•  Les Mystères d'Eleusis 

    « Heureux qui possède, parmi les hommes de la terre,

    la vision de ces mystères. » (Perséphone et Hadès)

    * Les Mystères d'Eleusis

    Introduction

    Les mystères les plus célèbres sont sans conteste ceux de Déméter à Éleusis, bourgade attique annexée par Athènes au VIIème siècle avant notre ère. Déjà centre d’un culte dédié à la déesse de l’agriculture dès la plus haute Antiquité, Éleusis a acquis un rayonnement exceptionnel grâce aux cérémonies d’initiation qui s’y déroulaient chaque année et dont la finalité était d’assurer aux initiés le bonheur dans l’au-delà. Si les Mystères d’Éleusis étaient frappés du sceau du secret, on peut toutefois lever, au moins un peu, le voile sur les rites qui s’y déroulaient.

    La Grande Déesse Maternelle de la Terre, divinité de la fertilité et déesse des « Mystères d'Éleusis », comptait parmi les douze grands dieux olympiens.

    Dans la religion grecque antique, les mystères d’Éleusis faisaient partie d'un culte à mystères, de nature ésotérique, effectué dans le temple de Déméter à Éleusis, à 20 km au sud-ouest d'Athènes.

    Consacrés à Déméter et sa fille Perséphone, ils figurent parmi les plus célèbres et sur lesquels nous avons plus d'informations que tout autre culte grec, depuis le témoignage le plus ancien (dans l'Hymne homérique à Déméter), jusqu'à la suppression de ce culte par l'empereur romain Théodose en 393.

    Située en bordure de la mer dans la fertile plaine de Thria, Éleusis est l'un des lieux sacrés de la Grèce antique.

    La cité fut un état indépendant sous la conduite des Eumolpides, avant d'être annexé par les Athéniens au VIIème siècle avant Jésus-Christ. Les Grecs y construisirent le sanctuaire des « Grandes Déesses » dédié à Déméter, la déesse du blé, et à sa fille Korê, assimilée à Perséphone qui symbolisait la réapparition de la vie à chaque printemps.

    Les mystères, d'origine préhellénique, plongeaient leurs racines dans de vieux rites chtoniens [1] liés à la fertilité et à la fécondation de la terre. La déesse associée à la semence était Perséphone, enlevée par Hadès (Pluton). Sa mère, Déméter s'en plaignit à Zeus et menacera de détruire les récoltes s'il n'intervenait pas.

    Les Mystères d'Éleusis, peut-être sous l'influence de l'orphisme [2], deviendront une religion de salut. Le mystère central, dans chacune de ces deux sectes, était celui de la mort et de la résurrection, symbolisé par la décomposition de la graine dans la terre et sa réapparition sous la forme d'un être vivant qui s'élève vers la lumière.


    Les Mystères d'Éleusis comportaient des cérémonies d'initiation complexes qui se déroulaient en deux temps :

    1. Les candidats étaient d'abord initiés aux Petits Mystères qui étaient célébrés au printemps dans le faubourg athénien d'Agra.
    2. Ils participaient, six mois plus tard, aux Grands Mystères durant une dizaine de jours. Ils devenaient mystes après avoir été purifiés puis se rendaient en procession solennelle jusqu'au sanctuaire, en empruntant la Voie sacrée qui reliait Athènes à Éleusis. L'initiation secrète avait lieu à l'intérieur du sanctuaire, dans le Télestérion.

    Origine mythologique du culte

    Selon la mythologie grecque, Perséphone, fille de Zeus et de Déméter, fut enlevée par Hadès pour être son épouse et la reine des Enfers, alors qu'elle cueillait des fleurs dans les prairies d'Enna en Sicile. Les cultures cessèrent de croître dans les champs alors que Déméter parcourait le monde à la recherche de sa fille. Un jour, alors qu'elle errait sur les terres de Grèce sous les traits d'une vieille mendiante, elle entra dans la cité d'Éleusis et demanda l'hospitalité. Les citoyens l'accueillirent avec une grande générosité et, en reconnaissance, la déesse dévoila sa véritable identité et récompensa ses bienfaiteurs : elle leur dévoila ses mystères et la maîtrise de l'agriculture.

    Par la suite, Déméter retrouva sa fille mais elle ne put être entièrement libérée des Enfers, puisque ceux qui mangent la nourriture des morts ne peuvent retourner chez les vivants et que Perséphone avait mangé sept pépins d’une grenade (fruit associé au mariage) offerte par Hadès. Zeus décréta toutefois que Perséphone passerait huit mois de l'année sur terre durant la saison des cultures avec sa mère et le reste de l'année, pendant l'hiver, en compagnie d'Hadès.

    Le culte des Mystères

    Les rituels des Mystères étaient toujours accomplis par les prêtres de Déméter. Parmi les plus connus d'entre eux, on retrouve Céléos et son fils Triptolème, à qui Déméter avait donné la tâche d'enseigner l'agriculture et de semer le blé sur Terre.

    Ce prêtre avait aussi institué les Éleusinies, fêtes associées au culte. Parmi les autres premiers prêtres se trouvaient Dioclès, Eumolpos et Polyxène. On célébrait le culte dans le télestérion d'Éleusis.

    L'aspect principal de ce culte se construisait autour de la culture du blé et le cycle des cultures.

    Tous les initiés préservaient les secrets de la religion et croyaient fermement qu'ils connaîtraient eux aussi une vie après la mort à cause de leur initiation à ces mystères. Comme la divulgation des rites était strictement défendue et qu’aucun auteur n’a trahi ce secret, aucun écrit ne documente avec précision les cérémonies.

    L'Hymne homérique à Déméter est la principale source de données sur les rituels. Très respectés, ces mystères attiraient des visiteurs de toute la Grèce. Il existe des preuves de la pratique d'un culte sur ce site dès l'époque mycénienne : le magnifique télestérion, « salle d'initiation » qui date de l'époque de Pisistrate au 6ème siècle av. J.-C. et de nombreux bas-reliefs et sculptures qui en témoignaient.

    Annuellement, il existait deux célébrations des mystères d’Éleusis : les Grands mystères et les Petits mystères. Ces derniers avaient généralement lieu au printemps. C’était alors que les prêtres purifiaient les mystes et que l’on sacrifiait un cochon à Déméter.

    L'initiation aux Mystères

    Les Petits Mystères, ouverts à tous, avaient lieu à Agraï, à l’est d’Athènes, sur les rives du fleuve Ilissos. Ils se déroulent principalement sous la forme de rites de purification dans les eaux du fleuve. C’est au cours des Petits Mystères que débutait l’instruction des candidats à l’initiation. Ces derniers, à la fin des cérémonies, prenaient le nom de mystes, c’est-à-dire des « initiés ».

    Les Grands Mystères duraient une dizaine de jours, d’après la durée de l’errance de Déméter à la recherche de sa fille. En septembre, avant l’automne, on se préparait aux cérémonies préliminaires qui se déroulaient à l’extérieur. Ces rites n’étaient accessibles qu’aux seuls mystes.

    Ils débutaient par le départ d’une procession de jeunes hommes, les éphèbes, se rendant d’Athènes jusqu’à Éleusis pour y chercher les hiéras, des reliques sacrées. Celles-ci étaient ensuite rapportées voilées jusqu’à Athènes, où elles étaient déposées dans le sanctuaire de l’Éleusinion, un sanctuaire à la base de l’Acropole.

    Les cérémonies se poursuivaient pour les mystes – candidats dignes des mystères – par un bain purificateur dans la mer, où était également plongé un porcelet qui était ensuite sacrifié. Une période de jeûne s’écoulait avant que la procession des mystes suive la statue d'Iacchos, les hiéras et les prêtres en direction d’Éleusis le long de la route sacrée. Une nouvelle procession partait alors d’Athènes pour retourner à Éleusis et y rapporter les hiéras. À Éleusis se déroulaient des célébrations de Déméter et Perséphone et des sacrifices en leur honneur.

    Après avoir rompu le jeûne en consommant le kykéôn (nourriture à base de blé), le rite secret d’initiation avait lieu dans le télestérion, où les mystes recevaient des révélations des initiés et accédaient au salut et à la vie après la mort. C’est très probablement ainsi que se passait l'initiation aux Grands Mystères.

    Sous le sceau du secret

    Seuls les initiés avaient le droit de pénétrer dans le Télestérion et d'assister aux mystères. Nul n'avait le droit d'en révéler le secret sous peine de mort. Il est donc difficile de savoir précisément ce qui se passait lors de ces cérémonies. Celles-ci comprenaient probablement des représentations sacrées de la quête terrestre de Déméter à la recherche de sa fille Perséphone. Les initiés eux-mêmes entraient alors dans la peau de Déméter, errant dans le Télestérion plongé dans l’obscurité. La fin de la quête de la déesse et la réapparition à la surface de Perséphone était signifiée par le retour de la lumière dans le temple et la présentation aux initiés d’un épi de blé.

    Les Grands Mystères comprenaient une seconde étape, à laquelle ne pouvaient participer que ceux qui avaient été initiés depuis une année au moins. Il s’agissait certainement aussi d’une représentation sacrée, mais qui, évoquant l’union de Déméter et de Zeus, se rapprochait plus d’un culte de la fertilité. C’était à la fin de cette étape que les initiés prenaient le nom d’époptes – « ceux qui savent ».

    Quiconque parlait le grec et n’avait pas commis d’homicide était admissible à participer aux rituels. Les participants se constituaient : des mystes (nouveaux initiés) qui y participaient pour une première fois pour y être initiés, des mystes initiés y retournant une seconde fois pour passer à un niveau supérieur, des époptes qui étaient passés à ce niveau et des prêtres qui présidaient aux rites.

    Parmi ceux qui dirigeaient la cérémonie, on trouvait quatre ministres : l’Hiérophante (celui qui révèle les choses sacrées), le Dodonque (chef des lampadophores), le Hierocéryce (chef des hérauts sacrés) et l'Assistant (dont le costume symbolisait la lune). L'archonte-roi d'Athènes était le surintendant de la cérémonie.

    La cérémonie était également dirigée par une multitude de « ministres » subalternes répartis en différentes classes. Les Mystères étaient ouverts à tous, riches comme pauvres, hommes libres comme esclaves, hommes comme femmes. La plupart des empereurs romains se sont d'ailleurs fait initier à ces Mystères.

    Le sanctuaire cessa toute activité après sa mise à sac par Alaric Ier et les Wisigoths en 395. Cependant, d'après Carl Gustav Jung dans son « Essai d'exploration de l'inconscient », les Mystères d'Éleusis « furent finalement supprimés au début du 7ème siècle de l'ère chrétienne ».

    Les Mystères d’Eleusis, d’un point de vue maçonnique

    De toute la hiérarchie d'initiations que l'on peut déceler, organisée en 7 étapes : Petits Mystères, Grands Mystères, Epoptie, et ensuite Holoclères, Sacerdoce, Initiation royale, Initiation suprême, on voit se dégager l'appétit de purification, l'ambition de se libérer des contraintes, des astreintes, de la matière, de la gangue de chair et de corps et l'aspiration, au-delà des passions, aux retrouvailles avec soi-même, libéré des chairs et des sangs, le goût d'appréhender le Monde et la Vie, la véritable Vie, qui serait celle de l'Esprit, curieusement tendu vers l'Un, l'Unité, par réunion de la Pensée et de l’Âme.

    Le chemin vers cette vérité apparaît long et difficile, impose des guides appelés « mystagogues », des recherches et des efforts … Il s'engouffre dans une descente sous terre, par l'Obscur, revient dans une ascension vers la Lumière, sur le chemin haut de la Vérité, avec l'espoir de parvenir dans la vie à la Connaissance.

    Au travers du Mythe et de ses Mystères, on perçoit l'angoisse de l'éphémère et du sens de la vie individuelle qui conduit à la mort, avec la question lancinante du Sens. Pourquoi cette descente ? Pourquoi cette incarnation de la Pensée et de l'Âme, dans la chair, la matière, la douleur, le quotidien ? Et quel destin après la mort ? Et déjà l'idée d'avoir à préparer le séjour dans l'Au-delà, en vivant la mort, avant de mourir, pour s'assurer du bonheur dans l'Autre monde.

    Et qui, mieux que des morts, qui connaissent déjà le royaume d'Hadès, peuvent enseigner, initier le Chemin et le Destin, la Vie après la mort ? Qui mieux que Coré, qui revient chaque printemps des mondes souterrains, pour dire aux hommes mortels ce qui s'y passe, ce qu'il faut faire, et comment ?

    Au moins, malgré le secret, sait-on que les mystères font mourir le myste, font parcourir le chemin du mort qui se dépouille de sa parole, de sa fortune, de ses vêtements même, en allant nu, dans le gouffre étroit, obscur, un bandeau sur les yeux, reconnaître le parcours pour ressusciter en remontant vers la Lumière, en Haut. Aspiration à la Vie, guidé par ceux qui connaissent. Initiés holoclères, mieux que quiconque.

    Au moins sait-on que le Mystère montre, révèle, annonce le Chemin et la Direction et rassérène, en ouvrant les voies du Bonheur, malgré la « faute folle » qui condamne les mortels à vieillir, à mourir, qui intègre la mort à la vie, faisant comprendre la mort comme la fin naturelle de !a vie, en laissant l'espérance de la Vie, au-delà de la Mort.

    Des indices, des signes, des symboles sont donnés, lisibles, perceptibles par le Franc-maçon, qui croit les reconnaître pour avancer en pays familier, au point de retrouver ses sources de Tradition et ses moyens de connaissance, trouvant à relier ses propres pratiques rituelles à un fond antique universel, donnant sens à ses propres mystères modernes qui s'en trouvent éclairés.

    Que la Vérité soit inséparable des moyens de sa recherche et qu'elle se tienne dans l'indicible, que son appréhension relève de l'Intuition et qu'elle passe par l’Émotion éclaire le processus des rites et la kyrielle des symboles !

    Que la Vérité soit accessible parce qu'il y a des Lois compréhensibles par l'esprit de l'homme, même si cette appréhension est difficile, peut rasséréner l’Âme angoissée, puisqu'il est possible d'y parvenir, même si on ne sait pas parcourir tout le chemin jusqu'à la plus haute lumière : « Car jamais l'œil ne verrait le soleil s'il n'était semblable au soleil et l’Âme ne verrait pas le beau si elle n'était devenue belle ». (Platon).

    Du peu que l'on connaisse de ces Mystères, si bien gardés, si peu transgressés, de ces Mystères « qu'il est impossible de pénétrer », on sait quand même que l'initiation au troisième grade fait à l'Epopte la Révélation ultime par le symbole de l’Épi de blé moissonné en silence appelé « l'illuminateur parfait » et du Phallus dressé pour la génération.

    Par ce chemin, l'Initié voyage de l'obscurité vers la Lumière sous le mystère du Sceau dépouillé de tout ce qui est corps et âme, réduit à la Monade qui n'a ni qualité physique, ni dimensions, ni liens dans l'espace « Unité parfaite, principe des choses matérielles choses matérielles et spirituelles ». Le voilà qui descend un long couloir obscur, en silence, les yeux bandés à la recherche de la Lumière et de la raison qui gouverne le monde (le Logos), symbolisées par l'Arbre de Vie où l'on cueille un fruit, sous le mystère du Sceau, qui le conduit dans le chemin. Aidé par un mystagogue, il progresse vers la Lumière lointaine, élevée.

    Par cette ascension hors de la caverne, il accède à la Vérité, Lumière éclatante, contemplation du dieu, révélation du « dieu unique », « identique par essence à tous les dieux ». C’est la révélation de l'Un, Unité dans la Lumière éclatante, au moment où l'on moissonne l'épi de blé, symbole du Phallos qui symbolise lui-même « autre chose » pour la Connaissance Intuitive ; l'épi gorgé des lumières du soleil, symbole de la vie semée dans l'homme à sa naissance.

    Le « phallos dressé pour la génération » gorgé de toutes les énergies de l'homme, rassemble la Lumière de vie pour générer, perpétuer, renaître et exprimer l'essentiel de la vie, la vie essentielle.

    Or, dans l'initiation, l’hiérophante qui s'unit à la prêtresse de Déméter pour célébrer l'Union, est rendu infécond par la ciguë et l'accouplement se précipite dans le spirituel. Le Phallos pour symbole de la Lumière semée dans l'homme qui naît, symbole de la raison humaine produit de l'union de la Pensée et de l'Âme.

    Les rites des Mystères d’Eleusis sont restés mystérieux

    La divulgation des rites secrets était rigoureusement interdite. Les Mystères d’Eleusis étaient extrêmement populaires au-delà même des limites de la Grèce, au point que la salle d’initiation, le Télestrérion, atteignit finalement une surface de deux mille six cents mètres carrés. Malgré le nombre immense des fidèles, aucun auteur ancien n’a jamais commis le sacrilège de rompre cet interdit. Nous savons seulement qu’ils étaient destinés à séparer les initiés, appelés à jouir éternellement de la vraie vie au-delà de la mort, des non-initiés destinés au bourbier infernal. Après avoir rompu le jeûne et absorbé le Kykéôn, simple bouillie de blé commémorant le premier repas de Déméter à Eleusis, les mystes recevaient des initiés une révélation bouleversante.

    Pour conclure, du moins provisoirement

    Les Mystères ont été célébrés à Eleusis pendant près de deux mille ans, même si certaines cérémonies ont pu être modifiées au fils des ans. On distingue les Petits Mystères, les rites des Grands Mystères et l'expérience finale, l'epopteia.

    Les Mystères d’Eleusis étaient consacrés au culte des deux déesses, Déméter, l’antique Terre Mère préhellénique, et Perséphone ou Coré, la fille qu’elle conçut de Zeus. Déméter est identifiée à Cérès par les Romains. Déesse agraire, elle est associée au blé et à l’abondance et occupe une place importante dans la religion grecque.

    Les Eleusinies sont les fêtes les plus connues du culte des deux déesses. Elles auraient été institués à l’initiative de Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu de Déméter la mission de répandre le blé partout dans le Monde. Elles semblent provenir de cultes agraires primitifs assez fortement modifiés en syncrétisme avec des cultes dionysiaques et l’Orphisme. Elles étaient annuellement célébrées dans le Télestrérion d’Eleusis et faisaient participer le fidèle à la résurrection de l’enfant divin revenu de l’empire de la mort. L’Orphisme, en raison de la concordance des mythes orphites et éleusiniens, réussit à s’infiltrer dans la religion athénienne, influençant les rites des Mystères.

    L’initiation éleusinienne assurait par elle-même le salut et la future survie personnelle du myste. Définitivement sauvé par les vertus magiques de cette entremise extérieure, il n’était tenu à aucun comportement éthique ou moral particulier. En cela, au moins autant que par les préoccupations relatives à la vie future et la tendance au monothéisme héritée de l’Orphisme, les Mystères Eleusiniens ont préparé le passage du paganisme aux cultes modernes, et tout particulièrement au Christianisme.

    R:. F:. A. B.

     

    [1] Se dit des divinités qui vivent sous la terre, des divinités infernales.

    [2] Dans l'Antiquité grecque, doctrine philosophique et religieuse fondée sur la pensée attribuée à Orphée.

    Bibliographie

    Foucart Paul - Les Mystères d'Éleusis

    Editions Pardès, 1992

     

    Meautis Georges - Les dieux de la Grèce et les mystères d'Éleusis

    Editions PUF, 1959

     

    Turcan Robert - « Les Mystères d'Éleusis, la quête du bonheur suprême »

    in Religions & Histoire n° 24,

    Editions Faton, jan. – fév. 2009, p. 26 - 35

     

    Dictionnaire critique de l'ésotérisme

    Editions PUF

     

    Homère, Hymnes à Déméter

    Les belles Lettres, Paris, 1997

     


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  •  Les Esséniens 

    Introduction

    Depuis quelques années, des journalistes et des écrivains osent effectuer des rapprochements entre Jésus et les Esséniens. Pourtant, il semble que la Bible ne mentionne jamais ces derniers.  Je me suis donc posé quelques questions à leur sujet : qui étaient-ils ? Où et quand ont-ils vécu ? Qu’ont-ils proposé et que nous ont-ils laissé sur le plan philosophique ?

    Selon Daniel Montpetit, l'origine de ce groupement religieux juif appelé les Esséniens remonte approximativement aux années 130 avant Jésus-Christ. À cette époque, lors du règne de Jean Hyrcan, dit Hyrcanus, deuxième fils de Simon Macchabée et grand-prêtre de Jérusalem, des politiques « modernisantes » ont été adoptées. Dans le but de contrer l'effet de telles orientations, plusieurs Juifs se sont regroupés pour manifester leur opposition. Parmi eux, certains se sont lancés dans le conservatisme de la stricte observance de la Loi : c’étaient les Pharisiens. D'autres, les Esséniens, ont opté pour une stratégie bien différente. Ils ont décidé de se retirer dans le désert. Voilà leur façon de montrer qu'ils n'acceptaient aucun compromis au niveau de leur relation avec Dieu. Les Esséniens ne constituaient donc pas un parti au même titre que les Pharisiens, les Sadducéens ou les Zélotes. Au contraire, leur regroupement en des lieux désertiques prit la forme d'une communauté monastique.

    Actuellement, les historiens ne détiennent qu’assez peu de renseignements sur les Esséniens et sur leur façon de vivre. D'ailleurs, la Bible ne fait aucune mention explicite de ce groupe de personnes. Il est même surprenant que le terme « Essénien » n'apparaisse ni dans l'Ancien ni dans le Nouveau Testament. La surprise est d'autant plus grande qu'au temps de Jésus les Esséniens formaient l'un des trois éléments principaux du judaïsme avec les Pharisiens et les Sadducéens !

    Cependant, depuis 1947, les fouilles archéologiques effectuées à Qumrân, petite localité située au nord-ouest de la mer Morte, constituent une source privilégiée d'informations à leur sujet.

    En effet, les Esséniens s'étaient installés à cet endroit dans le désert de Juda. La communauté des Esséniens se servait de grottes pour entreposer leurs écrits. C'est d'ailleurs dans ces bibliothèques primitives que les archéologues trouvèrent des textes manuscrits de presque tous les livres de la Bible. Grâce à ces découvertes, nous savons aujourd'hui que la communauté des Esséniens vivait aux alentours de Qumrân. De plus, le travail, la prière, l'étude (spécialement de la Bible) et l'ascèse constituaient les principaux axes de leur vie.

    Quelques caractéristiques de Jean le Baptiste suggèrent qu'il appartenait à la communauté des Esséniens. En effet, la Bible présente Jean le Baptiste comme un ascète qui habitait le désert : « Jean grandit dans les lieux déserts jusqu'au jour où il se manifesta à Israël. » (Luc 1,80). De plus, comme certains Esséniens fervents en avaient l'habitude, Jean baptisa dans l'eau pour le pardon des péchés. Toutefois, Jean innove par rapport aux pratiques antérieures en n'accordant le baptême qu'une seule fois.

    Les Esséniens, communauté monastique

    Les Esséniens étaient donc les membres d'une communauté juive, fondée vers le 2ème siècle avant Jésus-Christ. Les principaux groupements s'établirent, semble-t-il, sur les rives de la mer Morte. Flavius Josèphe, Philon d’Alexandrie et Pline l’Ancien sont des auteurs anciens qui ont décrit les Esséniens.

    Les archéologues pensent que le site de Qumrân était un établissement essénien et que ses occupants sont probablement les auteurs des fameux manuscrits de la mer Morte. Le mouvement semble avoir disparu vers 70 après Jésus-Christ.

    Leurs pratiques communautaires

    Le plus marquant dans cette communauté était la mise en commun et la répartition des biens de la collectivité selon les besoins de chaque membre. Le shabbat était observé strictement, comme la pureté rituelle (bains à l'eau froide et port de vêtements blancs). Il était interdit de jurer, de prêter serment, de procéder à des sacrifices d'animaux, de fabriquer des armes, de faire des affaires ou de tenir un commerce. Les membres, après un noviciat de trois ans, renonçaient aux plaisirs terrestres pour entrer dans une sorte de vie monacale. Leur alimentation était particulière en ce qu'elle ne devait pas subir de transformation, notamment par la cuisson. Leur nourriture se composait essentiellement de pain, de racines sauvages, et de fruits. La consommation de viande était interdite. Ils vivaient selon des règles strictes et des sanctions étaient prévues en cas de manquements ou de fautes :

    • fausse déclaration de biens : un an d'exclusion
    • mensonge ou scène de colère contre un autre membre de la communauté : 6 mois d’exclusion
    • crachat ou rire pendant une réunion ou une séance de prière : 1 mois d’exclusion
    • gesticulation pendant une réunion : 10 jours d’exclusion
    • le port de lainages était prohibé.

    Le Maître de justice

    On sait d'après les textes trouvés à Qumrân que les Esséniens vénéraient un Maître de Justice, probablement leur fondateur, qui aurait été la victime d'un prêtre impie. Il paraît fort probable que ce Maître de Justice ne fut autre que le grand prêtre Onias III, déposé en 175 avant l'ère chrétienne par Antiochus IV Epiphane, puis assassiné en 170 dans son exil de Syrie à l'instigation de son successeur Ménélas, auquel il ne ménageait pas ses reproches. Onias III serait donc le Maître de Justice et Ménélas le prêtre impie. On sait qu’Onias III fut le dernier grand prêtre légitime de la descendance de Sadoq, grand prêtre de Salomon, le fondateur du Temple de Jérusalem.

    Les Esséniens, qui se déclaraient « fils de Sadoq », seraient donc les partisans légitimistes d’Onias III, avant tout des gens de race sacerdotale, ou les alliés de ces derniers. Cela expliquerait leur fidélité fondamentale à la religion de leurs ancêtres juifs, et leur vénération extrême à l'égard du Temple de Jérusalem, dans lequel pourtant ils ne célébraient pas, parce qu'ils l'estimaient occupé par des usurpateurs.

    Destinée de l'essénisme

    Les relations des Esséniens avec la monarchie hasmonéenne furent ambiguës : à la fois ils rejetaient ces monarques comme grands prêtres illégitimes, mais ils appuyaient hautement leur résistance à l'influence grecque et païenne, incarnée par les Séleucides. C'est la raison pour laquelle les Esséniens furent probablement tolérés, et non pas persécutés, par les Hasmonéens, puis ensuite par les Hérodiens, leurs héritiers.

