• Le parcours maçonnique de W. A. Mozart

     * Le parcours maçonnique de W. A. Mozart

    Introduction

    Wolfgang Amadeus Mozart est né à Salzbourg le 27 janvier 1756. Tout comme Goethe et Schiller, Mozart a été initié aux premiers grades maçonniques et a effectivement participé aux Tenues de deux Loges viennoises depuis l’âge de 28 ans. Pour ces sociétés fraternelles, il a écrit de nombreuses œuvres mais elles sont relativement peu connues du monde profane alors qu’elles méritent pourtant grandement d'être abordées.

    Mozart a été Franc-maçon durant les sept dernières années de sa vie. L'institution maçonnique a joué un rôle important à la fin de sa vie et dans son œuvre en général.

    Il existe pas mal de renseignements concernant les contacts que Mozart a eus avec la Franc-maçonnerie. Nous verrons également  que chez les Mozart, la Franc-maçonnerie semble avoir été une affaire de famille.

    La présente planche – réécrite récemment à la suite d’une plainte justifiée pour manque de citation de mes sources (un grave oubli de ma part) – n’a d’autre ambition que de rassembler ce qui est épars. C’est pourquoi je n’ai aucun mérite si ce n’est d’avoir tenté de réunir et de synthétiser ces quelques informations.

    J’aborderai entre autres les premiers contacts de Mozart enfant avec la Franc-maçonnerie ; la Franc-maçonnerie considérée comme une affaire de famille chez les Mozart ; l’Initiation de Mozart ; le Profane Mozart devenu un Initié : Wolfgang, un Franc-maçon prosélyte ; Mozart et son espoir de voir des femmes également initiées. Enfin j’aborderai succinctement le symbolisme maçonnique de « La Flute enchantée » puisqu'on sait depuis pas mal d’années que cet opéra est l’une des œuvres maçonniques de Mozart.

    L’enfance et les premiers contacts maçonniques

     * Le parcours maçonnique de W. A. Mozart

    Le 26 octobre 1767, alors que le petit Wolfgang est atteint de la variole, c’est le docteur Wolff qui le guérira. Celui-ci est notoirement Franc-maçon et d’ailleurs, à cette époque, les Loges de Vienne sont peu secrètes : la teneur des Travaux effectués en Tenue est régulièrement publiée dans les journaux !

    Bien que la maladie lui ait laissé quelques cicatrices définitives, Mozart compose une mélodie et l’offre au docteur Wolff en remerciement de sa guérison. Cette composition porte un titre qui évoque déjà l’importance de la fraternité : il l’intitule « An die Freude ». Le texte (de J.P. Uz) est, fortement inspiré par la Maçonnerie. Mozart ne peut en avoir composé la mélodie sans en connaître le sens.

    En 1768, Wolfgang fait la connaissance du célèbre docteur Mesmer, Franc-maçon lui aussi, qu’il parodiera plus tard, gentiment, dans son opéra « Cosi fan tutte ». A cette époque Mozart rencontre aussi un directeur de théâtre, Sonnenfels, Franc-maçon, qu’il retrouvera d’ailleurs plus tard en Loge.

    En 1772, entre ses deux voyages en Italie, Mozart, alors âgé de seize ans, écrit « O heiliges Band » sur un texte de Lenz, paru dans un recueil maçonnique réservé aux seuls Francs-maçons, alors qu’aucun profane ne peut normalement obtenir ce livret.

    Il serait aisé de penser que Mozart pouvait parfaitement fréquenter des Francs-maçons, sans pour cela épouser leurs idées. Alors comment aurait-il pu se procurer ce recueil ?

    En 1773, un Franc-maçon important, von Gebler, commande à Wolfgang deux chœurs et cinq entractes pour accompagner un drame héroïque intitulé « Thamos, roi d’Egypte », préfiguration de ce que sera un jour « La Flute enchantée ».

    Gebler est alors ce que l’on appelle un « Esprit des Lumières » comme on l’accorde également à Goethe et à Lessing. Ce travail avait tout d’abord été proposé à Glück qui le refusa puis à Sattler dont il fut mécontent.

    Ainsi, Mozart, de 11 à 17 ans s’est trouvé continuellement témoin des interrogations des Francs-maçons et de leur mode de pensée.

    A la lecture de ces événements, il pourrait paraître audacieux de prétendre que Wolfgang, jeune adolescent, ait pu développer des sentiments dictés par une recherche philosophique. Mais le jeune Mozart n’était pas un adolescent ordinaire : sa personnalité était si exceptionnelle qu’il est tout à fait logique de constater son aptitude et ce degré de réception des plus hautes spéculations de l’esprit. Mozart exprimait des dons hors normes, en tout.

    De la première œuvre maçonnique de Wolfgang à la dernière, il s’écoule 18 ans de réflexion.

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    Plusieurs événements ont progressivement dirigé Wolfgang Mozart vers la Franc-maçonnerie qui était considérée, à l’époque, comme une sorte de confrérie très charitable et généreuse avec les démunis. Les épreuves qu'il a dû traverser l’ont poussé à se questionner, à l'âge où les enfants sont insouciants.

    On peut penser que Mozart enfant, atteint de si graves maladies, affrontant la mort, la douleur et la cécité, gardant de vilaines cicatrices et de nombreuses gênes, ait pu élever son esprit dans les questions fondamentales de l’existence, s’intéresser aux symboles liés à la vie, revoir la mythologie et nourrir ses facultés exceptionnelles de raisonnement.

    Tandis que les enfants de son âge jouaient, courraient, s’organisaient quelque avenir insouciant, Mozart travaillait, composait, interprétait et, surtout, se questionnait sans cesse.

    L’année qui précéda la mort de sa mère, Mozart fit la connaissance de von Gemmingen, un personnage illustre qui devint par la suite le Vénérable de sa Loge d’Initiation. Après le décès de sa mère enterrée à Paris, Mozart est de retour au pays en 1780. Il reprend les contacts avec ses amis Francs-maçons. Joseph II régénère la Franc-maçonnerie car il ne s’oppose pas à son existence, ce qui est déjà énorme et permet aux loges de se multiplier en un temps record.

    Par le biais de ses créations musicales, Mozart souhaitait alors mettre en évidence que la laideur des sentiments ne pouvait se résoudre que par l’harmonie des cœurs. Il considérait que seules les lois de l’esthétique pouvaient contenir le bien et le mal.

    Bien qu’encore profane, Mozart était déjà sérieusement éclairé. Son esprit s’élevait vers une philosophie d’ordinaire inaccessible aux jeunes de son âge. En effet, son opéra « l’Enlèvement au Sérail » comportait déjà de nombreux éléments qui soulignaient l’esprit de liberté anglaise par le personnage de Blonde. C’est dans ce contexte que Mozart a engagé Constance, sa fiancée, à le rejoindre vivre dans son petit appartement, alors qu’ils ne sont pas mariés.

    En 1783, Gemmingen qui connaît intimement Mozart, installe sa propre Loge maçonnique à Vienne. Il invite Mozart à l’y rejoindre pour y jouer le rôle de musicien, « Kapellmeister », autrement dit, pour être un « frère à talent ». De nos jours, nous dirions « Maître de la Colonne d’Harmonie ». Toutes les hésitations de Mozart s’entendent parfaitement dans l’Andante con moto de son quatuor à cordes en mi bémol majeur (K 428). Cette année-là, bien qu’il hésitait encore à rejoindre son ami dans la Loge, il composa néanmoins un nombre exceptionnel d’œuvres dont la Messe solennelle en ut mineur.

    Jusqu’à l’âge de 27 ans environ, Mozart aura composé l’équivalent de deux œuvres par mois ! Alors qu’il envisage tout juste d’entrer dans la Franc-maçonnerie, et que certaines de ses œuvres sont déjà fortement inspirées par l’Egypte, toute sa production musicale contient un bon nombre de symboles maçonniques, autant soufflés par les traditions des bâtisseurs de pyramides que celles des bâtisseurs de cathédrales.

    En novembre 1784, Mozart se décide enfin et envoie sa lettre de candidature à la Loge « Zur Wohlthätigkeit ». Il a 28 ans…mais Constance ignore encore le projet de son époux.

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    L'Initiation de Mozart

    Ainsi, c'était dans une ambiance d'effervescence culturelle intense que Wolfgang Amadeus Mozart frappa à la porte du Temple et demanda à être reçu comme Maçon dans la Loge « A la Bienfaisance ».

    C'était le mardi, 14 décembre 1784, à partir de 18 h 30, à la maison « Zum rothen Krebsen » n° 464 au Kienmarkt, très près du logement à la Schulerstrasse n° 8 (actuellement Domgasse n°5) que Mozart occupait de septembre 1784 à avril 1787.

    Il y avait à chaque fois une cinquantaine de participants aux Tenues dans ce Temple situé au deuxième étage de la maison Weinbrenner. Les Francs-maçons de la Loge « Zur wahren Eintracht » (A la vraie Concorde) l’avaient louée pour 900 florins annuels. Mais la Loge « Zur Wohlthätigkeit », constituée le 2 février 1783, pouvait également profiter de ces locaux pour 250 florins.

    Ensemble avec un certain Wenzel Summer, vicaire à Erdberg – ce qui montre bien l'inefficacité des bulles papales sur le territoire de l'empire autrichien – et selon le rite de la Stricte Observance, Mozart fut Initié comme Apprenti.

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    Il est difficile d’évoquer la cérémonie d'Initiation car, si les rituels de cette époque en disent long sur le déroulement de la cérémonie, et on connaît malheureusement très peu de son caractère et de la façon dont elle est vécue.

    Tout ce qui a pu être écrit à ce sujet ne peut rien apprendre d'essentiel aux profanes, puisque le « secret initiatique » ne se découvre pas dans les livres ni par quelque formule communicable. Il se révèle seulement par l'expérience existentielle et directe de l'initiation elle-même. C'est pourquoi le secret, que l'on reproche si fréquemment aux initiés et dont on accuse les Francs-maçons, n'est qu'une conséquence inévitable et logique de leur respect de la vérité purement expérimentale de l'Initiation.

    On peut cependant affirmer que Mozart a profondément vécu son Initiation, dont l'importance ne s'est pas simplement reflétée dans ses compositions maçonniques proprement dites, mais dans toute une série d'œuvres qui deviennent seulement compréhensibles dans leur entité et leur plénitude si on se rend compte de leur référence à la Maçonnerie et aux dimensions émotionnelles et spirituelles de l'Initiation.

    La Franc-maçonnerie deviendra partie intégrante d'une démarche créatrice qui trouvera son apogée dans la « Flute enchantée », transposition sublimée du chemin du profane vers la Lumière.

    Mozart a depuis longtemps baigné dans une ambiance maçonnique mais ce n’est que le 5 décembre 1784 que la Loge « Zur Wohlthätigkeit » informera les autres loges concernant l’enregistrement du Frère Mozart.

    Depuis de longues années Mozart avait des contacts étroits avec des Maçons. Il partageait avec eux les idées sur les arts et sur la société. En entrant en Franc-maçonnerie, il se sentira pleinement à l'aise, cela d'autant plus qu'il y sera à pied d'égalité avec les meilleures têtes de l'époque et qu'il sera guidé par des amis qui deviendront ses Frères.

    Il ne s’est pas laissé initier dans l'Atelier « Zur wahren Eintracht », Loge de prestige en 1784, mais dans une Loge plus petite et plus modeste « Zur Wohlthätigkeit ». Entre ces deux Loges, il y avait cependant beaucoup de Travaux en commun. Elles organisaient ensemble un certain nombre de cérémonies, notamment la Fête de la Saint-Jean d’Été. La Loge « A la Bienfaisance » était dirigée par Otto von Gemmingen qui avait eu d'étroits contacts avec Mozart et été son protecteur à Mannheim en 1778. Grâce à von Gemmingen, Mozart avait également vu la même année à Paris le compositeur Franc-maçon Le Gros et ses amis.

    En 1784, Mozart avait passé plusieurs crises d'ordres divers, psychologique, philosophique, affectif, en particulier la séparation d'avec Theresa von Trattner, sous le toit de laquelle les Mozart avaient logé depuis 1783 et avec laquelle Wolfgang a entretenu des relations profondes.

    Quelles qu'en soient les raisons, les Mozart déménagèrent fin septembre 1784, et le mois suivant, le compositeur dédia à Theresa la Sonate K. 457, ainsi que la Fantaisie K. 475, en mai 1785.

    Depuis plusieurs années, Mozart était devenu adepte des aspirations du « Sturm und Drang » et des idéaux de l' « Aufklärung ». Il manifestait sa sympathie pour l'esprit de l'Illuminisme, « esprit progressiste, antimystique, irréligieux, rationaliste, socialement et politiquement prérévolutionnaire » (Massin), qui correspondait parfaitement aux aspirations de sa maturité.

    Le profane est devenu un Initié

    Le 14 décembre 1784, vers huit heures du soir, Wolfgang est donc entré en Franc-maçonnerie. Mais comme chacun le sait, on n’y entre pas comme dans un théâtre. Il a attendu, seul dans un Cabinet de Réflexion, où ont été placés quelques symboles qu’il a reconnus. Il a pu distinguer à peine, dans la pénombre, les marques des principes fondamentaux.

    Une inscription a capté son attention : Mozart en connaissait la signification car il avait déjà visité l’intérieur de son être et se corrigeait depuis longtemps pour trouver le meilleur de lui-même, son Moi profond rayonnant. Mozart était un être doux, pur et sensible, venu pour chercher la Lumière. En attendant la cérémonie qui ferait de lui un jeune Franc-maçon, Mozart pensait à sa famille, à sa femme, à sa perpétuelle recherche d’absolu. Nul être n’était plus sincère que lui ce soir-là.

    De retour à son domicile, il tenta d’expliquer à Constance ce qu’il venait de vivre, sans cependant lui révéler les secrets dont il était désormais le gardien. Il lui confia combien la cérémonie l’avait marqué.

    Ils seront nombreux à s’illustrer dans cette quête. N’appelle-t-on pas cette ère le «siècle des Lumières» ? Mozart retrouva dans la Loge de nombreux amis et quelques relations. Ceux qui n’étaient que de vagues connaissances sont maintenant devenus ses Frères ! Tout cela prit des allures de « sacré » dans son pur esprit.

    Le nom de ceux qui accompagneront son voyage introductif figure sur une liste qui n'a rien de secret. Et sur de nombreux documents historiques, précieusement conservés, les signatures autographes attestent la présence de quelques illustres personnalités dont Mozart emprunta ce soir-là, vers vingt heures, le sillage spirituel.

    Il est ébloui, émerveillé. Ce bouleversement guidera le reste de son existence, sans jamais le détourner de sa foi chrétienne. D’ailleurs, le soir de son Initiation, un prêtre et un moine étaient présents dans le Temple, initiés, eux aussi !

    Mozart découvre les arcanes de son grade qui lui enseigneront les allégories et les symboles de sa Loge. Il découvre une doctrine sans dogme, une Tradition basée sur une érudition gigantesque :

    • des symboles numériques : Lumières, Batteries, Escaliers, Age, Années, Heures…
    • des symboles géométriques : Triangles, Carrés, Pentagones, Hexagones…
    • des symboles pratiques : Outils, Colonnes, Épées…
    • des symboles décoratifs : Couleurs, Tabliers, Sautoirs, Bijoux…
    • des symboles conceptuels : Références, Origines, Formules, Lettres…

    Son entrée dans la vie maçonnique par la conjonction du Rituel, de la Tradition et des Symboles va porter Mozart vers la Lumière.

    A l’issue de cette cérémonie, Wolfgang Mozart ne sera plus jamais le même. Quoi qu’il advienne, il est Apprenti. Le voici Franc-maçon et cela ne peut être effacé. Sa production musicale va encore se modifier, s’enrichir de nouveaux symboles auxquels il a désormais accès.

    Il est cependant condamné au silence durant quelques temps, le temps de passer au grade de Compagnon, mais cela ne l’empêche pas de raconter à Constance les étapes de son évolution. Il souhaite lui faire profiter de l’enseignement qu’il reçoit afin qu’elle bénéficie des outils d’évolution mis à sa disposition, mais sans pour autant trahir…

    Wolfgang Amadeus, un Franc-maçon prosélyte

    Le 7 janvier 1785, Wolfgang est élevé au grade de Compagnon à la Loge « Zur wahren Eintracht ».

    Le 10 janvier, il achève le quatuor à cordes en LA majeur (K 464) dont l’andante se rapporte clairement au rituel de Réception des Francs-maçons.

    Mozart n’a déjà plus que quelques années à vivre. Il n’ignore rien de ses fragilités mais la musique le porte vers une profondeur de pensée que peu d’individus atteignent.

    Il souffre de ne pouvoir partager davantage d’expériences avec son épouse : autant que possible, il lui soumet quelques sujets de travail et l’encourage à développer son « moi », sa chapelle intérieure.

    Par de nombreux courriers, il adresse à quelques Frères de poignantes suppliques. Dans cette correspondance, rares sont les allusions aux Travaux maçonniques mais un lecteur attentif et averti pourrait néanmoins retrouver les parenthèses paraboliques à défaut d’en décrypter le sens précis.

    Le 13 janvier de la même année, Mozart est déjà élevé au grade de Maître.

    Faut-il s’étonner de la rapidité avec laquelle le génie franchit ces étapes ? Il ne bénéficie d’aucun passe-droit ni d’aucune facilité. Mais, dans son enfance galvaudée et les épreuves de sa célébrité jalousée, les étapes sont vite franchies car l’homme a vite mûri.

    Quatre jours plus tard, il compose un quatuor à cordes en ut majeur (K 465) qui se réfère au grade de Compagnon. Il participe également à la réception d’Anton Tinti au sein de la Loge « Zur Wahren Eintracht ».

    Le 27 janvier 1785, Mozart participe à une Tenue particulière : la Loge « Zur Wahren Eintracht » attend la venue de Haydn pour son Initiation. Wolfgang est présent, animé par une émotion qui lui rappelle déjà son propre passage d’état de Profane à celui d’Apprenti. Wolfgang en parle sans cesse à Constance. Il est excité à l’idée de retrouver son père spirituel, Haydn, dans la Loge et de partager avec lui d’autres Travaux que ceux de la musique. Mais Haydn ne peut pas venir ce soir-là et la cérémonie est reportée à quelques jours.

     * Le parcours maçonnique de W. A. Mozart

    Le 11 février de la même année, Haydn se présente à la porte du Temple. Il frappe à son tour les trois coups rituels et demande à être reçu…

    S’en suit un voyage initiatique, dont la teneur et les impressions resteront à jamais, aux yeux de Mozart, indicibles aux profanes, sauf à Constance, son épouse, car il est évident qu’il ne puisse tout lui révéler.

    Mais Wolfgang n’a pu prendre part à cette cérémonie : il était à Mehlgrube, en concert pour la première interprétation de son concerto pour piano en ré mineur (K 466). Pour la circonstance, il joua lui-même la partie soliste.

    Le samedi soir, Léopold, Haydn et Tinti ont participé à une fête dans le somptueux appartement de Mozart, dans la Domgasse, face à la cathédrale de Saint-Etienne. Wolfgang avait réservé une surprise à son ami Haydn : trois nouveaux quatuors, réputés plus faciles que les trois précédents, dédiés à Haydn également, cependant toujours aussi prodigieux.

    Après avoir entendu, dans cet appartement, les six quatuors qui lui sont dédiés (K 387, 421, 428, 458, 464, 465) Haydn dira de Wolfgang à son père que son fils est le plus grand compositeur qu’il connaisse, qu’il a du goût et la plus grande science de la composition.

    Le partage de l’ineffable se fera entre les deux hommes durant les années qui suivront.

    En mars 1785, Mozart termine le concerto en ut majeur (K 467) dont une partie est fortement maçonnique. L’andante fait clairement allusion au troisième grade, celui de Maître.

    En 1790, Mozart participe à une Réception en Loge, immortalisée par un tableau magnifique. Si l’œuvre est anonyme, les personnages ne le sont pour personne. Ce tableau, aujourd’hui restauré, est conservé au « Historiches Museum der Stadt » à Vienne. Mozart est le premier personnage (assis) de la rangée de droite. Son épée est posée à côté de lui. Sa main est posée sur sa poitrine. Il parle à son voisin vêtu de rouge.

    En entrant dans la Franc-maçonnerie, Mozart a pu pénétrer dans un monde initiatique nouveau pour lui. Il a effectué cette démarche dans le but de se renouveler lui-même, de reprendre l’ensemble de sa vie avec des forces nouvelles et dans une nouvelle lumière.

    L’esprit de la Franc-maçonnerie germait en lui depuis longtemps. Mozart était épris de liberté, d’égalité, et de fraternité, persuadé de la nécessité d’échanges réciproques et d’un travail commun destiné à faire progresser l’humanité, les arts et les sciences. En rejoignant la Franc-maçonnerie, il accomplit ce désir de travail commun et s’investit au plus profond de lui-même dans cette quête spirituelle facilitée par la chaleur d’amitié fraternelle qu’il recevait de ses Frères Francs-maçons.

    Wolfgang savait que son père voulait également entrer en Maçonnerie. Sa candidature fut déposée et acceptée. Mozart se questionnait sur les motivations de son père. Cette aventure permettrait-elle de réunir enfin ces deux cœurs qui ne savent plus se parler autrement qu’en se reprochant le passé, l’ingratitude du fils, la dureté du père ? Que va découvrir le rigide Léopold ? Le père, si redouté, va devenir Frère. Léopold, si autoritaire, entrera bientôt au grade d’Apprenti et découvrira que son propre fils est déjà Maître !

    En France, les femmes ont déjà accès aux Travaux en Loge, mais en Autriche, c’est impossible. Wolfgang réfléchit et trouve cette différence injuste car il admire la sensibilité et la ténacité des femmes. Il les trouve aussi tellement intelligentes !

    Le 6 avril 1785, Wolfgang regarde son papa effectuer son propre parcours initiatique. Il s’émeut de voir Léopold ébranlé par la révélation du secret maçonnique. Son visage s’éclaire, tout est dit entre eux. Le lendemain, un somptueux banquet réunit les deux hommes. Léopold repart ensuite pour Salzbourg. Wolfgang ignore qu’il ne reverra jamais son père.

    Au fil des mois Wolfgang participe aux Tenues régulières et compose de nombreuses œuvres destinées à être jouées lors des réceptions des Loges maçonniques. Mozart « voyage » et participe aux Tenues de la « Zu den drei Adlern », ainsi qu’à celles de «Zur gekrönten Hoffnung». Il s’absente lors de ses problèmes de santé et profite toujours de ses convalescences pour composer quelques merveilles supplémentaires : des odes funèbres à l’occasion du décès de Frères, en passant par la mise en musique de plusieurs poésies. Il s’impose entre temps le travail d’une cantate (K 429) destinée aux fêtes de la Saint-Jean d’été. Malgré la ferveur qui l’inspire, il n’achèvera jamais cette œuvre.

    Haydn cesse un temps de fréquenter les loges. Son immense foi se trouve parfois un peu dérangée par les principes maçonniques. Il est vrai que Mozart participe parfois aux Tenues d’une autre loge où les agapes qui clôturent les rencontres sont assez joyeuses et réputées libertines. Les Loges féminines d’adoption commencent à animer la curiosité des messieurs et les rencontres furent vraisemblablement l’occasion de quelques rapprochements entre Francs-maçons et Francs-maçonnes. Mozart souhaite y faire entrer sa femme, ainsi pourrait-elle constater qu’il ne s’agit pas d’orgies mais de séances de travail, suivies d’agapes bien arrosées ou se terminant souvent par un joyeux banquet fraternel.

    Mozart et l’Initiation des femmes

    Mozart aurait voulu ouvrir une Loge accessible aux femmes et l’appeler « Grotta ».

    Les tâches ont été réparties entre plusieurs membres, amis et Frères, afin de hâter les préparatifs. Constance a également participé au projet, et a même donné de son temps pour effectuer quelques démarches administratives, avec l’espoir que les femmes puissent accéder à l’érudition des Francs-maçons !

    Wolfgang et Constance ont connu d’énormes soucis d’argent.

    Dès l’été de l’année 1791, Mozart fut en proie à de terribles crises qui le firent ployer sous la douleur. La maladie le rongea petit à petit.

    Quelque chose en lui annonçait sa mort pour les mois à venir. Il se sentait parcouru d’un froid indicible. Son teint devint très pâle et sa mine triste. Il était atteint d’une profonde mélancolie et chaque départ d’un ami, chaque adieu murmuré, le faisait fondre en larmes.

    La maladie de Wolfgang Mozart porte un nom que l’on connaît aujourd’hui : syndrome de Schoenlein-Henoch. Sa progression est lente, douloureuse et surtout fatale. Mais Mozart ne craignait pas la mort : cette étape lui semblait douce et obligatoire, pour atteindre une vie meilleure, un monde où tous ceux qui s’aiment se retrouvent.

    Lorsque l’heure sonna pour Mozart, il sut garder sa sérénité, malgré son esprit torturé par l’idée de laisser sa chère Constance seule et sans revenus. Il demandera à sa belle-sœur de rester présente.

    Mozart ne se soucia pas de sa fin. Le Requiem inachevé le contrarie bien plus que de mourir. Wolfgang Amadeus Mozart est mort le 5 décembre 1791 à l’âge de 35 ans, après avoir passé dix années de dur labeur à Vienne, fortement endetté. Constance ne pouvait payer ses funérailles, ce qui fera de Mozart un cadavre anonyme jeté à la fosse commune.

    Si Mozart est mort dans la gêne, c'est d'avoir trop dépensé et non pas assez gagné. Ses opéras comme « Le Mariage de Figaro », «La Flute enchantée», « Don Giovanni » furent des succès, voire des triomphes. Les seules royalties du « Mariage de Figaro » permirent, plus tard, à son fils Karl d'acheter une propriété sur le lac de Côme, c'est dire !

