour éclairer le monde.

     

    R :. F :. A. B.

     


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