    Lors de la destruction du Temple et lors du chaos qui sévit dans la Judée à la fin du premier siècle, les Esséniens ne réussirent pas à conserver leur identité, tandis que la communauté juive de la Diaspora s'organisait autour des Pharisiens survivants, ce qui donna naissance à la tradition du judaïsme rabbinique. Il est probable que l'établissement de Qumrân représentait une survivance précaire du mouvement essénien. En 70, après la destruction de leur établissement par les légions romaines, puis la ruine de Jérusalem, les Esséniens disparurent complètement. Il demeure fort peu vraisemblable qu'ils se soient mêlés ou fondus dans la secte des Pharisiens, fidèles du Temple, qui représentaient plutôt pour eux leurs ennemis.

    Essénisme et christianisme

    Les origines du mouvement essénien furent bien antérieures à l'ère chrétienne, et dans les écrits de Qumrân on ne trouve aucune allusion au christianisme.

    Il existe certaines analogies entre les deux mouvements (messianisme, pratiques baptismales, renoncement aux biens matériels), ce qui a fait dire à Ernest Renan que le christianisme est « un essénisme qui a réussi », mais les Esséniens, qui nous sont maintenant mieux connus depuis la découverte des manuscrits de la mer Morte, se distinguaient de Jésus de Nazareth par leur rigorisme ritualiste, leur souci de pureté extérieure, leur manière de vivre dans des communautés retirées, leur pensée (espérance eschatologique cataclysmique, et non pas avènement messianique dans la douceur). Ni les textes néotestamentaires ni les autres (Flavius Josèphe, les Pères de l’Eglise, les apocryphes) ne font mention des Esséniens à propos de Jésus ou des Chrétiens. Des rapprochements peuvent cependant être faits entre le Nouveau Testament et les textes Esséniens concernant certains thèmes (lignée davidique du Messie, résurrection des morts) ou expressions, comme par exemple celle de « pauvres en esprit », présente à la fois dans les Béatitudes et dans certains fragments retrouvés à Qumrân où elle désigne les fidèles observateurs de la loi.

    Un courant complexe

    Pour Marcel Simon, « le courant des Esséniens, sur lesquels les manuscrits de la mer Morte ont jeté une lumière toute nouvelle, apparaît comme le plus complexe et, à bien des égards, le plus intéressant. Communauté fermée, d’organisation monastique, retirée dans le désert, sur les rivages inhospitaliers de la mer Morte, les Esséniens communiquent à leurs seuls initiés un enseignement ésotérique. Purs entre les purs, on les a parfois définis comme des Pharisiens au superlatif. Leur mouvement est né sans doute, au lendemain de l’insurrection maccabéenne, d’une protestation contre l’attitude, jugée trop mondaine et laxiste, des souverains hasmonéens et contre un sacerdoce considéré par eux comme illégitime.

    En conséquence, ils se détournent des liturgies officielles du Temple et pratiquent dans leur solitude des rites qui leur sont propres. Ils englobent dans une même condamnation les païens, ceux des Juifs qui fréquentent les occupants idolâtres et la masse du peuple qui accepte l’autorité d’un clergé indigne. Ils vivent dans une atmosphère eschatologique et se considèrent comme le petit troupeau des élus qui constitueront le noyau du Royaume imminent ».

    Les origines du christianisme, l'hypothèse des Esséniens

    Les Esséniens étaient des Juifs vivant en communauté installés dans le désert de Judée, à Qumrân, et dont on a retrouvé les manuscrits dits « de la mer Morte » en 1947. Ces manuscrits avaient traversé deux mille ans dans des jarres, elles-mêmes dissimulées dans des grottes. Malgré le temps qui avait dévoré les contours des rouleaux, on a réussi à reconstituer des textes et des fragments de texte.

    Beaucoup d'incertain demeure à ce propos. Arrivés aux alentours du troisième siècle avant Jésus-Christ, on sait que les Esséniens s'établirent dans le désert de Judée pendant deux à trois siècles et qu’ils en furent délogés par les Romains entre 66 et 70, lors de la révolte des Juifs.

    La plus grande partie de la littérature que l'on peut lire à leur sujet est orientée :

    1°) certains veulent y voir les premiers Chrétiens, et donc l'inexistence de Jésus, celui-ci étant le « Maître de Justice » de cette secte, légèrement différent de celui qui, selon eux, est imaginé dans les Évangiles ;

    2°) d'autres, au contraire, nient les ressemblances et les coïncidences et veulent y voir des Juifs très orthodoxes qui n'ont aucun rapport avec les premiers Chrétiens.

    Jusqu'à présent, l'essénisme est l’origine considérée comme la plus plausible du christianisme. Grâce à elle, il y aurait un fort trait d'union entre le judaïsme et le christianisme. Les Chrétiens ne seraient autres que des Juifs libéraux et réformateurs, dans la prolongation d'Isaïe, de Jérémie, des Proverbes et de la Sagesse – et, bien sûr, de Jésus. D'ailleurs, certains aspects de l'essénisme frappent particulièrement par leur ressemblance avec le christianisme, et l'on ne peut décemment pas prétendre que cela soit dû au simple hasard.

    De l'époque de Jésus-Christ, les Esséniens nous ont laissé pratiquement les seuls textes qui constituent toutefois une grande bibliothèque. On a pu retrouver presque tous les livres de l'Ancien Testament avec cependant quelques nuances dans l'écriture, des commentaires, et des œuvres personnelles. Ces dernières sont de deux sortes en particulier : les unes véhiculent une pensée très orthodoxe, exigeant le respect des règles allant jusqu'aux moindres détails. Le rouleau du temple énonce les sacrifices (13.9), les exigences, et réclame de la part des moines un respect de la loi très rigoureux. Cette même règle entraîne en cas de non-respect des punitions très strictes allant de la défense de parler pendant un laps de temps, jusqu'au bannissement pendant plusieurs années.

    D'autres manuscrits sont en revanche les supports d'une pensée plus étonnante, voulant mettre l'accent sur les points essentiels de la religion. Ce sont des compositions originales.

    Les principales idées fondatrices du christianisme y sont récurrentes : la circoncision prônée est celle du cœur (Règle de la Communauté 5.5, Commentaire d'Habacuc 11.13) à défaut d'une circoncision charnelle, ce qui est prépondérant dans la pensée de saint Paul.

    Ces manuscrits recèlent également d'autres sentences typiques du christianisme, et on peut croire que ces textes aient servi de brouillon aux Épîtres et aux Évangiles.

    Les points communs ne s'arrêtent pas à de simples affinités philosophiques. Les Esséniens avaient un mode de vie en communauté, ils observaient la chasteté : ils n'avaient aucune femme. Ils pratiquaient la bénédiction du pain et du vin (Règle de la communauté, 6.5) ; ils se baptisaient ; ils s'interdisaient toute nourriture animale sauf le poisson. Tout cela était identique aux pratiques chrétiennes de l'antiquité.

    De plus, entre la fin de l'essénisme et le début du christianisme, il y a une cohésion évidente. Elle pousserait à prétendre que les Esséniens, dès lors qu'ils cessèrent d'être « Esséniens », furent « Chrétiens ». En effet, c'est seulement après 66 – 70 que le christianisme devint apostolique. Comme par hasard, il se développa immédiatement après, de la même façon que le bouddhisme s'étend aujourd'hui en Occident à cause de l'occupation du Tibet par les Chinois. À ceci s'ajoute l'incertitude quant à la datation exacte de Jésus-Christ : il ne serait pas impossible que celui-ci soit plus ancien qu'on ne le croit, raison pour laquelle le christianisme fut missionnaire bien après que le Christ fut mort.

    Les Esséniens considéraient leur « Maître de justice » comme leur élu, lequel doit annoncer la bonne parole, mais non pas le dernier élu, venu pour l'appliquer. Voilà peut-être pourquoi les Chrétiens pensèrent que Jésus devait revenir lors de l'Apocalypse et que, dans l'Évangile selon saint Jean, l'intervention du Christ est annoncée à nouveau : il sera le dernier pasteur de l'humanité. C'est ce personnage qui est mentionné par les Esséniens dans le manuscrit 4Q534-536.

    La doctrine des Esséniens présente les aspects d'un dualisme mitigé, que l'on respire dans les Évangiles et les Épîtres de Jacques et Jean. A posteriori, cette doctrine a dévié dans deux directions opposées : le dualisme absolu du manichéisme, et l'abandon du dualisme d'un autre côté, chez les catholiques en particulier. Il faudrait peut-être se référer à l'essénisme pour retrouver l'essence du message chrétien d'origine.

    Les Esséniens se représentent Dieu comme un principe de totalité. L'homme, en tant que chair, est le néant. Ils attachent à Dieu le caractère d'unité, avec les mêmes caractéristiques que le Verbe dans l'Évangile de Saint Jean. Le Verbe – si on ne précise pas quelle personne, quel temps, quel verbe – serait l'essence de l'action, le « chaos », le « tout », le « tohu-bohu » que les Cathares considéraient comme le principe du monde. Les hommes sont entre l'esprit mauvais et l'esprit bon, ils peuvent s'identifier à l'un ou à l'autre.

    Dans l'essénisme comme dans le zoroastrisme, c'est Dieu qui a créé ces deux esprits. Le Bien : c'est la totalité, l'infinité, l'autorité. Il inclut donc le mal ; or ce dernier est néant car il n'est que lui seul. Les Esséniens, comme les Cathares, rejetaient le monde. Ils lui associaient le mal, la corruption, la luxure, le péché.

    Après le Christ, il y eut la naissance de beaucoup de sectes, chacune revendiquant la véritable filiation avec le Christ. Le catholicisme, tout comme le manichéisme puis le catharisme, n'était que l'une d'elles. Si le catholicisme seul a survécu, c'est peut-être qu'il était béni de Dieu, mais peut-être également qu'il savait montrer plus d'intelligence dans sa façon de perdurer.

    Qumrân

    Egalement appelé Khirbet Qumrân (ruine de pierre), Qumrân est un établissement juif de la Palestine antique près duquel furent découverts en 1946 les « manuscrits de la mer Morte ». Le site se trouve sur la rive nord-ouest de la mer Morte, à 13 km au sud de Jéricho.

    À l'époque du Christ, Qumrân était le centre d'une grande communauté religieuse appartenant à la secte des Esséniens. Ceux-ci se séparèrent des autres courants religieux juifs au 2ème siècle avant Jésus-Christ. Persécutés par les Maccabées, ils se retirèrent dans le désert, ce qui convenait à leur vie ascétique.

    A la fin de l'époque du Premier Temple, aux 8ème et 7ème siècles avant l'ère chrétienne, un premier village fut créé en ces lieux.

    Quelques rares vestiges d'une petite ferme fortifiée ou d'un fortin judaïte y ont été retrouvés. Certains spécialistes ont identifié ce site et affirmé qu'il s'agissait de Secacah, ou la ville du sel, deux des six villes du territoire désertique de Juda (Josué 15 : 61-62).

    Le village de Qumrân fut reconstitué à la fin du 2e siècle avant l'ère chrétienne, probablement pendant le règne du roi asmonéen Jean Hyrcan 1er. L'ancienne localité fut alors restaurée et agrandie. Au début du 1er siècle avant l'ère chrétienne, durant le règne d'Alexandre Jannée, de nouvelles constructions déterminèrent le plan du site jusqu'à sa destruction. Un aqueduc fut construit à partir d'un escarpement surplombant le Wadi Qumrân à plusieurs centaines de mètres à l'est du site. Les eaux des crues d'hiver étaient recueillies en amont d'un barrage situé au pied de l'escarpement puis s'écoulaient dans l'aqueduc jusqu'à Qumrân où elles remplissaient les nombreuses citernes et mikvaot (bains rituels).

    L'approvisionnement en eau revêtait une importance essentielle pour une résidence permanente à Qumrân où les températures d'été de cette région désertique sont extrêmement élevées. Avec ses nombreuses salles spacieuses destinées sans aucun doute à des fonctions publiques et ses quartiers d'habitation relativement peu nombreux, le plan de Qumrân est unique en son genre et ne ressemble en rien aux autres villages de la même époque.

    L'entrée principale du village se trouvait au nord, au pied d'une tour de guet. Les murs des bâtiments étaient construits en pierres ramassées au pied de l'escarpement et enduits d'une épaisse couche de plâtre blanc-gris. Les fenêtres et les montants des portes étaient en pierres soigneusement taillées et les toits, selon l'usage à l'époque, étaient constitués par des poutres en bois, de la paille et du plâtre.

    Le bâtiment principal de Qumrân comprenait plusieurs pièces – certaines, de toute évidence, sur deux étages – s’ordonnant autour d'une cour centrale. Dans l'angle nord-ouest, se dressait une tour aux murs particulièrement épais dominant l'ensemble du village. La tour, qui servait de poste de guet et d'alerte, protégeait le village contre des raids des tribus du désert.

    Une pièce garnie de bancs le long des murs accueillait les réunions des membres de la communauté qui y étudiaient probablement la Torah. Au sud et à l'est du bâtiment principal, d'autres ensembles de bâtiments comprenaient de longs vestibules, des chambres et des bains rituels. L'un des grands vestibules servait de salle de réunion et de réfectoire. Dans une pièce servant à entreposer des réserves à proximité d'une cuisine, des piles bien rangées de plusieurs centaines de récipients en poterie et un grand nombre de petits bols ont été retrouvés. Un atelier où étaient fabriquées les poteries pour la communauté a été découvert dans la partie sud-est du site avec sa cuve pour la préparation de l'argile, une roue de potier en pierre et deux fours à cuisson ronds.

    L'historien juif Flavius Josèphe (Guerre des Juifs II, pp. 120-161) et les écrits des Esséniens eux-mêmes retrouvés près de Qumrân donnent une idée de leur doctrine religieuse. Selon ces sources, les Esséniens constituaient une secte juive de l'époque du Second Temple : ils croyaient en la prédestination et en l'éternité de l'âme mais pas à la résurrection des morts et ils étaient opposés aux sacrifices accomplis dans le Temple de Jérusalem.

    Les membres de la secte vivaient du fruit de leur travail, mettant leurs biens en commun. Ils s'adonnaient à l'agriculture mais pas au commerce, étaient hostiles à toute forme d'esclavage et vivaient modestement avec un minimum de confort et des vêtements tout simples. Les Esséniens étaient ennemis du mariage, mais certains avaient des familles, se conformant au commandement divin d'assurer la survie du genre humain. Ils respectaient quotidiennement un certain nombre de rites : prière avant le lever du soleil ; immersion rituelle et repas pris en commun ; travail pendant la journée ; le soir, autre bain rituel suivi d'un repas collectif. Les nouveaux membres n'étaient acceptés qu'après une candidature d'une durée de trois ans, un examen d'entrée et le serment de ne pas révéler aux étrangers les secrets de la communauté et ses écrits. Persuadés qu'il leur incombait de combattre les forces du mal, ils participèrent activement à la révolte contre les Romains.

    Les spécialistes pensent que leurs croyances et leur mode de vie communautaire influèrent considérablement sur le développement des débuts du christianisme ; certains soutiennent que Jean le Baptiste fut influencé par les Esséniens, ou gardait le contact avec eux, voire était membre de la secte.

    Un grand nombre de mikvaot (bains rituels) ont été retrouvés dans l'ensemble du site. Ils étaient creusés dans les marnes du sol, et leur étanchéité était assurée par du plâtre hydraulique gris.

    Le grand escalier conduisant en bas était à certains endroits, divisé au milieu par un muret de 20 cm de hauteur séparant ceux qui descendaient prendre leur bain rituel de ceux qui remontaient après s'être purifiés. Les bains rituels étaient alimentés en eau par l'aqueduc. Les mikvaot de Qumrân étaient caractéristiques des édifices publics et privés de Jérusalem et d'ailleurs à l'époque du Second Temple.

    La Michnah (Traité Mikvaot) souligne l'importance de l'immersion dans l'eau pour la purification spirituelle et énumère les conditions requises pour construire ces bains rituels. Les mikvaot de Qumrân respectaient toutes ces conditions. Ce qui est inhabituel à Qumrân, c'est le grand nombre de ces installations et la taille de certaines par rapport au village. Ces dernières étaient probablement utilisées par les membres de la secte pour une immersion collective, un élément central de leurs rituels quotidiens.

    En 31 avant l'ère chrétienne, un tremblement de terre endommagea gravement les constructions et les mikvaot de Qumrân. Les fouilles ont révélé des fissures dans les murs et une épaisse couche de cendres produites par un incendie. Le tremblement de terre est mentionné par Josèphe (Antiquités 15, 121 sq. ; Guerres I, 370 sq.).

    Le village de Qumrân fut alors abandonné jusqu'au début du 1er siècle de l'ère chrétienne, lorsque des membres de la communauté revinrent s'y installer. Ils restaurèrent les anciens bâtiments et y vécurent après avoir procédé à des adjonctions et à des modifications. Dans le bâtiment principal se trouvait une longue salle dans laquelle il reste des bancs ou des tables basses en terre recouvertes de plâtre à l'extérieur, ainsi que des petits encriers en argile. Selon l'archéologue, ces découvertes indiquent que cette pièce était un scriptorium où les scribes du village copiaient les écritures saintes et les règles régissant la communauté.

    On estime que seulement quelques dizaines de dirigeants de la communauté vivaient en permanence à Qumrân. La plupart des membres de la secte, probablement au nombre de quelques milliers, vivaient dans des villages et des villes. Il est certain qu'une grande communauté essénienne vivait à Jérusalem.

    Selon Josèphe, le nom de la porte de la muraille sud de Jérusalem, sur le mont Sion, s'appelait la Porte des Esséniens. A certaines époques, les membres de la secte vivaient dans le désert près de Qumrân et, pendant les fêtes et les manifestations de la communauté, d'autres membres affluaient et étaient hébergés dans des tentes, des cabanes et des grottes des environs.

    Durant l'étude et les fouilles effectuées dernièrement dans les grottes sur les versants de marne au nord du site, des poteries ont été retrouvées, indiquant que ces grottes servaient aussi d'habitations. Des cercles de pierres à proximité soulignent d'ailleurs l'emplacement d'un campement.

    Les bâtiments de Qumrân étaient obstrués à l'est par un mur en grandes pierres. Au-delà, les terrasses de marne s'étendaient sur plusieurs centaines de mètres avant d'aboutir à une falaise. Sur ce terrain de marne, se trouvait un grand cimetière de plus d'un millier de tombes alignées en rangées d'orientation nord-sud. Quelques-unes ont été exhumées, révélant des tombes extrêmement simples creusées dans la marne et recouvertes d'un tas de pierre. La plupart des personnes enterrées là étaient des hommes, mais à l'extrémité du cimetière, on a également trouvé des tombes de femmes et d'enfants.

    Le village de Qumrân, détruit pendant la guerre menée par les Juifs contre Rome, en l'an 68, ne fut jamais repeuplé.

    Les manuscrits de la mer Morte

    Des rouleaux et d'autres objets de l'époque du Second Temple ont été découverts dans plusieurs grottes situées près de Qumrân, aussi bien des grottes naturelles dans les escarpements de calcaire dur, à l'ouest du site, que des grottes taillées dans les falaises de marne. A l'approche de l'armée romaine, les habitants de Qumrân se réfugièrent dans les grottes et y cachèrent leurs documents. Le climat sec de la région de la mer Morte a conservé ces manuscrits écrits, il y a 2000 ans, sur du parchemin.

    Dans la grotte n° 4, située dans la falaise de marne au sud du site, les archéologues n'ont retrouvé que 15 000 petits fragments appartenant à environ 600 manuscrits différents. Des hommes de l'antiquité ou des Bédouins contemporains ont peut-être retiré des rouleaux de cette grotte, n'y laissant que des débris. Cette grotte servait aux Esséniens de Gueniza, un endroit pour conserver les écrits sacrés déchirés.

    Dans les années 1950 et 1960, de nombreuses grottes dans les canyons du désert de Judée, le long des rives de la mer Morte, firent l'objet d'études et de fouilles. Parmi les documents découverts là ainsi que dans les grottes autour de Qumrân, on a retrouvé des exemplaires de tous les livres de la Bible (excepté le rouleau d'Esther). Le plus célèbre est le rouleau complet du livre d'Isaïe écrit entre le 2ème  siècle avant l'ère chrétienne et la destruction du site en l'an 68. Cette date a été récemment confirmée par un examen au carbone 14 d'un échantillon de parchemin du rouleau. Les livres de la bibliothèque de Qumrân sont considérés comme les copies les plus anciennes des livres de la Bible. Des écrits de la secte essénienne, dont le centre spirituel se trouvait à cet endroit pendant les deux cents ans précédant la destruction de Jérusalem et du Temple, ont également été mis à jour dans les grottes près de Qumrân.

    Les livres bibliques

    Les onze grottes à manuscrits de la région de Qumrân, cotées de 1 Q à 11 Q, ont livré les restes d’un millier de rouleaux ; une douzaine à peine sont à peu près complets, ainsi le rouleau d’Isaïe de la grotte 1, qui mesure 7,34 m de long.

    Un quart de cette vaste bibliothèque comprend les livres saints qui, vers l’an 100 de l’ère chrétienne, furent incorporés dans le « canon palestinien », formé par les Pharisiens. Tous les écrits de l’Ancien Testament y sont représentés, la plupart par dizaines d’exemplaires fragmentaires, tel le Psautier qui compte trente-cinq copies ; l’une de celles-ci, le Psautier de la grotte 11, comporte sur un rouleau long de 4,50 m presque tous les psaumes de la troisième et dernière partie du Psautier. Le Psautier essénien contenait beaucoup plus de psaumes que le Psautier pharisien, lequel en a cent cinquante. Il ne manque, dans cette réserve, que le livre d’Esther, écarté pour des raisons liturgiques, les Esséniens ne reconnaissant pas la fête de Purim dont il est question dans cet ouvrage.

    Quelques textes de Qumrân livrent des sources des écrits bibliques : ainsi, une chronologie araméenne de la grotte 4, qui est antérieure à la dernière révision du Pentateuque ; deux sources du Psautier ; une «Prière de Nabonide» (éditée par Milik, Revue biblique, 1956), qui est la source du chapitre IV du livre de Daniel. On connaît en outre des traductions araméennes (targums) de livres bibliques : fragments du Lévitique et de Job de 4 Q, morceaux substantiels de Job de 11 Q.

    Écrits pseudépigraphes

    Les habitants du monastère qumrânien lisaient de nombreux ouvrages qui plus tard ont été rejetés par les Juifs orthodoxes comme apocryphes. Ces pseudépigraphes étaient, par contre, reconnus comme inspirés par les premiers Chrétiens, tout au moins jusqu'au 4ème siècle. À la lumière des études récentes, il semble bien certain que le canon paléochrétien des livres saints recouvrait exactement le canon essénien. Tel est le cas des livres d’Hénoch (le septième patriarche d’avant le Déluge), dont on conserve onze manuscrits araméens fragmentaires de 4 Q, une citation explicite dans l’épître de Jude, des versions grecque et éthiopienne ; également hénochique est le « livre des Géants » (une douzaine de manuscrits à Qumrân), celui-ci incorporé dans le canon manichéen. Plusieurs ouvrages étaient attribués à Noé, le premier patriarche postdiluvien.

    Les Esséniens lisaient en araméen, les Chrétiens en version grecque les «Testaments» des trois patriarches sacerdotaux (Levi, Qahat et Amram). Il existe aussi en hébreu le « Testament de Nephtali ». D'autres compositions qumrâniennes sont attribuées à Abraham, Josué, David, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Daniel.

    On a retrouvé enfin les originaux de quelques livres bibliques deutérocanoniques : livre de Tobie en araméen (4 manuscrits de 4 Q), Siracide hébreu (2 Q et Masada), un fragment de l’épître de Jérémie en grec (7 Q).

    Textes esséniens

    Plus de la moitié des manuscrits de Qumrân relèvent de la production littéraire strictement essénienne. Un ouvrage appelé le « livre des Jubilés » raconte l’histoire sainte de la Création jusqu’à la promulgation de la Loi, répartie en périodes de quarante-neuf ans. L’original hébreu s’est conservé dans les fragments des deux manuscrits de 1 Q, deux de 2 Q, un de 3 Q, huit de 4 Q, un de 11 Q, un de Massada. On possède une version éthiopienne complète et une version latine incomplète de cet écrit essénien qui, par ailleurs, fut utilisé par les chroniqueurs chrétiens.

    De très nombreux manuscrits qumrâniens commentent verset par verset les livres inspirés des prophètes et de David. Le texte biblique y est expliqué en fonction de l’histoire de la secte et en particulier de la vie du fondateur.

    Presque complets sont les commentaires (pesharim) d’Habacuc (1 Q) et de Nahum (4 Q). D'autres commentaires de caractère juridique et rituel, reprennent les prescriptions contenues dans le Pentateuque de Moïse (pesharim halachiques).

    La vie des Esséniens était soumise à divers règlements : celle des moines du Khirbet Qumrân à la « Règle de la communauté » (dont on a trouvé un exemplaire complet en 1 Q, des fragments d’un manuscrit en 5 Q et de dix manuscrits en 4 Q) ; celle des camps de Damascène et des thiases Esséniens au « Document de Damas » (on en a découvert une copie assez complète au début de ce siècle dans une synagogue du Caire, puis des fragments d’un manuscrit en 5 Q, d’un autre en 6 Q, de huit en 4 Q) ; des échantillons d’autres règles sont conservés en de nombreux manuscrits fragmentaires de la grotte 4. Un règlement fictif décrit la guerre apocalyptique contre les « fils de ténèbres » ; ce « Manuel du combattant » (ou la « Règle de la guerre ») est représenté par un exemplaire presque complet de 1 Q, par des fragments de plusieurs manuscrits de 4 Q, par un manuscrit de 11 Q.

    Beaucoup d’écrits étaient destinés à l’usage liturgique, par exemple pour la fête du renouvellement de l’Alliance, qui se célébrait le quinzième jour du troisième mois. Les Esséniens suivaient dans leur vie liturgique un calendrier particulier, à fêtes fixes, où l’année comptait trois cent soixante-quatre jours et cinquante-deux semaines. Une vingtaine de manuscrits de 4 Q donnent en détails ces computations chronologiques en cycles d’un an, de trois ans, de six ans (service hebdomadaire des vingt-quatre familles sacerdotales dans le Temple : 6 Z 52 = 13 Z 24), de sept jubilés. À ce groupe il faut ajouter sans doute le « Rouleau du Temple ».