    Mozart n'est pas mort seul et sans assistance médicale. C'est sans doute les nombreuses saignées, à la mode en son temps, qui l'auraient achevé. Constance, sa femme, Sophie, sa sœur et tous ses serviteurs étaient à son chevet. Et si son corps fut jeté dans une fosse commune, ce fut sans doute plus en raison d'un choix maçonnique qu’à cause d'une prétendue pauvreté.

    En rendant l’âme, il laissa Constance hébétée, hystérique. Elle fouilla les cachettes sous le plancher, à la recherche des documents relatifs à la préparation de « Grotta ». Mais il n’y avait plus rien à faire, car personne ne défendrait ce dossier comme Wolfgang avait souhaité le faire. Personne n’était aussi motivé qu’il l’était, car tous, étaient assez satisfaits de tenir leurs épouses loin de la «connaissance».

    Les Frères Maçons se sont réunis en Tenue funèbre à l’occasion du décès de leur cher Frère passé à l’Orient Éternel. Une oraison funèbre fut imprimée et lue devant tous les Frères par Carl Philipp Hensler. Il subsiste actuellement un seul et dernier exemplaire de ce recueil.

    Mozart honore ses Frères en musique

    Artiste tourmenté, aspirant à la quiétude, et afin de lutter contre son angoisse, le divin Wolfgang est donc entré en Loge en 1784 à l’âge de 28 ans.

    Lorsque, le 14 décembre 1784, Mozart apporta son adhésion à la Franc-maçonnerie, ce choix philosophique revêtit pour lui une importance extrême. Sans doute était-il alors influencé par la mode du temps, mais ce n'est pas là sa seule motivation.

    La Franc-maçonnerie prône la fraternité parmi les hommes, célèbre le culte de l'amitié et affiche la générosité au premier rang de ses principes. Voilà qui ne pouvait qu'enthousiasmer le grand enfant que Mozart était encore à 30 ans à peine. Toujours prêt à s'enflammer pour une cause lorsqu'il la croyait juste, il trouvait dans les principes maçonniques le reflet de ses plus intimes convictions. Il n'était pas le seul. Dans cette Europe de la fin du 18ème siècle, qu’ont traversé tant de courants de pensée, la Franc-maçonnerie a fait de nombreux adeptes, notamment dans l'aristocratie.

    Les serments d'entraide, que ses membres professent les uns envers les autres, ne sont pas de vains mots : le musicien aura eu l'occasion de s'en rendre compte dans les moments les plus cruels de son existence. C'est donc une brise de liberté que la Franc-maçonnerie a fait souffler au visage du jeune homme, une brise qu'il aspirait avec délice.

    Dans les loges, Mozart retrouva de nombreux amis et soutiens tels le baron Van Swieten qui lui avait fait adapter Haendel ou les frères Stadler, éminents clarinettistes. Mozart était très fier de cet engagement et s'empressa de faire initier son père et son ami Josef Haydn.

    Une clarification s'impose toutefois. Si elle prêche des idéaux de liberté et de fraternité, réfléchit sur l'éthique du monde, la Franc-maçonnerie viennoise n'est pas anticléricale. Les catholiques maçons sont considérés comme des catholiques éclairés.

    Cet idéal maçonnique, expression la plus pointue du mouvement des Lumières, Mozart le portera jusqu'à la fin de sa vie dans des œuvres destinées au rituel des loges. Pour témoigner à ses nouveaux amis sa communion de cœur et d'esprit avec eux, Mozart, dès avril 1785, apporta une première contribution à leur cause, en composant la « Joie maçonnique », et, trois mois plus tard, la «Musique funèbre maçonnique», deux œuvres de circonstance. De leur côté, ses « Frères » ne l'abandonnèrent jamais, particulièrement l'un deux, un riche négociant du nom de Michael Puchberg, que Mozart avait souvent sollicité : une première fois en 1788, alors que son admirable « Don Gionanni » n'avait reçu qu'un accueil mitigé de la part du public viennois, puis, l'année suivante, de manière encore plus pressante, alors que sa femme était très malade et leur situation matérielle inquiétante. Celle-ci s'aggrava avec les années : Constance, son épouse, semble avoir été dépensière, et les chefs-d’œuvre qu'il composait ne lui rapportaient qu'une misère. En Frère attentionné, Puchberg offrit aussi à Mozart le réconfort de sa présence et s'intéressa à son œuvre. Le 21 janvier 1790, il était à ses côtés pour la première répétition de « Cosi fan tutte ».

    Le symbolisme maçonnique de la « Flute enchantée »

    La genèse de la « Flute enchantée »

    Au mois de mars 1791 – cette année qui sera la dernière de la courte vie de Mozart – c'est un autre de ses Frères en Maçonnerie, Emmanuel Schikaneder, qui se trouve à l'origine de « Die Zauberflôte » (« La Flute enchantée »). Celui-ci dirige dans un faubourg de Vienne le « Theater auf der Wieden » que fréquente une clientèle populaire. Il apporte au musicien un livret qui l'enchante dès les premiers mots et lui procure un de ces élans d'enthousiasme qui inspirent à Mozart ses plus belles pages.

    Suite à cette proposition de créer un opéra en allemand, Mozart se mit au travail en mars 1791 et composa sa partition, non sans achever de nombreuses autres pièces qui lui avaient été commandées. Ce qui séduisait le compositeur dans le thème de « La Flute enchantée », c'est qu'il introduisait aux mystères que recelaient le rêve et les astres et qu'il entraînait ceux qu'il initiait sur un chemin céleste.

    « La Flute enchantée » fut créée le 30 septembre 1791, deux mois avant la mort de Mozart. Le sujet de l'opéra, emprunté aux «Contes orientaux» de Wieland, n'était pas en soi très original. Schikaneder entreprit de remanier le texte en y introduisant rites, idéaux et symboles d’inspiration maçonnique. Mais la véritable magie de l'œuvre revint essentiellement à la qualité de la musique qui alla jusqu’à utiliser, avec la science et le bonheur que l’on sait, chorals protestants et chansons populaires.     

    Par sa poétique, sa couleur harmonique, mélodique et instrumentale, la  « Flute enchantée » de Mozart est donc le premier opéra allemand.

    L'œuvre

    De la « Flute enchantée », Gœthe a dit qu'elle pouvait se prêter à des lectures multiples, procurant un plaisir simple à la foule et livrant des trésors secrets aux Initiés. Le livret de Schikaneder peut, en effet, se lire tout simplement comme une belle histoire féerique ou comme un parcours initiatique si l'on possède les clés des rites maçonniques.

    Le sujet de l'opéra est l'éducation de l'être humain à accéder à une moralité plus élevée en acquérant sagesse, amour et bonté. Les obstacles qu'il doit surmonter sont le prix à payer pour accéder à la connaissance et à l'amour. La vie est la lutte de la lumière avec l'obscurité, du bien avec le mal, du rationalisme avec la superstition, du matriarcat avec le patriarcat. La musique de Mozart rapproche ces contraires, unit ces oppositions et forme ainsi une charpente, celle de l'être humain tout simplement. La  « Flute enchantée »  est le terme d'un voyage de découvertes que Mozart venait de faire à travers son siècle, la somme de toutes ses inspirations, de la plus populaire à la plus majestueuse.

    Dans ce qui est l'ultime œuvre lyrique de son existence, Mozart démontre, mieux qu'il ne l'avait jamais fait, son pouvoir de survoler l'infranchissable et de passer en un instant de la farce à l'épique. Autres éléments significatifs du sujet, la connivence entre le monde enfantin et le monde animal, illustrée par la présence de créatures mi-humaines mi-animales. Papageno et Papagena appartiennent à un univers où le goût très vif pour les plaisirs de la vie ne s'exerce jamais au détriment de l'innocence des acteurs. Ce désir de pureté, que Mozart a toujours porté en lui, trouve ici l'occasion de s'épanouir.

    On trouve dans ce dernier opéra de Mozart la symbolique chère aux Francs-maçons : le combat du Bien contre le Mal, le triomphe des vertus, la victoire de la Lumière sur les Ténèbres. Mozart évoque l’Initiation qui permet au Profane de devenir meilleur. Lumière, amour, vérité, travail inlassable sur soi : la symbolique et bien d’autres signes sont là évoqués, respectés, qui font de cette « Flute enchantée » un émerveillement.

    Les signes symboliques dont l'œuvre est parsemée, les rapports numériques pythagoriciens entre les tonalités, les effectifs orchestraux, les tessitures, les groupes de personnages bien définis, tout conduit à qualifier « La Flute enchantée » d'opéra maçonnique.

    Si les énigmes que recèle l'œuvre, et leur élucidation, peuvent paraître sommaires, d'un rituel vieillot et desséché par le vent de l'Histoire, elles n'en constituent pas moins un premier mode de compréhension de cet opéra par lequel il faut passer si l'on veut pénétrer les intentions secrètes qui ont présidé à son élaboration.

    On y rencontre spontanément le besoin d'un tracé initiatique vers une révélation. Ce qu'il y a de remarquable dans cet opéra, et aussi de significatif dans l'écriture mozartienne, c'est qu'il est une des rares créations sublimes de l'esprit humain accessibles aux enfants. La première a lieu au « Theater Auf der Wieden », le 30 septembre 1791, sous la direction de Mozart lui-même.

    Ainsi put-il savourer plus complètement le succès que lui réserva le public, un succès qui se perpétuera plusieurs mois après la disparition du musicien et qui, sur le moment, lui apporta un réconfort dont il avait bien besoin, étant donné le délabrement de sa santé et la dépression morale qu'il traversait. Si l'on en croit le Berliner Musikalische  Zeitung, l'œuvre fut fort mal chantée. Justifié ou non, ce jugement n'empêcha pas le théâtre de faire salle comble à chaque fois qu'il afficha « La Flute enchantée ». Mais ce succès arriva trop tard pour le pauvre Mozart qui survivra moins de trois mois à la création de son opéra.

    Pourtant, avant de quitter un monde qu'il a survolé comme un ange, il a donné à la Franc-maçonnerie une autre preuve de sa fidélité. Afin de célébrer l'inauguration d'un nouveau temple, la loge à laquelle il appartenait lui demanda de composer une cantate. Bien qu'à bout de forces, il trouva dans son cœur le courage de créer cette œuvre qui sera la dernière de sa vie. Cette cantate, « Das Lob der Freudschaft » (L'Éloge de l'amitié), nous dit que jusqu'au moment ultime de son parcours terrestre, le musicien a voué un culte à ce sentiment qu'il a recherché tout au long de son existence et qu'il a, hélas, trop rarement rencontré.

    La philosophie maçonnique s'exprime à travers une multitude de symboles (Equerre, Compas, Niveau, Colonnes, Triangle, Nombre 3, etc.) et de valeurs (humanisme, philanthropie, tolérance, fraternité). On retrouve ces symboles et ces valeurs dans certaines œuvres musicales, littéraires et architecturales.

    Cet opéra débute par un triple accord qui reprend la rythmique ternaire des batteries maçonniques. Le chœur final comporte le ternaire « force, sagesse, beauté » qui est utilisé au Rite Ecossais Ancien et Accepté, le plus pratiqué au monde.

    « Die Zauberflöte » est l’œuvre universelle par excellence.

    Conclusion

    On a beaucoup dit et beaucoup écrit sur cette œuvre. Elle est sans aucun doute l'opéra de W. A. Mozart le plus représenté et ce n'est pas sans raison car il est des œuvres, en particulier artistiques, qui rayonnent sur les hommes et l'humanité. Elle est si riche de symboles que de nombreuses thèses ont été émises sur sa signification, thèses parfois reprises dans les innombrables interprétations qu'ont réalisées les metteurs en scène d'opéras du monde entiers.

    Cette « Flute enchantée » est vraiment magique, magique à plus d'un titre : dans sa musique, souvent hors de l'espace et du temps, dans les intentions de son créateur et de tous les artistes qu'elle a inspiré et enfin dans le message que chacun peut comprendre qu'elle lui apporte.

    Mais, sans vouloir rajouter une nouvelle interprétation des intentions qu'auraient eues Mozart et le cercle de ses amis dont Schikaneder et Gieseke en créant ce chef-d'œuvre – car en réalité, qui peut prétendre savoir avec certitude ce que voulait nous dire Mozart ? – il n’y a qu’une certitude : Mozart était sensible à tout un courant de pensée « universelle » et « spirituelle » et nous savons qu'il était en contact étroit avec les hommes et les cercles qui vivaient de cette pensée.

    La « Flute Enchantée », opéra maçonnique et d’apprentissage, parcours initiatique mais aussi turquerie et quasi opéra-comique qui ne ressemble qu’à Mozart lui-même, est à la fois populaire et ésotérique.

    Comme dans les contes orientaux dont elle s’inspire, la « Flute enchantée » foisonne de symboles dont peuvent s’amuser les Initiés mais ne renonce jamais au doux plaisir d’entraîner le spectateur dans les méandres d’une aventure féerique et fantastique où les personnages ne tardent pas, d’épreuves en tours de magie, à redouter le Bien et à douter du Mal, à trembler et à s’enhardir, jusqu’à se transformer, au bout de leur périlleuse déambulation, en ces héros empreints de grâce et de sagesse que ne renieraient pas les mille et une nuits.

    C’est un Mozart en fin de vie, délaissé par la mode et la santé, qui s’amuse de ces aventures extravagantes et populaires dans lesquelles sa musique peut s’abandonner à la fantaisie et entraîner dans son élan la troupe de Schikaneder, librettiste complice et ami de vingt ans. Les genres y changent aussi souvent que les tableaux, les styles y apparaissent et s’y bousculent avec la magique aisance d’un effet de machinerie.

    Au final, c’est la profusion, l’inattendu, qui rappellent à ses contemporains, sous couvert de divertissement, l’incroyable diversité de son génie. Plus qu’un testament, c’était un pied de nez aux ennuyeux qui confondaient sérieux et profondeur, aux mondains qui cherchaient l’Olympe dans les velours des salons.

    Lien vers la planche '' Approche de l’opéra « La Flûte enchantée » ''

    R:. F:. A. B.

    Sitographie

    Le parcours initiatique de Mozart

    https://www.edmu.fr/2009/05/mozart-en-quelques-dates.html

    http://www.ecossaisdesaintjean.org/article-mozart-en-trois-points-102168306.html

    https://www.rtbf.be/lapremiere/article/detail_de-mozart-et-des-lumieres-un-voyage-au-18e-siecle-en-10-episodes?id=9946708

    http://jeanbaptistekleber.com/wolfgang-amadeus-mozart-la-musique-du-siecle-des-lumieres/

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Mozart_et_la_franc-ma%C3%A7onnerie

    https://www.rtbf.be/musiq3/emissions/detail_l-odyssee/accueil/article_les-symboles-franc-macons-chez-mozart?id=10158139&programId=8774

    http://lamaconne.over-blog.com/2016/07/mozart-compositeur-franc-ma%C3%A7on.html

    https://www.francemusique.fr/emissions/petites-histoires-et-grandes-musiques/francis-poulenc-fait-acte-de-resistance-a-l-opera-de-paris-63445

    http://www.stricte-observance-templiere.com/Mozart.php

    http://www.linternaute.com/savoir/dossier/06/mozart/franc-macon.shtml

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Wolfgang_Amadeus_Mozart#cite_ref-21

     

    La Flute enchantée

    https://www.opera-online.com/articles/la-flute-enchantee-feerie-et-richesse-dun-conte-initiatique

    https://www.francemusique.fr/opera/la-flute-enchantee-franc-maconnerie-et-prelude-au-feminisme-338

    http://www.lamediatheque.be/travers_sons/opmoz1.htm

    http://users.skynet.be/lotus/art/mozart-fr.htm

    http://users.skynet.be/lotus/art/mozart0-fr.htm

    https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Fl%C3%BBte_enchant%C3%A9e

     

    Bibliographie

     

    Duquesnoy Isabelle

    Les confessions de Constanze Mozart

    Editions Point – Poche 2012

     

     


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  •  AVANT LES LOGES SPÉCULATIVES 

    1. Introduction

    La fondation de la Maçonnerie spéculative moderne n’est pas un processus volontaire, ni consenti, mais plutôt le résultat d’une suite de coïncidences, de résignations, voire d’erreurs.

    Pour nous, la Franc-maçonnerie, traditionnelle, universelle et régulière, c’est un Ordre. Cela signifie qu'elle repose sur une organisation ordonnée et structurée selon une règle. Cette Règle définit le fondement de la Régularité maçonnique dans tous les pays du monde. Les Francs-maçons qui respectent cette Règle sont les Maçons Réguliers.

    Les origines de la Franc-maçonnerie restent incertaines et de nombreuses légendes flatteuses, réveillant l’égo des Maçons, courent à son sujet. On la dit héritière d’Hiram, l’architecte du Temple de Salomon, des Chevaliers Templiers, mais également de spiritualités ésotériques telles que l’Ordre de la Rose-Croix, l’Hermétisme ou en relation avec la Kabbale (mystique juive). Mais il faut bien le constater : les textes antérieurs au 14ème siècle n’apportent pas beaucoup de précisions au sujet de l’origine de l’Ordre maçonnique.

    La Franc-maçonnerie trouve son origine au Moyen-Âge dans l’organisation corporative des tailleurs de pierre ou des ouvriers des chantiers religieux et féodaux. Elle prit naissance en Ecosse, dans la région de Glasgow. Les constructeurs des cathédrales gothiques étaient regroupés en loges et se réclamaient de saint Jean.

    Ce que nous savons aussi, c’est que la Règle maçonnique traditionnelle existe depuis au moins le 14ème siècle. Ses plus anciennes transcriptions en notre possession sont écrites en anglais médiéval et datent de 1390 et de 1400. Nous pouvons la découvrir dans de nombreux documents manuscrits ou imprimés, collectivement appelés « Old Charges », en français : « Anciens Devoirs ».

    Ainsi, en 1390, le « Manuscrit Régius » décrivait les usages des maçons anglais et plaçait emblématiquement leur corporation sous l'égide d'Euclide et de Pythagore, pères de la géométrie, et sous la protection du roi Athelstan d'Angleterre. Le « Manuscrit Cooke » se présente comme une version parallèle du « Régius » écrite en prose. Ces deux textes traitent de l’art de la géométrie, science à la fois divine et terrestre, dont l’application par métier se nomme « Franc-maçonnerie ». Ils donnent également des règles de conduite et des devoirs à respecter par les gens de métier, les « Francs-maçons », envers la confrérie, la société humaine, la religion et l’Etat.

    A la fin du Moyen-Âge, les confréries sont nombreuses à travers l'Europe. Elles veillent au respect des « Devoirs » des différents métiers. Le « Manuscrit Régius » nous donne une bonne idée de ce que pouvait être la maçonnerie « opérative » de l'époque. Ces confréries étaient cependant souvent mal vues par l'Église catholique romaine et surveillées de près par les pouvoirs royaux.

     

    Rappelons ce qu’étaient ces « Anciens Devoirs ».

     

    2. Les Anciens Devoirs

    Des historiens ont mis en évidence l’existence de plus d’une centaine d’Anciens Devoirs. Une centaine de manuscrits de la Maçonnerie opérative nous sont en effet connus, rapportant sa doctrine et son organisation. Ce sont les « Anciens Devoirs » ou « Old Charges ». Les plus anciens, conservés au British Museum, le « Manuscrit Régius » (1390) et le « Manuscrit Cooke » (vers 1425) ont été rédigés – selon l’usage du temps – par des clercs. Ils disent que « la géométrie est l’art de mesurer toute chose sur la terre ».

    Dans un de ses ouvrages, Daniel Béresniak montre « comment la plus ancienne définition connue de la Franc-Maçonnerie identifie celle-ci à la Géométrie » et constitue « l’écho médiéval de l’antique Nul n’entre ici s’il n’est géomètre de l’Académie de Platon ».

    Ces « Old Charges » constituent essentiellement l’histoire légendaire du métier et les règles morales qui devaient gouverner le comportement des maçons. Ces textes étaient destinés à être lus à haute voix pour des assistants en partie illettrés ! Leur possession confirmait la régularité de la loge.

    L'analyse de ces Devoirs montre la permanence d'exigences constantes, appelées Landmarks depuis 1723, date à laquelle le pasteur Anderson employa cette expression dans ses Constitutions. Diverses recensions en existent mais toutes contiennent quelques principes incontestables (voir la planche intitulée « Les origines de la FM » - Lien URL).

    Mais quelle forme de maçonnerie était concernée par ces « Anciens Devoirs » ? Au 14ème siècle, il s’agit de la « maçonnerie opérative ».

     

    3. La franc-maçonnerie opérative

    Qu’entendons-nous par « maçonnerie opérative » ? Car tel est bien l’objet principal de la présente planche !

    Organisée en obédiences depuis 1717 à Londres, la Franc-maçonnerie contemporaine, dite « spéculative » — c'est-à-dire philosophique — fait référence aux rites des Anciens Devoirs de la « maçonnerie » dite « opérative » formée par les corporations de bâtisseurs qui édifièrent, entre autres, les cathédrales.

    Au Moyen-Âge, la Maçonnerie opérative était constituée en divers groupements : mestiers, confréries, ghildes. Elle réunissait les artisans travaillant la pierre. Ceux-ci construisaient des cathédrales mais aussi des monastères, des châteaux forts, des ponts. Ils rangeaient leurs outils, travaillaient parfois, se sustentaient et se reposaient dans la loge, une bâtisse souvent provisoire qu’ils édifiaient sur le chantier, souvent adossée au mur de la cathédrale.

    C’étaient des virtuoses, des magiciens de la pierre. Leurs connaissances techniques et peut-être théologiques et philosophiques dépassaient la moyenne. Ils étaient vraisemblablement, du moins pour les plus qualifiés, des hommes libres. Ils appartenaient alors à un franc-mestier, indépendant du pouvoir local, qui leur commandait la belle ouvrage. Appréciés pour leurs talents par les princes de ce monde, ils parcouraient l’Europe, du Nord au Sud, de l’Orient à l’Occident.

    En des termes plus synthétiques, nous pourrions dire de la maçonnerie opérative qu’« Il s’agit d’une organisation de la construction en pierres qui englobe les divers niveaux hiérarchiques de son accomplissement et régit tous ses aspects techniques ainsi que corporatifs ».

    Mais cet aspect professionnel ne peut s’exercer dans un cadre idéal de fraternité et d’amour du prochain qui inclut la participation à des œuvres caritatives et d’assistance. Le maçon opératif s’épanouissait grâce à la pratique religieuse intégrale du catholicisme, au sens étymologique d’universel.

    René Guénon a bien rappelé la nécessité de cette pratique religieuse exotérique, comme base d’une réalisation initiatique quelconque « car on ne bâtit pas sans fondations ou sur une vie profane. Il faut d’abord maîtriser l’extérieur avant de pénétrer l’intérieur. Le processus initiatique est un accomplissement et une transformation de l’exotérisme et non pas sa négation, son oubli ni même sa négligence ».

    Le métier fournit le support de l’ordre initiatique dont les rites permettent d’intégrer tous les aspects de la vie professionnelle à l’entreprise de la réalisation spirituelle. La pratique du métier prend alors la valeur d’une ascèse véritable. Il comporte un aspect de compréhension intellectuelle, intégrée aussi bien qu’intégrante. En ce sens, l’opératif inclut la dimension spéculative, mais celle-ci n’est pas isolée.

    On s’imagine le plus souvent que les Maçons « opératifs » n’étaient que de simples ouvriers et artisans, et rien de plus ni d’autre, et que le symbolisme aux significations plus ou moins profondes ne serait venu qu’assez tardivement, par suite de l’introduction, dans les organisations corporatives, de personnes étrangères à l’art de construire.

    Tel n’est d’ailleurs pas l’avis d’Armand Bédarrides qui cite un assez grand nombre d’exemples, notamment dans les monuments religieux, de figures dont le caractère symbolique est incontestable. Il évoque notamment les deux colonnes de la cathédrale de Würtzbourg qui sembleraient prouver que les maçons constructeurs du 14ème siècle pratiquaient une symbolique philosophique, ce qui est exact, mais dans le sens de « philosophie hermétique ».

    Parmi les symboles usités au Moyen Age, outre ceux dont les Maçons modernes ont conservé le souvenir tout en n’en comprenant plus guère la signification, il y en a bien d’autres dont ils n’ont pas la moindre idée !

    La « Maçonnerie opérative » était vraiment complète dans son ordre : elle possédait à la fois la théorie et la pratique correspondante. Cette qualification d’opérative peut être comprise comme une allusion aux « opérations » de l’« art sacré », dont la construction selon les règles traditionnelles était une des applications.

    Le « Manuscrit Regius » est précieux pour une autre raison. Il affirme que certains apprentis sont « du sang des seigneurs ». A ce sujet, nombre d’historiens pensent que dans les loges opératives ont été acceptés progressivement et à titre honorifique des gens étrangers au métier. Selon les cas, clercs, nobles, bourgeois ont pu apporter, connaissance, prestige, protection, espèces sonnantes et trébuchantes. De plus en plus nombreux dans les ateliers, les « Maçons Acceptés » seraient à l’origine de la mutation de la Maçonnerie : les spéculatifs supplantant au fil du temps les opératifs. Selon l’historien Paul Naudon, François Rabelais fut un de ces Acceptés au sein de la confrérie des Gaults, une société de bâtisseurs.

    Progressivement, les loges opératives auraient admis parmi leurs membres quelques hommes importants, nobles ou membres du clergé, n'appartenant pas directement au métier. C'est ainsi que les loges écossaises, depuis 1439, avaient comme protecteurs héréditaires les seigneurs Saint-Clair de Rosslyn.