    Également prolifique était la production hymnique, utilisée elle aussi, tout au moins en partie, dans la liturgie. Un rouleau assez complet de la grotte 1 contient un recueil des cantiques d’action de grâces (Hodayot), qui reflète le haut degré de la mystique essénienne.

    Après la découverte...

    Après la découverte des manuscrits, Qumrân fut soigneusement fouillé de 1946 à 1956. Les archéologues purent identifier certaines salles qui avaient servi à l'étude et au culte, ainsi que d'autres où étaient sans doute pris les repas en commun, une grande pièce avec des encriers (peut-être le scriptorium où étaient copiés les manuscrits) et enfin des bassins pour les bains. Les fouilles révélèrent également un cimetière proche comprenant plus de 1 000 tombes.

    Science et fantaisie

    Un demi-siècle après leur découverte, les manuscrits trouvés dans onze grottes des environs de la côte nord-est de la mer Morte continuent d'attirer l'attention tant des scientifiques que des chercheurs.

    Ce qui au début était réservé principalement aux publications destinées aux chercheurs a occupé, en fait, une place toujours plus considérable dans les milieux de diffusion de masse. En plus des publications de vulgarisation qui comptent avec un sérieux dossier scientifique, il existe également une longue liste de « best-sellers » destinés à informer les non-spécialistes sur le contenu des manuscrits, en même temps qu'ils promettent de révéler des secrets qui parfois se rapportent à des scandales du monde des spécialistes, tandis que d'autres dénoncent certaines manœuvres sinistres pour les cacher, ou annoncent de nouvelles découvertes qui marque­raient la fin de la foi chrétienne.

    Souvent les périodiques annoncent des découvertes archéologiques ou un déchiffrement de textes anciens qui mettraient en question les fondements du christianisme ou ce que, habituellement, on affirme sur le terrain de la science. Dans ces cas, apparaît fréquemment le nom de Qumrân.

    La publication des manuscrits

    À partir du moment où l'on a considéré comme publique l'annonce de la découverte des manuscrits, les chercheurs firent connaître le contenu de ceux-ci en des livres et des revues spécialisées, tandis que paraissaient lentement les gros volumes qui contiennent les fac-similés. Beaucoup de spécialistes qui se servaient de ces premières publications assumèrent la tâche de les vulgariser.

    L'état dans lequel se trouvent les manuscrits, souvent réduits à de petits fragments de très peu de centimètres (et parfois de millimètres), est un facteur qui empêche une publication rapide de ces manuscrits. Pour reconstituer les livres, les spécialistes doivent s'astreindre à une tâche qui souvent ressemble à la solution d'un casse-tête. Une fois reconstruit, le livre doit être translittéré, traduit et finalement interprété, avant d'être confié aux presses. Ceux qui s'entendent en la matière ne peuvent exiger davantage de célérité.

    Pour éviter que, comme conséquence de quelque conflit belliqueux, les textes ne puissent se perdre définitivement, on mit à part quelques copies de la totalité de ces textes, même de ceux qui n'avaient pas été traduits, et on les déposa en diverses parties du monde. Sur ces copies pesait une espèce d'embargo de publication, vu que le département des Antiquités de l'État d'Israël s'en réservait les droits, mais aux États-Unis on ne se sentit pas lié par cet embargo et en 1991, après l'annonce selon laquelle Israël ne prendrait pas de mesures légales contre les éditeurs, parut une publication en deux tomes avec la totalité des textes.

    Une histoire différente des origines du christianisme

    Très peu de jours avant que ne paraisse au jour ladite édition, les journalistes Michael Baigent et Richard Leigh firent paraître aux États-Unis le livre « The Dead Sea Scrolls Deception » (La supercherie des rouleaux de la mer Morte), qui eut une ample diffusion et fut rapidement traduit en d'autres langues. L'édition qui se vend à Buenos Aires porte une bande aguichante : Le livre qui fait trembler le Vatican. D'après ces auteurs, une grande quantité de textes de Qumrân avaient été cachés par les soins d'un manœuvre du Vatican, parce qu'en ces textes figurait une version totalement différente des origines du christianisme.

    La description présentée par Baigent et Leigh se révéla un étonnant roman : le Nouveau Testament, rédigé au 2ème siècle, a défiguré les faits, parce que, en réalité, les premiers habitants de Qumrân constituaient un groupe de « guerrilleros » qui luttaient contre l'occupation romaine sous les ordres de Jacques, que le Nouveau Testament appelle « frère de Jésus » et qui n'est autre que « le maître de justice », le fondateur de la Communauté, selon les manuscrits.

    Saint Paul fut un agent du sanhédrin, qui pour s'introduire dans la communauté feignit une conversion et fit semblant qu'il allait recruter des volontaires parmi les Juifs de la diaspora en vue de la lutte contre les Romains. Mais ce qu'il fit, ce fut d'inventer l'histoire de Jésus pour brouiller les idées des Juifs et les convertir en fidèles sujets des Romains.

    Comme roman, cela pouvait se trouver très intéressant, mais comme histoire, il y a là-contre que rien de cela n'a pu être trouvé dans les manuscrits une fois connus dans leur publication intégrale.

    En réalité, ces deux journalistes ne créaient rien de nouveau : ils ne faisaient que suivre les traces d'un autre collègue, Edmund Wilson, qui en 1955 publia l'annonce que les manuscrits provoquaient la confusion chez les Chrétiens et les Juifs. Ils disposaient également de la conférence et des publications du professeur John Allegro, membre du comité des chercheurs consacrés à la publica­tion des textes, qui affirmait que dans les documents il apparaissait que le fondateur de la communauté, le Maître de justice, avait été crucifié et enseveli, et que ses disciples attendaient sa résurrection. Plus tard, il dut se rétracter de ces traductions face aux preuves d'inconsistance apportées par d'autres experts.

    John Allegro dénonça, de même, la fausseté des affirmations selon lesquelles le retard dans la publication était dû à certaines manœuvres tendant à empêcher l'édition des documents, lesquelles manœuvres auraient émané d'autorités religieuses craignant que l'on connaisse la vérité sur les origines du christianisme. L'existence de ce complot apparaît, de plus, comme thèse du livre de N. A. Silberman, « La guerre des rouleaux de la mer Morte » qui affirme que tout cela est l'œuvre de spécialistes juifs et chrétiens qui placent la discipline religieuse avant le respect de la vérité.

    Les journalistes M. Baigent et R. Leigh comptaient aussi avec les théories avancées au cours de la décennie précédente par Robert H. Eisenman, professeur de l'université de Californie, selon lesquelles les manuscrits n'appartenaient pas à la date que leur attribue la grande majorité des spécialistes, ce que démontraient les analyses au carbone 14.

    Le professeur Eisenman mit en doute le paiement que recevaient les collègues pour leur travail, en même temps qu'il relativisait (ou mieux : dépréciait) la certitude que pouvait donner l'analyse au carbone 14, même sous sa forme la plus perfectionnée. Il proposa pour les textes de Qumrân une date plus tardive : ils appartiendraient à l'époque des origines du christianisme et les personnes qui y sont mentionnées sont Jacques, « le frère de Jésus » (le Maître de justice), saint Paul (l'homme du mensonge) et le grand-prêtre Anne (le prêtre impie).

    Robert H. Eisenman est l'un des responsables de l'édition complète des photographies des manuscrits de Qumrân mentionnées précédemment, mais en celles-ci, on ne peut rien trouver qui rendent vraisemblables ses théories, si ce n'est à travers une exégèse capricieuse des textes. Au contraire, on n'a pu trouver dans ces textes que des noms de personnages appartenant à l'époque préchrétienne.

    Pour évaluer correctement ces publications, il importe de savoir que les journalistes auteurs du livre « Les rouleaux de la Mer Morte » sont connus dans le monde des publications à sensations pour d'autres livres sur une certaine secte ou certain groupe ésotérique formé autour de descendants de la lignée de Jésus, qui subsistent encore et détiennent un plan de domination mondiale.

    Le professeur John Allegro, de son côté, est l'auteur d'un livre répandu - édité en espagnol à Buenos Aires - dans lequel il expose la thèse selon laquelle Jésus-Christ n'est rien de plus que la personnification d'un champignon hallucinogène auquel rendait culte une secte qui se droguait...

    Une version un peu différente des origines du christianisme à Qumrân se trouve dans les publications de Mademoiselle Barbara Thiering, professeur de l'université de Sydney, pour qui le Maître de justice était saint Jean Baptiste et le prêtre impie, rien de moins que Jésus. Le Seigneur aurait un été un moine de Qumrân opposé au rigoureux Baptiste en raison de son ouverture aux pécheurs et aux marginalisés. Condamné à mort par Pilate, il fut retiré de la croix avec une mort qui fut apparente grâce à un breuvage narcotique. Une fois rétabli par les soins médicaux des Esséniens, il voyagea à Rome, se maria d'abord avec Marie-Madeleine et plus tard avec Lydie (de Philippes), desquelles il eut deux enfants. La critique que l'on peut faire de cette théorie ne diffère en rien de la précédente : en plus d'être un roman surprenant, elle n'a aucun appui dans les textes qui indubitablement sont de l'époque préchrétienne. Pour arriver aux conclusions indiquées, il faut changer le sens des mots et utiliser une exégèse inacceptable.

    La mort apparente de Jésus et la réanimation postérieure avec l'aide de la médecine des Esséniens ont connu une autre variante dans l'œuvre des Allemands Holger Kersten et Elmar Gruber. D'après ceux-ci, les analyses au carbone par lesquelles on estima que le suaire de Turin n'était pas une relique authentique furent falsifiées par le Vatican, parce qu'il ne convenait pas que l'on sût la vérité: en réalité, le suaire révèle que Jésus n'était pas mort. La théorie de la falsification des analyses a été adoptée et diffusée par certains catholiques avec des intentions qui n'ont rien en commun avec celle des auteurs en question.

    L'œuvre de Dalmiro Sáenz, Cristo de pie (Le Christ debout) est un roman d'apparence historique dans lequel se révéleraient des données de la vie authentique d'un Jésus essénien, dont les documents seraient demeurés cachés à Qumrân et que l'on n'aurait pas encore fait connaître. Comme dans les autres cas, une fantaisie totalement incompatible avec ce que l'on sait aujourd'hui des manuscrits.

    Dans toutes ces œuvres, il apparaît que, sous une forme ou sous une autre, les doctrines du christianisme existaient déjà à Qumrân et que l'Évangile n'a apporté rien de nouveau.

    En 1950, peu d'années après les découvertes, le professeur André Dupont-Sommer, de la Sorbonne, soutint qu'il fallait chercher à Qumrân les origines du christianisme. En d'autres cas, ces auteurs présentent les similitudes de forme et de contenu des textes pour en déduire immédiatement qu'il s'agit d'une identité.

    Enfin, d'autres se limitent à affirmer que Jésus a appris sa doctrine dans la communauté de la Mer Morte, mais sans présenter aucun document pour appuyer cette affirmation. Les œuvres publiées en France par Gérald Messadié appartiennent à cette catégorie. La lenteur à publier - pour les motifs mentionnés plus haut - a été critiquée également par d'autres experts, mais l'explication selon laquelle on la devrait à un « complot » est le fruit de l'imagination, vu que l'édition dépend également de spécialistes non chrétiens qui n'ont jamais parlé de son existence.

    Bien plus, les membres du comité interconfessionnel responsable de la publication, dont faisait partie également J. Allegro, présentèrent une lettre dans laquelle ils s'opposaient aux affirmations de ce professeur.

    Enfin, l'édition totale des manuscrits a révélé qu'il ne s'y trouve rien qui mette en danger la foi des Chrétiens. Voire, ils peuvent être lus en version espagnole depuis plusieurs années. Le professeur Florentino García Martínez a publié en 1992 la traduction complète des manuscrits non bibliques, édition qui ultérieurement a été retraduite en d'autres langues.

    Manuscrits chrétiens à Qumrân

    Le père José O'Callaghan, professeur jésuite de Rome, a donné involontairement une forte impulsion à l'affirmation selon laquelle les habitants de Qumrân étaient les premiers Chrétiens, en annonçant qu'il avait identifié des textes du Nouveau Testament parmi le fragment de la grotte 7. Celle-ci, découverte en février 1955, attire l'attention des chercheurs, parce que, contrairement aux autres, elle contient seulement des papyrus (il n'y a pas de parchemins), qui sont rédigés seulement en grec (pas de textes en hébreu ni en araméen). Les fragments que l'on a pu facilement identifier parce qu'ils comprennent des mots ou des phrases entières appartiennent à l'Ancien Testament (la Septante).

    Le père O’ Callaghan s'est penché sur les fragments minuscules qui contiennent seulement quelques lettres et qui, à cause de cela, offrent une plus grande difficulté pour leur identification. Dans des conférences et des publications, de même que dans l'édition de son livre en 1974, ce chercheur présenta l'hypothèse que neuf de ces fragments appartenaient – avec différents degrés de certitude – aux livres du Nouveau Testament. Aujourd'hui, la discussion se limite au fragment 7Q5, qui serait à peu près de l'année 50 après Jésus-Christ, et qui, selon le père O’ Callaghan, contiendrait le texte de Mt 6, 52-53.

    Cette hypothèse, amplement discutée, est acceptée par certains et rejetée par d'autres. Le problème consiste à savoir si quelques lettres peuvent donner la certitude qu'à Qumrân on trouve des textes du Nouveau Testament.

    Il semble­rait qu'à l'aide des ordinateurs on a pu prouver scientifiquement que dans les livres écrits en grec actuellement connus, le groupe de lettres en question ne peut appartenir à nul autre qu'à l'évangile de Marc. S'il en est ainsi, l'hypothèse d'O’ Callaghan est possible et satisfait beaucoup de scientifiques.

    D'autres, en revanche, la rejettent, comme c'est le cas pour l'Institut de critique textuelle de Münster (actuellement la plus importante). Les professeurs E. A. Muro et E. Puech sont arrivés à la conclusion qu'il s'agit d'un fragment de l'apocryphe Lettre de Henoch. Le professeur Harmut Stegeman, de l'université de Göttingen, présente cette hypothèse de lecture du même papyrus. Ce même auteur a publié ultérieurement un volume dans lequel il traite amplement et profondément de ce thème.

    Mais ce qui dans la discussion scientifique paraît une possibilité a été renversé par quelques-uns et présenté comme une certitude dans un cadre complètement différent.

    Des représentants des fondamentalistes actuels ont brandi l'affirmation selon laquelle l'évangile de Marc est antérieur à l'an 50, comme garantie que les évangiles contiennent un compte rendu littéral de ce que Jésus a fait et dit, rédigé immédiatement après les faits. On attaque ainsi toute affirmation selon laquelle les évangiles présenteraient Jésus perçu à partir de la foi et de la prédication de l'Église.

    En retraçant la date de la composition de l'évangile on vise à exclure la possibilité d'un approfondissement théologique et d'une élaboration de la part de la communauté et des écrivains, processus aujourd'hui admis par tous les théologiens et aussi par le magistère de l'Église catholique.

    Pour conclure, du moins provisoirement

    Cette planche m’a permis de découvrir la communauté des Esséniens qui vivait aux alentours de Qumrân, quel était leur quotidien. Travail, prière, étude et ascèse constituaient les principaux axes de leur vie. J’ai aussi découvert leur fidélité fondamentale à la religion de leurs ancêtres juifs, leur vénération extrême à l'égard du Temple de Jérusalem, des points communs avec les Chrétiens : ils observaient la chasteté. Ils pratiquaient la bénédiction du pain et du vin ; ils se baptisaient ; ils s'interdisaient toute nourriture animale sauf le poisson. Tout cela était identique aux pratiques chrétiennes de l'antiquité. Indirectement, cette recherche m’a aussi permis :

    • d’évoquer la découverte des « Manuscrits de la mer Morte » dans la localité de Qumrân ;
    • de remettre en question bien trop de certitudes dues à l’éducation catholique reçue durant mon enfance
    • et notamment de découvrir une histoire bien différente des origines probables du christianisme.

     

    R:. F:. A. B.

    Bibliographie

    Del Medico, H.E. - Le Mythe des Esséniens

    Editions Plon, Paris, 1958

     

    Eisenman Robert - The Dead sea scrolls and the first christians

    Element Books Ltd., 1996

     

    Gallez Edouard M. - Le Messie et son prophète - 2 tomes

    Editions de Paris, Versailles, 2005

     

    Ouvrage collectif sous la direction de Hershel Shanks

    L'Aventure des manuscrits de la mer Morte

    Collection Points, Editions  Seuil, Paris, 2002

     

    Simon Marcel - La Civilisation de l’Antiquité et le Christianisme

    Chapitre concernant le Judaïsme

    Editions Arthaud, Paris, 1972


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  •  Approche de l’opéra « La Flûte enchantée » 

    Présentation succincte

    « La Flûte enchantée »,  dont le titre original en allemand est Die Zauberflöte, est une œuvre musicale pour le théâtre, mi-chantée, mi-parlée. Le livret en deux actes a été écrit par Emanuel Schikaneder et la musique composée par Wolfgang Amadeus Mozart.

    La première représentation eut lieu le 30 septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne, au théâtre de Schikaneder « auf der Wieden », petite salle en bois fréquentée par un public plus populaire que celui d'une salle d'opéra habituelle.

    C'est dans cet opéra que l'on entend le célèbre air de la Reine de la Nuit : « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen ». Du fait de son succès, la 100ème représentation fut déjà atteinte un an plus tard !

    Structure de l’opéra

    L'œuvre est divisée en une ouverture et deux actes, chacun subdivisé en une série de huit et treize tableaux. C'est une succession d'arias (airs chantés par un  chanteur en solo), de duos, de trios, de quintettes parfois avec chœur, et entrecoupée de textes parlés. La « Marche des Prêtres « (Acte II, n° 9) n'est pas chantée, comme une sorte d'ouverture au début du deuxième acte. Les finales de chaque partie (Acte I, n° 8 / Acte II, n° 21) réunissent l'ensemble des personnages déjà présentés.

    Le thème

    « La Flûte enchantée » est le dernier opéra joué du vivant de Mozart. Lorsqu'il compose cette œuvre, cela fait plusieurs années qu’il a cessé d’être « à la mode » et réussit alors laborieusement à vivre de sa musique. Pourtant, il crée là l’une de ses œuvres majeures. Pour rédiger le livret de ce « singspiel » (opéra allemand où passages parlés et passages chantés sont alternés), Mozart s’adresse à Emanuel Schikaneder, comédien, metteur en scène et directeur du Theater « auf der Wieden » de Vienne. Grâce à cette association naît une histoire qui se situe à mi-chemin entre le conte de fées et la fable symbolique. « La Flûte enchantée » représente d’ailleurs l’opéra maçonnique par excellence, que seuls les initiés parviendraient à décrypter. En effet, Mozart aurait été initié en 1784. C’est pourquoi les épreuves que doit relever Tamino rappellent sans conteste l’initiation du futur Franc-maçon, de même que les oppositions Lumière / Nuit – Bien / Mal…

    « La Flûte enchantée » possède les divers éléments du conte de fées traditionnel : le jeune héros, après une suite d’obstacles, retrouve – et délivre – sa bien-aimée. C’est aussi et surtout le récit d’un voyage initiatique au terme duquel, après de nombreuses épreuves, les héros triomphent du mal. En outre, la quête des héros est aussi celle de l’amour puisque Tamino et Papageno trouveront, à la fin de leur aventure, leur idéal féminin. Amour et recherche de la sagesse sont donc deux des points essentiels présents dans « la Flûte enchantée ». Pour traiter ces thèmes, l’œuvre opère un incessant va et vient entre gravité et comique (interventions de Papageno). « La Flûte enchantée » peut être analysée à la lumière des symboles maçonniques, omniprésents.

    Tentative de compréhension de l’histoire

    Ouverture

    Dans une simplicité à la fois profonde et déjà presque surnaturelle, c'est par un enchaînement ascendant de trois accords, entrecoupés de courts silences, que débute son premier volet, joué adagio. Eux-mêmes répétés trois fois chacun lorsqu'ils sont repris plus loin (à peu près à mi-parcours de cette ouverture), ils avertissent de la solennité d'une œuvre qui mêlera la gravité et l'humour. Ces accords rappellent aussi les coups frappés à l'entrée de la Loge maçonnique et rendent ainsi manifestes les trois points de la Franc-maçonnerie (voir le chapitre Analyse esthétique). En effet, Mozart, qui était franc-maçon, avait décidé de faire l'apologie de cet ordre initiatique, dans une œuvre qui lui est entièrement consacrée.

    L'allegro qui succède sans interruption à cet adagio expose un thème vif, léger et joyeux sans être désinvolte, sachant aussi devenir majestueux et porteur d'une tension dramatique : il est d'abord exposé aux violons, avant de nourrir toute la polyphonie. L'ouverture de « la Flûte enchantée » est en effet la seule de tous les opéras de Mozart (et une des rares, sinon la seule de l'époque classique) qui présente un fugato développé, après un premier épisode plus lent et solennel. Elle se rattache ainsi, à sa manière, à l'ouverture à la française de l'époque baroque. Mais son second épisode se rattache également (et encore plus sûrement) à l'allegro de sonate. Selon Jean-Victor Hocquard : « Il ne s'agit pas ici d'une fugue à proprement parler, mais d'un mouvement de sonate qui adopte par moments le style fugué. Exemple frappant de la synthèse, caractéristique du dernier Mozart, entre l'écriture contrapuntique et le langage thématique ». C'est ainsi qu'après le rappel des accords initiaux, à peu près au centre de l'allegro, l'écriture fuguée reprend, un peu plus longuement que la première fois.

    La brève coda est immédiatement suivie du premier acte.

    Acte I

    Égaré en voyage dans un pays inconnu, le prince Tamino est attaqué par un serpent (en allemand « Schlange »). Alors qu'il s'évanouit, sûr de mourir, il est sauvé par les trois dames d'honneur de la Reine de la nuit. Pendant que le prince est encore évanoui, les trois dames chantent la beauté du jeune homme.

    Elles décident d'aller porter la nouvelle à leur reine, mais chacune d'elles veut rester près de Tamino proposant aux deux autres de porter le message. Après s'être disputées, elles disparaissent. Le prince se réveille et voit le corps inanimé du monstre. Se demandant s'il a rêvé ou si quelqu'un lui a sauvé la vie, il entend soudain un air de flûte de Pan (Faunenflötchen, ou Waldflötchen : petite flûte de la forêt). Il se cache et voit arriver Papageno l'oiseleur. Au cours de leur premier dialogue, Papageno se vante d'avoir tué le serpent. Les trois dames réapparaissent et le punissent de ce mensonge en lui donnant de l'eau à la place du vin et une pierre à la place du pain sucré qu'elles lui donnent d'habitude. Pour finir, elles le réduisent au silence en lui fermant la bouche avec un cadenas d'or.

    Les trois dames révèlent à Tamino qu'elles lui ont sauvé la vie. Elles lui parlent ensuite de Pamina, la fille de la Reine de la nuit. Elles lui montrent son portrait, et disparaissent. À la vue du portrait, Tamino tombe amoureux de la jeune fille et songe au bonheur qui l'attend. Réapparaissent les trois dames qui lui disent de qui Pamina est prisonnière. Aussitôt, Tamino veut la délivrer. La Reine de la nuit apparaît alors dans un grondement de tonnerre et lui narre son désespoir de voir sa fille prisonnière (c'est l'air « O zittre nicht, mein lieber Sohn »). Elle dit finalement à Tamino que si elle le voit revenir vainqueur, Pamina sera sienne pour l'éternité. Puis elle disparaît. Tamino s'interroge alors sur ce qu'il a vu et prie les Dieux de ne pas l'avoir trompé.

    Apparaît alors Papageno, triste de ne plus pouvoir parler. Les trois dames réapparaissent et le libèrent de son cadenas, en lui faisant promettre de ne plus mentir. Elles remettent également à chacun un instrument qui leur est envoyé par la Reine. Tamino se voit offrir une flûte enchantée, tandis que Papageno reçoit un carillon magique. Ces instruments les aideront à triompher des épreuves qui les attendent. Les deux hommes partent en quête de Pamina chacun de son côté.

    Dans le palais de Sarastro, le serviteur maure Monostatos poursuit désespérément Pamina de ses assiduités. Survient Papageno. Le Maure et l'oiseleur se trouvent face à face. Chacun effraie l'autre, croyant être en présence du Diable. Monostatos s'enfuit, et Papageno se trouve seul avec Pamina. Il lui révèle alors qu'un prince va venir la délivrer, en ajoutant que le prince est devenu follement amoureux d'elle sitôt qu'il a vu son portrait. Pamina lui fait un compliment sur son grand cœur. Touché par ces paroles, Papageno raconte alors sa tristesse de ne pas encore avoir trouvé sa Papagena. Pamina le réconforte, et la princesse et l'oiseleur s'accordent pour chanter la beauté de l'amour avant de fuir.

    Pendant ce temps, Tamino est conduit vers les trois temples de la Sagesse, de la Raison et de la Nature par trois génies qui lui recommandent de rester « ferme, patient et discret ». Après que Tamino s'est vu refuser l'entrée des deux premiers temples, un prêtre s'adresse à lui pour lui expliquer que Sarastro n'est pas un monstre comme la Reine de la nuit le lui a décrit, mais qu'il est au contraire un grand sage. Tamino, saisi par la solennité de la cérémonie, veut la comprendre et se met à poser des questions aux prêtres. Il saisit sa flûte magique et en accompagne son chant. Il se retrouve alors entouré de bêtes sauvages sorties de leur repaire, et qui viennent se coucher à ses pieds, charmées par le son de l'instrument. Seule Pamina ne répond pas aux sons cristallins de la flûte, mais Papageno répond à Tamino sur sa flûte de Pan. Réjoui, le prince essaie de les rejoindre.

    De leur côté, Papageno et Pamina espèrent retrouver Tamino avant que Monostatos et ses esclaves ne les rattrapent. Les voici qui surgissent tout à coup et le Maure ordonne alors que les fugitifs soient enchaînés. Papageno se souvient alors qu'il possède un carillon magique et s'en sert pour envoûter Monostatos et ses esclaves qui se mettent à danser et à chanter avant de disparaître. Une fanfare de trompettes interrompt soudain le silence : c'est Sarastro suivi d'une procession de prêtres. Papageno tremble de peur et demande à Pamina ce qu'il faut dire. Pamina répond qu'il faut dire la vérité même s'il leur en coûte, et s'agenouille devant Sarastro. Comme elle a décidé de dire la vérité, elle explique alors à Sarastro qu'elle tente d'échapper à Monostatos. Celui-ci refait alors son apparition, traînant avec lui Tamino qu'il a capturé.