    Mais tous les historiens ne partagent pas cette hypothèse de transition entre « maçonnerie opérative » et « maçonnerie spéculative » : pour certains, la Maçonnerie spéculative serait directement issue de la Royal Society, l’Académie royale des Sciences de Londres, créée en 1662, à laquelle appartenaient les grands esprits de l’époque comme le savant – mathématicien, physicien, astronome – Isaac Newton et le pasteur Théophile Désaguliers.

     

    4. Les premières loges spéculatives

    Depuis notre admission dans l’Art royal, nous avons appris que la Franc-maçonnerie moderne trouve son origine en Angleterre, dans une coutume dénommée « acceptation » qui consistait à recevoir, dans un cercle de maçons opératifs, en qualité de membres honoraires, des personnes étrangères au Métier. Cette thèse est de plus en plus remise en question.

    Nous savons qu’en 1717, quatre Loges londoniennes établies de « temps immémorial » se sont réunies afin que « quelques frères anciens » puissent s’associer pour créer la première Grande Loge de Londres constituant ainsi l’ébauche de la maçonnerie obédientielle moderne et jeter les bases d'un centralisme qui aboutira, après plusieurs décennies et bien des péripéties, à la Franc-maçonnerie moderne.

    Avec le déclin des loges opératives, au fil des années, ces maçons « acceptés » ont privilégié le travail sur les idées plutôt que celui sur la construction matérielle.

    Mais deux ou trois exemples connus du 17ème siècle nous laissent aussi penser que des loges ont d’emblée été créées comme « spéculatives ».

    Nous savons également qu’en 1723, deux pasteurs, James Anderson et Jean-Théophile Désaguliers, ont été chargés de rédiger des Constitutions fondatrices qui se sont définitivement démarquées de la lignée opérative même si elles étaient formellement calquées sur les anciennes constitutions de métier, les « Old Charges ».

    Bien que les premières véritables Loges de Francs-maçons, distinctes des corporations, soient apparues au 17ème siècle, en Écosse, la Franc-maçonnerie a toujours ajouté à cette origine historique une origine légendaire et symbolique plus ancienne, support du travail initiatique de ses membres. Les premiers Francs-maçons faisaient remonter cette origine mythique symboliquement aux origines de la maçonnerie elle-même, c’est-à-dire aux origines de l'art de bâtir.

    C’est tout naturellement qu’ils placèrent cette origine à l'époque d'Adam, le premier homme, selon la conception de l'époque ; à l’époque de Noé, le constructeur de l'arche, ou, beaucoup plus fréquemment, à celle de la construction du Temple de Salomon.

    En 1736, en France, le chevalier de Ramsay a rattaché la Franc-maçonnerie aux croisés. D'autres, un peu plus tard, transformeront cette référence en une référence symbolique au Saint-Empire romain germanique, ou à l'Ordre du Temple de Jérusalem (en Allemagne, en Angleterre et en France).

    À la suite de redécouverte de l'Égypte antique par les occidentaux, c'est tout naturellement que certains rituels maçonniques ont déplacé l'origine symbolique de la Franc-maçonnerie à l'époque de la construction des pyramides.

    Au milieu du 19ème siècle, à l'occasion de la redécouverte de l'héritage du Moyen-Âge, le mythe maçonnique renforça tout aussi naturellement ses références à la construction des cathédrales.

    C'est devenu un lieu commun pour la plupart des ouvrages consacrés à la Franc-maçonnerie que d'affirmer qu'elle provient directement des « bâtisseurs de cathédrales ». Les légendes, quant à elles, renvoient jusqu'à la construction du temple de Jérusalem sous le règne de Salomon, voire à l'époque antédiluvienne.

    Parler des origines de la Maçonnerie moderne revient le plus souvent à évoquer la glorieuse histoire des bâtisseurs de cathédrale, dont la science rayonnait au point que de grands intellectuels et quelques nobles ont – progressivement mais massivement – rejoint les loges opératives pour fonder la Maçonnerie spéculative d’aujourd’hui. Cette thèse est celle dite « de la transition ». Une belle histoire dont les remises en question provoquent parfois l’irritation.

    N’est-il pas judicieux pour un meilleur travail maçonnique de connaître toutes les thèses ? Pour une meilleure initiation n’est-il pas profitable de distinguer le mythe de l’histoire ? Car si l’on se fie uniquement au mythe, le danger de la contre initiation existe.

     

    5. Les bâtisseurs de cathédrales

    En fait, l'hypothèse d'une filiation directe avec les loges médiévales flatte le sentiment d'enracinement dans une tradition multiséculaire et sert merveilleusement bien l'obsession de « régularité » des obédiences maçonniques.

    L’origine de cette théorie remonte au 18ème siècle. Elle émane d'une école d'historiens aujourd'hui très critiquée car elle a pour grave défaut d'ignorer les travaux menés depuis plusieurs décennies par d'autres écoles.

    Cela ne signifie pas qu'elle soit sans fondement et totalement contraire à la vérité : les travaux les plus récents énoncent davantage de nouvelles hypothèses. Et rares sont les découvertes qui viennent infirmer cette théorie.

    La question des origines de la Franc-maçonnerie est particulièrement complexe. Elle souffre de lacunes documentaires et la nature même de la tradition ancienne reste très floue.

    Le problème initial que posent les origines de la Franc-maçonnerie moderne n'est pas tant celui de son lien avec les loges médiévales que celui des modalités qui ont favorisé la mutation des loges « opératives » – terme consacré pour désigner ce qui est relatif à la pratique réelle du métier – en Loges « spéculatives » – c'est-à-dire se servant du métier comme d'un support allégorique mais ne le pratiquant plus.

    (Voir aussi la planche intitulée "Les bâtisseurs de cathédrales" - Lien URL).

     

    6. De la « maçonnerie opérative » à la « maçonnerie spéculative »

    La thèse la plus répandue est celle de la transition. Cette thèse, qui est l’œuvre de l’historien Harry Carr pour l’essentiel, affirme qu’au Moyen-Âge, en Angleterre, existaient des Loges opératives organisées comme aujourd’hui, avec des rituels, des usages, des mots de passe et des mots sacrés. Ces Loges se seraient ouvertes aux personnes étrangères au métier de constructeurs et bâtisseurs, mais intéressées par l’art de la construction, sans doute par ouverture d’esprit et respect de leur intérêt.

    Compte tenu de l’intérêt des « Gentilshommes maçons » ou de « Maçons spéculatifs » pour les courants alchimiste et néoplatonicien nés à Florence au 15ème siècle, et pour la tradition Rose-Croix diffusée à partir du 17ème siècle, divers courants de pensée auraient pénétré les Loges en même temps que les non opératifs. D’où la théorie de « l’acceptation ».

    Le nombre de ces « Gentilshommes maçons » aurait augmenté de manière spectaculaire au point de devenir peu à peu majoritaire et d’évincer ainsi les opératifs devenus progressivement étrangers à leur propre institution. Ainsi la Maçonnerie, après une période de transition, serait devenue, la Franc-maçonnerie spéculative d’aujourd’hui. Cette hypothèse paraît assez plaisante quand on sait que des monarques ont appartenu à la Franc-maçonnerie.

    A côté de cette thèse séduisante, il existerait une série de faits concordants et assez flatteurs qui, combinés à la théorie de la transition, auraient conduit à la fondation de la Grande Loge d’Angleterre en 1717.

    Ces autres composantes sont, d’une part, l’origine compagnonnique de la Franc-maçonnerie et d’autre part, la franchise accordée par le pape aux Maîtres Comacins, de mystérieux maçons italiens. Cette franchise – qui justifierait le vocable « Franc-maçon » – aurait  permis à ces maçons de traverser l’Europe en répandant leur savoir architectural, géométrique et ésotérique, et semant ainsi les graines de la Maçonnerie spéculative.

    Mais plusieurs éléments de cette autre thèse ne résistent pas à l’épreuve des faits comme en témoignent les travaux des membres de la Loge de recherche de la Grande Loge Unie d’Angleterre, « Ars Quatuor Coronatti ».

    Concernant tout d’abord la franchise papale accordée aux maçons italiens, selon l’historien de la Maçonnerie Roger Dachez, cette fable n’a survécu que grâce aux recopiages successifs sans vérification de source.

    Concernant l’hypothèse compagnonnique, il existe une confusion fréquente entre les confréries de maçons opératifs telles qu’elles ont existé en Europe et le compagnonnage proprement dit. Le compagnonnage est une organisation purement française sur les usages de laquelle il n’existe aucun renseignement substantiel avant le 18ème siècle même si son existence est attestée dès le 15ème siècle.

    Quoi qu’il en soit, si la fondation de la Franc-maçonnerie spéculative moderne en Angleterre en 1717 est incontestable, l’Angleterre n’a jamais connu le compagnonnage. Voilà qui sépare définitivement le compagnonnage de la fondation de la Franc-Maçonnerie moderne.

    Enfin, la remise en cause la plus sérieuse de toute cette « belle histoire » vient du fait que l’Angleterre n’a jamais connu de Loges de maçons opératifs : il n’en existe aucune trace !

    Et si certaines confréries de maçons ont pu exister en Angleterre, elles sont restées opératives jusqu’à leur disparition et aucune archive de ces organisations ne mentionne l’admission d’une personne totalement étrangère au métier.

    Une origine de la Franc-maçonnerie a également été recherchée dans les sociétés d’entraide nées au 17ème siècle, dans les milieux artisans, ou encore dans le rôle joué par la dissolution des communautés monastiques après la réforme anglaise en 1534. De cette remise en cause naquit également une théorie négative dite « théorie de l’emprunt » qui suggère que la maçonnerie moderne aurait délibérément repris des textes et des pratiques ayant appartenu à la maçonnerie opérative mais sans filiation directe ni légitimité aucune, voire en les adaptant quelque peu. La maçonnerie spéculative aurait dès lors sciemment entretenu, depuis sa fondation même, le mythe d’une filiation avec les bâtisseurs de cathédrales.

     

    7. Les apports de « La Clé écossaise »

    En 1988 parurent successivement deux ouvrages signés par un profane, le professeur David Stevenson, Professeur d’histoire à l’Université d’Aberdeen.

    Selon lui, il existait en Ecosse un système unique au monde : des guildes de métier comme dans le reste de l’Europe. Chacune véhiculait une histoire mythique du métier remontant à l’antiquité et dispensait un savoir via des rites rudimentaires scellés par un serment de discrétion. En Ecosse, l’existence des Guildes et leur autorité était sanctionnée par l’attribution d’une charte, délivrée par la municipalité. La charte de la Guilde des maçons et charpentiers d’Édimbourg date de 1475. Les maçons de la Guilde disposaient plus particulièrement d’une autorisation d’utiliser le mortier, par opposition aux maçons dits « de la pierre sèche » interdit d’entrée à la guilde. La Guilde des maçons régissait le métier de la construction dans son ensemble. Elle était dirigée par un Diacre – en anglais « deacon » - que mentionnent les statuts Schaw datés de 1598 et 1599. Ce Diacre était nommé par la municipalité.

    En arrière-plan de la Guilde existait la Loge, dont l’existence était secrète, et dont les attributions l’apparenteraient aujourd’hui à une de nos organisations syndicales. Elle encaissait les cotisations, prenait soin des veuves et des orphelins de ses membres et, par l’intermédiaire du dirigeant de la Guilde, exerçait un contrôle sur le type de construction dans l’enceinte des bourgs. Elle était dirigée par un Surveillant élu parmi les Maîtres Maçons de la Guilde (En anglais « Warden »). Il y avait parfois plusieurs surveillants dans la Loge, l’un d’eux prenait alors le titre le « Maître Surveillant » ou « Premier Surveillant ».

    Dirigeant de la Guilde, le Diacre était officier de la Loge et il avait aussi pour fonction de faire le lien entre la Guilde et la Loge. A titre de réminiscence, dans le rite d’York ou dans le Guide des maçons – première version des grades symboliques du R.E.A.A. (1804) – les diacres jouent un rôle de liaison entre les Vénérable Maître et les Surveillants ou entre les Surveillants.

    L’Ecosse est le seul pays au monde où l’on trouve des traces de Loges opératives, contrairement à l’Angleterre, et ce dès le milieu du 16ème siècle. Mais, pour autant, la progression dans le métier n’était pas celle de la maçonnerie moderne.

    La progression maçonnique en Ecosse était différente de celle qui régit aujourd’hui la maçonnerie symbolique. Selon les statuts Schaw, l’apprenti reçu dans la Guilde devait être enregistré dans la loge. Le grade de compagnon était conféré en Loge ; la maîtrise l’était dans la Guilde. Cette maîtrise était conférée après que le compagnon ait présenté un chef d’œuvre, épreuve que ne pouvaient passer les non opératifs et qui ne comprenaient aucun enseignement ésotérique. Si le degré de Maître maçon était parfois conféré à un non opératif – le plus souvent un seigneur – c’était à titre purement honorifique.

    En Ecosse les Loges ont parfois 500 ans. Elles y pratiquent parfaitement un rituel que chaque Loge adapte, au point qu’il y a pratiquement un rite par Loge ! Mais les Ecossais ont le défaut d’avoir quelque peu oublié le sens de leur rituel et le pratiquent de manière automatique, sans savoir pourquoi tel ou tel élément y est inclus.

    L’admission des non opératifs en Ecosse n’a pas encore reçu d’explication solide. A l’époque la plus ancienne, cela constituait sans doute un geste honorifique envers un protecteur ou un citoyen qui avait procuré beaucoup de travail aux maçons. Les archives de la loge « Mary’s Chapel n°1 » font mention de réception de non opératifs dès la première moitié du 17ème siècle.

    De même, on ne sait à ce jour, ce qui distinguait l’admission d’opératifs de celles des non opératifs. Il est probable qu’ils recevaient le mot du maçon, sorte de légende basée sur les deux colonnes du temple de Salomon, qui servait de moyen de reconnaissance. La communication de ce mot constituait l’essentiel de la cérémonie de réception.

    Mais tout ceci ne donne guère de solution précise quant à la fondation de la maçonnerie spéculative moderne. Au mieux la piste écossaise porte bien son nom : elle donne une piste. Mais à partir de ces diverses théories et faits historiques, il est possible de dégager une histoire globale, qui réconcilierait l’histoire et le mythe, l’histoire et les légendes. Cette synthèse constitue aujourd’hui l’hypothèse la plus probable relative à la fondation de la maçonnerie spéculative.

    Le système des Loges opératives existait en Ecosse et elles connurent une longue prospérité car l’usage de la pierre perdura en Ecosse par opposition en Angleterre qui adopta très tôt la brique d’argile rouge. Mais à partir de la fin du 16ème siècle, les grandes constructions ralentirent avant de stagner, au détriment des Guildes de Maçons. Ce déclin modifia le paysage maçonnique de l’époque. Si la Loge était secrète alors que la Guilde avait pignon sur rue, la Loge reprit le devant et la Guilde disparut peu à peu.

    Au 17ème siècle, de nombreuses sociétés secrètes sont nées en Europe, influencées par la philosophie Rose-Croix, la pensée hermétique, l’alchimie, la Kabbale... Un des traits communs à ces divers mouvements était la croyance en la sagesse perdue des civilisations anciennes, sagesse qui, si elle était retrouvée, amènerait à une nouvelle compréhension du divin, de l’univers et de l’homme. Cette supériorité des civilisations anciennes est poussée à son paroxysme par l’hermétisme. A la lumière des idées hermétiques, les mythes médiévaux des maçons prirent une nouvelle dimension.

    Ces courants de pensée accordaient surtout une grande importance à l’architecture, l’architecte étant sensé être l’homme omniscient, versé dans toutes les sciences. Ces courants assimilèrent rapidement cet art de l’architecture – donc de la géométrie et des mathématiques – à la maçonnerie. Cette assimilation eut pour effet de donner une nouvelle respectabilité aux maçons et d’augmenter leur aura vis à vis des profanes. Les courants ésotériques de l’époque menaient donc une espèce de conspiration pour accorder un rôle exceptionnel aux maçons, et, assurément, au cours du 17ème siècle de nombreux documents sont apparus pour attester de l’assimilation de la maçonnerie à l’architecture, à la philosophie, etc…

     

    8. Pour conclure : décadence et continuité de la maçonnerie opérative

    Ainsi, les Loges de maçons opératifs se limitaient à la connaissance du métier et dispensaient des cérémonies rudimentaires. Mais les loges ne véhiculaient aucun savoir ésotérique. Les mouvements ésotériques, à l’inverse, véhiculaient une grande connaissance mais ne possédaient aucune structure apte à dispenser leur savoir.

    Ils trouvèrent donc dans les Loges une structure qui leur convenait parfaitement. C’est ainsi que, dès 1630, les étrangers au métier firent leur apparition dans les Loges opératives en Ecosse.

    A la lumière de toutes ces précisions, il semble que ce ne sont pas tant les maçons qui ont accepté dans leurs loges des représentants de mouvements ésotériques, mais que les mouvements ésotériques ont peu à peu investi la maçonnerie. La maçonnerie n’avait guère le choix faute de disparaître. Ainsi l’acceptation serait en réalité, au mieux, une acceptation inversée – celle de la structure des maçons par les mouvements ésotériques – au pire une résignation de la part des maçons à admettre dans les Loges des étrangers au métier à peine de disparition.

    De nouvelles conditions sociologiques ont entraîné la décadence de l’ancien système opératif. En Angleterre, où les documents manquent, on ne connaît guère que l’histoire de la compagnie des maçons de Londres. En Ecosse, où le pouvoir royal a tenté de centraliser le contrôle du métier par les statuts Schaw en 1598, les travaux de David Stevenson ont bien résumé la situation (Voir la planche intitulée « Analyse du documentaire « La Clé écossaise » - La FM en Ecosse » - Lien URL).

    Les Loges ont depuis longtemps accepté des non-opératifs, certains peut-être comme patrons, protecteurs et soutiens financiers, certains parce qu’intéressés aux questions d’architecture, de symbolisme, de philosophie, etc., que soulève le métier.

    Ces loges toutefois sont restées opératives dans leur grande majorité jusqu’à la création de la Grande Loge d’Ecosse en 1736, à l’imitation de celle de Londres. D’autres, en Ecosse et en Angleterre, ne rejoindront que tardivement les obédiences spéculatives. Et certaines ne le feront jamais. 

     

    R:. F:. A. B.

     

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    La Franc-maçonnerie en 33 questions

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    Lexique historique de la France d'Ancien Régime

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    Les origines de la Maçonnerie spéculative 

    Périodique « Renaissance traditionnelle » n°77, p 1 – 45

     

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    Une suite écossaise  

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    Etudes sur la franc-maçonnerie et le compagnonnage

    Editions Traditionnelles, 2 vol., Dervy-Livres, 1964

     

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    Histoire de la Franc-Maçonnerie et de la Grande Loge d’Ecosse 

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    La Franc-maçonnerie

    Histoire d’une grande fraternité

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    Guide pratique de la Franc-maçonnerie – Rites, systèmes, organisations 

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    http://www.buddhaline.net/La-perte-lors-du-passage-de-l 

     


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  •  Une approche de la gnose 

    Avertissement

    Après avoir découvert le mot « gnose » au grade de Compagnon comme une des associations possibles de la Lettre « G », j’ai eu l’occasion de rencontrer ce mot occasionnellement dans certains ouvrages de Maçonnerie. N’ayant qu’une trop vague idée de son sens, j’ai enfin pris le temps d’effectuer des recherches et j’ai le plaisir de vous les faire partager.

    Le contenu de la présente planche n’est pas un ensemble de réflexions personnelles mais la synthèse d’une recherche d’informations. Le but poursuivi est donc de tenter de mieux comprendre ce qu’est la gnose ainsi que le gnosticisme, une nébuleuse de systèmes mystico-philosophico-religieux, datant des 2ème et 3ème siècles de l'ère chrétienne, qui se ressemblent un peu, mais qui en même temps sont très divergents et changeants. Ce système est aussi appelé « gnosticisme » et ses partisans des « gnostiques ».

    Introduction

    Qu’est-ce que le gnosticisme ?

    Le gnosticisme est l'enseignement basé sur la gnose, qui est une connaissance intérieure issue de l'intuition. La gnose est donc une expérience personnelle qui s'exprime à travers le mythe, celui-ci étant l'expression symbolique de ce qui ne peut s'exprimer par le dogme.

    Le gnosticisme est un terme forgé par les Pères de l’Eglise pour désigner une frange hétéroclite d’hérésiarques (c’est ainsi que leurs adversaires les désignent !) qui est apparue dès les débuts de l'ère chrétienne. Néanmoins, il est possible que certains d'entre ces groupes aient revendiqué le terme.

    Qu’est-ce que la gnose ?

    Il est difficile de donner une définition de la gnose. Ce mot vient d'un mot grec qui signifie connaissance, mais connaissance de quoi ?

    Les mythes gnostiques peuvent être interprétés de différentes façons en fonction de l'expérience spirituelle de chacun. Ils portent toujours en eux une part de vérité profonde et font appel à « l'intelligence du cœur » plus qu'à l'usage de la raison.

    Les gnostiques décrivent la manière dont l’homme de Lumière, l’homme primordial est vaincu par les puissances du Mal et, finalement, divisé en mille fragments dispersés dans la matière comme étincelles de lumière. Sa rédemption prend consistance dans le rassemblement des parties dispersées du grand homme, dans leur réunification et dans leur retour à la plénitude (le plérôme) d’où il était tombé.

    Le cosmos

    De nombreuses religions s'entendent pour dire que le monde est imparfait. Mais elles diffèrent le plus souvent dans leurs propositions face à cette imperfection.

    Les gnostiques, à l'image des bouddhistes, pensent que le monde est imparfait par nature parce que le principe même de sa création est générateur d'imperfection. Le monde est souffrance et l'une des premières prises de conscience de l'être humain est celle qui l'amène à constater qu'il vit dans un monde absurde lié à la mort.

    Si la Bible lie l'imperfection du monde à une faute originelle, une faute de l'homme, les gnostiques la lient à la nature aliénante de la création et donc du créateur, ce qui pour la religion judéo-chrétienne est un blasphème.

    Si l'on compare la gnose à la philosophie orientale, on constate que des notions telle que celle du karma sont assez proches de la conception gnostique. Cette roue du karma illustre l'enchaînement des causes et des effets qui entraînent la souffrance et l'imperfection. Le karma est le principe fondamental des religions indiennes qui repose sur la conception de la vie humaine comme maillon d’une chaîne de vies, chaque vie étant déterminée par les actes accomplis dans la vie précédente.

    Pour les gnostiques, il existe bien un Dieu transcendant mais ce Dieu n'est pas le Dieu créateur ou plutôt pas directement. Ce n'est pas de lui mais de ses émanations que découle la création.

    Ces émanations sont les « éons », intermédiaires entre le Dieu ultime et la création. Un de ses « éons », Sophia, la Sagesse, est d'une importance primordiale pour les gnostiques. Elle est la dernière émanation donc la plus proche de la manifestation et de son Créateur.

    L'être humain

    La Nature de l'Homme est double comme celle du Monde, à la fois être de chair et être de Lumière. Il participe à la Nature du monde et à celle du Vrai Dieu. Cette part de Lumière est l'essence divine ou l'atome divin.

    L'Homme est en général inconscient de la présence de cet atome divin en lui. Cette ignorance est entretenue par le Créateur et ses Archons qui maintiennent l'humanité dans l'illusion d'une réalité matérielle.

    La mort, en défaisant les liens, libère temporairement l'atome divin de sa prison de chair.

    Mais tous les êtres humains ne sont pas égaux vis-à-vis de la spiritualité.

    On distingue les penumatiques (spirituels), les matérialistes (hylétiques) et les psychiques. L'évolution humaine part de l'esclavage du matérialisme, passe par le biais de la religiosité et de la morale et aboutit à la libération spirituelle.

    Le salut

    L'évolution naturelle est lente : elle est ralentie par l'inertie de notre nature matérielle. Pour évoluer sur le chemin spirituel, l'Homme a besoin d'aide.

    Les êtres de Lumière, messagers divins, ont pour fonction d'aider le genre humain dans leur quête de la gnose. Parmi eux, Mani, Seth, Jésus, incarnations du Christ, le Logos.

    Le potentiel d'évolution spirituelle, quoique présent individuellement en chaque Homme, est facilité par les « sacrements » enseignés par les messagers divins.

    Comportements

    La gnose s'oppose à l'éthique et à la morale telles que nous les entendons.

    De tels systèmes font partie du Monde, celui du Démiurge et le servent.

    Pour le gnostique, les commandements et les lois morales ne conduisent pas au salut mais à des modes de comportements acceptables d'un point de vue social.

    La morale du gnostique est fonction de son évolution. Elle implique surtout le respect des autres et de leur liberté. Il importe que chacun se forge sa propre loi morale en regard de son évolution.

    Le gnosticisme encouragera toujours le détachement et le non-conformisme à l'égard des choses du Monde. « Etre dans le monde, mais non du monde ».

    Destinée

    Dans l'Evangile de Thomas, Jésus dit que l'être humain doit arriver par la gnose à connaître l'ineffable réalité divine dont il est issu et où il doit retourner.

    La mort ne libère pas l'Homme de l'emprise du Démiurge.

    Ceux qui n'ont pas atteint la libération par la gnose doivent revivre une nouvelle existence. Cette doctrine de la réincarnation est implicite dans les écrits gnostiques.

    Tentons d’aller un peu plus loin dans cette recherche d’informations.

    Les gnostiques

     Les gnostiques sont connus par un certain nombre de textes gnostiques qui ont été écrits par des gnostiques et retrouvés au fil des siècles. C’est ainsi qu’au 17e siècle, des voyageurs européens sont allés en Orient et ont trouvé des bouts de parchemin et de papyrus écrits par des gnostiques, et surtout par la découverte en 1945 d'une bibliothèque gnostique en Egypte - textes dits de Nag Amadi.

     Les gnostiques sont aussi connus par leurs adversaires et notamment les théologiens chrétiens. Parmi ceux-ci citons Irénée de Lyon (autour de 180), auteur d’un livre intitulé « Contre les hérésies », mais dont le titre exact est : « Dénonciation et réfutation de la prétendue gnose aux noms menteurs », ce qui sous-entend qu'il y a une vraie connaissance, une vraie gnose. Malheureusement, beaucoup de ces documents ont été perdus ou détruits et il ne reste plus que des fragments d'informations.

    Quelques caractéristiques des gnoses

    • Dans ces différents systèmes gnostiques, il y a l'idée d'une opposition entre le bien et le mal, que l'homme a été plongé par une espèce de déchéance dans le mal, et que la gnose est la connaissance d'un salut qui mène de l'homme vers Dieu. C'est une technique de salut fondée sur le dualisme bien-mal.
    • Une deuxième caractéristique du gnosticisme est l'élitisme. Les gnostiques, surtout ceux qui vivaient dans des milieux très proches du christianisme, étant eux-mêmes d'ailleurs issus du christianisme, disaient : « nous sommes beaucoup plus au courant que les autres : nous sommes les initiés ; Nous connaissons des choses que les autres ne savent pas ».

    C'est cet élitisme qui fait que la vraie connaissance fait partie d’un secret. Accéder à la gnose, c'est en quelque sorte une initiation.

    Pour les gnostiques, l'humanité se divise en trois catégories :

    • ceux qui sont d'emblée dans la bonne connaissance, les pneumatiques ;
    • ceux qui sont récupérables, les « psychiques » ;
    • ceux qui sont irrécupérables, les terrestres.

    Apparaît immédiatement une grande différence avec l'idéal chrétien, pour qui le message de Jésus-Christ, rapporté dans les Évangiles, est pour tous.

    Il est difficile de bien connaître quel était le culte ou la liturgie des gnostiques. Tout simplement parce que ce culte est secret et dérive des religions à mystère qui foisonnaient beaucoup dans le monde grec hellénistique de l'époque où il n’était possible de participer à un groupe religieux que si l'on était initié. Quelques bribes de renseignements existent quand même. Là aussi il y a une certaine récupération de certains rites chrétiens, mais avec une tendance très forte à un mélange de magie, d'astrologie…

    La gnose se caractérise par le syncrétisme. Des éléments ont été récupérés d'un peu partout : dualisme persan, textes de Platon, évangile de Thomas, qu'on retrouve dans la bibliothèque de Nag Amadi. Ceci a donné entre autres naissance au manichéisme (la religion de Mani), qui a été une religion qui a failli s'étendre partout. On sait que saint Augustin, en Afrique du Nord, était d'abord manichéen avant de devenir chrétien, et Marco Polo a rencontré des groupes de manichéens en Chine.

    La Création est mauvaise : elle n'est pas le fait de Dieu mais d'une divinité mauvaise, d'un démiurge. Mais cette idée, qui est extrêmement forte dans toute la gnose, c'est que Dieu n'a pas pu faire cette création mauvaise. Donc, la création est le fruit d'une divinité, ou d'un être, ou d'un accident, mais qui est fondamentalement mauvais. Cela implique le rejet du Dieu créateur tel que l'Ancien Testament l'affirme. Et c'est pourquoi un système gnostique a été créé par un certain Marcion (aux alentours de 180).

    Autre conséquence de cette création mauvaise, c'est que la création, la matière, la chair, c'est mauvais, donc il ne peut pas y avoir de résurrection, parce que la résurrection continue à enfermer dans un corps et c'est pourquoi beaucoup de systèmes gnostiques parlent, eux, d'une réincarnation. Dans certains textes, il apparaît que cette réincarnation peut être la conséquence d'une punition, d'une chute. L'idée du gnostique c'est de monter vers la divinité pour se libérer de ce monde mauvais.

    Autre caractéristique des gnoses, c’est l’importance de l'élément féminin - thème de la Mère. Cette mère est décrite de manière très contradictoire, souvent comme pouvant être un instrument de condamnation, de jugement, mais aussi comme étant une mère mais une mère au-delà de la maternité qui enferme dans la création. Dérivant de cela, quelle est la place de la sexualité dans la gnose ? Là aussi c'est très contradictoire : il y a des mouvements qui vont être très ascétiques, qui vont refuser le mariage, qui vont refuser la sexualité, parce que c'est la porte ouverte à la procréation qui va enfermer, qui va faire tomber une âme dans la chair. D'autres courants, au contraire, vont avoir une sexualité débridée, pornographique, toujours par mépris de la chair. Y aurait-il un lien avec la mariologie naissante ? Il apparaît en tout cas que les mouvements gnostiques étaient très ouverts aux femmes et que celles-ci n’étaient pas rejetées.

    Les systèmes gnostiques se caractérisent aussi par le fait qu'il y a entre Dieu et les hommes tout un système d'intermédiaires qui n'est pas le fruit de la création. On emploie plutôt le mot d'émanation ainsi que le mot « éon », mot qu'on trouve dans le Nouveau Testament. L'expression « aux siècles des siècles » correspond à l'espace et au temps.

    Enfin, dernière caractéristique des gnoses, c’est la récupération de la personne de Jésus-Christ lui-même, mais en le divisant : Jésus d'un côté, Christ de l'autre. Jésus est l'homme incarné ; il est né, il est mort mais il a reçu, à un certain moment de sa vie, soit dès sa naissance, soit au moment du baptême, le Christ, le Christ étant là une entité différente. Du coup, il peut y avoir d'autres « Christ », par exemple Mani qui a été identifié à Jésus. - Il y a cette idée que la révélation chrétienne est bien, mais insuffisante, alors on rajoute le manichéisme, ou l'Islam, ou les Mormons, ou Moon.

    Jésus et la Gnose

    Y a-t-il eu un courant pré-agnostique qui aurait influencé certains écrits du Nouveau Testament, dont par exemple ceux de Jean ?

    • Les documents que nous avons sur la gnose sont des documents post-chrétiens, mais on voudrait savoir si on ne trouve pas de la gnose ou des allusions à la gnose dans le texte du Nouveau Testament et certains théologiens ou exégètes se sont demandé s'il n'y avait pas quand même un ou plusieurs courants gnostiques qui auraient influencé les écrits du Nouveau Testament. On peut dire que les documents sur lesquels nous sommes bien renseignés datent des 2ème et 3ème siècles : ce sont des documents qui récupèrent des notions chrétiennes, donc qui sont influencés par le christianisme ; à l'inverse, il est difficile de dire si le christianisme a été influencé par la gnose, vu qu'il y a plusieurs gnoses.
    • Dans les textes de Jean comme dans ceux de Paul, il y a des allusions aux gnostiques : il est question d'adversaires mais qui ne sont pas définis, on ne connaît pas leur religion. Il y a des adversaires dans la Ière lettre de Jean et certains pensent que ces adversaires étaient des gnostiques, mais on n'en est pas sûrs. Dans les textes de Jean, on voit deux allusions à une polémique contre les thèmes gnostiques :

    a) Il y a la question du dualisme johannique: par ex. la lumière/les ténèbres, c'est une expression qu'on trouve chez tous les gnostiques puisqu'il faut être sauvé vers la lumière attirée des ténèbres, mais, la plupart du temps, le dualisme de Jean n'est pas un dualisme d'opposition entre un bien et un mal. Exemple : la vue et la foi.

    b) D'autre part, il y a l'importance accordée à l'incarnation. On dit souvent que Jean c'est le spirituel, pourtant par beaucoup de détails on s'aperçoit que Jean insiste sur la réalité historique, charnelle de Jésus. Ex : « du sang a coulé de son flanc » « Jésus pleure devant la mort de Lazare ». Il y a cette insistance sur l'incarnation comme s'il y avait déjà, dans un certain nombre de milieux chrétiens, une certaine contestation de cette réalité terrestre de Jésus et qu'on glissait vers le docétisme c'est-à-dire de dire qu'il n'y a qu'une apparence. Le vrai Jésus, c'est Jésus qui est le fils de Dieu, mais qui n'est pas l'homme qui a vécu sur cette terre. De nouveau on constate cette séparation entre Jésus de Nazareth et un Christ difficile à définir.

    • Dans les écrits de Paul, on peut se demander si certaines expressions ne sont pas aussi des allusions à des pensées plus ou moins gnostiques, par exemple. l'emploi du mot « plénitude », cher aux gnostiques.

    Il faut penser qu'autrefois le christianisme était une toute petite chose, une pensée parmi un tas d'autres pensées dont il a essayé de se démarquer. Ce qui est intéressant de noter c'est que les premiers chrétiens ont voulu préciser ce qu'ils pensaient. C'est ainsi que la plupart des théologiens des 4 premiers siècles (dont Irénée de Lyon) ont voulu clairement exprimer leurs convictions.

    Qu'est-ce que l'hérésie ? Ce n'est pas du tout le contraire de la vérité, mais une vérité cancérisée, c'est-à-dire qu'on ne dit qu'un bout de la vérité. Ainsi il faut dire : Jésus est Dieu ET homme, Dieu est un ET trois, la trinité. C'est-à-dire qu'il faut tenir en tension des vérités qui paraissent contradictoires. C'est tout ce travail qui s'est fait dans les premiers siècles.

    Irénée de Lyon a une très belle formule : « les hérétiques, c'est toujours quelqu'un qui ne veut retenir qu'un seul évangile ; ainsi les gnostiques vont retenir Jean ; Marcion ne va retenir qu'un seul Évangile, alors qu'il faut garder les 4 Évangiles, avec leurs contradictions pour rechercher la vérité.

    Et aujourd’hui ?

    Il est très important pour nous de nous demander : est-ce que c'est important pour nous ou non d'avoir une idée précise de ce que nous croyons ? C'est-à-dire de nous replacer dans cette même attitude qu'ont eue les premiers Chrétiens et les premiers théologiens de ces premiers siècles, car nous pouvons retrouver un certain nombre de courants semblables à la gnose.

    Ce qui semble totalement manquer dans le système des gnostiques, c'est la foi, c'est-à-dire cette idée d'une relation directe avec Dieu qui permet la relation directe avec les autres. Et c'est pour cela qu'un certain nombre de théologiens, comme Irénée ont dit : l'amour est très important parce que c'est la relation avec l'autre. Alors que dans la plupart des systèmes gnostiques il y a toujours des intermédiaires, une vision pessimiste et une espèce de racisme.

    L’origine des gnostiques

    Gnose, du grec « gnôsis » (« connaissance »), signifie « connaissance parfaite ». Ce qui caractérise les mouvements gnostiques n’est pas cette « connaissance » que d’autres traditions prétendent aussi posséder, mais plutôt la définition de Plotin : les gnostiques, ce sont « ceux qui disent que le Démiurge de ce monde est mauvais et que le Cosmos est mauvais ».

    Selon les témoignages des historiens anciens, c’est dans un cadre géographique allant de la vallée du Jourdain à l’Asie Mineure que les sectes se sont manifestées à l’époque des apôtres, avec Simon à Samarie, Nicolas à Antioche. Ils appuient leur réflexion sur des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament dont certains sont considérés aujourd’hui comme apocryphes, marqués de l’hellénisme. Parmi ces livres, le Livre d’Hénoch est un des rares à nous être parvenu.

    Vers 120, les sectes ont gagné Alexandrie, autour de Basilide, Carpocrate et Valentin (Valentinus ou Valentinius). Valentin se rendit à Rome, où sa gnose voila ses mythes orientaux d’une exégèse philosophique mêlée de christianisme.

    À Rome, des sectes fortement influencées par les éléments orientaux ont continué d’affluer. Les sectes se sont propagées, notamment en Espagne.

    En Asie, de nouveaux inspirés ont surgi : Mani qui a fait une vaste synthèse des nombreux enseignements, et Audi, un chrétien qui s’est séparé de l’Église après Nicée.  De l’Orient, le gnosticisme s’étendit jusqu’à la Chine.

    Parmi les sectes, on retrouve : les Kantéens en Iran, la secte importante des Séthiens disciples de Simon le Magicien, les Barbélognostiques, les Archantiques, les Ophites (ou Naassènes) aux pratiques hérités des mystères grecs, les Pérates, les Caïnistes, ces derniers louant Caïn le fils prodigue d'Adam et Eve.

    Il semble qu’il y ait eu un gnosticisme à l’intérieur même du judaïsme, contemporain des sectes gnostiques traditionnelles, et dont les échos se sont perpétués dans la Kabbale. Cette filiation s'expliquerait par l’hypothèse midrashique : de même que la méthode midrashique appliquée au texte grec de la Septante aurait fini par produire les textes évangéliques, de même aurait-elle produit les textes deutérocanoniques puis gnostiques puis coraniques.

    Les sources

    La plupart des essais anciens ont, faute de pouvoir s’appuyer sur des documents gnostiques originaux, hérité des erreurs d’appréciation des réfutateurs chrétiens qui combattirent les sectes, aux 4ème et 5ème siècles, qui parfois se recopient les uns les autres, et sans tenir compte des mythologies orientales sur les vestiges desquelles le gnosticisme s'était développé.

    L'une des principales sources concernant le gnosticisme est Irénée de Lyon (2ème siècle après Jésus-Christ). Il décrit dans les détails les doctrines gnostiques qu'il a combattues, de manière à prouver qu'il n'y avait que peu de choses en commun entre la gnose et le christianisme. À cette époque, des gnostiques grecs se faisaient baptiser, mais tenaient à concilier leurs doctrines avec leur nouvelle religion. L'une des principales différences entre gnose et christianisme tient à la conception du Salut. Le christianisme exotérique le propose à tous tandis que la gnose, dans son ésotérisme, le réserve aux initiés.

    Des réfutateurs, les plus anciens témoignages datent de la Bible elle-même, qui dénonce les hérésies et les faux prophètes, dont Simon de Samarie et le diacre Nicolas.

    Pour la période jusqu’au 3ème siècle, on ne possède que les récits des hérésiologues.

    L’établissement d’une histoire précise des mouvements gnostiques est impossible à cause de ce flou, et des livres dont les titres changent d’une version à l’autre et dont les véritables auteurs restent anonymes.

    Sur la période du 3ème au 5ème siècle, les sectes se sont étendues en Egypte, où le sable conserva des écrits en copte. C’est pourquoi on retrouva, à partir de 1800, des textes dans les nécropoles égyptiennes.

    L'Évangile de Marie, le Livre secret de Jean et la Sophia de Jésus-Christ ont été achetés en 1896 en Egypte, dans un même lot de parchemins. En décembre 1945, plus de 40 écrits perdus furent retrouvés dans une jarre à Nag Hammadi, dont en premier lieu des écrits de sectes orientales, mais aussi des apocryphes chrétiens et gnosticisme. Cependant, cette bibliothèque n’est qu’un « instantané » de la pensée gnostique de l'époque, les textes y étant constamment remaniés et modifiés.

    Retenons quelques traités gnostiques :

    • L’Evangile de vérité ;
    • L’Evangile selon Thomas ;
    • L’Evangile selon Marie ;
    • La Pistis sophia ;

    ...

    Très peu de monuments ou objets relatifs aux gnostiques ont été retrouvés.

    Destin du gnosticisme

    Les condamnations de plus en plus dures de la part des églises chrétiennes ont obligé les sectes gnostiques à se cacher, puis à disparaître.

    Les Bogomiles et les Cathares du Moyen Age ont repris des conceptions gnostiques, sans qu'on sache s'ils descendaient de groupes gnostiques ayant survécu depuis l'Antiquité, ou s'ils étaient des résurgences suscitées par la transmission d’écrits gnostiques déguisés en apocryphes chrétiens.

    Des survivances plus sérieuses de la gnose la plus philosophique se cachent dans la littérature alchimique, notamment les textes attribués à Hermès Trimégiste. De même, il y a intercommunication entre la littérature juive kabbalistique et certaines doctrines du gnosticisme hellénisé.

    En Orient, l’invasion de l’islam permit aux sectes de survivre. Aux confins de la Mésopotamie et de l’Iran certaines sectes ont survécu jusqu’au 12ème siècle.

    On trouve une influence du gnosticisme chez les musulmans chiites, particulièrement dans la foi druze.

    En plus des cathares et des bogomiles, on trouve des traces de pensée gnostique chez les ranters, le Libre-Esprit et divers mouvements millénaristes.

    Les thèmes principaux

    Les auteurs gnostiques abordent la plupart des thèmes mythologiques et eschatologiques, les réinterprètent en passant par la révélation d’une « histoire secrète », d'un mythe total : l’origine et la création du Monde ; l’origine du Mal ; le drame du Rédempteur divin descendu sur Terre afin de sauver les hommes ; la victoire finale du Dieu transcendant, conduisant à la fin de l’Histoire et l’anéantissement du Cosmos.

    Le point de départ est la considération, par l’individu, de sa situation face au monde : que suis-je ? Pourquoi ce monde me semble t-il étranger ? Qu’étais-je à l’origine et comment (éventuellement) revenir à cette situation ?

    C’est la prise de conscience d’une déchéance impliquant que le Bien et le Mal sont deux éléments inconciliables, absurdement mêlés ici-bas par un accident contraire à la volonté divine. La révolte intime contre le Mal est la preuve de l’appartenance au Bien, à un absolu parfait extérieur à ce monde.

    L’humanité est divisée en trois catégories :

    • ceux qui se sentent (donc, se savent) pourvus d’une perfection innée dont la nature est esprit : les pneumatiques ;
    • ceux qui n’ont qu’une âme et point d’esprit, mais chez qui le Salut peut encore être introduit par instruction : les psychiques ;
    • enfin, les êtres dépourvus d’esprit et d’âme, uniquement constitués d’éléments charnels voués à la destruction : les hyliques.

    Le but premier du gnostique est la délivrance de sa parcelle divine, aliénée dans un monde matériel corrompu, et sa remontée vers les sphères célestes. Cette délivrance passe par la gnose, la connaissance parfaite de la nature de l’esprit, des structures de l’univers, de son histoire passée et future.

    Le premier aspect de la gnose porte sur les origines du monde matériel et de l’homme, le Mal s’expliquant par la chute accidentelle d’éléments supérieurs dans un cosmos matériel, temporel et sexué, au fond duquel ils se sont disjoints, dispersés et emprisonnés sans pour autant perdre leur pureté.

    Le second aspect de la gnose vise la destinée de l’humanité et du Cosmos, aboutissant à la dissolution finale de la matière, à la libération de l’esprit et au retour à l'unité parfaite intemporelle dont les élus, ici-bas, gardent le souvenir.

    Le monde supérieur ayant seul été organisé par une intelligence authentiquement créatrice, le matériel n’en est qu’une copie maladroite. De même, l’homme terrestre est l’image imparfaite d’un modèle céleste. On voit l’idée de décadence puis de rédemption.

    Pour les élus, le salut peut être personnel, alors que pour les autres le rachat se fera par une eschatologie générale ayant pour terme la destruction de l’univers matériel.

    Du Pro-Père au Démiurge

    À l’origine de tout, un éon parfait, invisible, inconcevable et éternel, habité par un Être absolu et immuable, le Pro-Père, replié sur lui-même et coexistant avec sa Pensée qui est, elle, Silence absolu.

    De cette unité primitive du Pro-Père et de sa Pensée émane une seconde image du Père. Cette première émanation est dégagée de l’isolement primordial et capable d’engendrer. Elle suscite alors l’apparition des trente éons hiérarchisés du Plérôme. On y retrouve : Monogène, Logos, Mère céleste, Homme primordial, Fils de cet Homme (ou Seth céleste), grande Génération des Fils de l’Homme primordial, Sophia (Sagesse, parfois qualifiée de lascive), etc. Ces éons vont par couples, féminin/masculin, appelés syzygies.

    Les éons sont, en même temps que des personnifications de concepts, des univers à part entière, infinis et éternels, reproduisant le schéma général du Plérôme tout entier et de l’Inengendré suprême.

    L’opposition entre le monde idéal de la Lumière et celui, imparfait, des Ténèbres et de la Matière peut suivre 3 schémas.

    Les plus radicaux situent, à l’origine de la création du monde matériel, une subite agression des eaux ténébreuses préexistantes contre la Lumière d’en haut, attaque qui se déroule dans l’espace intermédiaire d’un troisième principe, air ou vide. On retrouve ce thème chez les bogomiles et les manichéens.

    Plus fréquemment, la Lumière d’en-haut préexiste seule à toute création. Un accident survenu dans le monde supérieur engendre une puissance difforme et ignorante, Ialdabaôth, autour de qui se forme un éon ténébreux, notre bas monde. La Lumière entreprend une œuvre salvatrice pour anéantir cet éon maléfique.

    Selon une première variante, Sabaôth, le fils d’Ialdabaôth, va découvrir la Lumière et sera mis par les puissances supérieures à la place de son père pour engager le cosmos vers le salut. Une seconde variante montre Ialdabaôth revenant lui-même au bien.

    Les diverses divinités sont considérées comme perverses, liées au monde matériel, tel le Démiurge de la Bible. Les gnostiques n’emploient pas le terme « Dieu » pour désigner l’Être infini dont tout le monde supérieur émane.

    L’homme

    Parmi les éons, il y a l’Homme (primordial) ainsi que le Fils de l’Homme. C’est à partir de son reflet que le Démiurge et ses archontes décident de fabriquer l’homme, Adam.

    Le Père, grâce à ses anges déguisés en archontes, suggère au Démiurge d’insuffler son esprit, la Lumière dont il s’était emparé, à Adam.

    La Lumière est ainsi passée à l’humanité. De rage, les archontes emprisonnent Adam dans l’Eden, vu comme un lieu terrible. Les puissances d’en-haut cachèrent la gnose et la vie dans le fruit défendu, et envoyèrent un Sauveur sous la forme du serpent pour inciter Adam et Ève à s’emparer de ces secrets.

    Les archontes installent en Adam un second esprit, le contrefacteur, qui va sans cesse combattre les mouvements de l’esprit tiré vers le haut.

    Le premier couple est expulsé de l’Eden par le Démiurge, furieux. Il souille Ève de sa lubricité, ce qui explique la génération d’Abel et Caïn. La vraie postérité d’Adam ne commence qu’avec Seth, dont seule la descendance, les parfaits, est promise au salut.

    Le Démiurge envoie le Déluge pour anéantir les parfaits, mais Noé s’abrite avec les siens dans l’Arche et au final c’est la race, née de l’union des anges du Démiurge et des filles de la terre, qui est anéantie.

    Les archontes sont liés à la voûte céleste, au mouvement des planètes.

    Chaque partie de l’homme, physique ou psychique, appartient souverainement à la puissance de la voûte céleste qui l’a façonnée. Dans ce corps assemblé descend une âme qui, traversant l’un après l’autre chacun des cieux des planètes, y reçoit, en fonction du moment de ce passage, telle ou telle disposition par laquelle l’individu restera soumis aux astres.

    Enfin, les puissances insinuent dans le fœtus l’esprit contrefacteur destiné à contrarier les pulsions éventuelles de l’homme vers le salut.

    Le mélange de tous ces facteurs entraîne des degrés de perfection fort différents qui expliquent les 3 grandes catégorisations de l’humanité (pneumatique, psychique ou hylique).

    L’eschatologie

    Le Démiurge ne cesse d’envoyer contre les parfaits des cataclysmes et persécutions.

    Il faut éveiller les élus en leur rappelant leurs racines célestes. Pour cela, des sauveurs et des prophètes sont envoyés d’en-haut pour dispenser confidentiellement leurs révélations. L’acte final du salut de l’humanité est la descente d’une puissance de la Lumière jusqu’au fond des Enfers.

    L’œuvre salvatrice est associée à la descente de la Mère Céleste dans les abîmes où l’humanité est prisonnière, mythe remontant à la descente d’Ishtar aux Enfers. Seth aurait eu une incarnation céleste, et les mages (Zoroastre, etc.) sont les prophètes gardiens de l’enseignement secret de Adam et Seth.

    La figure de la Mère sera remplacée par celles de Seth puis du Christ.

    Annoncé par un signe des cieux, le Sauveur va descendre, d’abord déguisé en archonte des cieux inférieurs, puis revêtu de toute sa gloire. Les gnostiques répugnant à l’idée d’incarnation, le Sauveur est incorporel.

    Dans certaines versions du mythe, le Sauveur doit subir les conséquences humiliantes de l’incarnation pour transmettre son message à quelques élus avant de retourner au Ciel. Parfois il oublie sa mission et doit être lui-même sauvé (mythe du « Sauveur sauvé »).

    L’amnésie de la condition originale est une image spécifiquement gnostique. En se tournant vers la Matière, l’âme oublie sa propre identité. C’est la mort spirituelle. Le mythe du Sauveur Sauvé tourne autour de cette notion d’amnésie, qu’illustre l’Hymne de la Perle, dans les Actes de Thomas. La découverte du principe transcendant à l’intérieur de Soi-même constitue l’élément central de la religion gnostique. Cette redécouverte, l’anamnèse, est obtenue grâce à un messager divin et grâce à la gnose.

    Le symbole du sommeil est également utilisé dans ces mythes. C’est un symbole archaïque universellement répandu dans la quête de l’initiation. Ne pas dormir, ce n’est pas seulement triompher de la fatigue physique, mais surtout faire preuve de force spirituelle. Rester « éveillé », être pleinement conscient, veut dire : être présent au monde de l’esprit.

    Chez les gnostiques, l’image de l’ivresse est aussi employée.

    Finalement, le rédempteur remontera aux Cieux, occasion d’un bouleversement céleste qui fixera les archontes aux planètes, traversant la voûte céleste à l’endroit d’un X gigantesque considéré comme la Croix céleste.