    Aussitôt qu'ils se voient, Pamina et Tamino se jettent dans les bras l'un de l'autre en présence de Monostatos et des prêtres. Ce dernier les sépare et se prosterne devant Sarastro pour ensuite vanter ses mérites personnels. Il s'attend à être récompensé, mais est au contraire condamné à recevoir soixante-dix-sept coups de fouet.

    Sarastro ordonne alors que Papageno et Tamino soient conduits au Temple des Épreuves.

    Acte II

    Sarastro annonce aux prêtres que les Dieux ont décidé de marier Tamino et Pamina. Mais auparavant, Tamino, Pamina et Papageno devront traverser des épreuves avant de pénétrer dans le Temple de la Lumière qui leur permettra de contrer les machinations de la Reine de la nuit. Sarastro prie Isis et Osiris d'accorder aux candidats la force de triompher de ces épreuves.

    Les prêtres interrogent Tamino et Papageno sur leurs aspirations. Celles de Tamino sont nobles, tandis que Papageno n'est intéressé que par les plaisirs de la vie, y compris par l'idée de trouver une compagne. Leur première épreuve consiste en une quête de la Vérité. Les prêtres leur enjoignent de conserver le silence complet et les laissent seuls. C'est alors qu'apparaissent les trois dames de la Reine de la nuit. Tamino leur oppose un silence résolu, mais Papageno ne peut s'empêcher de leur parler. Les prêtres réapparaissent pour féliciter Tamino et gronder la faiblesse de Papageno.

    Pendant ce temps, Pamina est étendue, assoupie dans un jardin. C'est alors qu'entre Monostatos, décidé à attenter à nouveau à la vertu de la jeune fille. La Reine de la nuit apparaît alors dans un coup de tonnerre, faisant fuir Monostatos. Elle donne un poignard à sa fille et la somme de tuer Sarastro, menaçant même de la renier si elle ne lui obéit pas (Air de la Reine de la nuit).

    Et la Reine de la nuit disparaît. Monostatos revient alors vers Pamina et tente de la faire chanter. Mais Sarastro apparaît et renvoie Monostatos sans ménagement. Le Maure décide d'aller trouver la mère de Pamina. Sarastro déclare alors à Pamina qu'il fera payer sa mère.

    Dans une pièce sombre, les prêtres ont une nouvelle fois demandé à Tamino et Papageno de garder le silence. Comme toujours Papageno ne peut se maîtriser et engage la conversation avec une vieille femme qui se présente à lui. Elle disparaît avant de lui avoir dit son nom.

    Pamina entre et, ignorante de leur vœu de silence, s'approche des deux hommes. Mais elle désespère de recevoir une réponse de leur part. Croyant que Tamino ne l'aime plus, elle sort le cœur brisé.

    Les prêtres réapparaissent et proclament que Tamino sera bientôt initié. Sarastro le prépare à ses dernières épreuves. Pamina est introduite les yeux bandés après qu'on lui a dit qu'elle verrait Tamino pour qu'il lui fasse un dernier adieu. Il s'agit en fait d'une épreuve et Sarastro s'applique à rassurer Pamina, mais elle est trop abattue pour comprendre le sens de ses paroles.

    Pendant ce temps, Papageno se voit accorder le droit de réaliser un vœu. Il demande un verre de vin, mais prend conscience qu'il aimerait par-dessus tout avoir une compagne. Il chante alors son désir en s'accompagnant de son carillon magique. La vieille femme réapparaît, et menace Papageno des pires tourments s'il ne consent pas à l'épouser. Il lui jure alors fidélité et elle se transforme en une jeune et belle femme. Mais un prêtre les sépare sous prétexte que Papageno ne s'est pas encore montré digne d'elle.

    Dans un jardin, les trois génies annoncent l'avénement d'une ère nouvelle, de lumière et d'amour. Ils voient soudain Pamina, agitée par des idées de suicide. Ils la sauvent et la rassurent sur l'amour de Tamino.

    Les prêtres conduisent Tamino vers ses deux dernières épreuves : celle du feu et celle de l'eau. Pamina se joint à lui, et le guide à travers ses dernières épreuves. Ils sont accueillis triomphants par Sarastro et les prêtres.

    De son côté, Papageno est toujours à la recherche de Papagena. Désespéré, l'oiseleur envisage de se pendre à un arbre. Les trois génies apparaissent alors, et lui suggèrent d'utiliser son carillon magique pour attirer sa compagne. Profitant de ce qu'il joue de l'instrument, les trois génies vont quérir Papagena et l'amènent à son amoureux. Après s'être reconnu, le couple peut enfin converser dans la joie.

    À la faveur de l'obscurité, Monostatos mène la Reine de la nuit et ses dames vers le temple pour une dernière tentative contre Sarastro. Mais le ciel est alors inondé de lumière et elles s'évanouissent dans les ténèbres ainsi que lui. Sarastro et le chœur des prêtres apparaissent pour vanter les mérites des nouveaux initiés, et louer l'union de la Force, de la Beauté et de la Sagesse (StärkeSchönheitWeisheit).

    Les airs chantés

    Acte I

    • n° 1 Introduction« Zu Hilfe! Zu Hilfe! » (Tamino, Trois dames)

    • n° 2 Aria « Der Vogelfänger bin ich ja » (Papageno)

    • n° 3 Aria« Dies Bildniss ist bezaubernd schön » (Tamino)

    • n° 4 Aria« O zittre nicht, mein lieber Sohn! » (Reine de la nuit)

    • n° 5 Quintette« Hm! hm! hm! » (Papageno, Tamino, Trois dames)

    • n° 6 Trio« Du feines Täubchen nur herein! » (Pamina, Monostatos, Papageno)

    • n° 7 Duo « Bei Männern, welche Liebe fühlen » (Pamina, Papageno)

    • n° 8 Finale« Zum Ziele führt dich diese Bahn » (Trois garçons, Tamino, Pamina, Papageno, Orateur, Monostatos, Sarastro, chœur)

    Acte II

    • n° 9 Marche des prêtres

    • n° 10 Aria « O Isis und Osiris » (Sarastro, chœur d'hommes)

    • n° 11 Duo « Bewahret euch vor Weibertücken »(Deux prêtres, Orateur)

    • n° 12 Quintette « Wie? Ihr an diesem Schreckensort? » (Trois dames, Tamino, Papageno)

    • n° 13 Aria « Alles fühlt der Liebe Freuden » (Monostatos)

    • n° 14 Aria « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » (Reine de la nuit)

    • n° 15 Aria « In diesen heil’gen Hallen » (Sarastro)

    • n° 16 Trio « Seid uns zum zweitenmal willkommen » (Trois garçons)

    • n° 17 Aria « Ach, ich fühls, es ist verschwunden » (Pamina)

    • n° 18 Chœur des prêtres « O Isis und Osiris, welche Wonne! » (chœur d'hommes)

    • n° 19: Trio « Soll ich dich, Theurer, nicht mehr seh’n? » (Pamina, Tamino, Sarastro)

    • n° 20: Aria « Ein Mädchen oder Weibchen » (Papageno)

    • n° 21: Finale « Bald prangt den Morgen zu verkünden » (Trois garçons, Pamina, deux hommes en armure, Tamino, Papageno, Papagena, Monostatos, Reine de la nuit, Trois dames, Sarastro, chœur)

    Instrumentation de « La Flûte enchantée »

    Quels sont les instruments de musique utilisés dans cet opéra ?

    • un ensemble d’instruments à cordes : les premiers violons,les seconds violons, les altos, des violoncelles, des contrebasses ;

    • un ensemble de « bois » : deux flûtes, l'une jouant aussi du piccolo ; deux hautbois ; deux clarinettes jouant aussi du cor de basset ; deux bassons ;

    • un ensemble de « cuivres » : deux cors, deux trompettes ; trois trombones (alto, ténor et basse) ;

    • des percussions: deux timbales, un glockenspiel.

    L’orchestration de l’opéra

    C'est un orchestre symphonique classique qui sert de base à l'instrumentation de « la Flûte enchantée », une des flûtes jouant le piccolo, les clarinettes, dans différents tons comme les trompettes, jouant elles du cor de basset cher à Mozart dans ses musiques de chambre pour vents.

    À noter l'utilisation de plus en plus fréquente des trois trombones (alto, ténor et basse) et, dans l'avant-dernier numéro (Acte II, no 20), la présence du glockenspiel fréquemment remplacé par un célesta confié à un pianiste (arpèges très virtuoses en accompagnement du couplet final). Dans l’aria « Der Vogelfänger bin ich ja » (Acte I, n° 2), Papageno doit jouer de la flûte de Pan, le plus souvent doublée par le piccolo de l'orchestre ou parfois par une flûte à bec.

    Tentative d’analyse esthétique

    Combat de la lumière contre la nuit, les illusions et les tromperies permettent l'instauration d'un ordre nouveau, héritant de l'ordre ancien et des Lumières. Le bien, symbolisé par l'amour trouvé par les personnages, triomphe.

    Le choix de la flûte repose sur le fait que cet instrument est symbole d'air, fabriqué sous l'averse (symbole d'eau) au bruit du tonnerre (symbole de la terre) et à la lueur des éclairs (symbole du feu). Le pouvoir magique de cette flûte vient du fait qu'elle réunit les quatre éléments primordiaux en elle.

    La hiérarchie des rôles principaux est faite de complémentarités :

    Soleil – Lune

    • Sarastro est le symbole statique de l'homme, du bien, il ne connaît pas la passion. Il garde le domaine de l'Esprit en ayant succédé au père de Pamina qui en était le Maître. Il est symbolisé par le Soleil. Il est inspiré du personnage de Zoroastre.

    • La Reine de la nuit est le symbole de la révolte de la femme contre la suprématie de l'homme. La Reine de la Nuit est le symbole de l'ignorance et des superstitions. Passionnée, elle apparaît comme manipulatrice et prêt à tout pour arriver à ses fins. Elle est symbolisée par la Lune. Elle ne représente pas le mal en soi, mais plutôt, la passion non raisonnée, l'ignorance, les superstitions et les mauvais sentiments.

    Feu - Eau

    • Tamino est destiné à former le couple dans la plus haute acception du terme grâce à l'amour lui faisant surmonter les épreuves de l'initiation. Il est symbolisé par le feu et joue de la flûte magique.

    • Pamina est complémentaire de Tamino en étant le moteur de leur initiation commune. Elle change de monde en passant du règne de la Nuit à celui du Soleil par l'amour et par l'initiation. Elle est symbolisée par l'eau.

    Air – Terre

    • Papageno, figure l'humanité « ordinaire » pleine de bonne volonté mais sans courage et sans intelligence. Il est donc « indigne » d'être initié. Il est au service de la Reine de la Nuit mais son voyage avec Tamino lui permet de passer dans le règne du jour. Il est symbolisé par l'air. Son nom, et celui de « Papagena », sont fondés sur le mot allemand « Papagei » qui signifie « perroquet ». C'est pour cette raison que leur costume est couvert de plumes multicolores.

    • Monostatos le Maure est le seul homme du Royaume de la nuit après sa trahison (il fait le chemin inverse de Papageno). Sa noirceur de Maure est liée à son état civil traditionnel des gardiens d'esclaves. Elle évoque aussi l'obscurité de la Terre qu'il symbolise.

    En faisant abstraction des étiquettes (nuit, lumières, etc.), la trame apparaît complexe, mêlant des éléments classiques et d'autres plus originaux. On y voit notamment :

    • une puissance (la reine) qui demande l'aide de quelqu'un qui n'est pas encore armé, et auquel elle fournit les instruments du succès ; devenu prince victorieux, il la supplante ;

    • un homme (le prince) qui échappe à sa condition de serviteur en conquérant pour son propre compte ce qu'il avait pour mission de reprendre, et en exploitant intelligemment une idéologie à laquelle il se soumet en apparence (l'histoire ne dit pas s'il le fait réellement) ;

    • un homme (le prince) et la femme qu'il aime qui traversent victorieusement des épreuves initiatiques, apprennent à se maîtriser (cacher leurs sentiments, etc.) et par là conquièrent le monde (l'amour, le trône) ; un autre homme (le serviteur) et la femme qu'il aime agissent naïvement et se font conquérir ;

    • un penseur, philosophe, qui instruit le chevalier pour faire triompher la Lumière et la Sagesse, fonde grâce à lui une domination légitime, de sorte que le monde retournera à l'équilibre (comme du temps où le père de Pamina et mari de la Reine de la Nuit régnait avant Sarastro) ;

    • une révolution où tout est changé : au début de cet opéra, tout est chaos et lutte entre la Reine de la nuit et Sarastro. Par la double initiation de Tamino et Pamina, la force et la noblesse du couple ayant vaincu les obstacles, la Beauté et la Sagesse sont couronnées pour l'éternité, la terre devient un royaume céleste et les mortels sont semblables aux dieux.

    Les thèmes abordés dans cet opéra sont pour beaucoup empruntés au rituel d'initiation de la Franc-maçonnerie dont Mozart et le librettiste Emmanuel Schikaneder faisaient partie bien que, pour Schikaneder, celui-ci en ait été chassé, n'ayant jamais dépassé le grade de Compagnon. Le parcours initiatique de Tamino et Pamina (voués au dieu Min) dans le Temple de Sarastro est inspiré des cérémonies d'initiation maçonnique au sein d'une Loge.

    Dans son ouvrage «  La Flûte enchantée, opéra maçonnique » (Editions Robert Lafont), le musicologue Jacques Chailley explore les riches allusions musicales aux symboles maçonniques. Rien que dans les premières notes de l'ouverture, on reconnaît le rythme 5 (-/--/--) symbolisant les femmes puis se succèdent trois accords, chacun répété trois fois, dans une tonalité en mi bémol majeur comportant trois bémols à la clef. On peut y voir une allusion au Nombre de l'Apprenti [1], symbolisant l'harmonie de la trinité Osiris, Isis et Horus, assurant l'unité et l'équilibre du monde.

    Mozart, Franc-maçon dévoué à l'initiation, décide d'écrire une œuvre retraçant les grands mystères et célébrant enfin les noces alchimiques annoncées dans les opéras initiatiques que sont « Les Noces de Figaro », « Don Juan » et « Cosi fan tutte ».

    Le compositeur rêve de ressusciter l'initiation égyptienne perdue et si importante à ses yeux pour la paix du Monde. Il veut redonner la place aux femmes, oubliées et pourtant au centre des croyances initiatiques. Certains observateurs estiment que le génie de Mozart s'exprime pleinement dans cet opéra qui atteint une perfection inégalée auparavant parce qu'il transporte l'auditeur au sein d'un rituel initiatique.

    Un peu avant la fin de l'initiation, dans la troisième scène du « Finale » (acte 2, vingt-huitième entrée), au moment où Tamino est conduit au pied de deux très hautes montagnes par deux hommes en armure, Mozart fait aussi entendre le choral luthérien « Ach Gott, vom Himmel sieh darein » (Ô Dieu, du ciel regarde vers nous). Il est traité en choral figuré, chanté par les deux voix d'hommes en cantus firmus sur les mots « Der, welcher wandert diese Strasse voll Beschwerden, wird rein durch Feuer, Wasser, Luft und Erden,… » (Celui qui chemine sur cette route pleine de souffrances sera purifié par le feu, l'eau, l'air et la terre…) : s'élevant en valeur longues au-dessus d'une polyphonie en contrepoint, à l'orchestre. Ce choral rappelle la manière d'un Jean-Sébastien Bach.

    Quelques mots à propos de la création de cet opéra

    « La Flûte enchantée » est le prolongement d’une collaboration de Mozart avec la compagnie du Theater « auf der Wieden », un nouveau théâtre dans les faubourgs de Vienne, dirigé par Emanuel Schikaneder. L’empereur Joseph II autorise à cette époque l’ouverture de théâtres libres dans lesquels sont représentées des œuvres en langue allemande.

    Cela explique sans doute pourquoi, après le succès mitigé de Don Giovanni (Don Juan), des Nozze di Figaro (Les Noces de Figaro) et de Cosi fan tutte, dans le domaine de l’opéra italien aristocratique, Mozart accepte la proposition que lui fait Schikaneder d’écrire à nouveau un « Singspiel » à la manière populaire de son théâtre avec des effets spéciaux et de la magie, d’autant plus populaire qu’il sera écrit dans une langue intelligible par tous et s’adressera à toutes les classes sociales.

    La salle de spectacle n'est pourtant pas un théâtre de deuxième ordre, comme on l’a souvent affirmé: elle dispose au contraire d’importantes ressources techniques, qui ont permis les nombreux effets spéciaux et changements de décor qui abondent dans « la Flûte enchantée » et déterminent sa structure dramaturgique.

    L’opéra relève en effet de l’esthétique du merveilleux et du spectaculaire propre au monde germanique, ce que remarquera Weber, ainsi que Wagner. Ainsi qu'il est apparu depuis peu, selon « l'Avant-scène opéra », Schikaneder faisait participer tous ses collaborateurs à ce qui était un travail de groupe, groupe auquel s'est joint Mozart, pour sa plus grande satisfaction, dans le but de divertir et de surprendre par des apparitions. C'est là qu'est l'originalité de la « Flûte ». Schikaneder a mis en scène d'une manière originale, la sienne, un conte de Wieland, « Lulu oder die Zauberflöte » (1786), qui est un conte de fée et y a ajouté des éléments d'une Initiation à la Franc-maçonnerie, mélangeant les genres « buffa » et « séria » (l'air de la Reine de la nuit), avec éclectisme.

    « La Flûte enchantée » est, d’après le musicologue Alain Patrick Olivier, une œuvre collective résultant de la collaboration de Mozart avec la plupart des autres participants avec lesquels il entretenait des liens familiaux, fraternels ou idéologiques.

    L’œuvre serait la réalisation en acte d’un principe maçonnique fondamental consistant à réaliser en commun un travail à destination spirituelle.

    Le travail n’obéissait pas alors à une division stricte et la notion d'auteur comme génie propagée par le romantisme, justement à propos de Mozart, n'avait pas encore cours. Mozart a participé lui-même activement à l’écriture du livret, tandis que Schikaneder aurait composé lui-même certains numéros de musique (comme les deux airs de Papageno et le duo avec Pamina).

    La symbolique maçonnique dans « La Flûte Enchantée »

    Pour les Profanes, « la Flûte enchantée » apparaît soit comme un conte de fée ou encore comme une épopée amoureuse qui inclut le parcours d'un couple, Pamina et Tamino, vers la Connaissance, la connaissance de soi et partant celle des autres. Mais allons un tout petit peu plus loin. Comme Francs-maçons, nous pouvons y voir rapidement des liens. Tentons de déceler à présent certains éléments symboliques de l'œuvre. Il n’est pas possible de les mentionner tous car il y en a beaucoup trop.

    L'action de « la Flûte Enchantée » reprend l'affrontement des clans symbolisés par le Jour et la Nuit l'Homme et la Femme, Sarastro et la Reine de la Nuit. Ce dualisme de situations suggère d'utiliser les deux Colonnes du Temple, Jakin et Boaz, pour aborder l'aspect symbolique de l'opéra. En effet, dans le respect des diverses significations allouées aux Colonnes, tentons de répartir les éléments majeurs de l’œuvre, à savoir : les principaux personnages, les objets et les décors.

    Sur la Colonne du Sud, du côté de Jakin, peuvent prendre place SARASTRO ou le Soleil, TAMINO ou le Feu, PAPAGENO ou l'Air, l'Or de la Flûte, le Nombre 3 des batteries, la couleur rouge, la Maçonnerie masculine. Sur la Colonne du Nord, nous trouvons la Nuit ou la Reine du même nom, PAMINA ou l'Eau, MONOSTATOS ou la Terre, l'argent du Glockenspiel, le Nombre 5 des batteries, les couleurs blanche et noire, la Maçonnerie féminine ou d'adoption. Il faut souligner qu'on pourrait de la même manière répartir les éléments de la partition, à la note près dans beaucoup de cas.

    Par ailleurs, nous verrons que PAPAGENO et MONOSTATOS permuteront sur les colonnes au cours de l'action : le premier quittera le camp de la Reine de la Nuit pour rejoindre celui de TAMINO et donc de SARASTRO. Le Maure fera le trajet inverse.

    Examinons plus en détail les personnages et les objets alignés sur les Colonnes.

    SARASTRO (J) : Sarastro évoque le nom de Zoroastre l'initié. Ce nom est inspiré de ZOROASTRE ou ZARATHOUSTRA, personnage historique et légendaire. Le vrai ZOROASTRE, expert en astronomie, serait l'inventeur de la magie. Dans l'opéra, il ne connaît ni passion, ni aventures.

    Sans compagne, symbole solaire vivant, il règne sur un monde d'initiés masculins dont il veille à maintenir la suprématie sur le Monde des femmes et de la Nuit. Il a hérité des pouvoirs de l'époux décédé de la Reine de la Nuit matérialisés par un disque solaire porté en pendentif.

    La Reine de la Nuit (B) : symbole lunaire de la révolte contre le sexe fort. Sarastro est symbole statique de l'homme, du bien ; il ne connaît pas la passion. Il garde le domaine de l'Esprit en ayant succédé au père de Pamina qui en était le Maître. Il est symbolisé par le Soleil.

    TAMINO (J) : ce nom signifie « Homme consacré au dieu égyptien Min ». Il est prince, personnage de catégorie supérieure. Il subira, comme tout homme ordinaire, les épreuves de l'Initiation.

    PAMINA (B) : ce devait être TAMINA, « Femme consacrée au dieu Min ». Fille de la Reine de la Nuit, l'Initiation la fera changer d'univers. Son personnage est chargé de symboles. Pamina est l'âme de Tamino, son moteur de leur initiation commune. Elle change de monde en passant du règne de la nuit à celui du Soleil par l'amour et par l'initiation. Symbole de l'Eau.

    PAPAGENO (J) : en vieux français, le mot « Papageal » signifiait « perroquet ». Pourvoyeur des volières de la Reine et fournisseur du royaume en frivolités, il représente l'homme faible qui échoue dans sa démarche initiatique. Par construction théâtrale, il forme avec PAPAGENA le pendant au couple noble, et contribue à une fin heureuse de l’œuvre. Ce personnage avait été taillé sur mesure pour Emmanuel Schikaneder, avant tout, acteur comique.

    MONOSTATOS (B) : (en grec : l'isolé). Noir de peau, comme l'est souvent le gardien d'esclaves mais aussi la brebis « galeuse » du troupeau, l'homme entré par erreur en Franc-maçonnerie. Il rejoindra d'ailleurs le Royaume de la Nuit.

    Le noir le place sur la Colonne du Nord et l'associe au signe de « Terre ». Charnel, il appelle souvent PAMINA, dans ses assauts, ma petite colombe. Rappelons-nous que de l'arche de Noé se sont envolés un corbeau noir et une blanche colombe. Le premier, symbole du Mal, vole encore indéfiniment sans savoir où se poser. La seconde est revenue à l'arche en serrant dans son bec un rameau d'olivier, symbole de la paix.

    Monostatos semble être la contraction de « mono » (un) et de « statos » (statique, celui qui n'évolue pas...) Monostatos le Maure est le seul homme du Royaume de la Nuit après sa trahison (il fait le chemin inverse de Papageno). Sa noirceur de Maure est liée à son état civil traditionnel des gardiens d'esclaves. Elle évoque aussi l'obscurité de la Terre qu'il symbolise.

    PAPAGANA (B) : échoue dans les épreuves mais passe du physique d'une vielle femme à celui de la ravissante compagne de PAPAGENO. Du signe d'Eau, elle renverse une cruche sur ce dernier pendant son initiation.

    Les trois Dames (B) : Au service de la Reine de la Nuit, elles sont les initiées féminines de l'époque.

    Les trois enfants (J) : Pendants des trois dames dans le camp adverse, ils guident TAMINO et PAPAGENO vers le temple. Enfants, car les impétrants ne vont avoir que trois ans.

    La Flûte enchantée (J) : (on devrait dire « magique »). Elle a un rôle modeste sans rapport avec ce que le titre peut laisser espérer. Ce titre a été maintenu pour attirer le public populaire. Elle est dorée, taillée dans un arbre millénaire. Par son usage, elle est liée à l'Air ; conçue par une nuit d'orage et de tonnerre, elle est aussi proche des éléments Eau, Terre et Feu. Réunissant les quatre éléments dans sa fabrication, elle est parfaite. Mozart, qui a par ailleurs écrit beaucoup pour cet instrument, a volontairement limité son importance musicale dans l'opéra. Elle n'est utilisée par TAMINO que dans ses moments de doute et de solitude.

    Le glockenspiel (B) : pour des raisons de mise en scène, le vrai carillon reste dans la fosse d'orchestre, Sur la scène, fait de bois et d'acier, il est du signe de Terre et neutralise tous les éléments malveillants du même signe, notamment MONOSTATOS. Il attire, en revanche, PAPAGENA qui est d'un signe différent.

    Après avoir attribué aux principaux personnages et objets de l’œuvre une place dans le temple, nous pouvons avoir une lecture différente du livret qui retrace les étapes préinitiatiques et les épreuves d'une initiation commune par laquelle Mozart propose de régler le conflit entre l'Homme et la Femme. Le premier acte : Il présente les préparations individuelles aux épreuves. TAMINO : Fuyant devant le serpent, symbolisant l'éveil des sens les plus naturels, ce prince japonais, donc venant de l'Orient, là où se lève le soleil éternellement, fuit sa condition de vie. Certes armé d'un arc puissant de potentialités certaines, il est malgré tout faible sans les flèches de l'expérience. D'épuisement et de frayeur, il s'évanouit, comme tous les futurs élus à un passage de grade, à une prise de fonction dans beaucoup de religions et surtout en Franc-maçonnerie.

    Cette notion forte veut qu'on renaisse à une vie éternelle. A ce sujet, Mozart écrivit à son père mourant : « Comme la mort est le vrai but de notre vie, je me suis tellement familiarisé, depuis quelques années (depuis son entrée en Maçonnerie, avec cette véritable et excellente amie que son visage non seulement n'a plus rien d'effrayant pour moi, mais m'apparaît comme très apaisant et très consolant ».