    Ce phénomène de la crucifixion sur le X céleste est déjà attesté à Rome au moment de l’avènement du règne d’Auguste, à qui on attribue déjà l’abolition de la Fatalité astrale.

    La crucifixion céleste avait été adoptée par certains chrétiens mais fut vite abandonnée.

    Les gnostiques se croyaient presque parvenus à la fin des temps. Les livres prétendument gardés secrets venaient d’être ressortis de leurs cachettes.

    Pour les Parfaits, l’enseignement portait sur les mystères de la descente et de l’ascension du Sauveur/Christ à travers les 7 cieux habités par les anges, et sur l’eschatologie individuelle, c'est-à-dire l’itinéraire mystique de l’âme après la mort. Cette tradition prolonge l’ésotérisme juif et d’ailleurs sur l’ascension de l’âme et les secrets du monde céleste.

    L’âme après la mort

    L’homme est asservi aux puissances des cieux visibles qui l’ont façonné. Les gnostiques pensent pouvoir réduire leur puissance en employant des conjurations contenant les noms secrets de ces puissances. Ils mettent également en place des rites pour échapper aux égarements de l’esprit contrefacteur.

    Au moment de la mort, un élu muni de tous les sacrements de la gnose fait son ascension à travers les cieux sans retour : il présente les sceaux aux gardiens pour que les portes lui soient ouvertes.

    Des autres, les moins souillés sont purifiés dans les purgatoires des espaces célestes, montant parfois d’une sphère à l’autre lors d’une conjonction astrale. Mais bien des malheureux sont rejetés vers le bas, tourmentés en Enfer, avant d’être soumis à l’oubli de leur vie précédente et rejetés dans de nouveaux corps.

    La morale

    Les gnostiques, voyant le corps charnel asservi dans ses actes et ses passions à la souveraineté des planètes, ou encore se croyant pourvus d'une grâce d'en-haut qui délivre des actes ici-bas, n'ont pas de notions de moralité individuelle très strictes.

    La gnose peut donc aussi bien conduire à un ascétisme rigoureux qu'à de curieuses immoralités, avec la volonté de contredire en tout la loi biblique. La chair appartenant à la matière et ne sachant participer au Salut, peu importe qu'elle fût souillée. Les pratiques licencieuses de certains groupes gnostiques sont réprouvées par d’autres groupes gnostiques comme par les réfutateurs chrétiens.

    Enfin l'héritage de certains mystères grecs (par exemple chez les Naassènes) put être à l'origine de comportements immoraux en leur donnant une valeur mystique.

    Organisation des sectes

    Les gnostiques foisonnaient en d’innombrables groupuscules. Il y aurait eut trois grades : les « commençants », les « progressants » et les « parfaits ». L’enseignement ésotérique aux fidèles portait sur le symbolisme du baptême, de l’eucharistie, de la Croix, sur les Archanges et sur l’interprétation de l’Apocalypse.

    L'enseignement gnostique était secret. Pour éviter d'être repérée, la gnose se dissimulait, évitant d'imposer des manières de vivre voyantes. On connaît mal l'organisation interne des sectes. Des témoins anciens, seul Epiphane a essayé de pénétrer la vie des sectes.

    Les parfaits sont voués au respect de tous les préceptes de la gnose et leur identité première s'efface devant quelque surnom mystique. Les simples fidèles qui continuaient leurs existences impures en subvenant aux besoins des élus.

    Les premiers fondateurs, et parfois leurs successeurs, s’étaient présentés comme des prophètes ou des incarnations de puissances célestes.

    À des fins de propagande, les gnostiques se présentaient d'abord aux chrétiens comme leurs frères, ne dévoilant que les croyances les plus proches, puis en posant des questions ébranlant l'interlocuteur. De même, ils travestissaient certains de leurs textes en leur donnant une apparence plus orthodoxe.

    Enfin, tout comme le christianisme s’est répandu par la thaumaturgie, la gnose attirait par la magie et l'astrologie, très répandue au début de l’ère chrétienne, qui tenaient une place très importante dans leurs écrits.

    Les rites étaient divers. Les uns individuels, les autres collectifs, destinés aux divers échelons des initiés, et donc plus ou moins secrets. Il s'agissait principalement de baptêmes, d'onctions, d'impositions des mains, de communions, d'agapes et d'unions spirituelles plus ou moins symboliques.

    Dans certains groupes, la frontière entre la gnose et les magies gréco-orientales est très perméable.

    Rapports avec le judaïsme, la philosophie grecque et le christianisme

    La Genèse, avec son imprécision quant à la création d’Adam, fut source de nombreuses exégèses qui distinguent l’œuvre créatrice elle-même et l’acte créateur de Dieu. Ainsi Philon d’Alexandrie distinguait la puissance de miséricorde et de bonté, en tout supérieure, et la puissance créatrice qui lui est subordonnée.

    Le gnosticisme grec s’est calqué sur la philosophie mystique grecque de Philon : on retrouve le vocabulaire technique et les procédés d’argumentation. C’est en langue grecque que le gnosticisme atteignit son développement le plus complet.

    Le Livre d’Hénoch connaissait déjà le mythe de la Fatalité vaincue par une intervention d’en-haut qui aurait enchaîné les astres, jusqu’alors maîtres des hommes et de leurs destinées, épisode situé au temps de Noé ou peu après le Déluge. Il se retrouve chez les gnostiques chrétiens, surtout chez Valentin.

    À côté des 4 Évangiles et des Actes circulaient d’autres textes comportant la relation d’une doctrine ésotérique, communiquée aux Apôtres par le Christ ressuscité et concernant le sens secret des événements de sa vie. Ces livres sont qualifiés d’apocryphes. C’est de cet enseignement secret, conservé et transmis par la tradition orale, que se réclamaient les gnostiques chrétiens. Au 3ème siècle, les néo-platoniciens représentés par Plotin et ses disciples s’opposèrent aux sectes gnostiques locales.

    Pour conclure, du moins provisoirement

    Cette planche ne contient pas de réflexions personnelles. J’ai tenté de synthétiser des informations au sujet de la gnose, des gnostiques et du gnosticisme.

    Résumons cette longue synthèse : la gnose est plus une « affaire de cœur » qu'une question de concepts. Elle peut donc aussi bien conduire à un ascétisme rigoureux qu'à de curieuses immoralités, avec la volonté de contredire en tout la loi biblique.

    Tout comme le christianisme s’est répandu par la thaumaturgie, la gnose attirait par la magie et l'astrologie, très répandue au début de l’ère chrétienne, qui tenaient une place très importante dans les écrits des gnostiques.

    L'enseignement gnostique était secret. Les rites étaient divers. Les uns individuels, les autres collectifs, étaient destinés aux divers échelons des initiés, et donc plus ou moins secrets. Il s'agissait principalement de baptêmes, d'onctions, d'impositions des mains, de communions, d'agapes et d'unions spirituelles plus ou moins symboliques.

    C’est en langue grecque que le gnosticisme atteignit son développement le plus complet.

    Les gnostiques n'avaient pas de notions de moralité individuelle très strictes.

     

    R:. F:. A. B.

    Bibliographie

    Doignon Olivier - Comment naît une Loge maçonnique ?

    Editions La Maison de Vie, Lugrin, 2005

     

    Doresse Jean - Un article « Le gnosticisme dans histoire des religions », folio essais

     

    Lacarrière Jacques - Les gnostiques

    Collection Idées - Editions Gallimard, Paris, 1964

     

    Mircéa Eliade - Histoire des religions et idées religieuses

    Bibliothèque historique Payot, Paris, 1976

     

    Scopello Madeleine - Les gnostiques

    Editions Le Cerf, « Fides », Paris, 1991

     

    Des ouvrages plus spécialisés

     

    Assaraf Albert - L'hérétique, Elicha ben Abouya ou l'autre absolu

    Editions Balland, Paris, 1991

     

    Bavoux Gérard - Le porteur de lumière

    Editions Pygmalion, Paris, 1996

     

    Boyarin Daniel - Border Lines The Partition of Judaeo-Christianity

     

    Doresse Jean - Les livres secrets des gnostiques d'Égypte

    Editions Plon, Paris, 1958

     

    Grant Robert - La gnose et les origines chrétiennes

    traduit par J.H. Marrou - Editions du Seuil, 1964

     

    Maris Yves - Cathares - Journal d'une initiée

    Editions AdA, Québec, 2006

     

    Pagels Élaine - Les évangiles secrets

    Editions Gallimard, Paris, 1982 - Réédition de 2006

     

    Painchaud Louis - La bibliothèque copte de Nag Hammadi

    in « L'étude de la religion au Québec » : Bilan et prospective, sous la direction de Jean-Marc Larouche et Guy Ménard

    Les Presses de l'Université, Laval, 2001

     

    Puech Henri-Charles - En quête de la gnose

    Editions Gallimard, Paris, 1978

     


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  •  Analyse du documentaire "La Clé écossaise" 

    Introduction

    La Clef écossaise est un film documentaire belge de Tristan Bourlard et François De Smet. Ses auteurs y exposent les théories les plus récentes concernant les origines de la Franc-maçonnerie et s'appuient en particulier sur la piste dite de la « clé écossaise », développée à partir de 1988 sur la base des recherches de l'historien Robert L. D. Cooper. Ce documentaire a été terminé en novembre 2007.

    Dans un style très "british", solennel et respectueux, agrémenté d'animations en trois dimensions, ce document de 52 minutes enquête avec rigueur sur les origines de la Franc-maçonnerie, une mouvance dont plus de quatre millions de personnes sont membres dans le monde. Une société discrète, voire secrète, mais qui, en Belgique, a récemment ouvert ses portes et révélé ses décors singuliers aux caméras des « Bureaux du pouvoir », sur « La Une ».

    À en croire ce film, qui interroge divers historiens et Francs-maçons, la Franc-maçonnerie trouverait son origine en Écosse, voilà 400 ans, à travers des associations professionnelles – des tailleurs de pierre – qui se sont peu à peu structurées, ont intégré des rituels et des traditions orales puis ont été fréquentées par des aristocrates.

    La mythologie maçonnique s'est nourrie de l'imagerie des bâtisseurs, devenue métaphore de la construction intérieure et spirituelle de ses membres. Il y a eu un peu plus tard croisement avec les premières Loges londoniennes, au départ constituées de commerçants et artisans, devenues ensuite plus élitistes et à qui un Français d'origine, Jean-Théophile Desaguliers a donné une histoire et des règles.

    Du succès de ces divers réseaux serait née la Franc-maçonnerie qui fut combattue (et excommuniée par l'église), voire martyrisée (par les nazis) au cours de l'histoire. La Franc-maçonnerie est une association qui, aujourd'hui encore, conserve cette triple image ambiguë de société secrète, de club humaniste et fraternel ou, malheureusement, de réseau affairiste et comploteur.

    Tristan Bourlard, réalisateur documentariste, et François De Smet, philosophe de formation, se sont associés pour retourner aux origines de la Franc-maçonnerie.

    Ils ouvrent et ferment ainsi des portes à propos d'hypothèses maintes fois répétées comme l'origine templière de la Franc-maçonnerie, la filiation naturelle avec les tailleurs de pierre du moyen âge. Cette œuvre salutaire aura permis au téléspectateur de distinguer le mythe de l'histoire.

    Ce documentaire audiovisuel tente donc d’approcher ce que fut la naissance de la Franc-maçonnerie et essaie d’apporter des réponses aux questions suivantes : « qui l'a créée ? » et « pourquoi ? ». Présenté sous forme d'enquête, ce film, raconte cette aventure. Ses auteurs déclarent y présenter des documents totalement inédits et des témoignages surprenants offrant un éclairage entièrement nouveau sur ce sujet.

    Lorsque ce documentaire a été programmé, sur « La Une », le 31 janvier 2008, il a fait l’objet d’une présentation dans la presse écrite, notamment grâce à l’article de Pierre Invernizzi qui fait l’objet de la présente analyse.

    Analyse de l’article de Pierre Invernizzi

    La Franc-maçonnerie est un sujet sulfureux et énigmatique, propice aux allégations et aux fantasmes de toutes sortes. Notre association mystérieuse et discrète, répandue dans le monde entier, fait l'objet depuis plus de 300 ans de curiosité, de fascination et de méfiance. La Franc-maçonnerie regroupe aujourd'hui plusieurs millions de personnes à travers le monde. À l'abri du monde, dont ils s'isolent le temps d'une soirée, les Francs-maçons se réunissent en Loge et y développent une spiritualité singulière. Et les auteurs de ce documentaire de se poser des questions et de tenter d’y apporter des réponses.

    • Comment est né ce mouvement ?

    Pour les Profanes, comme pour beaucoup d'adeptes, ses origines demeurent mystérieuses. Les Loges elles-mêmes ont oublié d'où elles venaient. Pour la première fois, ce documentaire d'investigation se penche avec sérieux sur la question des origines de la Franc-maçonnerie en se basant sur les recherches les plus récentes.

    • Quels sont ses liens avec les Templiers ?

    • Est-elle la descendante des tailleurs de pierre du moyen âge ?

    • Comment sont nées les premières loges ?

    Ce film nous a fait découvrir un chemin ésotérique composé de mystères non encore résolus.

    • Quelles étaient les véritables aspirations des hommes qui se sont lancés dans cette incroyable aventure ?

    • Comment est née la société fraternelle la plus intrigante des temps modernes ?

    • En quoi consistent les loges de tailleurs de pierre, vieilles de plusieurs siècles ?

    • Quel est leur rapport avec la Franc-maçonnerie naissante de Londres ?

    • Comment les premiers Francs-maçons se sont-ils inspirés de pratiques séculaires ?

    • Quel rôle l'Écosse et les traditions médiévales ont-elles joué dans l'élaboration de ce mouvement ?

    Brève présentation des différents intervenants dans le film

    Pour évoquer les origines mythiques ou réelles de la Franc-maçonnerie, les Loges écossaises, la naissance de la Grande Loge de Londres en 1717, les personnalités particulières du révérend Jean-Théophile Desaguliers et du pasteur James Anderson à qui furent commandées les Constitutions, les deux auteurs ont tout simplement frappé aux portes de spécialistes réputés.

    • Andrew Prescott : premier directeur de recherches sur la Franc-maçonnerie à l'Université de Sheffield.

    • Keith Moore dirige la Bibliothèque et les Archives de la Royal Society de Londres, fondée en 1660.

    • Roger Dachez: historien de la Franc-maçonnerie et actuel président de l'Institut maçonnique de France, Directeur de la revue d'études maçonniques « Renaissance traditionnelle », président de l'Institut maçonnique de France, auteur de « Histoire de la Franc-maçonnerie française ».

    • Jessica Harland-Jacobs : professeur d'Histoire britannique et impériale à l'Université de Floride à Gainesville ; spécialiste de la Franc-maçonnerie ; auteur de « Builders of Empire : Freemasonry and British Imperialism, 1717 – 1927».

    • David Stevenson : premier historien professionnel à avoir étudié les archives des premières loges maçonniques écossaises ; auteur de plusieurs ouvrages sur la question.

    • Ewan Rutherford : ex-Vénérable Maître de la Loge « Chapelle de Marie » (Mary’s Chapel), l'une des plus anciennes loges du monde, située à Édimbourg en Écosse.

    • John Hamill: Directeur des Communications de la Grande Loge unie d'Angleterre (UGLE) ; ancien Grand Lodge Librarian and Curator ; ancien Maître de la Loge de recherche « Quatuor Coronati » n° 2076 ; auteur de « Freemasonry : A Celebration of the Craft, History of English Freemasonry ».

    • Robert L. D. Cooper : est Orateur depuis 14 ans à la Grande Loge des Maçons Anciens et Acceptés d'Ecosse. Il a donné de nombreuses conférences sur la Franc-maçonnerie écossaise, les Templiers, la Chapelle de Rosslyn et d’autres sujets s’y rapportant. En 2005, il a effectué une tournée de conférences durant trois mois. Il est l‘auteur de « The Rosslyn Hoax ? », « Cracking the Freemason's Code », « Freemasons, Templars and Gardeners » (pour ne citer que ceux-ci), et a publié de nombreux articles dans des revues, des magazines et des journaux. Cet historien apparaît souvent à la télévision en tant qu’expert sur la Franc-maçonnerie, et a été quelques fois entendu sur des chaînes de radio. Robert Cooper est membre de nombreux corps maçonniques et sociétés d’études (dont le « Quatuor Coronati Lodge » - la plus ancienne loge de recherche au monde).

    L'évènement audio-visuel

    La diffusion de ce reportage d'investigation a probablement été un événement médiatique. C'est en effet le premier vrai documentaire audio-visuel clair et constructif sur l'histoire et les fondements de la Franc-maçonnerie. Il apporte au monde profane une vision réaliste qui sort des approches suspicieuses, sulfureuses ou même simplement légendaires sur lesquelles les réalisateurs s'étaient presque toujours appuyés par le passé.

    Destiné à terme à être diffusé à la télévision, les réalisateurs ont donc « mis les moyens » et ce document est extrêmement pertinent.

    Ce reportage peut aussi paraître une « bombe » maçonnique. Bien sûr, il remet en cause les clichés flous ou inventés sur la naissance de l'Ordre. Lorsque les Apprentis et Compagnons poseront les bonnes questions, ceux qui sont restés enfermés dans une vision volontairement réductrice de l'origine de l'institution, vont devoir maintenant adapter ou préciser leurs discours !

    Un puzzle

    Entouré de spécialistes internationaux de renom, le président de l'institut maçonnique de France, Roger Dachez, nous présente un morceau d'architecture audiovisuelle qui traite sur un registre totalement scientifique, de la filiation écossaise de la Franc-maçonnerie. Historiquement occultée par une « English-key » qui ne dévoilait pas plus de certitudes qu'un rituel ne dévoilera le secret maçonnique, la « Scottish-key », non seulement établit des faits, mais chose exceptionnelle que les livres n'ont pu faire précédemment, elle les montre !

    C'est donc pour la plupart des Francs-maçons, un véritable scoop ! Ce qui reposait sur des spéculations anciennes et plus récemment sur la renommée parfois contestée d'érudits et chercheurs non maçons, nous est aujourd'hui révélé à l'écran, comme si nous touchions du doigt les fameux documents.

    L'histoire de la Franc-maçonnerie est un peu comme un puzzle de 600 pièces qui, pour 300 d'entre elles, représente le versant français, pour 200 autres le versant anglais et enfin pour 100 autres le versant écossais. Seulement jusqu'à présent nous ne disposions que de 250 pièces françaises, 100 anglaises et 2 écossaises. Toute la prose historique qui occupe le rayon « Franc-maçonnerie » de la Fnac traite de ces 352 pièces.

    Ce reportage raconte comment une grande partie des nouvelles pièces écossaises trouvées, commence à rendre l'image du puzzle lisible... Ces pièces étaient là, au fond des registres des Loges d'Ecosse, mais aussi dans les correspondances de quelques érudits du 17ème siècle.

    Il a fallu qu'un universitaire, spécialiste de la culture écossaise, David Stevenson, entreprenne l'enquête, il y a une trentaine d'années !

    David Stevenson est professeur au Département d'Histoire Ecossaise de l'université de St Andrews. Ses nombreuses publications comprennent : « The Scottish Revolution 1637 – 1644 » (1973), « Revolution and Couffler Revolution in Scotland, 1641 – 1651 » (1977), « The first freemasons. Scotland's early Iodges and their members » (1988)...

    La Franc-maçonnerie a toujours été un mouvement sujet à de larges controverses. Et malgré la vaste littérature qui lui est consacrée, ses origines restent obscures, la thèse la plus répandue étant qu'elle a pris naissance en Angleterre dans les années 1700, mais la plupart des arguments utilisés ne résistent pas à l'examen de ceux relatifs à l'Ecosse.

    L'œuvre d'historien dans un domaine en général abandonné à des auteurs rarement neutres, qu'ils soient ou non favorables à l'Ordre, « Les Origines de la Franc-maçonnerie : le siècle écossais (1590 – 1710) » par David Stevenson est la première tentative pour étudier ces éléments en relation avec l'histoire de l'Ecosse. Ainsi et en s'appuyant sur de nombreux documents, nouveaux ou peu connus, issus des archives des premières loges écossaises, le professeur David Stevenson démontre que l'origine réelle des fondements de la Franc-maçonnerie moderne se trouve en Ecosse aux alentours de 1600, lorsqu'un réseau de loges fut organisé par des tailleurs de pierre avec des rituels et des secrets mêlant mythologie médiévale et influences intellectuelles tardives de la Renaissance pour former un mouvement qui allait se répandre à travers l'Angleterre, puis en Europe et finalement dans le monde entier...

    L'histoire de la naissance de notre mouvement intéresse aussi bien les érudits ou les historiens de la Renaissance et du 17ème siècle, que les Francs-maçons ou tous ceux qui veulent comprendre la véritable nature de cette organisation qui soulève un intérêt considérable, en découvrant l'organisation du métier et la contribution du moyen âge, les maîtres des travaux du roi, les statuts régissant le métier de maçon, l'influence de la Renaissance (alchimie, art de la mémoire, hermétisme, rosicrucianisme ... ), le rôle de l'architecte, les rituels d'identification et d'initiation, les premières loges écossaises, les débuts de la Franc-maçonnerie en Ecosse et en Angleterre... et des personnages forts et attachants comme Sir Robert Morray, général et ingénieur, maçon et stoïcien convaincu cultivant l'alchimie et le symbolisme...

    La théorie (1993) de l'historien écossais David Stevenson met en évidence le rôle considérable qu'auraient joué dans ce processus les loges opératives écossaises de la fin du 16ème siècle et du début du 17ème dans lesquelles on relève déjà la présence de personnalités plus ou moins étrangères au métier.

    Cependant, quelles que soient les qualités documentaires de ses recherches, Stevenson reste lui aussi assez peu convaincant quant aux motivations, nécessairement mutuelles, poussant opératifs et spéculatifs à se côtoyer, alors même que certains des gentlemen maçons écossais possèdent un lien étroit avec le métier.

    Au demeurant, il ne fait qu'effleurer un point essentiel qui fournit sans doute la clé de l'énigme : l'immense intérêt porté à l'œuvre de Vitruve, redécouverte dans la seconde moitié du 15ème siècle. L'architecte y est défini non seulement comme devant être savant dans les techniques de construction, mais aussi comme devant s'intéresser à toutes les sciences. C'est là un programme que les architectes de la Renaissance s'efforceront de suivre. Il n'est que de lire certains passages de l'Architecture de Philibert Delorme (1514 – 1570), fils d'un Maître Maçon lyonnais, pour se convaincre que la dichotomie opératif-spéculatif n'a guère de sens : pour expliquer certains emblèmes et symboles maçonniques, il cite la Bible, mais aussi des sources appartenant à la tradition hermétique, tel le néoplatonicien Marsile Ficin ou encore Francesco Colonna, l'auteur du Songe de Poliphile.

    Comme en témoignent à leur manière les marques typographiques, cet intérêt pour la dimension spéculative et ésotérique de l'architecture est alors européen et il est partagé tout aussi bien par les érudits, notamment à cause des connaissances géométriques des tailleurs de pierre, que par les bâtisseurs, successeurs du « Grand Architecte » qui, au commencement, traça un cercle à la surface du chaos (Proverbes, VIII).

    L'étude des anciens compagnonnages français de tailleurs de pierre (Devoirs) met également en évidence le fait qu'il ne s'agissait pas tous d'ouvriers plus ou moins incultes, et l'on constate la même chose dans les territoires germaniques. Leur clientèle, avec laquelle ils entretiennent souvent des liens amicaux, est précisément le milieu dans lequel recruteront les loges au 18ème siècle.

    Ce qui est paradoxal, c'est que cela fait près de 20 ans que la nouvelle figure du puzzle est connue ou accessible aux Maçons érudits. Ce qui se colportait dans les travaux des plus prestigieuses Loges de recherche et dans les plus éminentes conférences restait, en France comme en Angleterre, ignoré, voir méprisé dans quelques éloquentes démonstrations partisanes qui colonisent généralement les étagères des bibliothèques maçonniques. Mieux valait pour certains, sur les bases d'un flou historique, s'approprier non pas une filiation, mais plutôt s'accaparer l'invention et la définition de la Franc-maçonnerie.

    Ainsi quelques chercheurs érudits, français, anglais, américains... et écossais bien sûr, mirent leurs effort en commun pour, disons le franchement, enfoncer le clou, dans une croisade qui n'était pas à priori celle d'un universitaire comme David Stevenson.

    Sans chercher à remettre en cause les systèmes existant, le reportage met en lumière le versant historique de la genèse de la Franc-maçonnerie, longtemps esquivée des historiens continentaux, comme des historiens anglais. Il est clair que la nouvelle attitude d'ouverture de la Grande Loge Unie d'Angleterre depuis quelques années concourt à cette reconnaissance historique de l'Ecosse.

    Le trousseau de clefs

    Pour analyser cette « révélation », il faut replacer le sujet dans son contexte global, c'est-à-dire entre ce qui relève de la Franc-maçonnerie pure et qui est propre à chaque ordre maçonnique dans sa dimension initiatique ou philosophique, et ce qui relève de la véritable recherche historique et qui fait partie d'une activité commune à tous les passionnés de Franc-maçonnerie que nous pourrions qualifier de « maçonnophiles ».

    Tout d'abord il y a, et surtout en France, plusieurs types de franc-maçonneries, qui n'ont absolument pas besoin les unes des autres pour exister et surtout pour fonctionner correctement. Mais devant le vide historique préexistant (les fameuses pièces manquantes du puzzle) ces différents ordres maçonniques ont su se centrer, parfois à l'extrême, parfois très discrètement, sur leur propre histoire ou pseudo-histoire et leurs propres mythes.

    Ainsi est-il nécessaire de ne pas tout mélanger !

    Ce reportage relève de la maçonnophilie, axée sur la recherche historique et il ne prétend rien de plus, au même titre que toutes les recherches historiques sur l'ordre n'entrent que très partiellement ou pas du tout dans l'art maçonnique des différentes obédiences, surtout aux trois premiers degrés. En ce sens ce document ne constitue aucunement une « divulgation ».

    Il faut donc relativiser l'importance de l'histoire sur la Franc-maçonnerie elle-même, même si une certaine complémentarité existe bien évidemment entre la connaissance de la vérité historique et la pratique de nos différentes formes d'arts vertueux.

    De même, la Franc-maçonnerie, cette fois envisagée dans sa pratique et sa compréhension, n'est pas majoritairement de la science et de l'archéologie de bibliothèque. Elle repose pour de nombreuses obédiences sur des mythes et des légendes qui interviennent d'une manière parfois bien plus fondamentale sur le plan initiatique, qu'ils ne sauraient être tolérés dans le monde profane et le monde des sciences. Pourquoi faut-il que de nombreux intellectuels maçons s'évertuent dans d'indigestes « jus de neurones » à nous démontrer ce qui n'a pas nécessairement besoin d'être démontré, mais simplement d'être vécu ?

    L'allégorie et l'imagination possèdent des vertus qui nous permettent d'aller beaucoup plus loin dans la thématique de nos travaux que ne saurait le faire une page d'histoire, qui trouvera toujours une tache noire pour ternir la blancheur d'une vérité que la nature humaine aura inévitablement rendu imparfaite. L'histoire est donc complexe, on le savait déjà, mais là, la « clef écossaise » vient de nous ouvrir une nouvelle pièce de l'édifice. Cette grande bâtisse ou ce grand puzzle, fascine les chercheurs maçons comme les érudits profanes.

    Alors un jour, le trousseau se complètera peut-être d'une clef égyptienne, d'une clef templière, et d'autres encore. Elles complèteront la compagnie des clefs de l'écossisme, de la laïcité, de la mixité, qui font la richesse d'un édifice où il y a de la place pour tout le monde.

    La cible (c'est-à-dire le grand public) et la forme (un mode de réalisation très « tendance » entre le document-fiction et l’ambiance très « mystério-romanesque ») de ce documentaire auraient pu faire craindre de nous faire baigner dans les potentialités mythiques et légendaires.

    Tout au contraire, c'est une investigation qui ne développe que des faits avérés et rien d'autre, et qui bâtit sur ceux-ci des hypothèses plausibles, avec le plus grand sérieux et la plus extrême précaution.

    Le mythe et le rêve sont donc volontairement laissés de côté. Par exemple, il n'y a pas eu de commentaire à propos du fait que la tombe de William Shaw se trouve à quelques dizaines de mètres de celle de Robert Bruce [1], ce qui aurait rendu croustillant le développement, mais rendu l'œuvre attaquable au niveau des sous-entendus.

    Ainsi, les aspects légendaires n'ont pas été abordés. Il n'a donc jamais été question, ni de « Kilwinning n° 0 », ni de Rosslyn Chapel, ni des Saint-Clair ni même d'une interconnexion entre la fuite de quelques Templiers de France vers l'Ecosse … parties intégrantes des mythes écossais, mais qui possèdent pourtant pour certains d'entre eux quelques réalités historiques avérées.

    Avant d’évoquer ces quelques sujets qui n’ont pas été abordés dans le film, je voudrais rappeler quelques éléments des débuts de l’histoire de la Franc-maçonnerie tels qu’ils étaient encore véhiculés il y a dix ans.

    Le plus ancien témoignage concernant l’organisation du métier de maçon en Angleterre remonte à 1356, à Londres. Un conflit opposait les « maçons de taille » aux « maçons de pose ». Les autorités municipales édictèrent un règlement qui précise que jusqu’alors, le métier n’en avait pas eu.

    Un nouveau règlement est édicté en 1481. L’organisation est déjà relativement élaborée : la Compagnie des Maçons exerce le contrôle du métier à Londres ; elle enregistre notamment les apprentis, lesquels, au terme de leur apprentissage, peuvent comparaître devant une commission de la Compagnie et, après avoir prêté serment de fidélité et de loyauté envers le métier, la ville et la couronne, devenir « hommes libres du métier ».

    Cependant, le cas de la Compagnie des Maçons de Londres reste unique en Angleterre. On ne trouve dans le royaume aucune autre organisation exerçant une autorité équivalente sur le métier. Par ailleurs, aucun document de cette époque ne mentionne l’existence de « secrets » ou de grades. Plus encore, le mot « loge » n’est pas employé.

    Ce mot caractéristique est attesté à partir du 13ème siècle pour désigner la bâtisse édifiée sur le chantier où les ouvriers rangent leurs outils, travaillent, prennent leurs repas et se reposent. A partir du début du 15ème, il désigne l’ensemble des maçons d’un chantier, mais sans qu’il soit fait mention d’un contrôle du métier par cette communauté. C’est seulement au 16ème siècle, en Écosse, que le mot est attesté comme désignant une juridiction permanente réglant l’organisation du métier.

    Cet aspect juridique se situe dans le cadre du système des « Incorporations » qui apparaissent en Écosse au début du 15ème siècle pour assurer l’organisation des métiers dans les cités. Les maçons écossais obtiennent leur charte d’Incorporation en 1475, mais elle ne mentionne pas le mot « loge ».

    C’est en 1598, que William Shaw, Maître des ouvrages du Roi et Surveillant général de l’Incorporation des Maçons, publie de nouveaux Statuts. Ceux-ci traduisent une évolution sensible : désormais c’est une « loge » qui contrôle l’entrée des apprentis et leur accès au rang de compagnon, règle les différends et punit les manquements au règlement.

    Mais la différence fondamentale, c’est que les maçons écossais de 1598 partagent des « secrets », notamment le « Mot du Maçon », qui leur sont communiqués au cours d’une cérémonie après qu’ils aient prêté serment de discrétion.

    Parmi les autres témoignages nous permettant d’étudier le substrat légendaire et historique de la Maçonnerie, les « Old Charges » occupent une position privilégiée.

    Environ 120 textes de ces « Anciens Devoirs » sont actuellement connus. S’échelonnant de la fin du 14ème siècle au premier tiers du 18ème, ils sont tous d’origine anglaise. Les plus anciens sont les manuscrits « Regius » (vers 1390) et « Cooke » (vers 1420).

    Ces textes sont structurés en deux parties : d’une part, une histoire légendaire du métier ; d’autre part, un code réglementant la conduite des maçons et leurs relations avec les apprentis et les maîtres – ce terme désignant alors les employeurs.

    Ces règlements diffèrent sensiblement de ceux de l’Écosse ; en particulier, ils ne prévoient pas de dispositions laissant présager d’une coexistence avec un autre système réglementant le métier (cas de la loge vis-à-vis de l’Incorporation) et ils donnent une large part à des prescriptions à caractère moral et religieux, n’ayant aucun rapport direct avec le métier.

     

    Pour prolonger cette analyse, je me propose d’envisager quelques considérations sur ce qui n’a pas été abordé dans le documentaire.

     

    William Shaw et ses statuts

    Certains font remonter la lignée maçonnique, avant les bâtisseurs de cathédrales, aux architectes du Temple de Salomon. Cependant…

    La première forme de la Franc-maçonnerie est opérative : elle s'est formée au moyen âge à partir d'associations professionnelles de maçons qui regroupaient les francs-mestiers, c'est-à-dire les métiers « libres », non soumis aux servitudes ou aux droits seigneuriaux. Les constructeurs de cathédrales constituaient une main d'œuvre affranchie de toute allégeance, se regroupant en loges libres, isolées ou fédérées, d'où leur appellation de « maçons francs ».

    La première organisation de loges de bâtisseurs européens date de 1454 à Ratisbonne où ont été élaborés les statuts des métiers, gouvernés par quatre loges : Strasbourg, Cologne, Vienne et Berne. La franc-maçonnerie de métier n'était cependant pas seulement opérative mais incluait déjà des éléments spéculatifs c’est-à-dire des membres effectuant des recherches abstraites et théoriques.

    La solidarité de culte existait déjà et fut à l'origine des rites d'initiation qui étaient à la fois ceux du métier mais aussi d'ordre spirituel et basé, dans la France du moyen âge, sur l'observance de la religion catholique romaine. A ces préoccupations s'ajoutaient également une dimension charitable de secours aux malades, ainsi qu'une mission éducative. Le maître-maçon était tout autant architecte qu'entrepreneur, charpentier, tailleur de pierre et sculpteur et avait en charge la transmission de son savoir en direction des apprentis et des compagnons.

    Au cours du 17ème siècle, la déchéance du métier aurait amené les maçons opératifs à accepter dans leurs loges, pour qu'elles survivent, des personnes étrangères à la profession. D'après la théorie dite de la « transition », c'est le nombre grandissant de ces «acceptés», ainsi que la vision différente qu'ils avaient de la vocation de l'association, qui conduisirent tout naturellement à la naissance d'une structure purement spéculative, la maçonnerie « opérative » semblant alors s'être lentement éteinte.

    Il subsiste quelques-uns de ces manuscrits des Old Charges, documents qui se composent d'une histoire du métier et d'un règlement destiné aux tailleurs de pierre et qui font l'objet d'une lecture lors de la réception de nouveaux membres. La plupart de ces textes proviennent d'ailleurs des archives de vieilles loges spéculatives, ce qui tend à accréditer l'idée de la continuité naturelle avec les loges antérieures. Les deux plus anciens documents maçonniques connus sont le Manuscrit Régius (1390) et le Manuscrit Cooke (1425).

    Leur analyse indique l'existence de versions plus anciennes qui sont perdues. Il faut attendre le 17ème siècle et même le début du 18ème pour trouver une nouvelle strate significative de documents du même type, certains étant des copies manifestement réalisées à l'usage de loges déjà spéculatives. Il existe aussi une autre famille de documents, qui datent de l'extrême fin du 16ème siècle et concernent les maçons opératifs écossais, ce sont les « Statuts Shaw » datant de 1599.

    C'est en Écosse que la structure fonctionnelle des loges est institutionnalisée, vers 1598, avec les « statuts Shaw », qui définissent, entre autres, le réseau territorial des loges et l'ascension par degrés : le premier permet, en sept ans, de passer du statut d'apprenti à celui de compagnon.

    Les statuts Shaw

    William Shaw est surtout connu pour être l'auteur de statuts qui portent son nom et qui sont donc connus sous l’appellation « Statuts Shaw ». Il s’agit de deux écrits précurseurs de la structuration de la Franc-maçonnerie moderne. Shaw a mis au point une réglementation de la profession de maçon « opératif », distincte des guildes de métier et une réglementation fonctionnelle et hiérarchique des Loges maçonniques à trois niveaux (Maître de Loge, Compagnons et Apprentis-entrés) pour toute l'Écosse.

    Les premiers « Statuts Shaw » datant de 1598

    Ces premiers statuts datent du 28ème jour de décembre 1598. Ils s’intitulent exactement « Statuts et Ordonnances que doivent observer tous les Maîtres Maçons de ce royaume », arrêtés par William Shaw, Maître des travaux (Maister of Wark) et Surveillant Général (General Warden) dudit Métier.

    Le registre original est toujours en possession de la Loge Mary's Chapel d'Édimbourg à laquelle il appartenait. Cette loge maçonnique, indépendante des guildes de métier, prendra, en cette année, le n° 1 des Loges maçonniques d'Écosse.

    Les seconds « Statuts Shaw » de 1599

    Un an après paraissaient les seconds « Statuts » qui venaient compléter ceux de 1598. Devant les plaintes de la Loge de Kilwinning, William Shaw, à cause de querelles de préséance avec la Loge « Mary's Chapel » n° 1, accorda à celle-ci le n° 0. Elle deviendra ainsi la Loge « Kilwinning » n° 0, Loge-mère de la future Grande Loge d'Écosse.

    S'ajoutent à ces documents internes, quelques mentions éparses de l'existence des loges maçonniques dans divers récits du 17ème siècle, indications qui montrent que se sont effectivement introduites dans les loges des personnes étrangères à la profession, et qui, pour certaines, appartenaient à des milieux érudits (Royal Society) s'intéressant de près aux doctrines hermétiques (alchimie, kabbale, rosicrucianisme).

    Aucun de ces documents ne permet de comprendre de manière explicite le processus de naissance du courant spéculatif. La théorie de la « transition » reste finalement très floue à l'égard des motivations qui auraient poussé, d'une part, les spéculatifs à fréquenter assidûment les loges opératives, et, d'autre part, les opératifs à les y accepter.

    Elle est battue en brèche depuis plusieurs décennies par d'autres théories, certaines allant jusqu'à considérer qu'il n'y a en réalité aucun lien organique entre opératifs et spéculatifs, ces derniers n'ayant fait qu'emprunter aux premiers des formes dont ils auraient détourné la fonction.

    Ces théories se distinguent entre elles quant à la motivation première de ce détournement : politique, religieux ou, plus généralement, social. L'Angleterre du 17ème siècle était effectivement en proie à diverses crises et la sociabilité fraternelle des loges aurait permis de surmonter certains clivages.

    La dernière théorie en date, nous l’avons écrit au début de ce travail, est celle de l'historien écossais David Stevenson qui, en 1993, mit en évidence le rôle considérable qu'auraient joué dans ce processus les loges opératives écossaises de la fin du 16ème et du début du 17ème siècle.

    Apparut alors en Grande-Bretagne, la deuxième forme de la Franc-maçonnerie, dite spéculative. Elle procède par l'admission de membres acceptés qui conservent les traditions et les rites anciens tout en intégrant des connaissances autres que celles liées à la maçonnerie.

    La Grande Loge de Londres s’est constituée en 1717. Elle comptait parmi ses membres de nombreux intellectuels et scientifiques, en particulier ceux de la prestigieuse Royal Society, l'Académie des Sciences londonienne. Elle était régie par le « Livre des Constitutions » de James Anderson qui fixait les obligations des Francs-maçons.

    Outre l'affirmation d'une déclaration de tolérance religieuse et de liens de fraternité entre ses membres, ces constitutions précisent que, sur le plan politique, « un maçon est un sujet pacifiste soumis aux pouvoirs civils ; il ne doit jamais se mêler de complots et conspirations contre la paix et le bonheur de la nation ».

    Les premières loges françaises calquées sur le modèle anglais ont vu le jour entre 1720 et 1725. Mais il est probable que l'influence écossaise avait déjà contribué à la création de loges bien antérieures.

     

    Deux faits historiques

    La première Initiation enregistrée sur le sol anglais est celle de Sir Robert Moray, gentilhomme écossais et Quartier-maître Général de l’armée écossaise en train d’assiéger Newcastle on Tyne. Cette initiation a eu lieu le 20 mai 1641. Ce fait est enregistré dans les minutes (« Tracés ») de la Loge d'Édimbourg connue aujourd’hui en tant que « Mary’s Chapel Lodge » n° 1 sur le Tableau de la Grande Loge d’Écosse. Ceci ne permet d’affirmer qu’une seule chose : c’est que la Maçonnerie spéculative existe en Ecosse à cette époque.

    Les recherches menées par le Dr David Stevenson, de l’Université de St Andrews, en Écosse, ont montré que la Loge d’Edimbourg est, à l’origine, une Loge de maçons opératifs et qu’elle avait été enregistrée comme telle par William Shaw en 1598.

    La première Initiation enregistrée d’un Franc-maçon anglais en Angleterre est celle d’Elias Ashmole, antiquaire et héraut bien connu. Elle a eu lieu au domicile de son beau-père à Warrington, le 16 octobre 1646. Aucune des personnes présentes n’était un maçon opératif mais des personnalités locales, officiers de l’armée et autres notables.

    La seule conclusion à en tirer, c’est qu’en 1646, il existe des Loges entièrement spéculatives en Angleterre, dont les membres appartiennent à la classe moyenne et à l’aristocratie. Ainsi la Maçonnerie spéculative existe dans des « Loges » tant en Écosse qu’en Angleterre au début du 17ème siècle.

     

    La Loge de Kilwinning et la diffusion du « Mot de maçon » dans l’Écosse du 17ème siècle

    Le Rite du « Mot de maçon », créé vers 1637 en Écosse, est probablement le plus ancien rite de la Franc-maçonnerie dite « spéculative ».

    La Loge de Kilwinning pratiquait déjà vers 1628-1637 le rite calviniste du « Mot de maçon ». Ce n’était pas là la seule particularité de la Loge de Kilwinning : d’une part, celle-ci, conformément à ce qu’elle avait probablement réussi à faire accepter par William Shaw en 1599, se réunissait le 20 décembre à une date différente du jour de la Saint-Jean l’Évangéliste (soit le 27 décembre) traditionnellement choisie par les autres loges écossaises régulées par les Statuts Shaw de 1599 ; et d’autre part, elle avait refusé de cosigner les deux Chartes Saint Clair de 1601 et de 1628 qui reconnaissaient le seigneur de Sinclair comme patron de diverses loges d’Écosse.

    Kilwinning est une petite ville historique d'environ 8 000 habitants, située sur la côte ouest de l'Écosse, dans le North Ayrshire, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Glasgow. Elle est célèbre dans le domaine de la Franc-maçonnerie pour abriter la plus ancienne loge d'Écosse, parfois nommée « Kilwinning » n° 0, source probable du Rite du « Mot de maçon » (Mason's Word).[1]

    La famille Sinclair étant catholique, il semble alors que la Loge de Kilwinning ait refusé de signer ces deux chartes parce qu’en qualité de loge calviniste, elle refusait de se soumettre et d’obéir à un patron catholique. C’était probablement sa confession calviniste qui en 1599 avait poussé la Loge de Kilwinning à réclamer et à faire accepter par le catholique William Shaw un statut si spécial que, dans ses Statuts de 1599, Shaw avait attribué à la Loge de Kilwinning le titre symbolique de « tête » en situant ce titre par rapport à « l’Église de Kilwinning » : c’était là reconnaître la primauté de la Loge calviniste de Kilwinning à la tête seulement des autres loges calvinistes d’Écosse, et non à la tête de l’ensemble des loges d’Écosse, les loges de Aitchison’s haven, d’Edimbourg et de Saint Andrew étant apparemment plus anciennes que la Loge de Kilwinning. Le refus de la Loge calviniste de Kilwinning de cosigner les deux Chartes Saint Clair de 1601 et de 1628 et d’obéir par là à un patron catholique est important : il induit l’idée qu’en 1628, les loges qui cosignèrent la deuxième Charte Saint Clair (Edinburgh, Glasgow, Stirling, Dunfermline, Dundee et Saint Andrew) n’étaient pas des loges à majorité ou d’abord calvinistes mais des loges qui acceptaient d’être patronnées par un protecteur catholique.

    C’est à cette même époque vers 1628 – 1637 que le rite calviniste du « Mot de maçon » apparaît à Kilwinning et dans sa loge-fille de Scone-Perth. Il semble donc :

    1. que le « Mot de maçon », rite calviniste élaboré et transmis à ses loges-filles (les loges du Renfrewshire et de l’Ayrshire dont celle de Scone-Perth, puis celle de Canongate-Kilwinning) par la loge calviniste de Kilwinning, fut d’abord un rite étranger aux loges qui cosignèrent la deuxième Charte Sain Clair en 1628, ce qui invite à comprendre l’actuel titre de « Mother lodge » revendiqué par la loge de Kilwinning non comme l’affirmation de sa primauté de loge franc-maçonnique (non seulement trois loges écossaises lui étaient antérieures, mais encore ce sont les loges anglaises qui, nées au 14ème siècle, furent les premières loges franc-maçonniques du monde), mais très exactement comme une référence à sa primauté absolue dans la tradition rituelle du « Mot de maçon » qu’elle élabora et fut par conséquent la première à transmettre aux autres loges d’Écosse puis à l’Angleterre et enfin au monde ;

    2. que la Loge de Kilwinning transmit le « Mot de maçon » d’abord aux loges calvinistes comme elle (la plus ardente étant celle de Perth, qui fut probablement la première à recevoir de la Loge de Kilwinning le « Mot de maçon » peu de temps après la création de ce dernier vers 1628 – 1637) ;

    3. et que les autres loges d’Écosse n’adoptèrent le rite calviniste du « Mot de maçon » élaboré et transmis par la Loge de Kilwinning que lorsqu’elles furent composées d’une majorité de calvinistes, et encore de calvinistes covenantaires, précision qui nous amène à examiner la chronologie de la diffusion du rite calviniste du « Mot de maçon » dans les loges écossaises du 17ème siècle.

    Le rite calviniste du « Mot de maçon », qui se trouve d’abord attesté implicitement à Kilwinning (1658) et explicitement à Perth deux fois (1638 à comprendre comme 1628 – 1637 ; et 1658), fut élaboré à Kilwinning entre 1628 et 1637.

    Il ne s’est donc diffusé dans d’autres loges calvinistes qu’après 1628 – 1637. Etant donné qu’en qualité de rite spécifiquement calviniste, il n’a pu être transmis dans l’Écosse du 17ème siècle qu’à des loges calvinistes covenantaires, on peut en déduire que c’est le Covenant de 1638 qui, en uniformisant la vie religieuse d’Écosse sur le modèle presbytérien, et en renforçant ainsi le rattachement des écossais au calvinisme, favorisa la propagation du rite calviniste du « Mot de maçon » dans les autres loges d’Écosse.

    Cependant cette diffusion fut progressive. Lorsqu'en 1641 le calviniste Robert Moray fut accepté comme Maçon par les Maçons d’Edimbourg dans la ville anglaise de Newcastle on Tyne alors occupée par l’armée calviniste d’Écosse, l’examen de la minute d’Edimbourg rendant compte de sa Réception semble indiquer qu’il fut reçu non pas au rite calviniste du « Mot de maçon » (qui était trop récent pour avoir été déjà transmis par la Loge de Kilwinning à la Loge d’Edimbourg) mais selon l’ancien rite anglican des loges opératives, comme tend à le confirmer le fait qu’il fit enregistrer sa marque de Maçon accepté. Ce caractère progressif, c’est-à-dire lent, de la transmission du « Mot de maçon » par la Loge de Kilwinning aux autres loges calvinistes d’Écosse apparaît dans le fait que c’est seulement en 1649 que des calvinistes recommandèrent à plusieurs presbytères d’essayer le « Mot de maçon ». De même, c’est seulement en 1660 qu’un membre de la Loge de Canongate près d’Edimbourg affirma connaître, pratiquer et désirer transmettre à son Apprenti le « Mot de maçon ».

    La pratique du « Mot de maçon » n’est attestée dans la Loge d’Aberdeen qu’en 1670. C’est seulement en 1677 qu’en se séparant de la Loge de Canongate, certains Maçons calvinistes, en créant à Canongate une seconde loge qu’ils demandèrent à la loge calviniste de Kilwinning de patronner, se mirent à adopter et à pouvoir pratiquer le rite calviniste du « Mot de maçon ». Cette précision confirme le caractère spécifiquement et explicitement calviniste du « Mot de maçon » : c’est en 1697 que les seigneurs catholiques Sinclair de Roslin furent dits « obligés de recevoir le Mot de maçon ».

    Une minute du livre de la Loge de Haughfoot montre qu’en 1702 celle-ci, dont l’histoire nous a conservé une partie d’un catéchisme symbolique, avait adopté le rite du « Mot de maçon » ; il est en effet parlé « of entrie as the apprentice did. Leaving out... they then whisper the word as before, and the master mason grips his hand in the ordinary way ». Le rituel du « Mot de maçon » de la loge date de 1710, soit de l’année qui suivit le départ de James Anderson pour Londres.

    Et enfin il semble qu’en 1721 la Loge Mary’s Chapel d’Édimbourg pratiquait le rite du « Mot de maçon » puisque cette année-là elle reçut Jean-Théophile Desaguliers en des termes qui semblent faire référence au « Mot de maçon » ; en effet lorsqu’une minute du livre de « Mary’s Chapel » indique au sujet de Desaguliers que les Frères de la Loge « le trouvant qualifié dans tous les points de la maçonnerie, le reçurent comme un frère dans leur société », elle utilise l’expression « all points » (« tous les points ») qui renvoie aux différents points précisément nommés « points » dans les premiers catéchismes symboliques.

    Cinq documents attestent ainsi le rapport étroit qui exista entre l’Église réformée presbytérienne d’Écosse et l’apparition du « Mot de maçon ». De tout ce qui précède on peut déduire que le « Mot de maçon » fut élaboré en Écosse par des Francs-maçons acceptés de confession calviniste, et que c’est dans la triple conception réformée du temple (temple compris comme temple de Salomon, figure du corps de Jésus-Christ constitué par l’ensemble des membres de la communauté chrétienne) qu’ils puisèrent l’idée du « Mot de maçon ».

    Mais si tout ceci nous permet de mieux comprendre le sens spirituel que la référence au Temple de Salomon revêtit pour les Maçons calvinistes d’Écosse au 17ème siècle, il n’a pas encore été possible de rendre compte de la nécessité historique qui poussa les Maçons acceptés et calvinistes d’Écosse à élaborer ce « Mot de maçon » tel qu’il fut (c’est-à-dire un mot de reconnaissance et par conséquent un mot de passe emprunté au nom des deux Colonnes du Temple de Salomon, tout cela dans le cadre spécifique d’une loge composée de maçons opératifs et de maçons acceptés).

     

    Les Sinclair

    Les origines des Sinclair

    En 876, Rollon, le fils de Roginvald le Tout Puissant, remonta la Seine et pilla la région alentour. Pour faire la paix, Charles, Roi de France, lui donna des provinces au nord de la France et le traité fut signé au château de Saint-Clair-sur-Epte d'où les Saint Clair (Sinclair) tirent leur nom.