    Mozart reconnaît avoir reçu de la Maçonnerie un réconfort bien plus puissant que celui de l'Eglise face à la question de la mort. Il fait dire à SARASTRO que si TAMINO meurt dans les épreuves, il lui sera donné de goûter les joies divines auprès d'lsis et d'Osiris. TAMINO subit donc une première transformation. Quant au serpent, il est tué et découpé en trois morceaux par trois Dames avec une arme en argent.

    Il faut rappeler que l'Initiation dans les Loges d'Adoption demande à l'impétrante de tenir un serpent, instrument de la tentation dans le jardin de l'Eden. Les trois Dames représentent la Maçonnerie féminine de l'époque. Elles sont toujours voilées car, imparfaitement initiées, elles ne peuvent avoir une vision correcte du monde extérieur. A son éveil, TAMINO découvre à son chevet PAPAGENO.

    Les trois Dames, après avoir longuement chanté la beauté du jeune homme sont parties rendre compte à la Reine de la Nuit. PAPAGENO est du signe d'Air, complémentaire au signe de Feu de TAMINO.

    Ayant menti en se déclarant le vainqueur du serpent, il est, au retour des trois Dames, muselé d'un cadenas comme l'est aussi l'impétrante lorsqu'on lui plaque sur les lèvres la truelle du sceau de la discrétion. Les trois Dames, renonçant à toute aventure galante avec TAMINO, lui proposent de libérer PAMINA, fille de la Reine de la Nuit et retenue prisonnière par SARASTRO, le Maître du Royaume Solaire. Elles lui donnent un portrait de PAMINA dont TAMINO tombe aussitôt amoureux. PAPAGENO doit l'accompagner dans cette mission.

    PAMINA : après son enlèvement au milieu de cyprès, le sombre destin préfiguré par ce cadre mortuaire semble se poursuivre. Elle est sous la garde du perfide et charnel MONOSTATOS dont le signe de Terre est complémentaire du signe d'Eau de sa prisonnière.

    En conformité avec son signe d'Eau, nous apprenons qu'elle a tenté de fuir par un canal. Elle a échoué, insuffisamment préparée aux épreuves de la vie. Rattrapée par son gardien, comme TAMINO, elle s'évanouit. C'est ainsi que nous la découvrons en scène. Subissant aussi une « transformation », elle est également rappelée à la vie par PAPAGENO qui lui décrit TAMINO et annonce qu'il est en route pour la délivrer.

    Dans un touchant parallélisme, elle tombe amoureuse du jeune homme à l'écoute de sa description. Il est indiqué à TAMINO par trois jeunes garçons qui prennent la relève des trois Dames après la préparation. Ces enfants symbolisent par leur jeunesse la possibilité de grandir en connaissance pour devenir des hommes sages. Ils guident TAMINO jusqu'à la porte du temple. Pas mieux que ne l'auraient fait trois enquêteurs. A la porte Nord du temple, du côté obscur, un vieux prêtre l'accueille et va le faire passer sous le bandeau.

    En effet TAMINO explique sa mission mais se heurte au calme du prêtre qui se contente de rectifier la sombre description faite de SARASTRO. Il apprend à TAMINO que pour entrer dans le temple, il doit subir les épreuves d'une initiation. Une décision à ce sujet lui sera bientôt communiquée. Se retrouvant seul à l'extérieur du palais et décontenancé, il joue de la flûte. PAPAGENO, du signe d'Air, lui répond aussitôt.

    Il vient d'échapper avec PAMINA, à MONOSTATOS en jouant du glockenspiel. L'instrument en argent, du signe de Terre, a repoussé le gardien du même signe. Dans cette fuite, PAMINA a demandé la protection de SARASTRO entreprenant ainsi une démarche vers l'initiation, parallèle à celle de TAMINO.

    SARASTRO décide alors de ne pas libérer PAMINA, de punir MONOSTATOS et de proposer au conseil l'initiation du couple. TAMINO, les yeux bandés, peut pénétrer dans le palais. Il traite des épreuves initiatiques au grade d'apprenti, des voyages et de la confrontation aux quatre éléments.

    En ouverture, Mozart nous montre une marche solennelle des prêtres, régulière et rythmée. Dans une allusion au rite égyptien de Memphis-Misraim, SARASTRO invoque Isis et Osiris, et adresse une prière au Grand Architecte de l'Univers. La scène se passe dans une palmeraie où les troncs sont en argent et les palmes en or. Nous savons que le palmier est une plante solaire et que les palmes sont signes de victoire, notamment sur la mort dans beaucoup de religions.

    Quant aux palmiers de l'opéra, ils nous rappellent que les hommes, les palmes d'or, sont bien sûr issus de la femme, le tronc en argent, mais finissent toujours par les dominer.

    Les trois Dames sortent de terre et tentent de faire renoncer TAMINO à l'initiation en discréditant les initiés, les prêtres. Dans ses réponses, Mozart fait dire à TAMINO ce qu'il pense des attaques publiques contre la Maçonnerie. TAMINO refuse le discours des trois Dames. Au contraire, il renforce sa détermination, il « rédige » ainsi son testament philosophique et réussit l'épreuve de la Terre.

    Sur le plan scénique, le Cabinet de Réflexion est rendu par un éclairage atténué, un décor de colonnes brisées, des débris de pyramides, des buissons d'épines et de lointains grondements de tonnerre. Au milieu de symboles de Terre : un jardin avec des bancs en gazon, des haies taillées en fer à cheval, PAMINA est endormie. Il fait nuit mais avec un ciel étoilé (le Royaume de la Nuit est là) et un clair de lune (astre féminin) soutenu.

    PAMINA dort parmi des roses semblables à celles qui ornent le sautoir de la Grande Maîtresse des loges d'adoption. PAMINA est dans le Cabinet de Réflexion, mais elle est dérangée par MONOSTATOS. Dans l'opposition de la noirceur du visage du Maure penché sur le sien baigné par la blanche clarté lunaire (le noir et le blanc sont les deux couleurs de la féminité), elle subit les assauts des forces élémentaires et instinctives de la Terre dans le Royaume de la Nuit.

    La Reine de la Nuit surgit du sol et fait fuir à l'écart le Maure. Elle tente de discréditer SARASTRO, arme sa fille d'un poignard et lui demande, dans un air célèbre, de l'assassiner sous peine de la renier en cas de refus. Le sens profond de la pièce, le conflit entre les Royaume du Jour et de la Nuit, entre l'Homme et la Femme, est clairement rappelé par les paroles. MONOSTATOS, témoin de la scène et convoitant les pouvoirs de SARASTRO matérialisés par le cercle solaire, va encourager PAMINA à réaliser ce meurtre et tenter d'abuser d'elle sous la menace de tout révéler si elle refuse.

    Arrive alors SARASTRO (le livret précise qu'il est sur un char tiré par des lions) qui fait arrêter MONOSTATOS et met fin à l'épreuve de la Terre de PAMINA. La nature de l'épreuve est annoncée par l'arrivée du char volant des trois enfants sur une musique très aérienne, fluide et sans basses. Le char est couvert de roses. Les trois enfants rendent à TAMINO et PAPAGENO leurs métaux : la flûte et le carillon. Ils apportent également un plateau chargé de victuailles et de vins.

    PAPAGENO a le tort de se jeter dessus, échouant ainsi dans cette épreuve. TAMINO, comprenant qu'on lui propose de choisir entre la chair et l'esprit, ignore cette nourriture et joue de la flûte. Il réussit l'épreuve de l'Air mais fait venir PAMINA à laquelle il ne peut adresser la parole. Il s'acquitte de son devoir de fermeté devant les femmes par deux fois : devant les trois Dames et devant PAMINA.

    On a vu qu'elle est associée à celle de TAMINO dans un rôle passif et cruel. Présentée voilée devant SARASTRO et les prêtres réservés, l'orchestre sonne alors les douze coups de Midi de l'Ouverture des Travaux…

    Seule, elle a ensuite la marche irrégulière et affolée de l'impétrant lorsqu'elle veut se poignarder devant le silence de TAMINO croyant que celui-ci ne l'aime plus. Les trois enfants retiennent son geste. Les épreuves communes de l'Eau et du Feu.

    C'est une des scènes les plus visuelles de la pièce. Elle commence avec les trois coups rituels. On entend le grondement de l'eau et le crépitement des flammes. Le décor représente deux montagnes. L'une, surmontée de nuages noirs, est recouverte par une cascade. L'autre crache du feu dans un ciel rougeoyant. Le reste de la scène est occupé par des rochers. Le rouge du feu, signe masculin, est associé au noir de l'eau, signe féminin. TAMINO est vêtu légèrement d'une tunique. Il a les pieds nus. Deux hommes en cuirasse l'encadrent. Leurs casques sont enflammés. Ils sont les gardiens du Feu et de l'Eau mais rappellent aussi par leur tenue les combats que l'Homme doit affronter. C'est l'allusion aux cliquetis des épées que nous connaissons. Il faut aussi souligner la différence de protection dont jouissent les initiés et les profanes.

    Les deux gardes lisent à TAMINO l'inscription figurant sur la tombe d'Hiram: « Celui qui s'engage sur cette route pleine de dangers sera purifié par le Feu, l'Eau, l'Air et la Terre. S'il peut surmonter la terreur de la mort, il s'élancera de la terre vers le ciel. Il sera alors en état de recevoir la Lumière et de se consacrer tout entier aux mystères d'lsis ».

    Au moment où TAMINO se dirige vers les flammes, il est rejoint par PAMINA qui veut partager avec lui les dangers du voyage. Elle révèle à TAMINO l'histoire de la flûte et l'intervention des quatre éléments dans sa conception. La Flûte change alors de dimension, de signe d'Air elle devient le symbole de la puissance divine de la musique. En jouant de l'instrument, donc en utilisant l'Air, TAMINO, signe de Feu, accompagné de PAMINA, signe d'Eau, va affronter au sein de la Terre (ils disparaissent derrière des rochers) les deux éléments de leur symbole respectif : le Feu et l'Eau. Nous sommes aussi les témoins d'une « Reconnaissance conjugale ». PAMINA n'est plus la femme inférieure du Royaume de la Nuit mais le complément indispensable dans le couple. Elle suit l'Homme dans ses épreuves et son ascension. Mozart nous montre de belle manière comment on peut, dans son activité professionnelle, appliquer la symbolique maçonnique, cet extraordinaire moyen de véhiculer à travers les âges nos idéaux. La méditation de son exemple ne peut-elle pas nous aider à développer nos valeurs ?

    En quoi « La Flûte Enchantée » est-elle une Initiation maçonnique ?

    Le 5 décembre 1791, Wolfgang Amadeus Mozart entre dans la nuit éternelle. Pressentant son prochain passage à̀ l’Orient Éternel, notre très illustre Frère du 18ème siècle a voulu léguer au monde son testament philosophique.

    C’est dans les trois derniers mois de sa vie que Mozart a composé un triptyque musical considéré́ comme son testament philosophique, à savoir « La Clémence de Titus », « la Flûte Enchantée », le « Requiem ».

    Au centre de ce triptyque, « la Flûte Enchantée » constitue l’oeuvre de Mozart à la fois la plus ésotérique et la plus riche de symboles, à l’image de son Initiation maçonnique. 
    Quelques temps après la cérémonie de notre Initiation personnelle, il convient de tracer une petite planche de rodage et de tenter d’y exprimer ses premières réflexions à propos de cette Initiation aux mystères de la Franc-maçonnerie.

    Cette épreuve est incontestablement un temps fort pour la plupart d’entre nous, un plus tard, en regardant une représentation de cet opéra de Mozart, en découvrant cette oeuvre mythique qu’est la Flûte Enchantée, nous pouvons revivre notre Initiation en pensée. L’oeuvre de Mozart peut nous dérouter par de nombreux aspects qui n’ont rien de maçonniques et par d’autres, dont l’ésotérisme dépasse notre compréhension.

    Deux ouvrages permettent de mieux connaître le contexte de l’oeuvre et de décrypter certains symboles : « Le testament philosophique de Mozart » de René Terrasson et « La Flûte Enchantée, Opéra maçonnique » de Jacques Chailley (sités dans la bibliographie de cette planche).

    Après la lecture de tels ouvrages, nous devrions ressentir une grande humilité vis à vis des auteurs qui ont consacré leur vie et leur passion à l’un des plus illustres musiciens de tous les temps.

    La Flûte Enchantée est une œuvre conçue à la fois pour le Profane et pour l’Initié. Mozart utilise un mode d’expression théâtral populaire, le « Singspiel », véritable comédie musicale avant la lettre, pour la plus grande joie du profane. Sous le couvert de drôlerie et de pitreries , il adresse aux seuls initiés son message philosophique, à travers les symboles et sa musique. Ce qui fit dire à Goethe, autre illustre 
    Maçon, « la foule prend plaisir au spectacle, dans le même temps sa haute signification n’échappe pas aux initiés ».

    Il faut aussi rappeler que l’ésotérisme de l’œuvre répondait d’abord à un souci de protéger le secret maçonnique, afin de ne pas encourir le discrédit du pouvoir à Vienne. En effet, Léopold, nouvel empereur d’Autriche, était convaincu de la responsabilité de la Franc-maçonnerie dans la Révolution française et redoutait une contagion idéologique, d’où une hostilité prononcée envers toute manifestation maçonnique, et d’où le pied de nez de Mozart aux autorités.

    L’action de la pièce a déjà été décrite ci-dessus. Il ne faut pas revenir non plus sur la symbiose entre le livret écrit par Emanuel Schikaneder, également Franc-maçon, et la musique composée par ce musicien exceptionnel qu’a été Mozart.

    Je souhaite simplement mettre l’accent sur les symboles que le Profane devrait découvrir à l’occasion de son Initiation maçonnique ou dont tout jeune Initié devrait déjà avoir pris conscience.

    Au lever du rideau apparaît le Temple, constitué de trois parties, à savoir le temple de la Sagesse, le temple de la Nature, le temple de la Raison. Le bâtiment, de style égyptien, est d’abord une allusion à la maçonnerie opérative, celle des bâtisseurs de cathédrales qui, en élevant leurs pierres, contribuent à  l’élévation spirituelle et culturelle des hommes. Les maçons des cathédrales se confondent naturellement avec les maçons des caractères.

    Toute la pièce a pour cadre le Temple, chargé de mystères, semblable à la Loge que le profane va découvrir. Pour les raisons précitées, Mozart ne pouvait invoquer ou évoquer  le Grand Architecte de l’Univers, aussi a-t-il choisi les divinités égyptiennes, à savoir la déesse Isis, mère universelle et symbole de vie, et le dieu Osiris, à la fois dieu de la mort et de la renaissance spirituelle après la mort. 

    Mozart rappelle ainsi sa conviction d’un Etre suprême, transcendant à l’homme et moteur de l’univers.

    C’est dans le Temple que le profane va effectuer son parcours initiatique et c’est dans le Temple qu’il va recevoir la Lumière de la connaissance, avant d’être en mesure de la faire briller à l’extérieur du Temple. 

    Évoquons à présent la symbolique des participants.

    La symbolique des participants

    Tamino et Pamina représentent le couple tourné  vers l’idéal spirituel. Ils sont orientés vers les interrogations de l’esprit. Ce sont les profanes au seuil de l’initiation, car ils ont été́ reconnus aptes à recevoir l’enseignement philosophique et à acquérir la sagesse. Leurs voix de ténor et de soprano sont claires et lumineuses, à l’image de leurs pensées et de leur idéal.

    En revanche, Papageno et Papagena représentent le couple orienté vers l’idéal matériel. Ils sont sincères, mais pas susceptibles d’aller loin dans la voie de la connaissance. Ils se contentent de leur vie matérialiste et donnent ainsi une image conforme à ce qu’attend la majorité́ des spectateurs et des hommes sur terre. Papageno incarne la sincérité́ et le mensonge, mais il est aussi doté́ d’un robuste bon sens populaire, il s’interroge sur les questions fondamentales que se pose l’être humain. Sa voix de baryton est celle des chanteurs populaires qui plait aux profanes. Sa présence est nécessaire à Tamino, le  futur initié, qu’il accompagne, mais sans vouloir le suivre sur le difficile chemin de la connaissance.  

    Le Maître du Temple est Sarastro. Il est le maître des connaissances liées au cercle solaire. Sarastro, qui représente bien sûr le Vénérable Maître en chaire, incarne la sagesse, la clairvoyance et la justice et s’adresse à tous avec sa voix profonde de basse. Sarastro le sage est accompagné́ de l’Orateur, dont Mozart n’a pas cherché́ à occulter ou travestir la fonction.

    Ils représentent tous les deux la Lumière spirituelle et ils sont les dépositaires des secrets, secrets qu’ils décident de transmettre aux seuls élus qu’ils estiment dignes d’être initiés.

    Les deux hommes d’armes sont les Surveillants du Temple. Avec leur voix 
    de ténor, ils incarnent la rigueur et ils sont les garants de la loi maçonnique et les gardiens du secret maçonnique. 

    Tous les officiers présents sont accompagnés par le collège des sages qui sont bien évidemment les Frères réunis dans la Loge. Dès lors, la loge est juste et parfaite et il y règne la liberté́, l’égalité́ et la fraternité́. 

    Les trois jeunes garçons symbolisent les trois piliers de la Sagesse qui invente, de la Force qui exécute et de la Beauté́ qui orne. Mais ils sont aussi les trois enquêteurs chargés de mieux connaître le candidat. Leur rôle s’arrête au seuil du Temple. Avec leurs voix claires et pures, ils vont aider le profane Tamino sur le chemin de la vie parsemé́ d’obstacles et de dangers.

    Dans l’antithèse des précédents personnages apparait Monostatos qui incarne les passions humaines sans limites et sans contrôle. Il est de ceux qui ne peuvent évoluer et se délivrer de leurs défauts. Son désir de profiter et d’abuser des autres, sa perversité́ sont soulignés par une voix de ténor nasillard. Monostatos ne peut prétendre être « un homme libre et de bonnes mœurs ». Il recherchera à entrer dans le camp des sages, mais son comportement aberrant ne lui permettra pas d’en faire partie. Il en sera exclu à tout jamais.

    Avec la Reine de la Nuit, Mozart met en scène les faiblesses humaines, telles que l’envie, l’orgueil, la fureur. Elle s’écrie : « la vengeance de l’enfer bout dans mes veines ». Sa voix dite de colorature est sublime et invite tous ceux qui l’écoutent à boire ses paroles et à croire ce qu’elle dit. Mozart souligne que les faiblesses humaines sont parées de toutes les séductions, comme souvent nous pouvons nous en rendre compte nous-mêmes.

    Toutefois, la Reine de la Nuit, qui remet la flûte magique à Tamino, incarne le dualisme du Mal et du Bien. Son royaume de la nuit ne s’oppose pas au soleil de Sarastro, il en est le complément nécessaire.

    De la même façon, les Trois Dames qui sont à son service, apparaissent futiles et limitées par l’esprit. Mais en fin de compte, elles agissent dans le sens de la raison.

    Les symboles

    Dès le rideau levé́ apparaît le serpent, symbole des peurs cachées dans notre inconscient. A sa vue, le profane Tamino va s’évanouir. Son évanouissement est l’image de la mort symbolique du profane, mort préalable à sa renaissance à la vie spirituelle. La mort du serpent signifie aussi celle des tentations 
    humaines et elle permet à Tamino d’accéder aux marches du Temple pour entreprendre ses voyages initiatiques. 

    Dans le contexte troublé de 1791, Mozart ne pouvait dévoiler les outils maçonniques rituels tels que compas, équerre, truelle. En revanche, il va introduire la flûte d’or, ainsi qu’un jeu de clochettes magiques, le « Glockenspiel ».

    La flûte participe à toutes les traditions. Elle est le souffle de la vie et elle permet à Tamino de triompher des dangers qui sont représentés par les épreuves du feu et de l’eau.

    La flûte de Pan, suspendue au cou de Papageno, est avec sa gamme limitée à 5 notes, l’expression du Matériel face au Spirituel de la flûte d’or de Tamino.  Quant au Glockenspiel, remis par les Trois Dames à Papageno, il est également la marque de ceux qui ne recherchent que les seuls plaisirs terrestres.

    Nous retrouvons les autres symboles habituels de la Franc-maçonnerie, symboles qui sont représentés par les personnages mis en scène par Mozart et par Schikaneder, l’auteur du livret. Le Soleil est Sarastro, la Lune est la Reine de la Nuit. Le Feu est Tamino et l’Eau, Tamina. L’Air est incarné par Papageno, dont le nom évoque le perroquet (Papagei) et dont le métier est précisément d’attraper des oiseaux. Le personnage de la Terre est Monostatos.

    Le Cabinet de Réflexion, premier lieu de contact et de connaissance entre le Profane et l’univers maçonnique, est représenté́ par un décor désertique et obscur face à l’entrée du temple. A l’instar de Tamino, ressentons-nous le doute ou la crainte, malgré́ l’étrangeté́ du lieu et l’ésotérisme des symboles représentés, ésotérisme qui a pu provoquer en nous le désir de comprendre et de découvrir ce que nous ressentions très confusément ?

    Le  dépouillement des métaux n’est pas montré, mais le fait que la flûte est redonnée à Tamino après son parcours indique que cet élément du rituel a eu lieu. 
    Après avoir été́ dûment questionné, le profane Tamino peut entreprendre les trois voyages initiatiques, après avoir eu les yeux bandés. Le  bandeau symbolise l’ignorance dans laquelle est plongée le Profane.

    C’est par la musique que Mozart évoque de façon symbolique les trois voyages de Tamino et Pamina à travers les dangers du feu, de l’eau, de l’air et de la terre. La flûte dont Tamino joue lui permet d’écarter les dangers du parcours initiatique, dangers qui sont ceux qu’il va rencontrer tout au long de son existence. 
     
    L’épreuve du silence imposée à Tamino correspond à la recommandation faite à celui qui est initié, avec l’obligation de taire tout ce qu’il peut voir et entendre en Loge. 
     
    Puis le bandeau est enlevé. Les yeux habitués au confort de l’obscurité perçoivent alors l’éclat d’une forte lumière, ils découvrent lentement le Temple, ce lieu encore bien étrange, découvrent les prêtres qui rendent hommage au nouveau Frère. A la nuit de l’ignorance succède l’illumination de la connaissance. La symbolique est forte, bien que dificile à comprendre par le nouvel Initié.

    En ce qui nous concerne, le moment où le bandeau nous a été retiré a probablement été le plus intense et le plus émotionnel, beaucoup plus que les trois voyages initiatiques. L’hommage que les Frères ont rendu avec leurs épées restera à jamais dans nos pensées. L’émotion ressentie ce soir là est sans doute plus forte que notre perception du sens de l’événement qui venait d’avoir lieu.

    « La Flûte enchantée » peut nous aider sans nul doute à mieux comprendre le pourquoi de l’Initiation maçonnique. Nous pourrions tout d’abord y voir une acceptation volontaire de l’inconnu, mais dans un esprit de confiance, puis un fort  désir de partage et d’échange en vue d’un enrichissement mutuel. L’Initiation permet au Profane de l’aider à mieux se découvrir lui-même et d’atteindre ainsi une autre dimension humaine. Tel est le sens du propos prêté à Sarastro « Celui qui ne reçoit pas avec joie des leçons de ce genre, ne mérite pas d’être un homme ».

    Avec le temps qui passe, nous pouvons éprouver le sentiment que d’autres bandeaux tombent progressivement de nos yeux, signe que le processus de découverte de nous-même, de notre environnement et de notre relation à notre environnement, continue et que ce processus sans fin ne s’arrêtera que lorsque notre esprit ne sera plus en mesure d’exercer son activité.

    Pour conclure, du moins provisoirement…

    Oeuvre majeure du répertoire lyrique, « La Flûte enchantée » de Mozart connaît sans cesse de nombreuses réincarnations au gré des metteurs en scène. La Reine de la Nuit ne cessera d'inspirer les créateurs et de hanter les spectateurs avec ses vocalises magiques...

    Cette œuvre représente le combat de la lumière contre la nuit, les illusions et les tromperies permettant l'instauration d'un ordre nouveau, héritant de l'ordre ancien et des Lumières, le bien symbolisé par l'amour trouvé par les personnages triomphe. A maints endroits dans la pièce, nous avons pu retrouver des allusions aux vertus. Dans le livret, il y a plusieurs fois l’association des vertus maçonniques : discrétion, sagesse, force, patience et bienfaisance ainsi que le secret qui est le pont fondamental en Loge.

    Cette œuvre est un cheminement et une initiation semée d’épreuves dont se sortent Tamino et Pamina. Ils suivent leur chemin en progressant vers la Connaissance, la Vérité et la Lumière. Ce sera le triomphe de la raison, de la maîtrise de soi et de la sagesse sur les forces obscures.

    Ce cheminement des Ténèbres vers la Connaissance et la Lumière évoque l’opposition entre la pensée moderne de l’époque et l’obscurantisme de l’Église. Les personnages dépeignent bien ce courant : la Reine de la Nuit, symbole du monde des Ténèbres est égoïste et animée d’une volonté de puissance et les 3 servantes par la cupidité. D’un autre côté, Sarastro illustre la grandeur d’âme et la générosité, et ce dans la lumière du soleil. Ce qui sous-entend que seulement les personnes aux cœurs purs, nobles et courageux pourront surmonter toutes les épreuves initiatiques.

    Papageno, homme du commun, par son bavardage et sa superficialité échouera dans sa quête.

    Finalement, cette œuvre ne nous rappelle-t-elle pas l’état d’esprit des Loges de l’époque, fréquentées uniquement par la bonne société ?

    Aucun opéra n’a acquis une popularité mondiale comme « la  Flûte Enchantée »  de Mozart. Il faut certainement l’attribuer à la musique, mais aussi à l’influence magique qu’il exerce sur la psyché du spectateur, influence qui se communique principalement au subconscient.

    « La Flûte Enchantée »  est en général considérée comme un drame relatant la lutte de la Lumière et des Ténèbres, lutte qui finit par la victoire de la Lumière et un hymne à l’amour humain et divin.

    Pour conclure, je citerai notre Illustre Frère Mozart et la mission qu’il a voulu donner à son oeuvre : « la Flûte Enchantée doit transformer les passions des hommes, rendre joyeux le mélancolique, amoureux le misogyne ».

    Voilà un vœu à la fois simple et immense que nous pouvons et devons garder à l’esprit, tout au long du chemin ardu de notre vie.

    Considérant la musique comme la langue universelle et comme une Chaîne d’union entre les hommes, ne manquons pas d’écouter de temps en temps l’un des plus beaux airs d’opéra de Wolfgang Amadeus Mozart, l’air de « la Reine de la Nuit ».

    Enfin, si cette planche vous incite à vouloir mieux connaître Mozart, et à assister à une représentation de la « Flûte enchantée » j'aurai atteint l'objectif que je m'étais fixé.

    R:. F:. A. B.

    [1] Le Nombre 3 : Trois est universellement un nombre fondamental. Il exprime un ordre intellectuel et spirituel, en Dieu, dans le cosmos ou dans l'homme. Il synthétise la tri-unité de l'être vivant ou il résulte de la conjonction de 1 et de 2, produite en ce cas de l'Union de Ciel et de la Terre.

    Nombre important dans la symbolique maçonnique, ce nombre apparaît dès les premières mesures de l'Ouverture. Avec trois accords initiaux et sa tonalité de mi bémol majeur (trois bémols à la clef). Reprise après la marche des prêtres qui introduit l’Acte Il, cette sonnerie relaye d’ailleurs un symbolisme numérique omniprésent dans la scénographie trois Dames, trois Enfants, deux fois trois lions, trois portes du Temple...Sagesse, raison et nature.

     

    Bibliographie

    Jean-Victor Hocquard - La Flûte enchantée

    Editions Aubier Montaigne,‎ Paris, 1979, 254 p.

     

    La Flûte enchantée

    Editions Avant-Scène Opéra,‎ Paris, janvier 1976, 130 p.

     

    Jacques Chailley - La Flûte enchantée : opéra maçonnique

    Editions Robert Laffon, coll. « Accords »,‎ Paris, 17 octobre 2002


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  •  Une approche de la kabbale et du soufisme 

    Introduction

    Pour un de nos Frères – éminent théologien protestant que chacun reconnaîtra aisément ici – il y a 3 cabales. Après vérifications dans plusieurs dictionnaires et consultation de quelques sites sérieux, il y a la cabale qui s’écrit avec un k et deux b (c’est la kabbale juive) ; la deuxième s’écrit avec un c (ce peut être la cabale dite chrétienne) ; une troisième qui s’écrirait avec un q et deux b serait l’équivalent d’une qabbale islamique qui porte le nom de soufisme.

    Dans cette planche, je n’ai fait que rassembler des informations, en principe bien vérifiées, de les comparer puis de choisir ce qui m’apparaissait comme le plus plausible. Je n’ai jamais exprimé d’avis ou de réflexion. Je commencerai par développer le sens de ces trois orthographes possibles.

    Orthographe et définitions

    Selon le site « Wikipédia » qui est loin d’être une référence sans failles, la kabbale est un nom commun qui nous vient de l'hébreu Qabbalah. C’est une forme anglicisée qui devrait plutôt être écrite « cabale » ou « quabale » en français.

    Sans encore entrer dans les détails de sa signification, disons que le terme « kabbale » désigne une tradition ésotérique du judaïsme, présentée comme étant la « Loi orale et secrète » donnée par YHWH (Dieu) à Moïse sur le Mont Sinaï, en même temps que la « Loi écrite et publique » (la Torah). Le mot kabbale ne désigne pas un dogme, mais un courant à l'intérieur du judaïsme et un état d'esprit. Il signifie « réception » au sens le plus général. Le terme est parfois interprété comme « tradition ». Le kabbaliste est donc celui qui a reçu la tradition.

    Charles Mopsik rappelle la différence orthographique entre cabale et kabbale :

    « La première graphie a été consacrée en français depuis plusieurs siècles alors que la seconde, importée de l'allemand, a été employée en France dans le but de distinguer la « Cabale » des occultistes et autres mystériosophes douteux de la « kabbale » de la tradition juive authentique. Cette distinction graphique est devenue inutile depuis que « kabbale » a été adoptée par les occultistes précités ».

    Pourtant, il ne faudrait pas confondre la cabale (commençant par un « c »), avec la kabbale (commençant par un « k ») ordinairement envisagée et demeurée purement hébraïque. Aussi bien, pour les différencier, convient-il d'appliquer, à chacun des deux termes, l'orthographe qui lui est propre et que réclame d'ailleurs leur étymologie différente : le premier se réfère au grec « kabbales », qui signifie cheval, tandis que le second vient de l'hébreu « qabbalah » avec le sens de tradition. Mais il semble qu’il y ait encore d’autres nuances à mettre en évidence par rapport aux différences d’orthographe.

    Pour conclure cette introduction, essentiellement consacrée à l’orthographe, j’ajouterai que le mot « cabale », qu’il débute par un « c », un « k » ou un « q », est toujours un nom commun. Ces trois lettres ne peuvent donc être que des minuscules. Or, dans la littérature, cette erreur apparaît souvent !

    Abordons à présent le sens de ce mot écrit de deux façons différentes.

    Qu'est-ce que la kabbale ?

    Généralités sur la kabbale

    La kabbale, c'est un autre regard sur l'Homme et la Bible et l'Univers.

    La kabbale, c’est un ensemble de spéculations métaphysiques sur Dieu, l'Univers et les Hommes. Elle prend ses racines dans les traditions ésotériques juives - du Judaïsme de Tradition. Cette définition ne fait pas ressortir l'Universalité de la Kabbale, la richesse des thèmes qu'elle aborde, ainsi que les multiples aspects qui allie et unit à la fois observation métaphysique et raison mais aussi symbolisme.

    La kabbale peut être un outil d'aide à la compréhension du Monde, en ce sens qu'elle incite à modifier la perception que nous avons de ce Monde (la « réalité ») malgré la subjectivité de notre perception, compliquée et augmentée du fait de la sensibilité de la multiplicité des individus.

    La kabbale est donc un outil d'analyse qui aide à la compréhension en mettant à la disposition des « cherchants » un diagramme synthétique qui englobe :

    • L'arbre des Sephiroth, des clés de lecture pour de multiples ouvrages, avec un foisonnement de concepts, tels les degrés de signification, les contractions ;

    • Dieu, les Voiles, le plaisir, le Mal, le Golem, le Tout et enfin la Restauration.

    Ainsi découlent des ébauches de réponses aux questions essentielles que sont l'origine de l'Univers, le devenir de l'Homme. Ce qui fait de la kabbale un véritable outil de travail sur soi et un puissant moyen d'appréhender, d'aborder les autres systèmes de pensée, aussi divers soient-ils.

    Le sens du mot « kabbale »

    Toutes les religions ont un volet mystique ou ésotérique — accès direct à Dieu sans prêtre et/ou sans église constituée — mais l'originalité de la kabbale réside dans son approche de la genèse par la voie mystique et la voie de la connaissance.

    D'après le Dictionnaire des religions, la kabbale est un système théosophique qui a été très répandu dans le judaïsme médiéval à partir du 10ème siècle, et qui a joui par la suite d'une grande diffusion dans le monde chrétien.

    Le mot « kabbale » transcrit de l’hébreu « qabbalah » qui signifie « tradition ». Il désigne une composante ésotérique et mystique de la culture juive, fondée sur l’étude des niveaux de l’Être qui s’étagent entre l’espèce humaine et Dieu ainsi que sur les médiations qui relient ces divers niveaux. Elle s’appuie notamment sur une méthode d’interprétation de la Bible fondée sur la transcription numérique des caractères hébreux (sefira veut dire « nombre » et a la même racine que l'arabe sifr dont le français a fait « chiffre » et « zéro » : la kabbale accorde, comme l'école de Pythagore, une valeur mystique aux nombres.

    La kabbale se veut un outil d'aide à la compréhension du monde en ce sens qu'elle incite à modifier notre perception du monde (ce que nous appelons « la réalité » malgré la subjectivité de notre perception). Pour ce faire, la kabbale met à la disposition de ses adeptes un diagramme synthétique : l'Arbre de la Vie ou Arbre des Sephiroth ou encore Arbre séphirotique, et autres clés de lecture pour de multiples ouvrages, ainsi qu'un foisonnement de concepts (degrés de signification, contraction, etc.).

    Rappelons que l’Arbre de Vie (Etz haHa'yim עץ - החיים en hébreu) représente symboliquement, dans la kabbale, les lois de l'Univers (Certains auteurs le rapprochent de l'Arbre de la vie mentionné par la Genèse en 2:9). Sa description est considérée comme celle de la cosmogonie de la mystique kabbalistique.

    Elle propose ses réponses aux questions essentielles concernant l'origine de l'univers, le rôle de l'homme et son devenir. Elle se veut à la fois un outil de travail sur soi et un moyen d'appréhender d'autres systèmes de pensée.

    La kabbale, en tant que phénomène, est souvent comprise comme la mystique de la merkabah [1].

    Dans la kabbale hébraïque, trois sens peuvent être découverts en chaque mot sacré. D'où trois interprétations ou kabbales différentes :

    1. la première, dite « gematria», comporte l'analyse de la valeur numérale ou arithmétique des lettres composant le mot ;

    2. la seconde établit la signification de chaque lettre considérée séparément ;

    3. la troisième emploie certaines transpositions de lettres. 

    La kabbale hermétique s'applique aux livres, textes et documents des sciences ésotériques de l'Antiquité, du Moyen Âge et des Temps modernes. Elle est une véritable langue. Et, comme la grande majorité des traités didactiques de sciences anciennes sont rédigés en hébreu, le lecteur n'en peut rien saisir s'il ne possède au moins les premiers éléments de l'idiome secret.

    Cette mystique se présente comme accès, en un voyage ascensionnel et intérieur, au cœur même du divin, au jardin de la science du Livre, au Sod, quatrième terme du Pardès. On lui associe tout ce qui est littérature apocalyptique — de l'apocalypse juive.

    La kabbale a influencé les chrétiens, surtout à la Renaissance. Mais la communication entre les deux cultures a été bloquée par le durcissement de l’Église lors de la contre-réforme, par les risques de persécution, et aussi par le fait que l’Église ayant toujours tenté de convertir les juifs en s’appuyant sur ce qu’ils lui avaient enseigné, ceux-ci ont été incités à conserver leur savoir par devers eux.

    La kabbale, étant une mystique, a été considérée avec suspicion par certains rabbins. Mais d’autres rabbins l’ont étudiée et elle n’a jamais été condamnée par l’orthodoxie juive.

    L’enseignement de la kabbale est ésotérique. Réservé au petit nombre de ceux qui peuvent lui consacrer tout leur temps de travail, il suppose la connaissance de l’hébreu, une abondante lecture, et aussi un contact personnel prolongé entre le maître et l’élève. Il est en pratique impossible pour une personne qui n’est pas de confession juive, ou qui ne connaît pas l’hébreu, de recevoir cet enseignement.

    Ésotérisme, transcription numérique des textes, mysticisme, voilà de quoi éveiller la méfiance des rationalistes. Mais tout rationaliste doit connaître les limites du rationalisme.

    Les cabalistes ont sur le monde et sur l’histoire, un point de vue singulier. Ils se classent dans le courant philosophique du néoplatonisme mais, alors que celui-ci place la matière au plus bas niveau de la « procession des êtres », les cabalistes « hissent la matière au niveau de l’Intelligence suréminente ».

    L’idéalisme platonicien est ainsi renversé, la matière devenant « source et réservoir primordial des formes et des semences de toute réalité ». Cette option métaphysique permet au judaïsme d’échapper à l'idéalisme ; il prépare à un rapport respectueux et expérimental avec la nature.

    Par ailleurs « le judaïsme n’est pas une religion fondamentalement historique » : alors que pour les chrétiens le temps va comme une flèche de la révélation à la résurrection, pour les juifs l’histoire ne peut commencer qu’avec l’arrivée du Messie. Dans l'attente de celle-ci, le temps n’est pas orienté ni circulaire mais scandé par la répétition de périodes fastes et néfastes : « Ce qui a été, c’est ce qui sera. Ce qui a été fait, c’est ce qui se fera. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Cette conception du temps ressemble à celle de l’hindouisme. Il s’agit, là aussi, d’une option métaphysique aux conséquences profondes.

    Le mot « kabbale » peut avoir beaucoup de significations différentes selon les personnes qui emploient ce terme. En un mot, il s'agit d'une sagesse très ancienne qui nous révèle le fonctionnement de la vie et de l'univers. Au sens littéral, le mot kabbale signifie « recevoir ». En étudiant la kabbale, nous apprenons à accomplir notre destinée.

    Parfois, nous négligeons le fait que nous n'avons pas réussi à accomplir notre destinée. Ce sentiment d'insatisfaction domine chez la plupart des gens à un moment ou un autre de leur vie. Et malheureusement, plus nous nous efforçons d'accomplir notre destinée, plus elle nous échappe.

    « Accomplir sa destinée » ne veut pas dire éprouver un bonheur ou un bien-être temporaire, car nous avons tous vécu des moments fugitifs de bonheur. Lorsque nous parlons de nous relier à l'énergie qui nous permettra d'accomplir notre destinée, nous voulons dire que nous serons reliés à cette énergie de manière durable et même permanente.

    La kabbale est un paradigme très ancien et cependant entièrement nouveau qui nous enseigne comment vivre. Il nous enseigne que tous les domaines de notre vie – la santé, les relations avec autrui, les affaires – ont la même origine et la même racine.

    Il s'agit d'une technologie qui nous explique comment l'univers fonctionne au niveau fondamental. Il s'agit d'une manière totalement nouvelle de percevoir le monde qui peut nous apporter la paix et la sérénité que nous recherchons peut-être.

    La véritable preuve de la valeur de la kabbale, nous l'aurons grâce à notre expérience personnelle.

    Pour pratiquer la kabbale, nous n'avons pas besoin de changer de croyance ou de religion. La kabbale peut nous permettre d'approfondir notre compréhension de l'univers et nous donner davantage d'informations et d'outils pour comprendre ce qui nous arrive et comment nous pouvons être mieux reliés à la Lumière du Créateur et atteindre l'accomplissement que nous recherchons.

    La kabbale enseigne des principes universels qui sont valables pour les personnes de toutes les croyances et de toutes les religions, quelle que soit notre appartenance ethnique ou notre origine. L'étude de la kabbale est particulièrement séduisante parce que nous conservons notre liberté de penser.

    Le mot « kabbale » qui dérive donc de l'hébreu Qabbalah, désigne les « doctrines reçues par tradition ». On l'appliquait dans l'ancienne littérature judaïque, à toute doctrine révélée, à l'exception de la Torah. Mais il finit par désigner un ensemble de doctrines occultes contenues dans un certain nombre d'ouvrages ésotériques dont les plus importants sont le « Livre de la Création » (Sepher Yelzirah), attribué au rabbin Akiba, et le « Livre de la Splendeur » (Sepher ha-Zohar, ou Zohar tout court).

    Le Zohar

    La kabbale, c’est aussi un livre, le fameux Zohar (qui signifie l'illumination), ou Livre de la Splendeur. Il s'agit d'un manuel mystique du 13ème siècle, attribué au maître Siméon bar Yo’haï, rabbin de Palestine qui vivait au 2ème siècle de notre ère, mais plus probablement rédigé par le mystique espagnol Moses Ben Schemtob de Léon (1250 – 1305), mieux connu sous le nom de Moïse de Léon, juif espagnol de Grenade qui mit le livre en circulation.

    Ecrit en araméen, la langue de Jésus, l'ouvrage comprend 2400 pages très denses et résume l'ensemble des traditions kabbalistiques connues. Il y est notamment question de la hiérarchie du mal, ce que l'on appelle les esprits impurs des sept palais du démon. Ils constituent la polarité opposée aux dix « Sephiroth » divines, appelées « émanations » de Dieu, issues de l'unité divine immuable et qui procurent à l'homme bonheur et bénédiction. C'est à ces dix degrés que s'intéresse prioritairement la kabbale.

    Le Zohar pourrait donc avoir été composé en Espagne, à la fin du 13ème siècle. Mais quoi qu’il en soit, l’ouvrage reste le plus important de toute la littérature kabbalistique.

    Si l'on pense qu'il est étrange qu'un livre apocryphe ait pu s'imposer à tant de savants théologiens, aussi bien de la Synagogue que de l'Eglise, il faut se rappeler qu'il a circulé durant des siècles une masse de textes plus ou moins hérétiques, dans lesquels le strict monothéisme des Hébreux était interprété à la lumière de notions empruntées aux néo-platoniciens et aux néo-pythagoriciens : quelques-uns de ces livres remontent à une assez lointaine antiquité, et la kabbale, en dépit de sa systématisation relativement tardive, est l'héritière de tout un gnosticisme juif dont les Esséniens étaient déjà pénétrés.

    La doctrine kabbalistique embrasse la nature de la Divinité, les émanations divines ou Sephiroth, la création des anges et de l'homme, leur destinée future et le caractère réel de la Loi révélée.

    La théologie est panthéistique : toutes choses émanent de la Divinité insondable, l'En Soph ; tout ce que nous sommes, tout ce que nous voyons résulte d'un processus grandiose d'expression de, la Divinité par soi.

    La Divinité a 10 attributs les Sephiroth : la Couronne, la Sagesse et l'Intelligence forment la première triade ; l'Amour, la Justice et la Beauté la seconde ; la troisième triade comprend la Fermeté, la Splendeur et le Fondement. Le Royaume entoure les 9 autres car c'est la Che’hina ou halo divin.

    Les Sephiroth réunies forment une Unité stricte. Elles sont la Divinité à l'état de manifestation. Elles sont les unes masculines, les autres féminines : leur union a engendré l'univers. Celui-ci est formé de 4 mondes différents, par ordre de spiritualité décroissante : le monde de l'Action ou de la Matière est le plus inférieur ; Ie plus élevé est le monde de l’Émanation qui a procédé de l'En Soph, et qui est le monde céleste ou Archétype, la réunion des 10 Sephiroth formant l'Homme primordial (Adam Kadmon).

    Des diagrammes représentant un homme nu couronné, avec les 10 Sephiroth associées aux diverses parties du corps, jouaient un rôle dans les études mystiques, magiques et spéculatives des kabbalistes.

    Toutes les âmes qui doivent s'incarner ici-bas préexistent dans le monde des Émanations : chaque âme possède dix « potentialités » groupées en triades, chacune de ces âmes, avant d'entrer dans ce monde, est formée d'une partie masculine et d'une partie féminine, unies en un seul être. C'est ce que représentent plusieurs symboles occultes comme le Yin et le Yang ou l'hexagramme : un triangle représente la partie masculine et l'autre la partie féminine.

    Séparées sur la terre, les deux moitiés cherchent à se découvrir pour pouvoir se réunir à nouveau : c'est ce qui arrive dans le mariage authentique, mais seulement si l'âme est pure et si sa conduite est agréable à Dieu : sinon, elle doit revenir s'incarner ici-bas dans un corps humain, pour une ou deux existences. Si son corps est encore pollué par le péché, une autre âme est envoyée pour s'unir à elle, dans l'espoir que leur effort combiné engendrera un corps pur et sans tache. Quand toutes les âmes en attente auront accompli leur pèlerinage terrestre et auront habité des corps humains, réussi leur épreuve et seront retournées d'où elles sont venues, dans le sein infini de Dieu, le « Jour du Jubilé » commencera : le Messie descendra du Monde des âmes pour instaurer une ère de bonheur parfait, sans péché ni douleur, un « Sabbat qui n'aura pas de fin ».

    Les kabbalistes affirmaient qu'ils trouvaient toutes ces doctrines dans les Écritures hébraïques et, bientôt, des théologiens chrétiens soutinrent que la kabbale fournirait la preuve de la divinité du Christ et des autres doctrines chrétiennes essentielles : il y eut même, durant la Renaissance, un nombre respectable de juifs qui embrassèrent le christianisme à la suite de ces tentatives de l'ésotérisme chrétien.

    Les idées kabbalistiques ont subsisté jusqu'au 16ème siècle, et l'intérêt pour ces spéculations théosophiques n'a jamais disparu complètement sinon dans le judaïsme lui-même (où seuls les Hassidistes en sont encore partisans), du moins dans les divers mouvements occultistes, surtout ceux d'inspiration « chrétienne ». Puis la kabbale est tombée en discrédit dans le judaïsme, à mesure que l'élément magique tendait à en chasser la philosophie réelle.

    La kabbale est le mysticisme et le gnosticisme des juifs, dans lequel on trouve : 

    une théologie [2] mystique dont le fond était le dogme de l'émanation divine et une explication allégorique des Écritures

    une théurgie [3] par laquelle on prétendait soumettre à la volonté humaine les puissances surnaturelles en prononçant certains mots, et opérer avec leur secours toutes sortes de miracles.

    La kabbale, qui signifie tradition ou réception et désigne les doctrines mystiques du judaïsme fondées sur l’exégèse symbolique de la Bible, est en quelque sorte l'antithèse de la philosophie rationaliste : autant celle-ci tend à diminuer la part du surnaturel, autant celle-là tend à l'exagérer, à en scruter les profondeurs et à l'introduire partout, même dans la pratique journalière.

    Le nom de la kabbale n'est peut-être pas antérieur au 10ème siècle. En l'adoptant, les cabalistes juifs ont voulu dire que la kabbale était une science ancienne, transmise oralement, et expliquer par-là comment, malgré la haute antiquité qu'ils lui attribuent, elle ne peut prouver son authenticité par aucun monument écrit.

    Les adeptes de la kabbale et la superstition populaire ont fait de cette science, plus ou moins mystérieuse et secrète, une science divine, merveilleuse, par laquelle on opère des miracles, et qu'on fait remonter, par les artifices connus de la pseudépigraphie [3], à Abraham, à Moïse, aux docteurs les plus célèbres du Talmud (1er et 2ème siècles de l'ère chrétienne).

    Les quatre niveaux de lecture de la kabbale

    La kabbale consiste en l'étude du sens caché de la Torah, composée des 5 premiers livres de la Bible. Cette étude est basée sur diverses techniques de décryptage et de permutation des lettres, qui laissent apparaître de nouveaux sens et de nouveaux contenus. Il est dit que tous les événements de l'histoire passée et future y sont mentionnés et que chacun de nous y figure.

    La kabbale enseigne que l’on peut trouver quatre niveaux de lecture différents dans la Torah ou Pentateuque [5] :

    - « pshath » qui est le sens littéral, immédiat.

    - « réméz », le sens allusif (clin d’œil). Le texte suggère un symbole ou une image.

    - « drash », le sens donné par les Sages et concrétisé par le Talmud (allégorie ou exemple).

    - « sod », le sens caché (secret) incommunicable, et résultat d’une quête, avec à la clef la promesse d’aboutissement ou « pardes » mot qui signifie « jardin » en persan et est à l’origine du mot Paradis.

    La première lettre de chacun des quatre niveaux de lecture provient de l’acrostiche P.a.R.D.e.S.

    La kabbale symbolique utilise différents procédés de lecture d’un texte :

    • « Guematria »

    La gématrie ou encore guématrie, pour européaniser le terme, est l'une des trois méthodes de lecture des textes. Elle est basée sur le rapprochement des mots dont la somme des lettres qui les compose est identique.

    En hébreu, les lettres ont aussi une valeur numérique et chaque mot est un nombre. Il s’ensuit que deux mots différents dont les lettres sont écrites dans un autre ordre peuvent avoir la même valeur numérique, ou encore qu’un mot a la même valeur numérique que la somme de deux autres. Dans ces cas, il existe toujours une relation entre les différentes significations.

    En Hébreu le procédé peut être employé, car à chaque lettre de l'alphabet est associé un nombre et l'on distingue trois façons d'associer valeur et lettre :

    - la gématrie par rang, où chaque lettre a la valeur du rang qu'elle occupe (Aleph vaut 1 VAU vaut 6….)

    - la gématrie classique, basée sur le même principe que la gématrie par rang jusqu'à la 10ème lettre, ensuite les lettres valent 20 - 30 … (ainsi BETH vaut 2 ; LAMED vaut 30 - SHIN vaut 300 …)

    - la gématrie au carré ; chaque lettre vaut le nombre défini par la gématrie classique, multiplié par sa propre valeur, c'est à dire élevé au carré (BETH vaut 2x2 = 4 - VAU vaut 6 x 6 = 36 - ALEPH, invariable vaut 1…).


    Pour rétablir les valeurs classiques les correspondances numériques sont les suivantes :

    ALEPH ….1 - BETH ….2 - GUIMEL….3 - DALETH …4 - HE….5 - VAU…6 - ZAYIN ...7 - HETH...8 - TETH...9 - YOD...10 - KAPH...11 ou 20 - LAMED...12 ou 30 - MEM...13 ou 40 - NOUN ...14 ou 50 - SAMER ...15 ou 60 - AYIN …16 ou 70 - PE …17 ou 80 - TZADDE …18 ou 90 - QUOF…19 ou 100 - RESH …20 ou 200 - SHIN …21 ou 300 - TAV … 22 ou 400.

    Les valeurs des points voyelles, placés en finale des mots sont les suivantes :
    KAPH…500 - MEM…600 - NOUN…700 - PE … 800 - TZADDE … 900

    Prenons un exemple :

    « Adonaï » (Seigneur) a pour valeur numérique 10+5+6+5 = 26 qui est le nombre de Dieu.

    La gématrie n'est nullement un instrument de démonstration. C'est plutôt un outil de relativisation de la façon de percevoir un texte mais hélas, elle est sujette à de nombreuses dérives qui servent à édifier des théories farfelues - surtout si elle est appliquée à n'importe quelle langue alors qu'elle est exclusive à l'Hébreu. Son emploi aux divers alphabets, grec moderne par exemple, est infondé. Ainsi, le mot « désirs » de la langue française vaut « 666 » - nombre de la bête de l'Apocalypse de Saint Jean - et l'interpréter par « le désir n'est pas bien voire peu souhaitable » est plus qu'hasardeux !

    • « Notaricon »

    Le notarikon, c’est le second procédé de lecture des textes sacrés en hébreu. Il consiste à interpréter chaque lettre d'un mot comme l'abréviation d'une phrase (comme en France les sigles SNCF, RAPT…et pour nous autres GLRB… GADLU…)

    En d’autres termes, c’est une méthode basée sur la réunion des lettres initiales ou finales de plusieurs mots pour en former un seul « Themoura ». Elle consiste à transposer (permuter) les lettres d’un mot, ou à leur substituer, d’après certaines règles, d’autres lettres de l’alphabet de façon à former un autre mot que celui qui est dans le texte. Pour la kabbale, il y a toujours un sens sous le sens, sous le sens... !