    La conquête normande

    Guillaume le Conquérant, le cousin des Saint Clair, reçut de vastes domaines en Angleterre à la suite de la bataille de Hastings. Il y avait des Saint Clair en Écosse bien avant la conquête normande. En 1057, le Roi donna à Guillaume de Saint Clair, un terrain nommé Rosslyn qui appartient à la famille depuis ce temps-là.

    Succès écossais et relations avec les Templiers

    Les Saint Clair, associés aux Chevaliers du Temple, participèrent aux croisades de Jérusalem. Après la suppression de l'Ordre des Chevaliers du Temple par le Pape, les Sinclair permirent à l'Ordre d'établir son quartier général dans le domaine de Rosslyn.

    Bannockburn et le cœur de Bruce

    A la bataille de Bannockburn en 1314, les Chevaliers du Temple, menés par Sir Guillaume de Saint Clair et deux de ses fils, vainquirent l'armée anglaise. Les Chevaliers du Temple commémorent toujours cette victoire le jour de la fête de la Saint-Jean à Bannockburn.

    Deux Saint Clair allèrent chercher le cœur de Robert Bruce mort en Espagne, afin de le ramener en Écosse pour l'ensevelir. Les Maures les attaquèrent et les tuèrent à leur retour. Cependant, le courage de ces deux chevaliers écossais les impressionna tellement qu'ils autorisèrent le rapatriement en Écosse des deux cadavres ainsi que le cœur de Robert Bruce.

    Le Nouveau Monde

    En 1389, Henri de Saint Clair, comte des Orcades et prince de Norvège, partit pour le nouveau monde avec 200 hommes armés et 12 navires remplis de canons. Ils naviguèrent jusqu'en Nouvelle Écosse où Henri fonda une colonie. D'autres preuves de voyages d'Henri de Saint Clair vers le nouveau monde, datant d'une époque avant la naissance de Christophe Colomb, se trouvent dans la chapelle de Rosslyn.

    Le comté de Caithness

    En 1455, le comté de Caithness fut donné à Guillaume de Saint Clair des Orcades. Depuis ces temps-là, beaucoup de Sinclair sont devenus célèbres et particulièrement Sir John Sinclair d'Ulster, premier président de la Chambre d'Agriculture à l’époque de Pitt ; le chef d'Escadron Arthur de Saint Clair qui, pendant la guerre d'Indépendance des États-Unis, fut le conseiller de confiance du Général Washington.

     

    La Chapelle Rosslyn (Rosslyn Chapel)

    La Rosslyn Chapel ou Chapelle de Rosslyn (anciennement nommée Collégiale de Saint Mathieu) est une église catholique qui fut construite au 15ème siècle à coté du petit village de Roslin, dans le Midlothian [2] en Écosse.

    Elle fut dessinée par des architectes qui avaient aussi consulté Sir William Sinclair (orthographe alternative « Sainteclaire / Saintclair / Sinclair / St Clair ») de la famille Sinclair [3], une famille écossaise noble descendante d'une famille normande. La construction de la chapelle commença vers 1440 – bien que la date officielle de fondation soit 1446 – et s'acheva quarante ans plus tard.

    Les fouilles réalisées au 19ème siècle prouvent que la chapelle faisait partie autrefois d’un ensemble plus grand, dont la construction aurait été interrompue à la mort de William Sinclair.

    La chapelle de Rosslyn ressemble presque exactement au chœur de la cathédrale de Glasgow, beaucoup plus grande mais aussi plus ancienne.

    La petite chapelle de Rosslyn est connue à cause de la complexité de sa décoration et par les histoires fantastiques qui y ont été attachées. Par exemple :

    1. Ses deux piliers ont des sculptures différentes. La légende veut que le maître maçon entama la réalisation de ce qu'on nomme aujourd'hui le pilier de l'Apprenti, jusqu'au jour où se sentant incapable de le terminer, il partit en voyage d'études à Rome afin d'améliorer ses compétences. Pendant son absence, son apprenti termina lui-même l'œuvre, ce qui déclencha la colère du maître-maçon qui tua l'apprenti.

    2. Des Francs-maçons pensent y voir les piliers de Boaz et Jachin du Temple de Jérusalem. La chapelle est soutenue par 13 piliers, un quatorzième pilier entre ceux de l’avant dernière paire crée une séparation entre la nef et la chapelle de la Vierge.

    3. De plus, de nombreux archéoastronomes [4] pensent que des coordonnées géographiques islandaises (d’où les Saint Clair pourraient être originaires) sont sculptées sur les murs mais également dans toute la Grande-Bretagne.

    En réalité, la petite chapelle de Rosslyn existait pour permettre aux chanoines et aux deux petits garçons qui y chantait avec eux, de prier jour et nuit, et de dire la messe catholique.

     

    Mary's Chapel

    1599 est la date des premières Minutes (procès-verbaux des réunions) de Mary's Chapel, qui apparaissent être ainsi les plus anciennes Minutes de Loge du monde.

    C’est pourquoi la plus ancienne Loge maçonnique connue dont on puisse clairement établir qu'elle était structurellement distincte de la corporation locale de maçons opératifs (à laquelle elle restait cependant adossée) fut celle de Mary's Chapel, fondée en 1599 sous l'autorité de William Saint Clair, à Édimbourg en Écosse.

    Comme elle, la plupart des toutes premières loges maçonniques distinctes des corporations sont écossaises et créés sous le régime des statuts dits « Statuts Shaw ». Elles sont jalouses de leur indépendance et pratiquent :

    • soit l'ancienne cérémonie d'admission datant des corporations et connue sous le nom de « Rite des Anciens Devoirs » ;

    • soit, à partir des années 1630 et en milieu presbytérien, un rituel d'initiation fort simple avec transmission d'un « secret » connu sous le nom de « Rite du Mot de maçon ».

    Ces deux rites sont comparables à ceux qu'on peut trouver dans d'autres corporations ou confréries de métiers de l'époque, telle que, par exemple, celle des francs-jardiniers. Toutefois, la prééminence donnée dans la société de l'époque au métier de maçon, leur réputation et celle de leur rituel attirèrent dans leurs rangs, surtout à partir de 1670, d'assez nombreux gentilshommes et bourgeois. Assez souvent ceux-ci, après avoir reçu l'initiation maçonnique, continuaient à se passionner pour le sujet mais fréquentaient assez peu les réunions ordinaires de leurs loges.

     

    Considérations sur la survivance de l’Ordre du Temple en Ecosse

    Rappelons que l’Ordre des Chevaliers du Temple ou tout simplement l'Ordre du Temple était un ordre religieux et militaire international issu de la chevalerie chrétienne du moyen âge. Ses membres ont été appelés plus simplement « les Templiers ».

    Cet ordre fut créé le 13 janvier 1129 à partir d'une milice appelée « les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon ». Il œuvra pendant les 12ème et 13ème siècles à l'accompagnement et à la protection des pèlerins pour Jérusalem dans le contexte de la guerre sainte et des croisades. Il participa activement aux batailles qui eurent lieu lors des croisades et de la reconquête. Afin de mener à bien ses missions et notamment d'en assurer le financement, il constitua à travers toute l'Europe chrétienne et à partir de dons fonciers, un réseau de monastères appelés commanderies. Cette activité soutenue fit de l'ordre un interlocuteur financier privilégié des puissances de l'époque, le menant même à effectuer des transactions sans but lucratif avec certains rois ou à avoir la garde de trésors royaux.

    Après la perte définitive de la Terre sainte en 1291, l'ordre fut victime de la lutte entre la papauté et Philippe le Bel et fut dissous par le pape Clément V le 22 mars 1312 à la suite d'un procès en hérésie. La fin tragique de l'ordre mena à nombre de spéculations et de légendes sur son compte.

    La fin de l'Ordre du Temple fut si brutale que d’aucuns imaginèrent qu’il se prolongea après sa dissolution en 1314. Un certain nombre de Templiers ayant survécu, d’aucuns n’hésitèrent pas à supposer que Jacques de Molay avait eu le temps de transmettre son titre avant sa tragique fin.

    En ce qui concerne les survivances de l’Ordre du Temple, sont généralement citées la filiation de Beaulieu, la filiation d’Aumont, la filiation Larmenius et la filiation de Geoffroy de Gonneville. Seules la filiation d’Aumont nous amène à la Franc-maçonnerie écossaise !

    La filiation d'Aumont

    Au soir du 18 mars 1314, Pierre d'Aumont, précepteur d'Auvergne et sept autres chevaliers déguisés en maçons auraient récupéré les cendres de Jacques de Molay et juré de venger l'Ordre. Pierre d’Aumont se serait alors réfugié en Écosse, sur l'île de Mull où il aurait été désigné comme nouveau Grand Maître de l'Ordre le 24 juin 1315. Pierre d'Aumont paraît aux côtés du roi Robert Bruce dans sa lutte contre les Anglais. Ce noyau de Templiers serait à l'origine de la constitution de la loge maçonnique Heredom [5] ou « Sainte Maison ».

    Une tradition maçonnique affirme que « Kilwinning », la Loge écossaise la plus ancienne, a été fondée par le roi d’Ecosse Robert Bruce après sa victoire sur les Anglais, et qu’elle accueillait des Templiers qui s’étaient enfuis de France.

    Sous la conduite du dernier Grand Maître clandestin, Pierre d'Aumont, et sous la protection du roi Robert Bruce, les chevaliers Templiers se seraient regroupés dans l'Ordre de Saint André du Chardon qu'ils associèrent au « Rite écossais », ordre maçonnique déjà en place en Écosse.

    Les historiens n’ont peut-être pas assez insisté sur le fait que Philippe le Bel avait dissout les sociétés de maçons dans tout le royaume de France, juste au moment où il entreprenait les persécutions de l’Ordre du Temple. C’est donc que Philippe le Bel pouvait redouter, à juste titre, l’aide qu’auraient pu apporter ces sociétés de maçons opératifs aux chevaliers en détresse !

     

    Une filiation entre l’Ordre du Temple et la Franc-maçonnerie ?

    Par-delà le symbolisme identique, nous pouvons penser que c’est bien tout un esprit commun, une fraternité partagée qui ont sans doute uni chevaliers et maçons. Les maçons ne seraient-ils pas somme toute les héritiers légitimes des chevaliers ?

    La symbiose entre Templiers et Maçons ne fait plus aucun doute pour tous les historiens et maçonnologues sérieux, même si les preuves en sont absentes !

    Pour Jean Tourniac, les liens étroits existant entre Templiers et maçons « n’ont pu s’effacer à la dissolution du Temple ». « L’Ordre du Temple était le plus grand fournisseur des travaux de la corporation et la protégeait, lui accordait franchise dans ses terres, places et dépendances. Comment la corporation des maçons aurait-elle pu l’oublier et refuser asile au moment de la tragédie du 14ème siècle ? ».

    Jean Tourniac pense que les Templiers ont « enfermé dans de nouvelles structures le trésor de leurs symboles et le souvenir de leur chevalerie ».

    Paul Naudon est lui aussi convaincu que les communautés de francs-métiers créées sous l’égide des Bénédictins et des Templiers n’ont pas disparu avec l’Ordre du Temple et que l’action du Temple sur la maçonnerie opérative fut décisive.

    L’héritage templier dans la Franc-maçonnerie s’est manifesté non seulement dans une transmission des pratiques et vertus du Temple – l’équité, la tolérance, la générosité – mais plus encore par l’infusion des grands principes de la Chevalerie et leur aboutissement logique : le rêve d’une grande fraternité universelle. La Chevalerie n’est-elle pas l’expression du Temple universel et ne travaille-elle pas pour le Dieu unique ?

    Une fois condamné, il fallait bien que l’Ordre du Temple ait choisi un héritier de ses secrets. Le meilleur héritier n’était-il pas celui qui possédait déjà en propre d’autres secrets et savait les garder jalousement, c’est-à-dire les maçons libres ?

     

    Conclusions

    Les auteurs du documentaire « La clé écossaise » ont osé poser des questions essentielles que tout Franc-maçon devrait se poser au sujet de la Franc-maçonnerie et de ses origines. En guise de réponses, ils ont mis en lumière et puisé dans les recherches effectuées par l’historien Robert Cooper à partir de 1988 (c’est-à-dire il y a déjà vingt ans) et dans les travaux de David Stevenson entrepris il y a une trentaine d’années.

    L'effet de la diffusion à la télévision de ce documentaire pourrait avoir des répercutions importantes sur le regard du monde profane sur l'institution, au point aussi d'augmenter considérablement le nombre de postulants à la porte du temple.

    Il va falloir intégrer la « clef écossaise », mais il y aura déjà une chose acquise, c'est que la réalité historique ne pourra plus être ignorée ni détournée lorsqu'il sera question des fondements de la maçonnerie dite « spéculative ».

    Le puzzle devenant de plus en plus lisible, c'est aussi la crédibilité du système dans son entier qui y gagne et donc bien entendu : l'invisible « Franc-maçonnerie Universelle ».

    Le reportage a eu l'intelligence de ne pas se disperser. Il a traité d'un point fondamental : les liens avérés entre la Franc-maçonnerie d'Écosse et les pères des constitutions d'Anderson, James Anderson et Jean Théophile Desaguliers.

    Après l'immense succès de la diffusion de ce documentaire en Belgique, on peut s'attendre à un second numéro qui devrait traiter de la suite historique, du développement au 18ème siècle, de la Grande Loge d'Écosse et nous rapprocher un peu plus de la Franc-maçonnerie contemporaine.

     

     R:. F:. A. B.

     

    [1] Robert 1er d'Écosse, Robert de Brus (en normand), Roibert a Briuis (en Écossais méd.), Robert the Bruce ou Robert Bruce (en anglais moderne) (Château de Cardoss, 11 juillet 1274 – 7 juin 1329), comte de Carrick, est roi d'Écosse de 1306 à 1329. Il appartient à la maison Bruce.

    [2] Le Midlothian (Meadhan Lodainn en écossais) est une des 32 divisions administratives de l’Écosse. Le Midlothian est frontalier avec les Scottish Borders, l’East Lothian et la ville d’Édimbourg.

    C’était auparavant un comté entre le West Lothian à l’ouest, le Lanarkshire et le Peebleshire au sud, le Berwickshire et l’East Lothian à l’Est. Il comprenait alors la ville d’Édimbourg et était parfois appelé Edinburghshire.

    [3] La famille Sinclair est une famille écossaise d'origine normande. Sinclair devint le nom du clan écossais qui lui est rattaché, et dont font partie les Rosslyn et les Caithness.

    Le nom est orthographié de différentes façons, suivant les époques et les usages. Le nom original de Saint-Clair a évolué en Saint Clare après l'arrivée en Écosse puis Sinclair à partir de la fin du 16e siècle lorsque deux branches sont apparues. Les Caithness adoptèrent la forme Sinclair. Les Rosslyn préfèrent encore l'ancienne forme de Saint Clare ou parfois St. Clair. Sinclair est néanmoins la forme la plus courante et celle utilisée dans la Scottish Clan and Familly Encyclopedia et dans le Webster's New biographical Dictionnary.

    [4] L'archéoastronomie résulte de la combinaison d’études astronomiques et archéologiques. Elle revêt deux facettes : d’une part elle cherche à expliquer les observations astronomiques passées, à la lumière des connaissances actuelles ; d’autre part, associée à des études archéologiques et ethnologiques, elle tente d’interpréter et de préciser un possible usage astronomique de constructions anciennes tels que les mégalithes ou les géoglyphes de Nazca. Dans un contexte inverse, elle peut contribuer à l'astronomie ordinaire qui peut trouver dans des textes anciens des mentions d'événements astronomiques.

    [5] La Franc-maçonnerie, qui serait née en Écosse, et plus exactement à Kilwinning d'Heredom, a peut-être vu le jour sur une colline, haut lieu sacré et spirituel qu'est Heredom. Le mot « Heredom » reste énigmatique. Des tas d'interprétations ont été données mais aucune n'est satisfaisante. Cette colline existe bien, et certains pensent qu'il s'agit d'une colline artificielle élevée par une ancienne culture. Sur place en Écosse, aucune colline ne porte ce nom, mais en revanche il existe un Mont Greenan, qui est selon toute vraisemblance la colline d'Heredom.  C'est une tradition très ancienne qui transmet ce nom, et non celui de la toponymie, pourtant déjà elle-même fort ancienne… Cela signifie qu'Heredom appartient à une langue antique, qui existait en ces lieux.

     


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  •  Le culte de Mithra 

    Introduction

    La plupart des chrétiens célèbrent Noël le 25 décembre, date de naissance de Jésus-Christ. D'autres croyants fêtent Noël le 6 janvier car ils pensent que c'est la date correcte. En l'an 354, quelques églises occidentales, y compris celle de Rome, ont commencé à fêter la naissance du Christ le 25 décembre. Mais pourquoi avoir choisi cette date pour les célébrations ? La réponse à cette première question semble se trouver dans le culte de Mithra.

    En effet, c’est le 25 décembre, qui coïncide à peu près avec le solstice d’hiver, que l’on commémorait la naissance de Mithra. Les 16 de chaque mois étaient également des dates sacrées. Les adeptes de Mithra louaient également le dimanche, jour du Soleil.

    D’où les questions suivantes : qui était Mithra ? Qu’est-ce que le mithraïsme ? Quelles sont ses rapports avec le christianisme ? Comment se présentait le culte de Mithra et quelle est son origine, son histoire ? Quels sont ses principes ? Que sait-on des rites pratiqués et des différents niveaux d’initiation ?

    Qui était Mithra ?

    Mithra, ange de la lumière, était un serviteur du dieu suprême Ahura Mazda (Ormuzd) et l'intercesseur des hommes auprès de lui.

    Cette religion était très austère : les initiés étaient soumis à des épreuves, puis baptisés par aspersion avec le sang d'un taureau sacrifié (taurobole) pour devenir frères d'armes. Les prêtres enseignaient que, par la pratique de certains rites de purification, d'abstinence et de communion, il était possible de participer à la nature des astres lumineux et immortels.

    Le dieu Mithra est généralement représenté sous les traits d'un jeune homme coiffé d'un bonnet phrygien et vêtu d'un manteau flottant, d'une tunique courte et d'un pantalon oriental. Il poignarde un taureau qu'il a terrassé.

    * Le culte de Mithra

    Puisque le 25 décembre était son anniversaire, on continua à le célébrer à cette date qui coïncidait avec le solstice d’hiver. Au 4ème siècle, pour enrayer ce culte païen, l'Eglise chrétienne prit une mesure très astucieuse pour célébrer la naissance du Christ et perpétuer les traditions existantes : elle avança la fête de la naissance du Christ du 6 janvier au 25 décembre !

    Remarquons que le choix du 25 décembre par les Romains pour le solstice d'hiver est dû à une erreur commise lors de la réforme du calendrier romain.

    Les deux anniversaires représentaient donc des choses différentes selon les traditions. Les adorateurs de Mithra prirent le nom de « Soldats de Mithra ».

    Qu’est-ce que le mithraïsme ?

    Le mithraïsme ou culte de Mithra est un culte à mystères qui est apparu probablement pendant le 2ème siècle avant Jésus-Christ dans la partie orientale de la Méditerranée. Il se répandit d'abord en Asie Mineure, en Égypte puis il s'est diffusé pendant les siècles suivants dans tout l'Empire romain. Il y fut apporté par les légions romaines puis il passa en Gaule, en Germanie et en Espagne. Il a atteint son apogée durant les 3ème et 4ème siècles, époque pendant laquelle il devint un concurrent important du christianisme.

    Le culte de Mithra eut une implantation particulière auprès des soldats romains. Adapté au goût romain, la forme la plus populaire du mithraïsme était le « Sol Invictus », le soleil irrépressible, dont la renaissance est célébrée à l'apogée du saturne le 25 décembre. Le mithraïsme était principalement une religion de soldat, privilégiant les vertus de fidélité, virilité, et courage. Elle fut adoptée par Rome à partir du panthéon gréco-romain et devint la religion officielle de l'empire Romain en l'an 300. À ce moment-là, dans chaque ville et village, dans chaque garnison et avant-poste militaire de la Syrie à la frontière écossaise, on pouvait trouver un mithraeum et des prêtres officiants la religion.

    En fait, le mithraïsme, principale religion romaine et perse a été remplacée par le christianisme sous le règne de l’empereur Constantin en 312 après Jésus-Christ. Après la conversion de Constantin au christianisme, le mithraïsme déclina et perdit son statut de religion d'état. Trente ans plus tard, Theodosius rendit le culte de Mithra punissable de la peine de mort. Comme toutes les religions païennes, il fut déclaré illégal en 391.

    Célébré dans des cryptes où les fidèles se réunissaient pour des banquets sacrés, le culte de Mithra s'accompagnait d'images, peintes ou sculptées, qui évoquaient le geste de Mithra, serviteur du Bien. Ainsi rappelait-on le sacrifice du taureau céleste dont le sang était source de vie, sacrifice que renouvelaient périodiquement les disciples du dieu.

    Le culte de Mithra

    Le mithraïsme était alors une religion concurrente du christianisme. Son culte était surtout très populaire dans les armées, ce qui engagea une rivalité farouche entre les croyants des deux religions, à tel point que l'Église dut faire de nombreuses concessions au culte païen de Mithra. Nous savons aujourd'hui, par exemple, que c'est parce que l’anniversaire de Mithra se célébrait aux alentours de l'actuel solstice d'hiver que l'on fête Noël le 25 décembre.

    Dans la Rome païenne avaient lieu les « Saturnales », du 17 décembre aux « Calendes » de janvier (premier jour de l'An romain). L'une des fêtes, « Natalis Invicti » (Nativité du Soleil Invincible) ou « Sol Invictus » (Dieu Invaincu), célébrait justement Mithra, dieu de la lumière, symbolisant la pureté, la chasteté et combattant contre les forces obscures. Le 25 décembre, on fêtait la naissance de Mithra, le soleil invaincu (Dies natalis solis invicti) par le sacrifice d'un jeune taureau.

    * Le culte de Mithra

    Religion initiatique à mystères, le mithraïsme rend un culte au taureau. Ce type de culte a cependant des origines très anciennes en Europe et remonte très certainement au paléolithique supérieur ou à l'épipaléolithique. La corrida en Espagne et dans le monde hispanique en est une lointaine survivance.

    Mithra, qui s'est créé lui-même à partir de la roche des cavernes, est à la fois primogenitur et autogenitur. Son premier exploit, la tauroctonie, fut de vaincre, à peine né, un tore aussi furieux que puissant.

    Lors de l’initiation, les adeptes, au cours d’agapes, s'aspergeaient du sang du taureau sacrifié et se traçaient réciproquement une croix de cendres sur le front et le dos des mains. Le myste descendait probablement dans une fosse au-dessus de laquelle était sacrifié l'animal, son sang retombant ainsi sur lui. Le rituel se déroulait dans des lieux à l'écart et de préférence dans des grottes, les mithreae.

    Il semble que la Franc-maçonnerie se soit inspirée de nombreux rites et mythes d'origine mithriaque. Certains ont aussi pensé que le culte Mithra a pu inspirer la religion chrétienne.

    Les origines du culte de Mithra

    Les origines

    Mithra est une divinité indo-iranienne dont on peut faire remonter l'origine au second millénaire avant Jésus-Christ. Son nom est mentionné pour la première fois dans un traité entre les Hittites et les Mitanniens, signé vers 1400 avant Jésus-Christ. En Inde, Mithra figurait dans les hymnes védiques comme dieu de la lumière, associé à Varuna.

    A l’origine, Mithra était une déité solaire indoue également adorée par les Perses. Alors qu’en Inde, Mitra (sans « h ») est identifié en tant que « Dieu de lumière merveilleuse » et allié d'Indra, le roi du ciel, Mithra est prié avec Varuna, le dieu de la loi morale et de la vérité. Conjointement connus en tant que « Mitra-Varuna », ensemble ils maintiennent l'ordre dans le monde tout en voyageant dans leur char magique : « Ces dieux sont la toute-puissance du soleil. Ils sont nobles et nous rendent pleins de vigueur ». (Veda vii.65)

    Le culte de Mitra s'est ensuite propagé à l'ouest de la Perse (Iran) et vers l'est de la Chine. Avec l'expansion rapide de l'empire persan, le culte de Mitra s'est propagé rapidement vers l'Europe. « Mithra » apparaît également dans le Zoroastrian Avesta, le scripte indou. Il explique le monde en termes de dualité et de principe d'opposition, un bon côté (représenté par la lumière) et un autre côté, celui du mal et de l'obscurité. Les êtres humains doivent choisir leur camp et sont en perpétuel conflit entre les deux forces, Mithra étant considéré comme le médiateur le plus puissant, pouvant aider les humains à écarter les attaques des forces démoniaques. Mithra est encore vénéré en Iran (comme le dieu antique du soleil) et en Chine où la mythologie chinoise voit Mithra comme chef d'une armée de statues érigées en son honneur.

    Dans l'Avesta iranien c'est un dieu bénéfique, collaborateur d'Ahura Mazda. Il reçoit aussi le surnom de « juge des âmes ». Il est possible que son culte soit arrivé dans l'Empire romain depuis l’Iran grâce à la diffusion du zoroastrisme dont il serait une forme d’hérésie.

    Cependant, les études actuelles tendent à considérer qu'on ne peut pas admettre un lien de parenté direct entre le Mitra indo-iranien et le mithraïsme, du fait de l'utilisation de la forme grecque « Mithra » au lieu de « Mitra » pour le différencier.

    Dans la Perse achéménide la religion officielle était le zoroastrisme, qui postulait l'existence d'un dieu unique, Ahura Mazda. C'est l'unique divinité mentionnée dans les inscriptions conservées de l'époque de Darius 1er (521 – 485 avant Jésus-Christ).