    C'est le principe du sigle ou de l'acronyme.

    A titre d'exemple, le titre du livre clé de la kabbale, le Zohar s'écrit ZAYIN - HE - RESH est généralement traduit par SPLENDEUR. Mais il peut être considéré comme l'acronyme de la phrase « ZEH HA RESHIT » qui signifie « Voici le commencement… ».

    Le notarikon peut dévoiler ainsi des ressorts subtils.

    Le notarikon, à l'instar de la gématrie, peut s'appliquer à bien des langues.

    La cabale chrétienne

    A partir de la Renaissance, on a donné le nom de cabalistes non seulement à ceux qui étudient la kabbale judaïque, mais encore à tous ceux qui ont cru trouver des mystères dans les nombres, et à ceux qui ont cherché le moyen de communiquer avec ce qu'ils ont appelé « les esprits élémentaires ».

    La cabale chrétienne, comme la kabbale juive tire bon parti de certains mots mystérieux. Elle explique les choses les plus obscures par les nombres, par le changement de l'ordre des lettres et par des rapports dont les cabalistes se sont formé des règles.

    A l'instar les kabbalistes juifs, les cabalistes chrétiens se sont revendiqué de lointains ancêtres. Ainsi, dès les commencements du christianisme, les philosophes platoniciens et pythagoriciens cherchèrent à allier les nouveaux dogmes avec le système des émanations et des nombres, tels furent les gnostiques, Basilide, Valentin, Marc, Euphrate, qu'on ne peut considérer véritablement comme les premiers cabalistes, mais du moins comme les initiateurs de ce qu'on nommera plus tard la grande cabale

    La cabale chrétienne est parfois nommée « cabale philosophique » ou « cabale de la Renaissance ». C’est un courant philosophique chrétien inauguré par Pic de la Mirandole au 15ème siècle.

    Il consiste à adapter les techniques d'interprétation kabbalistique au christianisme en général et au Nouveau Testament en particulier. Selon Pic de la Mirandole, la cabale était un système d'interprétation capable d'éclaircir les mystères du christianisme.

    La « cabale de la Renaissance » avait pour objet principal de montrer l'unité des religions monothéistes. Pour cette raison, elle fut souvent combattue par les autorités ecclésiastiques hostiles à l’œcuménisme. Avec Pic, Gaffarel y définit la cabale comme « l'explication mystique des Saintes Écritures, explication qui fut transmise avant et après la venue du Christ ».

    Courant majeur du judaïsme ésotérique, la kabbale fut également étudiée par les auteurs chrétiens de la Renaissance, au point de donner naissance à une véritable cabale chrétienne. Mais, que ce soit chez les catholiques ou dans les Églises issues de la Réforme, la cabale chrétienne n’intéresse que quelques théologiens généralement influencés par le néo-platonisme mystique et l’ésotérisme chrétien : les différentes traditions entretiennent à la fois des courants favorables à l’usage de la cabale et d’autres qui lui sont foncièrement hostiles.

    La mystique ou le mysticisme qui a trait aux mystères, aux choses cachées ou secrètes, relève principalement du domaine religieux, et sert à qualifier ou à désigner ce qui relève d'expériences spirituelles de l'ordre d'un contact ou d'une communication avec une réalité non discernable par le sens commun. Le mystique chrétien privilégie « l’expérience personnelle de Dieu » plutôt que la réflexion : il lui faut ressentir plutôt que penser.

    Kabbale et soufisme

    La kabbale est la voie de l’ésotérisme hébraïque, et même elle est la forme spécifiquement hébraïque de la Tradition primordiale, comme le soufisme en est la forme musulmane, et l’ésotérisme chrétien, la forme spécifiquement chrétienne.

    Elle repose entièrement sur cette singularité de l’Écriture sainte, selon ce qu’en rapporte le Zohar : « Dans chaque parole de l’Écriture, le Saint, béni soit-il, a caché un mystère suprême qui est l’âme du mot, et d’autres mystères moins profonds, qui sont l’enveloppe du premier mystère. L’homme profane ne voit que dans chaque mot que le corps, c’est-à-dire le sens littéral. Par contre les hommes clairvoyants voient dans chaque mot l’enveloppe qui entoure l’âme et, à travers cette enveloppe, ils entrevoient l’âme bien que la vue claire et nette de cette âme leur soit impossible ».

    Ainsi la Sagesse d’en Haut qui fut révélée à Moïse, au mont Sinaï, en même temps que le Pentateuque, la Loi écrite, l’exotérisme du judaïsme, constitue la connaissance cachée qui est l’objet de l’ésotérisme hébraïque : « La kabbale, Loi orale secrète, recoupe le Pentateuque, la Loi écrite, qu’elle transcende ».

    Le mystérieux guide de Moïse mentionné dans le saint Coran – et que l’on identifie à Khidr – est le dépositaire, lui, d’une « Science émanant de nous » que Dieu lui a conférée (XVIII, 65).

    Mais la kabbale, en tant que tradition ésotérique, remonte naturellement à Adam. Et en tant que Science sacrée, elle remonte même à l’origine de Dieu et des choses, car elle « est la Science de l’Etre par excellence ». La kabbale est moins une technique, qu’un « mode de vie spirituelle ». Elle a été incarnée par quelques grands noms, tous des docteurs juifs, tels que Siméon bar Yo’haï, Abraham Aboulafia, Moïse de Léon, bien sûr, Moïse Cordovera, Isaac Louria (1534 – 1572), etc., chacun développant sa propre approche.

    Enfin, si la kabbale, à strictement parler, est une « voie de connaissance » qui « traite à la fois de l’essence de Dieu et des causes premières, de la création ainsi que de la connaissance des principaux noms sacrés et de leur énonciation exacte », et si elle se réfère principalement au Zohar, elle a aussi connu un développement original à compter du 18ème siècle, avec le Hassidisme.

    On peut dire que « les hassidim font apparaître la kabbale davantage comme une introduction à la vie sainte et à l’amour de Dieu que comme une science d’une rigueur tout intellectuelle ». On se trouve donc ici plutôt dans une voie d’amour, où la prière l’emporte sur les actes et même sur l’étude de la Torah. La kabbale se distingue par un mode opératoire pour lequel elle dispose d’instruments : un alphabet, des textes sacrés et les sephiroth.

    Les sephiroth

    * Une approche de la kabbale et du soufisme

    Les sephiroth ou « nominations pures », qui sont au nombre de 10, comptent parmi les 32 « mystérieux chemins de Sagesse » selon lesquels Dieu a créé le monde - les 22 autres « sentiers » étant constitués des 22 lettres de l’alphabet hébreu. Ces 10 sephiroth sont 10 aspects de l’Un par lesquels l’Un se manifeste, autrement dit, ils sont les « intermédiaires » entre l’Être et la création.

    La création elle-même a été rendue possible par le « retrait de Dieu à l’intérieur de lui-même », selon la théorie d’Isaac Louria (1534 - 1572), qui demeure le maître de la kabbale dite de Safed, la théorie du tsimtsoum, selon laquelle « Dieu s’est exilé en réservant à l’intérieur de son propre Être « une sorte d’espace mystique » pour la Création ».

    Au-dessus du monde des sephiroth « par lequel Dieu se manifeste », se place le monde caché de l’En-Sof, la « Volonté suprême », monde qui est sans commencement ni fin et qui demeure tout à fait inaccessible à l’homme. Chaque sephira est l’archétype d’un membre ou d’un organe de l’homme, l’unité séphirotique est appelée « l’Homme d‘en haut ».

    1. Kether – la Couronne – est la première sephirahet la 10ème est Malkhout – le Royaume. Les autres sephiroth unissent donc la Tête, le « Point suprême » où commencent les mystères intelligibles au Malkhuth, qui est le Royaume. De Kether émanent les 22 lettres de l’alphabet, et naissent aussi d’une part la Sagesse, ou le Père, car « sans elle il n’y aurait pas de commencement » et, d’autre part, l’Intelligence qui est appelée la Mère. Kether est, enfin, « l’Essence pure et divine » de l’homme.

    2. La seconde sephirah est Chokhmah, la Sagesse. Elle est le souffle qui vient de l’esprit et, pour l’homme, elle est sa connaissance de Dieu.

    3. La troisième est Binah, l’Intelligence. Elle est l’eau, et le discernement de l’homme entre le réel et l’irréel.

    4. La quatrième est Chesed, la Miséricorde. Elle est le feu, et la nature lumineuse de l’homme qui aspire toujours au Divin.

    5. La cinquième est Geburah, la Rigueur, ou Dîn, le Jugement, qui est le jugement véritable de l’homme sur toutes choses.

    6. La sixième est Tiphareth, la Beauté, qui est la beauté extérieure et intérieure de l’homme, sa sérénité et son amour.

    7. La septième est Netzach, l’Éternité. Elle est sa « puissance spirituelle ».

    8. La huitième est Hod, la Gloire (ou la Réverbération), qui est sa force naturelle.

    9. La neuvième est Yesod, le Fondement, qui est l’activité de l’homme. Les six dernières sephiroth représentent également les quatre points cardinaux et les deux pôles. 

    10. Il faut également ajouter Daath, la science qui est née de l’union de la Sagesse et de l’Intelligence, quoiqu'elle n’appartienne pas aux dix sephiroth traditionnels.

    Che’hina

    La 10ème sephirah, Malkhuth ou Royauté représente la « Présence de Dieu » ou la « présence réelle » de la Divinité : la Che’hina. On aura reconnu naturellement la Sakinah arabe, qui est la « Grande Paix ». « Selon la doctrine cachée, il est du devoir des hommes de foi de diriger tout leur esprit et toute leur intention vers la Che’hina», dit le Zohar. La Che’hina est, en effet, la « Résidence divine », le principe féminin en Dieu, séparée de son principe masculin, qui est le Saint, béni soit-il, Kadoch Baroukh Hou. C’est tout le drame de la Chute, de la séparation des deux principes en Dieu, et de l’Exil de la Che’hina qui constitue l’Histoire depuis les temps paradisiaques jusqu’à la venue du Messie Roi.

    L’exil de la Che’hina et sa séparation d’avec le Saint, béni soit-il, a donné lieu à des développements particulièrement suggestifs. Le Zohar rapporte ainsi cet enseignement de Siméon bar Yo’haï : « Il incombe à l’homme d’être mâle et femelle », toujours, afin que sa foi puisse rester inébranlable et que la Présence divine [la Che’hina] ne l’abandonne jamais.

    Une des principales fonctions de la Che’hina est, toujours selon le Zohar, de « servir d’intermédiaire au monde d’en haut pour correspondre avec celui d’ici-bas, et aussi d’intermédiaire au monde d’ici-bas pour correspondre avec celui d’en haut. Ainsi, elle est la Médiatrice parfaite entre le ciel et la terre ».

    A cette présence divine, enfin, est associé l’Ange Metatron ou l’Ange des Théophanies, « l’Ange de la Face », dont René Guénon fera remarquer, dans son « Roi du monde », qu’il est le « Pôle céleste », comme « le chef de la hiérarchie initiatique » est le « Pôle terrestre ». L’un et l’autre sont d’ailleurs « en relation selon l’Axe du monde ».

    Les instruments de la Kabbale

    L’alphabet

    Les 22 lettres-consonnes de l’alphabet hébreu ont une valeur numérique, et elles traduisent « la réalité ontologique ». L’alphabet hébreu ne peut en aucune manière être comparé aux alphabets des langues profanes, sauf à l’arabe, mais l’arabe n’est justement pas une langue profane. On fera remarquer, après René Guénon, que les mots qabbalah, kabbale en hébreu, et qibla, qui désigne l’orientation rituelle, en arabe, ont la même racine Q B L – ainsi d’ailleurs que la même orthographe.

    Par ailleurs, du fait de leur valeur numérique des consonnes, « des mots de consonnes différentes, mais de valeurs correspondantes, possèdent un radical ontologique identique ». Cette singularité de l’alphabet hébreu fera dire à A.- D. Grad : « On ne conçoit d’ailleurs pas d’autre langue idéale, où la différence entre l’Homme (Adam : Aleph-Daleth-Mem, soit 1+4+40+45) et la Femme (Havah - Heth - Vav - Hé, soit 8+6+5 = 19) peut donner le nombre de Yahweh, c’est-à-dire 26 (45 – 19 = 26) ».

    A partir de l’alphabet hébreu, Les kabbalistes ont donc développé une véritable science des lettres, qui repose sur des combinaisons multiples et divers procédés, dont la guématrie, qui consiste à comparer deux mots de même valeur numérale.

    Il existe d’autres procédés (plus de 70) dont les plus connus sont :

    • la notariquequi isole les lettres d’un mot et les confronte à d’autres mots. Par exemple Adam (Alef, Dalet et Mem) et Abraham, David, Messiah ; et encore

    • la thémourie qui consiste à substituer à une lettre la lettre qui suit immédiatement – « il faut un « langage en mouvement » pour un « homme en mouvement ».

    Les textes chiffrés

    Les kabbalistes opèrent sur des textes chiffrés tous tirés de l’Ancien Testament, qui reste le seul document traditionnel non tronqué – à l’exception notoire du saint Coran. Ils privilégient le Livre de la Genèse, et le Livre d'Ezéchiel. Mais aussi le premier chapitre du Livre de la Genèse, et le premier verset qui « contient déjà tout le Livre », et le premier mot qui, lui-même « contient le premier verset ». « Et la première lettre du premier mot, beith, de valeur numérique 2, renferme à elle-seule toute une cosmogonie ».

    Autre livre d’une égale importance pour les kabbalistes : Le Cantique des Cantiques : « De tous les cantiques qui existent, dit le Zohar, aucun n’est aussi agréable au Saint Béni soit-il, que le Cantiques des Cantiques ». Il est dit également qu’il renferme « tout ce qui existe, tout ce qui a existé, tout ce qui existera » et aussi que « tous les événements qui se passeront au septième millénaire, qui est le Sabbat du Seigneur », s’y trouvent résumés.

    Abordons à présent la troisième forme de kabbale : la qabale arabe, autrement dit le soufisme.

    Le soufisme

    Qu’est-ce que le soufisme ?

    Le soufisme (ou Tasawwouf) est une quête ontologique et religieuse dans l'islam. C'est une voie intérieure apparue avec la révélation prophétique de l'islam, ayant pris ses racines initiales dans l'orthodoxie sunnite essentiellement, mais qui a évolué épistémologiquement — pour certains de ses courants — pour ensuite problématiser les dissidences chiites (ismaïlisme, Druzes).

    Le tassawouf est par conséquent un élan de l'âme loin du théisme orthodoxe de l'islam. Son discours est contemplatif et son esthétique verbale est poétique.

    Le soufisme est le mysticisme de l’Islam. Comme tel, il a la particularité d’exister aussi bien dans l’Islam sunnite que dans l’Islam chiite. Décrire le soufisme est une tâche redoutable. Comme tout mysticisme, il est avant tout une recherche de Dieu et son expression peut prendre des formes très différentes. D'autre part, par ses aspects ésotériques, il présente des pratiques secrètes, des rites d’initiation, eux aussi variables selon les maîtres qui l’enseignent.

    Bien que le soufisme se veuille rigoureusement musulman, l’Islam traditionnel, sunnite et chiite, considère le soufisme avec la plus grande méfiance !

    En Iran, la grande majorité des mollahs y est vivement opposée et dans l’Islam sunnite, la plupart des Ouléma sont beaucoup plus intéressés par la lettre du Coran et ses interprétations juridiques que par les spéculations des soufis auxquelles ils trouvent une odeur de soufre. Cette opposition généralisée contribue à la discrétion du soufisme.

    En outre le soufisme n’a aucune unité. Chaque maître se constitue une cohorte de disciples attirés par la réputation de son enseignement. Tout au plus, ces maîtres déclarent se rattacher à une « confrérie », elle-même fondée par un célèbre soufi des siècles passés ; personne ne vérifie une quelconque orthodoxie de l’enseignement donné, du moment qu’il se réfère à l’Islam.

    L’importance de cet Islam secret n’en est pas moins remarquable. Historiquement, il a joué un rôle de premier plan dans la naissance des déviations du chiisme que sont l’Ismaélisme et la religion druze. En littérature, il a profondément inspiré certaines des œuvres arabo-persanes les plus remarquables comme les « contes des Mille et Une Nuits » ou le poème d’amour de « Layla et Majnoun ».

    C’est cependant par sa spiritualité que le soufisme est le plus original.

    La spiritualité du soufisme

    Les musulmans soufis sont des personnes qui recherchent l'intériorisation, l'amour de Dieu, la contemplation, la sagesse. Il s'agit d'une organisation initiatique et ésotérique.

    Souvent mis en opposition avec l'islam traditionnel par les Occidentaux et les musulmans, et bien qu'en réalité les anciennes « voies » soufies aient fait l'intense promotion d'un enseignement très orthodoxe, le soufisme cultive volontiers le mystère, l'idée étant que Mahomet aurait reçu en même temps que le Coran des révélations ésotériques qu'il n'aurait partagées qu'avec quelques-uns de ses compagnons.

    En tant que notables, les soufis combattent au nom de l'islam le vice sous toutes ses formes, montrant justement par là leur aspiration à l'application pleine et entière des lois islamiques. Leurs luttes se sont souvent tournées contre ceux qui menacent de dévoyer la spiritualité des croyants, y compris des émirs licencieux.

    Dans la conception soufie, l’approche de Dieu s’effectue par degrés. Il faut d’abord respecter la loi du Coran, mais ce n’est qu’un préalable qui ne permet pas de comprendre la nature du monde. Les rites sont inefficaces si l’on ignore leur sens caché. Seule une initiation permet de pénétrer derrière l’apparence des choses. L’homme, par exemple, est un microcosme, c’est-à-dire un monde en réduction, où l’on trouve l’image de l’univers, le macrocosme. Il est donc naturel qu’en approfondissant la connaissance de l’homme, on arrive à une perception du monde qui est déjà une approche de Dieu.

    Selon les soufis, toute existence procède de Dieu et Dieu seul est réel. Le monde créé n’est que le reflet du divin, « l’univers est l’Ombre de l’Absolu ». Percevoir Dieu derrière l’écran des choses implique la pureté de l’âme. Seul un effort de renoncement au monde permet de s’élancer vers Dieu : « l’homme est un miroir qui, une fois poli, réfléchit Dieu ».

    La doctrine du soufisme

    Du point de vue des idées, le soufisme est un courant ésotérique et initiatique, qui professe une doctrine affirmant que toute réalité comporte un aspect extérieur apparent (exotérique) et un aspect intérieur caché (ésotérique). Il se caractérise par la recherche d'un état spirituel qui permet d'accéder à cette connaissance cachée. Cette importance accordée aux secrets a même mené jusqu'à l'invention des langues artificielles par les confréries.

    Le Dieu que découvrent les soufis est un Dieu d’amour et on accède à Lui par l’Amour : « qui connaît Dieu, L’aime ; qui connaît le monde y renonce ». « Si tu veux être libre, sois captif de l’Amour ».

    Ce sont des accents que ne désavoueraient pas les mystiques chrétiens. Il est curieux de noter à cet égard les convergences du soufisme avec d’autres courants philosophiques ou religieux : à son origine, le soufisme a été influencé par la pensée pythagoricienne et par la religion zoroastrienne de la Perse ; l’initiation soufie, qui permet une re-naissance spirituelle, n’est pas sans rappeler le baptême chrétien et l’on pourrait même trouver quelques réminiscences bouddhistes dans la formule soufie « l’homme est non-existant devant Dieu ».

    Même diversité et même imagination dans les techniques spirituelles du soufisme : la recherche de Dieu par le symbolisme passe, chez certains soufis, par la musique ou la danse qui, disent-ils, transcende la pensée ; c’est ce que pratiquait Djalal ed din Roumi, dit Mevlana, le fondateur des derviches tourneurs. Chez d’autres soufis, le symbolisme est un exercice intellectuel où l’on spécule, comme le font les juifs de la kabbale, sur la valeur chiffrée des lettres ; parfois aussi, c’est par la répétition indéfinie de l’invocation des noms de Dieu que le soufi recherche son union avec Lui.

    Le soufisme apporte ainsi à l’Islam une dimension poétique et mystique qu’on chercherait en vain chez les exégètes pointilleux du texte coranique. C’est pourquoi ces derniers, irrités par ce débordement de ferveur, cherchent à marginaliser le soufisme. C’est pourquoi aussi les soufis tiennent tant à leurs pratiques en les faisant remonter au prophète lui-même : Mahomet aurait reçu, en même temps que le Coran, des révélations ésotériques qu’il n’aurait communiquées qu’à certains de ses compagnons. Ainsi les maîtres soufis rattachent-ils tous leur enseignement à une longue chaîne de prédécesseurs qui les authentifie.

    Cette légitimité par la référence au prophète n'entraîne cependant pas d'uniformisation du mouvement soufi : les écoles foisonnent et chacune a son style et ses pratiques. Ces écoles sont généralement désignées en français sous le nom de confréries.

    Ces confréries sont devenues, non pas une institution, mais au moins une manière de vivre l'Islam si généralement admise que toutes sortes de mouvements, mystiques ou non, se parent du titre de confrérie pour exercer leurs activités. Qu'on ne s'étonne donc pas de rencontrer parfois des confréries fort peu mystiques à la spiritualité rudimentaire, bien éloignée des spéculations élevées qui ont fait du soufisme l'une des composantes majeures de la spiritualité universelle.

    Soufisme, mystique et & ésotérisme

    Le soufisme recouvre des réalités très différentes dans l’Islam.

    La « mystique » au sens propre consiste à vivre le plus possible uni à Dieu. La vie mystique est ouverte à tous : il s’agit de laisser Dieu, par amour, vivre en nous. La mystique n’est pas une disparition de la personne qui garde son caractère, son histoire, son génie même, et tout ce qui fait qu’elle est unique et lui permet d’être aimée.

    Toutes les religions proposent-elles une mystique ?

    A l’évidence seulement celles qui ont rencontré Dieu comme personne et donateur de vie. Dans ce sens il n’est pas impossible à des musulmans de vivre la mystique, qu’ils soient soufistes ou non. Il est certain que le soufisme met l’accent sur cette union à Dieu.

    Mais est-ce toujours dans des conditions dignes de Dieu et de l’homme ? C’est ici qu’il est nécessaire de voir la distinction radicale entre « mystique » et « ésotérisme ». Car l’ésotérisme tourne véritablement le dos à la mystique.

    L’ésotérisme, c’est la volonté de puissance spirituelle par l’accession à des « secrets » ou des techniques. Loin de libérer l’homme, ces secrets et ces techniques fabriquent un spiritualisme artificiel dans lequel le « connaissant » s’enferme.

    L’illusion de « connaître » empêche d’entendre Dieu qui se révèle en parlant à qui est assez humble pour désirer le connaître tel qu’il se dit.

    Ainsi certains s’enferment dans une théorie numérologique, d’autres dans les différents tiroirs d’une caractérologie déterministe, d’autres encore dans des rubriques d’horoscopes, d’autres dans des techniques de méditation.

    Alors que la mystique est accueil de Dieu, de sa révélation et de son amour, l’ésotérisme prétend donner le pouvoir d’acquérir Dieu, voire de devenir Dieu en franchissant par ses propres efforts des degrés de « connaissance » réservés à des « initiés » qui se réservent ces pouvoirs.

    Il n’est sans doute pas difficile de comprendre que si Dieu existe véritablement, il est encore plus « personne » que l’Homme. Il a donc aussi une liberté. Et s’il est libre de se donner, comment pourrait-on mettre la main sur lui par des « connaissances » et des « initiations ». Dieu ne s’atteint que s’il se donne lui-même, et si on l’accueille.

    Une kabbale des druides et des magiciens ?

    Enfin, à l’issue de cette longue suite d’informations à propos « des » kabbales, il semblerait qu’il existe aussi une kabbale des druides et des magiciens qui serait une autre approche mystique du mystère de la Création, proche des mythes des peuples sumériens et égyptiens. Il y a plusieurs manières d’interpréter et de pratiquer la kabbale, et chacun a sa perception différente de la signification des symboles et des sens. D'origine sémite mais complètement déformée dans le temps, le socle de cette kabbale est la mystique égyptienne et son astronomie.

    En synthèse

    Le mot « kabbale » qui dérive donc de l'hébreu Qabbalah, désigne les « doctrines reçues par tradition ». La vraie kabbale est un système de philosophie et de métaphysique mystique. Son originalité réside dans son approche de la genèse par la voie mystique et la voie de la connaissance. Il s'agit d'une sagesse très ancienne qui nous révèle le fonctionnement de la vie et de l'univers.

    La kabbale accorde, comme l'école de Pythagore, une valeur mystique aux nombres. Trois sens peuvent être découverts en chaque mot sacré. D'où trois interprétations ou kabbales différentes.

    En dépit de sa systématisation relativement tardive, la kabbale est l'héritière de tout un gnosticisme juif dont les Esséniens étaient déjà pénétrés.

    La kabbale est comme une introduction à la vie sainte et à l’amour de Dieu.

    Mais la kabbale, c’est aussi un livre : le fameux Zohar (qui signifie l'illumination), ou Livre de la Splendeur.

    La kabbale est la voie de l’ésotérisme hébraïque. Elle est même la forme spécifiquement hébraïque de la Tradition primordiale, comme le soufisme en est la forme musulmane, et l’ésotérisme chrétien, la forme spécifiquement chrétienne.

    La cabale chrétienne est parfois nommée « cabale philosophique » ou « cabale de la Renaissance ». C’est un courant philosophique chrétien inauguré par Pic de la Mirandole au 15ème siècle.

    Quant au soufisme, il est le mysticisme de l’Islam, une quête ontologique et religieuse dans l'islam. Il recouvre des réalités très différentes dans cette religion. Il met l’accent sur l’union à Dieu. C'est une voie intérieure apparue avec la révélation prophétique de l'islam, un élan de l'âme loin du théisme orthodoxe de cette religion. Son discours est contemplatif et son esthétique verbale est poétique.

    Le message du soufisme est celui du miracle de l'union entre l'âme individuelle et l'Absolu de la nature divine. L'homme reçoit la révélation et peut déployer son âme. Ce déploiement se fait dans l'extase, la dissolution de l'ego et du soi. Touchant alors directement tout être et toute chose, l'âme de l'individu devient conscience divine.