    Cependant, il existe une inscription conservée, à Suse, de l'époque de Artaxerxès II (404 – 358 avant Jésus-Christ), sur laquelle est représenté Mithra aux côtés de Ahura Mazda et d'un autre dieu appelé Anahite.

    Existe-t-il un lien entre ce Mitra persan, ses prédécesseurs indo-iraniens, et Mithra du culte à mystères de l'Empire Romain ? Ainsi le pensait celui qui commença les études sur la religion mithraïque, Franz Cumont. Mais aujourd'hui la question est loin d'être résolue.

    Dans les royaumes de Parthie et du Pont, un grand nombre de rois portaient le nom de Mithridate (par exemple Mithridate VI), ce qui peut être en relation étymologique avec Mithra. D'un autre côté, à Pergame, en Asie mineure, des sculpteurs grecs ont produit les premiers bas-reliefs représentant l'image du Taurobole. Alors que le culte de Mithra commençait seulement à se diffuser en Hellade, tout ceci marque peut-être le chemin de Mithra vers Rome.

    La première référence dans l'histographie gréco-romaine au culte de Mithra se trouve dans l'œuvre de l'historien Plutarque qui mentionne que les pirates de Cilicie célébraient des rites secrets en relation avec Mithra en 67 avant Jésus-Christ.

    Le mithraïsme dans le Haut Empire romain

    Il est probable que ceux qui ont introduit le mithraïsme dans l'Empire romain étaient des légionnaires qui avaient exercé aux frontières orientales de l'Empire.

    Les premières preuves matérielles du culte de Mithra datent des années 71 et 72 de l'ère chrétienne : il s'agit d'inscriptions faites par des soldats romains qui venaient de la garnison de Carnuntum, dans la province de Pannonie Supérieure, et qui probablement étaient allés avant en Orient, en guerre contre les Parthes et rétablir l’ordre à Jérusalem où des émeutes avaient eu lieu.

    Vers l'année 80, l'auteur romain Stace mentionne la scène de la tauroctonie dans sa « Thébaïde » (I, 719 – 720). Plutarque, dans sa « Vie de Pompée », dit clairement que le culte de Mithra était déjà connu à son époque.

    À la fin du 2ème siècle, le mithraïsme était largement diffusé dans l'armée romaine, comme chez les bureaucrates, les marchands et même chez les esclaves.

    La majeure partie des preuves archéologiques vient des frontières germaines de l'Empire. De petits objets de culte en relation avec Mithra furent trouvés dans des fouilles depuis la Roumanie jusqu'au Mur d’Hadrien.

    Le mithraïsme pendant le Bas Empire

    Les empereurs du 3ème siècle étaient en général des protecteurs du mithraïsme, parce qu'ils utilisaient sa structure très hiérarchisée pour renforcer leur propre pouvoir. Ainsi, Mithra s'est reconverti en symbole de l'autorité et du triomphe des empereurs. Depuis l'époque de Commode, qui s'initia au culte, les adeptes du mithraïsme provenaient de toutes les classes sociales.

    Un grand nombre de mithreae ont été découverts dans les garnisons des frontières de l'Empire. En Angleterre on en identifia au moins trois, le long du Mur d'Hadrien, à Housesteads, Carrawburgh et Rudchester. Des restes d'autres mithraea furent retrouvés à Londres.

    D'autres sanctuaires de Mithra, érigés à cette époque, se trouvent dans la province de Dacie (où on retrouva en 2003 un mithraeum à Alba-Tulia), ainsi qu'en Numidie, dans le nord de l'Afrique.

    Cependant la plus grande concentration de mithreae se trouve à Rome même et près d'Ostie, avec un total de douze temples identifiés, alors qu'il se peut qu'il en existe plusieurs centaines. On peut juger de l'importance du mithraïsme à Rome aux découvertes archéologiques : plus de 74 sculptures, une centaine d'inscriptions et des ruines de temples et de sanctuaires dans toute la ville et sa périphérie. Un des mithreae les plus représentatifs, dont l'autel et les bancs de pierre existent toujours, fut construit sous une maison romaine (ce qui apparemment était une pratique habituelle) est encore visible dans la crypte sur laquelle fut construite la Basilique Saint-Clément à Rome.

    Fin du mithraïsme

    À la fin du 3ème siècle, un syncrétisme s'est produit entre la religion mithraïque et certains cultes solaires de provenance orientale qui cristallisèrent dans la nouvelle religion du Sol Invictus « soleil invaincu ».

    Cette religion devint officielle dans l'Empire en 274 grâce à l'empereur Aurélien qui érigea à Rome un splendide temple dédié à la nouvelle divinité et créa un corps de clergé d'état pour assurer le culte, dont le dirigeant s'appelait pontifex solis invicti. Aurélien attribuait au Sol Invictus ses victoires en Orient.

    Ce syncrétisme cependant ne sonna pas la fin du mithraïsme qui continua à exister comme culte non officiel. Un grand nombre des sénateurs de l'époque pratiquaient en même temps le mithraïsme et la religion du Sol Invictus.

    Cependant, cette période marque le début de la décadence du mithraïsme, à cause des pertes de territoires que l'Empire subissait suite aux invasions de peuples barbares qui affectaient des territoires frontaliers où le culte était très enraciné.

    La compétition du christianisme, appuyé par Constantin, vola des adeptes au mithraïsme. Il faut aussi prendre en compte le fait que le mithraïsme excluait les femmes alors qu'elles avaient le droit de participer au culte chrétien.

    Le mithraïsme tint tête au christianisme jusqu'au 4ème siècle, époque à laquelle il se heurta aux persécutions de l'empereur Théodose (379 – 394), dont un édit, en 391, interdit le culte païen et les sacrifices sous peine de mort. Le christianisme supplanta le mithraïsme pendant le 4ème siècle et devint la religion officielle de l'Empire sous Théodose.

    Il y eut quelques essais de redonner vie au culte de Mithra par Julien « l'apostat » (361 – 363) et par l'usurpateur Eugène (392 – 394) mais ils ne rencontrèrent pas beaucoup de succès. Le mithraïsme fut formellement interdit dès 391, alors que sa pratique clandestine s’est maintenue durant quelques décennies.

    Le mithraïsme survécut pourtant jusqu'au début du 5ème siècle dans quelques régions des Alpes et revint à la vie, tenace mais de manière éphémère dans les régions orientales de l'Empire, où il trouvait ses origines. Il eut un rôle important dans le développement du manichéisme, religion qui fut également en forte compétition avec le christianisme.

    Le mithraïsme à Rome

    Un grand nombre de sujets romains avaient adopté le mithraïsme, et plus particulièrement les soldats. À Rome, le temple de Mithra était creusé sous le mont Capitolin, les mystères mithriaques se célébrant dans une caverne, à proximité d'une source.

    Dans les camps militaires, Mithra était le dieu protecteur. La divinité indo-iranienne appelée Mitra (l'ami) en sanscrit et Mithra en avestique est décrite dans les Veda et dans l'Avesta comme étant le dieu des contrats et de la solidarité. Si son rôle est demeuré secondaire en Inde, où son culte ainsi que celui de son frère Varuna déclinèrent très vite, il n'en fut pas de même en Iran, où il prit une importance croissante et où il fut l'objet d'un culte très populaire. Ce culte, transporté hors des limites de la Perse et agrémenté d'éléments étrangers, devint le noyau d'une religion avec initiation et enseignement ésotérique, connue sous le nom de mithriacisme.

    Les adorateurs de Mithra reconnaissaient une divinité unique manifestée par la lumière des astres, surtout le Soleil, brillant et invincible, ennemi de la nuit et des démons.

    Principes du mithraïsme

    Les informations, plutôt fragmentaires, qui existent sur le culte de Mithra concernent sa pratique pendant le Bas Empire Romain. C'était un culte à mystères, de type initiatique, basé sur la transmission orale et un rituel d'initié à initié et non sur des écritures sacrées. C'est pourquoi la documentation écrite concernant le culte de Mithra est pratiquement inexistante. L'étude de cette religion est principalement basée sur l'iconographie qui décorait les mithraea.

    Le mithraeum, les mithraea

    Le culte de Mithra s'exerçait dans des temples nommés mithraeum (pluriel mithraea). Ces endroits étaient au départ des grottes naturelles, et plus tard des constructions artificielles les imitant, obscures et dépourvues de fenêtres. Ils étaient exigus, la plupart ne pouvaient pas accueillir plus de quarante personnes.

    Dans un mithraeum type on peut distinguer trois parties :

    • L'antichambre ;
    • Le spelaeum ou spelunca (la grotte), grande salle rectangulaire décorée de peintures et deux grandes banquettes le long de chaque mur pour les repas sacrés ;
    • Le sanctuaire, au fond de la grotte, dans lequel se trouvaient l'autel et l'image — peinture, bas-relief ou statue — de Mithra donnant la mort au taureau.

    Des mithraea ont été découvertes dans beaucoup de provinces de l’Empire romain. Certains furent convertis en cryptes sous des églises chrétiennes. La plus grande concentration de mithraea se trouve dans la capitale, Rome, mais on en a découvert dans des lieux éloignés les uns des autres tels que dans le nord de l'Angleterre et la Palestine. Leur diffusion géographique dans l'Empire dépendait des installations et des camps militaires.

    Mythologie et iconographie

    Il n'y a pas de textes sur le mithraïsme écrits par les adeptes eux-mêmes. Les seules sources d'information sont les images sacrées trouvées dans les mithraea.

    Récit mythique

    Selon le récit que l'on a pu reconstruire à partir des images des mithraea et les quelques témoignages écrits, le dieu Mithra naquit près d'une source sacrée, sous un arbre lui aussi sacré, près d'une pierre (la petra generatrix).

    Au moment de sa naissance, il portait le bonnet phrygien, une torche et un couteau. Il fut adoré par les pasteurs dès sa naissance. Il but l'eau de la source sacrée. Avec son couteau, il coupa le fruit de l'arbre sacré et, avec les feuilles de cet arbre, il se confectionna des vêtements.

    Il rencontra le taureau primordial quand celui-ci paissait dans les montagnes. Il le saisit par les cornes et le monta, mais, dans son galop sauvage, la bête le fit tomber. Cependant, Mithra continua à s'accrocher aux cornes de l'animal et le taureau le traîna pendant longtemps jusqu'à ce que l'animal n'en puisse plus. Le dieu l'attacha alors par ses pattes arrière et le chargea sur ses épaules. Ce voyage de Mithra avec le taureau sur ses épaules se nomme transitus.

    Quand Mithra arriva dans la grotte, un corbeau envoyé par le Soleil lui annonça qu'il devait faire un sacrifice, et le dieu, soumettant le taureau, lui enfonça le couteau dans le flanc. Du blé sortit de la colonne vertébrale du taureau, et du vin de son sang. Son sperme, recueilli par la lune, produisit des animaux utiles à l'homme. Arrivèrent alors le chien qui mangea le grain, le scorpion qui serra les testicules du taureau avec ses pinces, et le serpent.

    Certaines peintures montrent Mithra transportant un rocher sur son dos, comme Atlas dans la mythologie grecque, et/ou vêtu d'une cape dont le côté intérieur représente le ciel étoilé. Près d'un mithraeum proche du Mur d’Hadrien, on trouva une statue de Mithra en bronze sortant d'un anneau zodiacal en forme d'œuf. Elle est aujourd'hui conservée à l'Université de Newcastle. Une inscription trouvée à Rome suggère que Mithra pourrait s'identifier au dieu primordial de l'orphisme, Phanès, qui surgit de l'œuf cosmique à l'origine du temps, engendrant l'univers. Cette opinion est renforcée par un bas-relief du Musée d'Este, à Modène, où l'on voit Phanès surgissant d'un œuf, entouré des douze signes du Zodiaque, dans une image très similaire à celle conservée à Newcastle.

    Une des images centrales du culte de Mithra est la « tauroctonie », qui représente le sacrifice rituel du taureau sacré par Mithra. Cette représentation présente des éléments iconographiques constants : Mithra apparaît coiffé du bonnet phrygien et regarde sa victime avec compassion. Incliné sur le taureau, il l'égorge avec un couteau de sacrifice. De la blessure du taureau il sort du grain. Près du taureau figurent quelques animaux : un scorpion, qui menace de ses pinces les testicules du taureau ; un serpent ; un chien qui se nourrit du grain qui sort de la blessure. Parfois apparaissent aussi un lion et une coupe.

    L'image est encadrée de deux porteurs de torches, nommés Cautès et Cautopatès. La scène paraît située dans une espèce de grotte, qui peut être la représentation du mithraeum lui-même ou la représentation du cosmos selon d'autres interprétations.

    Interprétations

    Franz Cumont, auteur d'une étude sur la religion de Mithra, interprète cette image à la lumière de la mythologie iranienne. Il relie l'image avec des textes qui se réfèrent au sacrifice (tauroctonie) d'un taureau par Ahriman, le dieu du mal ; des restes sanglants du taureau vont naître plus tard tous les êtres. Selon l'hypothèse de Cumont, Mithra aurait été ensuite substitué à Ahriman dans le rapport mythique, et c'est sous cette forme qu'il serait arrivé en Méditerranée orientale.

    David Ulansey propose une explication radicalement différente de l'image de la tauroctonie, basée sur le symbolisme astrologique. Selon sa théorie, Mithra est un dieu si puissant qu'il est capable de transformer l'ordre même de l'Univers. Le taureau serait le symbole de la constellation du taureau. Au début de l'astrologie, en Mésopotamie, entre 4000 et 2000 avant Jésus-Christ, le Soleil était au niveau du Taureau pendant l’équinoxe de printemps. À cause de la précession des équinoxes, le Soleil se place durant l'équinoxe de printemps dans une constellation différente tous les 2160 ans à peu près. Ainsi il passa dans le Bélier vers l'an 2000 avant Jésus-Christ, marquant la fin de l’ère astrologique du Taureau.

    Le sacrifice du taureau par Mithra symboliserait ce changement, causé, selon les croyants, par l'omniprésence de leur dieu.

    Cela expliquerait aussi les animaux qui figurent sur les images de la tauroctonie : le chien, le serpent, le corbeau, le scorpion, le lion, la coupe et le taureau qui s'interprètent en tant que constellations du Petit Chien, de l'Hydre, du Corbeau, du Scorpion, du Lion, Verseau et Taureau, toutes placées dans l'équateur céleste pendant l'ère du Taureau. L'hypothèse expliquerait aussi la profusion d'images zodiacales dans l'iconographie mithraïque. La précession des équinoxes fut découverte et étudiée par l'astronome Hipparque au 2ème siècle avant Jésus-Christ.

    Une autre interprétation considère que le sacrifice du taureau représente la libération de l'énergie de la Nature. Le serpent, comme dans le symbole de l'Ouroboros, serait une allusion au cycle de la vie ; le chien représenterait l'Humanité, alimentant symboliquement le sacrifice, et le scorpion pourrait être le symbole de la victoire de la mort. Les deux compagnons de Mithra, qui portent les torches et qui s'appellent Cautès et Cautopatès représenteraient respectivement le lever et le coucher du soleil.

    Pour les fidèles, le sacrifice du taureau avait sans doute un caractère salutaire, et la participation aux mystères garantissait l'immortalité.

    La fin symbolique de Mithra se termine par un grand banquet où Apollon sur son char va emmener Mithra. Il apporte aux hommes l'espoir d'une vie au-delà de la mort, puisqu'il est accueilli au ciel par Apollon.

    Niveaux d'initiation

    Dans le culte de Mithra l’initiation comportait sept grades ou sept niveaux correspondant à une fonction rituelle et qui étaient mis en relation avec les sept planètes de l'astronomie de l'époque (la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne), selon cet ordre, d'après l'interprétation de Joseph Campbell. La majorité des membres arrivaient seulement au quatrième rang (Lion), et seulement quelques élus accédaient aux rangs supérieurs.

     Les niveaux, connus grâce aux textes de saint Jérôme qui confirment certains écrits, étaient les suivants :

    • Corax (« corbeau ») ;
    • Cryphius (κρύφιος / Krýphios, « occulte ») : d'autres auteurs interprètent ce rang comme Nymphus (« époux ») ;
    • Miles (« soldat ») : ses attributs étaient la couronne et l'épée ;
    • Leo (« lion ») : dans les rituels on présentait à Mithra les offrandes des sacrifices ;
    • Perses (« Persan ») ;
    • Heliodromus (« émissaire du soleil ») : ses attributs étaient la torche, le fouet et la couronne ;
    • Pater (« père ») : ses attributs (le bonnet phrygien, le bâton et l'anneau) rappellent ceux de l'évêque chrétien.

    Pendant les rites, les initiés portaient des masques d'animaux relatifs à leur niveau d'initiation. Le sacrifice d'un taureau peut participer à la célébration d'un nouveau niveau d'initiation d'un adepte.

    Les rites

    Pour la reconstitution des rituels mithraïques, on ne peut compter que sur les textes des Pères de l’Eglise qui ont critiqué le culte de Mithra, et sur l'iconographie retrouvée dans les mithraea.

    Les femmes étaient exclues des mystères de Mithra. Quant aux hommes, il semble qu'il n'y avait pas d'âge minimum requis, et que des enfants y furent admis. La langue utilisée dans les rituels était le grec, mélangé de quelques formules en persan (certainement incompréhensibles pour la majorité des fidèles) ; cependant le latin s'est introduit progressivement.

    Il semble que le rite principal de la religion mithraïque ait été un banquet rituel que l'on peut rapprocher d'une certaine manière de l'eucharistie du christianisme. Selon le témoignage du chrétien Justin, les aliments offerts durant le banquet étaient du pain et de l'eau. Cependant les découvertes archéologiques montrent que c'était du pain et du vin, comme dans le rite chrétien. Cette cérémonie se célébrait dans la partie centrale du mithraeum, dans laquelle deux banquets en parallèle offraient un espace suffisant pour que les fidèles pussent s'étendre, selon la coutume romaine. Les « Corbeaux » (Corax) remplissaient la fonction de serveurs des nourritures sacrées. Le rituel incluait aussi le sacrifice d'un taureau, bien qu'on sacrifiât également d'autres animaux.

    * Le culte de Mithra

    La statue de tauroctonie remplissait sans doute un rôle dans ses rites, bien que ce ne soit pas très clair. Dans certains mithraeae, on a découvert des piédestals tournants, qui peuvent montrer et cacher alternativement l'image divine aux fidèles.

    À un certain moment de l'évolution du mithraïsme, on utilisait aussi le rite du « taurobole », ou le baptême des fidèles avec le sang d'un taureau, qui se pratique également dans d'autres religions orientales.

    D'autres rites devaient être en relation avec la cérémonie d'initiation. Grâce à Tertulien, on connaît le rite de l'initiation du « Soldat » : le candidat était « baptisé », probablement par immersion. Il était marqué au fer chaud et enfin on le mettait à l'essai avec le « rite de la couronne » (le néophyte devait laisser tomber la couronne dont on l'avait coiffé, en proclamant que c'était la couronne de Mithra). A chaque niveau d'initiation correspondait un rituel.

    Une synthèse en guise de conclusion provisoire

    Mithra, le dieu solaire, trouve son origine en Inde. Mais c'est probablement en Arménie que les Romains ont récupéré son mythe et l'ont diffusé à travers tout le Vieux Continent.

    Comme le Christianisme, avec lequel il rivalisa entre le 1er siècle et le début du 4ème siècle dans l'Empire romain, le culte de Mithra est une religion du salut ; c'est aussi une religion à mystères, d'origine indo-persane, que les pirates et les mercenaires étrangers introduisirent à Rome où elle gagna rapidement la faveur des empereurs.

    Parti de la plaine de l'Indus, le culte de Mithra s'est propagé en Europe dès la fin du 1er siècle après Jésus-Christ par l'intermédiaire des Romains. Le mythe de ce dieu solaire raconte sa victoire sur le mal lors de la mise à mort d'un taureau.

    Religion de soldats et non de prêtres, le culte de Mithra avait tout pour séduire les légionnaires romains qui répandirent le culte du dieu dans l'Empire. Durant le 2ème siècle après Jésus-Christ, le culte de Mithra s'implanta dans toutes les villes de garnison, en Italie, en Gaule, en Bretagne, en Afrique et jusqu'au Danube. A Rome, l'empereur Commode et ses successeurs adoptèrent le culte de Mithra pour se concilier l'armée. Mais le culte de Mithra, si répandu dans l'armée, n'avait pas pénétré en profondeur les couches populaires.

    Aux 2ème et 3ème siècles avant Jésus-Christ, ce culte fut répandu dans tout l'Empire romain et l'empereur Aurélien en fit même la religion d'Etat. Les soldats romains, dont bon nombre vénéraient Mithra, furent les ambassadeurs de cette religion qu'ils répandirent jusque dans les provinces les plus éloignées de l'Empire.

    Au 4ème siècle, pour enrayer ce culte païen, l'Eglise chrétienne prit une mesure très astucieuse. La fête de la naissance du Christ fut avancée du 6 janvier au 25 décembre. En effet le solstice d'hiver du 25 décembre était la fête la plus importante de l'an mithraïen : on fêtait la renaissance du « sol invinctus » (dieu invaincu). L'Eglise n'hésita pas à déclarer le Christ « sol invinctus ». Au cours du même siècle, le culte de Mithra s'éteignit, laissant la place au christianisme avec lequel il présentait beaucoup de similitudes. Lorsque le christianisme s'imposa en Italie, de nombreuses églises prirent la place du mithraeum, le lieu de culte des adeptes de Mithra. Ceux-ci croyaient à la montée des âmes au ciel, à la fin des temps, avec le retour de Mithra sur le char du soleil qui devait purifier le monde par le feu.

    Les mystères de Mithra n'ont pas grand chose à voir avec le christianisme au point de vue spirituel et mystique. Le mithraïsme se base essentiellement sur des symboles et interprétations du combat de Mithra contre le taureau primordial. Par celui-ci, il libéra les âmes dans le monde et engendra les cycles de la vie. Le symbole du corbeau, messager du dieu soleil qui demande à Mithra de sacrifier le taureau, nous démontre que le mithraïsme est une forme hénothéisme oriental. Il s'appuie sur la conscience et la révélation des mystères de la vie qui font de Mithra un dieu de « lumière ».

    Plutôt que comparer le christianisme et le mithraïsme dans leurs spiritualités, il existe des similarités qui sont, elles, cultuelles. En effet, Mithra naît un 25 décembre (date du solstice), les cultes ont lieu le dimanche (jour du soleil), la représentation iconographie du « bon pasteur » est partagée par le christianisme et le mithraïsme. Plus inquiétant encore, l'eucharistie chrétienne avec le vin et le pain est pratiquée par les adeptes de Mithra. Tout indique, historiquement, que le mithraïsme influença le christianisme sur ces points.

    L'aspect le plus intéressant du mithraïsme est certainement le caractère initiatique sur lequel le culte s'appuie. Les disciples se réunissaient dans des mithraea (cavités naturelles aménagées) où la pratique rituelle s'amorçait sur une initiation graduelle.

    Ainsi le nouvel initié se voyait octroyé le grade de corax et suivaient : le nymphus, le miles, le leo, le perses, l'heliodromus et enfin le pater représentés par des masques distinctifs et symboles de leurs degrés respectifs.

    A chaque passage d'un degré à un autre, une part des « secrets » était révélée à l'initié qui subissait épreuves et voyages. Au premier degré, l'initié était baptisé par le sang d'un taureau, puis par l'eau pure et, enfin, enduit de miel. On pratiquait à des degrés divers les voyages du « chaud », du « froid », des jeûnes, etc. La liturgie était basée sur un rituel de forme et en langue grecque (déjà en usage dans la religion romaine) et empruntait autant des formules persanes qu'une vocalisation latine. On concluait évidemment le culte par des agapes frugales et fraternelles selon le terme même des initiés.

    Il est probable que le mithraïsme aurait pu s'imposer comme la religion de l'antiquité et survivre à sa rivalité avec le christianisme. Pourtant, son tort fut l'association croissante de Mithra avec la quasi-totalité des panthéons nationaux. Egalement, son exclusivité masculine à l'initiation le desservit auprès des femmes et - plus encore - chez les épouses que le christianisme ne repoussaient pas.

    Quoi qu'il en soit, le culte des mystères de Mithra pose à la société occidentale de nombreuses questions. Sur le christianisme d'abord, sur la spiritualité des sociétés païennes ensuite, sur une « mondialisation des religions » qui paraît véritable dès cette époque et, ensuite, sur ces écoles de mystères qui firent couler quantité d'encre dans les siècles qui nous précèdent.

    Trop longtemps dans l'histoire, on a minimisé l'importance du culte de Mithra et son apport dans la société occidentale. Certaines thèses avanceraient même qu'il inspira bien plus la Franc-maçonnerie que le christianisme. Les mythes fondateurs sont ce qu'ils sont, ce culte reste néanmoins intéressant tant dans sa spiritualité que par sa concurrence historique avec le christianisme.

     

    R:. F:. A. B.

     

    Bibliographie

    Burkert Walter - Les Cultes à mystères dans l'Antiquité

    Editions BELLES LETTRES - Collection « Vérité des mythes », 2003

     

    Campbell Joseph - Les masques de Dieu – Mythologie créatrice

    Livres De Pingouin, Édition de réédition, 1995

     

    Cumont Franz - Les Mystères de Mithra

    Bruxelles, 1913 (3ème édition) - Les Introuvables, 1991

     

    Cumont Franz - Les Religions orientales dans le paganisme romain

    4ème édition - Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1929

     

    Turcan Robert - Mithra et le Mithriacisme

    Les Belles Lettres, Collection Histoire, Paris, 1993

      


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