    Le soufisme exige que l'âme se dépouille des limitations de l'homme, de ses habitudes et de ses préjugés qui étaient devenus une « seconde nature » et se couvre des caractéristiques de la nature primordiale de l'homme, c'est à-dire la pureté, la sincérité, la générosité...

    Le soufisme comme la Franc-maçonnerie comporte des grades et des degrés d'initiation débutant par l'apprenti « Talib » qui, en suivant un long et difficile parcours initiatique, deviendra un aspirant « Murîd ». Celui-ci passera par des « Maqâmat », c’est-à-dire des étapes d'initiations successives, et accédera à la dignité de « Murshid », directeur spirituel, guide des disciples, collaborateur du maître, gardien des règles et rites. Le moment venu, toutes les épreuves surmontées, le maître confère l'investiture au « Murshid » pour devenir un « Cheikh », maître possédant la « baraka » et le secret de la science divine «al-ma'rifa».

    A ce stade-là, il est dit que le maître sait distinguer l’homme (son maître passé) de son enseignement, s'attacher à la valeur propre de cet enseignement et non pas du comportement du maître.

    Conclusion provisoire

    Cette planche devrait avoir permis de préciser les orthographes possibles du mot « kabbale » : cabale, cabbale ou qabbale. Ce mot vient de la racine hébraïque KBL qui signifie « recevoir ». Je ne me suis pas préoccupé du sens figuré du mot « cabale » qui signifie alors « un complot formé par plusieurs personnes afin de nuire à autrui ».

    Ensuite, plus longuement, ce travail m’a permis de collecter une foule de précisions quant au sens du mot « kabbale ».

    La kabbale est une manière de regarder le monde, de se regarder voir le monde. Cette « manière » est originale parce qu'elle associe l'attente d'une révélation fulgurante (la voie mystique, ou intuitive) à l'étude patiente (la voie rationnelle).

    Autrement dit, le kabbaliste cultive l'art de comparer et de rendre compte de ses observations tout en intériorisant l'expérience de l'Unité retrouvée. Il fait travailler en même temps les deux hémisphères de son cerveau. Ses exercices ont pour effet d'établir des connexions entre la raison, l'intuition et l'imagination. Sa démarche est à la fois intellectuelle et spirituelle.

    Puisse ce long travail avoir permis à mes Frères de mieux percevoir la signification du mot kabbale pour envisager de nouvelles recherches dans le symbolisme, le mysticisme, l’ésotérisme, la Tradition… que nous sommes chargés de transmettre.

    R:. F:. A. B.

    [1] La Merkabah ( ou Merkavah) est un terme hébreu qui signifie char (de la racine R - K - B signifiant chevaucher). C'est un des plus anciensthèmes de lamystique juive. Il s'agit pour le mystique d'accéder à la contemplation de ce trône céleste. 

    [2] La théologie est l’étude de la religion, des textes sacrés, des dogmes...

    [3] La (une) théurgie, est une forme de magie, qui permettrait à l'homme de communiquer avec les « bons esprits » et d'invoquer les puissances surnaturelles aux fins louables d'atteindre Dieu.

    [4] La pseudépigraphie désigne un ouvrage dont le nom de l’auteur ou le titre a été faussement attribué. Un pseudépigraphe est le nom donné aux livres bibliques qui portent de faux titres, de faux noms.

    [5] Le terme Pentateuque désigne les cinq premiers livres de la Bible, aussi appelés les cinq Livres de Moïse, bien qu'ils aient probablement été rédigés ou compilés par Esdras. Les Livres du Pentateuque sont : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, Nombres, et le Deutéronome. Ces cinq livres racontent l'histoire du peuple d'Israël, depuis la création du Monde jusqu'à la mort de Moïse. Ils constituent dans la religion juive la Torah (la Loi) car, outre les récits historiques, on y trouve tout un ensemble de prescriptions religieuses, rituelles, culturelles, juridiques, etc., bases du judaïsme.

     

    Bibliographie

    Canseliet Eugène - Alchimie

    Etudes diverses de symbolisme hermétique et de pratique philosophale

    Editions Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1964

    Nouvelle édition revue et augmentée – 1978

     

    Fulcanelli - Les Demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré

    Pauvert Editions, 1992

     

    Gershom Scholem - Le Zohar, Le Livre de la Splendeur

    Editions du Seuil, Paris, 1980

     

    Grad A. – D.  -  Pour comprendre la kabbale

    Editions Dervy, Paris, 1999

     

    Ifrah Georges - Histoire universelle des Chiffres

    Editions Robert Laffont, Paris, 1994

     

    Malherbes Michel - Les religions de l’humanité

    Editions Critérion, 2004 – pages 192 - 194

     

    Royston Pike E. - Dictionnaire des religions

    Adaptation française de Serge Hutin

    Presses Universitaires de France, 1954

     

    Schaya Léo - L’homme et l’absolu selon la kabbale

    Editions Dervy, Paris, 1995

     

    Secret François - Les Kabbalistes chrétiens de la Renaissance

    Dunod, Paris, 1964

     

    Z’ev ben Shimon Halevi - La cabbale

    Editions du Seuil, Paris, 1980


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  •  Les influences subies par la Franc-maçonnerie à ses débuts 

    Introduction

    Selon Paul Naudon, auteur d’une « Histoire générale de la Franc-maçonnerie » (Office du Livre, 1987), la Franc-maçonnerie, telle qu'elle est pratiquée de nos jours, serait née en 1717 avec la Grande Loge de Londres. Il ne s'agissait pourtant pas d'une génération spontanée. Elle s'est affirmée comme la continuation de la Franc-maçonnerie de métier. Ses traces se relèvent, en Angleterre et en Ecosse, à partir du 13ème siècle, mais elle se référait à une tradition infiniment plus ancienne.

    L'Histoire Générale de la Franc-maçonnerie de Paul Naudon précise ces origines. Les vieux statuts, charges et devoirs du métier font état de légendes qui montrent déjà une des caractéristiques de la Franc-maçonnerie : le symbolisme.

    Mais l'historien doit s'attacher aux sources réelles et cette recherche nous fait suivre un itinéraire allant des collegia romains aux communautés de métiers et aux corporations en passant par les associations monastiques et les confréries. Le rôle des Templiers est également considérable.

    Les origines

    Une théorie plausible fait remonter les origines de la Franc-maçonnerie au temps des Babyloniens, ces grands bâtisseurs de l'Antiquité dont l'habileté et l'orgueil avaient poussé jusqu'à défier les dieux en voulant construire une tour qui atteindrait le ciel, la fameuse Tout de Babel.

    De Babylone on passe en Egypte où les bâtisseurs jouissaient d'un statut privilégié. En effet, les pharaons, les rois d'Egypte, étaient essentiellement des bâtisseurs, des architectes si l'on veut, et ils passaient beaucoup de leur temps sur les chantiers de construction.

    A cette époque, il y avait des groupes de bâtisseurs, sortes de corporations professionnelles, possédant des techniques et des principes bien à eux, des secrets du métier en somme, et ils étaient tenus en haute estime par les dirigeants de l'Etat. D'Egypte, le mouvement se serait transmis en Grèce puis à Rome et finalement en Europe occidentale. Rappelons-nous qu'à l'époque de l'Empire romain, il existait des regroupements de corps de métiers appelés en latin, « collegia fabrorum ». Ces corporations professionnelles, précurseurs des guildes médiévales, possédaient à elles seules tout le savoir romain : comment construire les routes, les arches, les aqueducs, les outils de guerre, etc.

    Il est vraisemblable que les rites des « collegia fabrorum » survécurent sous le Bas-Empire malgré le triomphe du christianisme, de la même façon que d'autres rites appartenant aux religions païennes, les saints patrons prenant peu à peu la place des dieux tutélaires et les rituels se christianisant.

    Après l'effondrement de l'Empire romain d'Occident, les « collegia fabrorum » ont disparu. En effet, comme l'écrit Paul Naudon : « A l'époque féodale, aucun cadre juridique ne permet plus l'existence d'associations professionnelles autonomes et aucun groupement ne peut plus être envisagé sans tenir compte des liens de suzeraineté ou de vassalité qui caractérisent cette société ».

    Les vestiges des « collegia fabrorum » se sont placés sous la protection de l'Eglise et sont devenus des associations monastiques.

    A partir du 11ème siècle, de nouvelles associations se sont développées : les « confréries » et les « guildes ». Les confréries étaient nombreuses, à la fin du Moyen Âge, à travers l'Europe. Elles veillaient au respect des Devoirs des différents métiers. Le célèbre manuscrit Régius, qui date de la fin du 14ème siècle, donne une bonne idée de ce que pouvait être la Maçonnerie « opérative » de l'époque. Ces confréries étaient cependant souvent mal vues par l'Église catholique romaine et surveillées de près par les pouvoirs royaux.

    Progressivement, les loges opératives admettront parmi leurs membres quelques hommes importants, nobles ou membres du clergé, n'appartenant pas directement au métier. C'est ainsi que les loges écossaises, depuis 1439, avaient comme protecteurs héréditaires les seigneurs Saint-Clair de Rosslyn[1].

    Au 16ème siècle, ceux-ci feront venir d'Italie, source de la Renaissance qui enthousiasme l'Europe, des maçons qu'ils réuniront aux maçons écossais, régénérant ainsi les vieilles confréries sous une forme proche de celle des académies italiennes, ce qui eut, dit-on, beaucoup de succès. Toutefois, les statuts de la Loge « Mary's Chapel » d'Édimbourg, promulgués en 1599 par William Schaw, Maître des travaux du roi et surveillant général des maçons, montrent bien qu'on se situe toujours à cette époque dans le cadre de corporations de métiers.

    En Angleterre, les Loges évoluèrent de la même manière à partir de 1607, sous la protection de l'Écossais Jacques Stuart, devenu roi d'Écosse et d'Angleterre sous le nom de Jacques 1er en 1603, mais cette fois-ci le mouvement de modernisation alla beaucoup plus loin. En effet, la Renaissance avait alors porté ses fruits. Partout en Europe, la philosophie était enfin sortie du carcan scolastique.

    À Londres, en particulier, on se passionnait pour les sciences et les arts, pour l'alchimie[2] comme pour la mécanique céleste, pour l'hermétisme comme pour la philosophie classique.

    À l'issue de terribles guerres de religions et de successions, à la fin du 17ème siècle, avec entre autres la « Déclaration des droits » de 1689, l'esprit de réforme souffle sur les institutions britanniques, la Grande-Bretagne devient le phare de l'Europe.

    La Franc-maçonnerie au 18ème siècle

    En ce qui concerne la Franc-maçonnerie, il semble que le tournant décisif se situe justement à la fin du 17ème siècle. C'est ainsi par exemple qu'en 1703, lorsque la Loge Saint-Paul de Londres décide de s'ouvrir aux « personnes de tous états qui voudront y prendre part », elle ne fait vraisemblablement qu'officialiser une situation qui datait probablement déjà de plusieurs années.

    Ceci est confirmé par le fait que les loges établies en France à la fin du 17ème siècle par des exilés stuartistes (Jacques II s'est enfui en France en 1688) ne sont déjà plus des loges opératives. De même, on trouve déjà une Loge non-opérative en Irlande, à Dublin, vers 1690.

    La Franc-maçonnerie cesse donc à cette époque d'être une institution de métier, ouverte par exception à quelques hommes venant d'autres horizons, pour devenir l'institution essentiellement intellectuelle, symbolique et humaniste que nous connaissons aujourd'hui.

    C'est très probablement aussi à cette époque que naît le grade de « Maître Maçon », que la Franc-maçonnerie opérative ne connaissait pas, se limitant à ceux d'Apprenti (Entered Apprentice) et de Compagnon (Fellow Craft).

    Fondation de la Grande Loge d'Angleterre, dite plus tard « Les moderns »

    Peu de temps après la création du Royaume de Grande-Bretagne (1707) et l'arrivée au pouvoir de la Maison de Hanovre (1714), à l'occasion de la Saint-Jean d'été, quatre loges de Londres connues sous le nom des tavernes dans lesquelles elles se réunissaient, « At The Goose and Gridiron », « At the Crown », « At the Apple Tree » et « At the Rummer and Grapes » constituent la première obédience maçonnique de l'histoire, la « Grande Loge de Londres », dont le pasteur écossais James Anderson rédigera, avec l'aide du pasteur d'origine française, Jean Théophile Désaguliers, les Constitutions en 1723.

    Ces Constitutions, dans le contexte de l'époque, sont d'une remarquable ouverture, puisqu'elles permettent à des hommes de religions différentes (catholiques, anglicans et protestants) de travailler ensemble dans un véritable esprit de fraternité, à une époque où, à l'extérieur, l'intolérance religieuse est encore très loin d'être partout éteinte.

    Les protestants sont nombreux dans cette nouvelle institution, dont les trois premiers Grands Maîtres sont des roturiers, mais Désaguliers parvient à y attirer un grand nombre de membres de la « Royal Society » et à faire accepter la grande maîtrise au Duc de Montagu en 1721, puis au Prince de Galles en 1737. L'obédience prendra rapidement le nom de « Grande Loge de Londres et de Westminster », puis de « Grande Loge d'Angleterre ». Son recrutement reste éclectique : à côté des aristocrates et des savants, on trouve aussi des artisans, des petits commerçants, des aubergistes. Ses membres encouragent le théâtre et rédigent des prologues et épilogues maçonniques pour certaines pièces, ainsi que de nombreuses chansons maçonniques. L'activité des loges est essentiellement tournée vers la convivialité, la sociabilité et le divertissement.

    La bulle papale de 1738 n'a presque aucun écho en pays anglican. Les premières divulgations du secret maçonnique, notamment l'ouvrage « Masonry dissected » de Samuel Prichard, sont plus remarquées, mais ne semblent pas non plus être à l'origine du léger repli de la Grande Loge d'Angleterre dans les années 1740, qui verra le nombre de ses loges passer de 189 en 1741 à 157 en 1748.

    Cette diminution est probablement plus liée au désintérêt des Grands Maîtres pour la vie de leur obédience ainsi qu'à la popularité d'autres clubs tels que le Hellfire Club et les Gormogons. Dans le même temps, la Grande Loge d'Angleterre feint d'ignorer la Grande Loge d'Irlande, tarde à reconnaître celle d'Écosse et refuse d'accepter dans ses rangs les immigrés venus de ces pays, ce qui aboutira en 1751 à la fondation de la Grande Loge concurrente, dite « des Antients ».

    Suite à cette crise, elle aura perdu 71 loges de plus en 1756. Elle y fait alors face en renforçant son élitisme, en développant ses loges à l'étranger, en interdisant les visites aux loges de l'obédience rivale et en entamant la construction du prestigieux « Freemason's Hall ». Elle conserve également la tolérance religieuse de ses origines, se distinguant de sa rivale en ce qu'elle condamne l'athéisme tout en restant encore ouverte à toutes les religions.

    Fondation de la Grande Loge d'Écosse

    En Écosse, la première réunion de Loges au sein d'une obédience centralisée, la Grande Loge d’Écosse, à la manière de la Grande Loge de Londres, date de 1736. Mais l'innovation de tolérance y fut moins bien accueillie, en autres pour des raisons dynastiques : beaucoup de Maçons restaient attachés à la cause des Stuart et au seul catholicisme. Beaucoup de Loges gardèrent par ailleurs leur indépendance ou la reprirent rapidement, comme la célèbre « Mother Lodge of Kilwinning ».

    La Grande Loge dite des « Antients »

    En 1751, apparaît une nouvelle Grande Loge en Angleterre, sous le nom de « Grand Lodge of Antients Masons ». Cette Grande Loge réunit des Loges composées pour une grande part d'immigrés catholiques irlandais, ayant été initiés en Irlande et n'ayant pas été admis dans les Loges plus aristocratiques de la Grande Loge d'Angleterre, qu'ils qualifieront du terme à leurs yeux péjoratifs de « Grande Loge des Modernes ».

    Soucieux d'établir leur légitimité, les anciens affirment être les héritiers de l'ancienne loge d'York et détenir des secrets maçonniques inconnus de leurs adversaires auxquels ils reprochent d'avoir déchristianisé les rituels. Ils introduiront notamment dans leur rite la pratique du degré de l'« Arche royale » (Royal Arch), inconnu des modernes.

    Le principal animateur de cette Grande Loge est Laurence Dermott. De son poste de « Grand Secrétaire », il parviendra à convaincre quelques aristocrates d'accepter de se succéder à la grande maîtrise de son obédience, notamment le comte de Blessington, ancien Grand Maître d'Irlande. Il publiera sous le nom d’Ahiman Rezon des Constitutions différentes des Constitutions d’ Anderson, en s’inspirant des statuts de la Grande Loge d’ Irlande. Il développera en particulier le comité de charité de son obédience, dont l'action était probablement rendue plus nécessaire par la plus grande précarité sociale de ses membres.

    La Grande Loge des Anciens, moins élitiste que sa rivale, se développe rapidement : de 6 Loges en 1751, elle passe à 36 en 1954 et à 180 en 1793. Elle noue également des relations avec la Grande Loge d'Irlande et la Grande Loge d'Écosse, ce que la Grande Loge d'Angleterre n'avait pas voulu faire. C'est ainsi que deux ducs d'Atholl seront à la fois Grands Maîtres de la Grande Loge d'Écosse et de celle des « Antients ».

    La Franc-maçonnerie au 19ème siècle

    Au tout début du 19ème siècle, l'Angleterre fait face à l'Empire napoléonien et à la révolte irlandaise en partie influencée par les révolutions françaises et américaines. En 1800, le gouvernement britannique proclame l'Union de l'Irlande et de l'Angleterre. En 1813, l'Empire continental de Napoléon 1er est vaincu. Le Royaume-Uni devient, pour plus d'un siècle, la première puissance mondiale.

    C'est dans ce contexte que la Franc-maçonnerie anglaise s'unifie elle aussi en 1813 au sein de « l'United Grand Lodge of England » au terme d'un traité d'Union qui, par une sorte de compromis, remplaça le déisme naturel d'Anderson et l'exigence de christianisme des Ancients par une référence à l'obligation de la croyance en un théisme personnel. En ce qui concerne les rituels pratiqués, ils furent rapidement harmonisés autour de ce qui devint le Rite Émulation qui est aujourd'hui le Rite le plus pratiqué au Royaume-Uni.

    Devenue une institution unifiée dans un Empire britannique remarquablement puissant et stable, naturellement indifférente aux condamnations antimaçonniques de l'Église catholique qui se multiplient sur le continent, soutenue et protégée par la famille royale, la Franc-maçonnerie anglaise connaîtra au cours du 19ème siècle et du 20ème siècle une croissance inégalée dans le reste de l'Europe et deviendra une institution quasi-officielle et assez conservatrice au Royaume-Uni et dans les pays issus de l'Empire britannique.

    D'une manière assez proche, la Maçonnerie écossaise s'était unifiée en 1807 au sein de la Grande Loge d'Écosse. Les catholiques y étaient par ailleurs devenus peu nombreux du fait des interdictions papales.

    Il convient de remarquer, au sujet de l'Écosse, qu'elle ne fut pas à l'origine des « Rites Écossais » (« Rectifié » ou « Ancien et Accepté » »), qui sont nés de synthèses de grades d'origines essentiellement françaises et allemandes.

    L'influence de la Franc-maçonnerie anglaise fut telle que la Grande Loge unie d'Angleterre est, aujourd'hui encore, considérée comme la Grande Loge Mère de toute la Franc-maçonnerie par la plupart des obédiences du Monde.

    La plus grande partie du symbolisme maçonnique repose sur l’Ancien Testament, accessoirement sur l’alchimie, l’hermétisme, l’astrologie et même l’égyptologie ainsi que sur les rites de la Franc-maçonnerie opérative basée sur le symbolisme de la construction. Apportons à présent quelques précisions préliminaires sur ces différents courants qui ont influencé la Franc-maçonnerie.

    Le gnosticisme

    L'origine de la Franc-maçonnerie est obscure. Certains la font remonter aux cérémonies initiatiques de l'Egypte et de la Grèce antiques – tels les mystères d'Eleusis – auxquelles ses rites symboliques sont apparentés. Le christianisme des premiers siècles a également développé, avec les gnostiques, des formes d'initiation ritualisée permettant d'accéder à la connaissance des mystères divins, à l'illumination intérieure. On peut voir une filiation directe entre les gnostiques et les alchimistes, occultistes, illuminés et autres membres de la Rose-Croix qui ont fleuri au Moyen Age puis aux Temps modernes.

    Le gnosticisme est un mouvement religieux regroupant des doctrines variées du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient qui se caractérisent généralement par la croyance que les hommes sont des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel créé par un dieu mauvais ou imparfait appelé le Démiurge. Le mouvement connut son apogée au cours du 2ème siècle.

    La Gnose fut un mouvement religieux non chrétien à ses débuts, puisque vraisemblablement pré-chrétien, qui emprunta beaucoup aux cultes à mystères et à l'hermétisme, avant de devenir chrétienne ou manichéenne et cathare. Une des formes modernes de la gnose chrétienne se manifeste dans la doctrine des Fraternités de Rose-Croix. Ce sont des sociétés secrètes initiatiques qui exercèrent une grande influence sur la Franc-maçonnerie. Le mouvement bénéficia de toute la tradition alchimique et de la terminologie hermétique.

    Les néoplatoniciens

    On désigne sous le nom de néoplatonisme une école philosophique qui se réclame de Platon et dont le fondateur est Plotin (205-270 après J.-C.). Le néoplatonisme ou platonisme de l'Antiquité tardive tentait de concilier la philosophie de Platon avec certains courants de la spiritualité orientale.

    Le mot « néoplatonisme » semble avoir été inventé par Thomas Taylor, dans sa traduction des Ennéades de Plotin (1787). Les néoplatoniciens se disent, eux-mêmes, simplement platoniciens.

    Le néoplatonisme se caractérise par l'insistance donnée au premier Principe (l'Un, en général) et par des expériences spirituelles.

    Pour être néo-platonicien au sens strict, il faut reconnaître comme source d'une procession universelle un Principe absolument ineffable, nommé symboliquement « l'Un » ou « le Bien ». Il faut admettre à l'origine de toute pensée une sorte de coïncidence mystique, tout aussi inexprimable, avec ce centre universel.

    L'école néoplatonicienne a duré trois siècles, de la fin du 2ème siècle au 6ème siècle après J.-C. ; elle marque le dernier effort de la philosophie grecque, son entrée en contact et sa lutte avec le christianisme, et le passage de la pensée antique à la pensée du Moyen âge.

    Le mithriacisme et ses doctrines mystiques

    Mithra est le nom d'une divinité d'origine indo-iranienne, adoptée par la suite dans le monde gréco-romain, et dont le culte, appelé mithriacisme ou religion de Mithra, passe généralement pour être une dérivation du Mazdéisme. Aux yeux des Perses, ce dieu était le premier des anges, ou comme une personnification d'Ormuzd lui-même, considéré comme principe générateur perpétue et rajeunit le monde. C'était l'lzed du Soleil, et, comme tel, le dieu de la lumière. En conséquence, il était l'ennemi des ténèbres.

    Le mithraïsme, parfois aussi appelé mithriacisme ou culte de Mithra, est un culte à mystères apparu probablement pendant le 2ème siècle avant J.-C. dans la partie orientale de la Méditerranée. Durant les siècles suivants, il s’est propagé dans tout l'Empire romain et a atteint son apogée durant le 3ème siècle. Ce culte a été particulièrement bien reçu et implanté chez les soldats romains.

    Au 4ème siècle, il a été supplanté par le christianisme qui le déclara illégal en 391. En tant que « Culte à mystères », de type initiatique, sa transmission se faisait oralement, selon un rituel transmis d'initié à initié et non sur des écritures sacrées. 

    Dans le culte de Mithra, il existe sept niveaux d'initiation qui peuvent être mis en relation avec les sept planètes de l'astronomie de l'époque (la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne).

    Le mysticisme

    La mystique ou le mysticisme est ce qui a trait aux mystères, aux choses cachées ou secrètes. Le terme relève principalement du domaine religieux, et sert à qualifier ou à désigner ce qui relève d'expériences spirituelles de l'ordre d'un contact ou d'une communication avec une réalité non discernable par le sens commun.

    La mystique peut aussi être considérée comme la recherche d'une union à Dieu. L'un des aspects les plus discutés de la mystique est dès lors celui de savoir si cette union à Dieu peut aller jusqu'à la fusion en Dieu, ce qui abolit la différence et supprime l'union. Enfin, la réflexion sur ce qu'est la mystique a trait à la morale dans la mesure où elle relève d'un désir de connaître ce qui, par soi-même, est bien, juste et vrai.

    L’orphisme

    L’orphisme était un courant religieux de la Grèce antique. Le mythe d'Orphée donna naissance à une théologie initiatique. La doctrine orphique était une doctrine de salut marquée par une souillure originelle. L'âme est condamnée à un cycle de réincarnations dont seule l'initiation pourra la faire sortir, pour la conduire vers une survie bienheureuse où l'humain rejoint le divin.

    L’alchimie

    L'alchimie est une discipline qui recouvre un ensemble de pratiques et de spéculations en rapport avec la transmutation des métaux. L'un des objectifs de l'alchimie est la réalisation du Grand Œuvre, c'est-à-dire de la Pierre philosophale permettant la transmutation des métaux, notamment des métaux « vils », comme le plomb, en métaux nobles, l'argent, l'or.

    L’alchimie est une science dont l'objet est l'étude de la matière et de ses transformations. Elle repose sur un ensemble de pratiques – et en ce sens, elle est généralement considérée comme l'une des origines de la chimie[3] moderne – et sur des considérations philosophiques particulières, l'hermétisme.

    Un autre objectif classique de l'alchimie était la recherche de la panacée (médecine universelle) et la prolongation de la vie via un élixir de longue vie.

    La pratique de l'alchimie et les théories de la matière sur lesquelles elle se fondait, ont parfois été accompagnées, notamment à partir de la Renaissance, de spéculations philosophiques, mystiques ou spirituelles.

    L’hermétisme

    L'hermétisme est une philosophie, une religion, un ésotérisme, ou une spiritualité en quête du salut, par l'esprit (comme le gnosticisme) mais supposant la connaissance analogique du cosmos. Le salut passe par la connaissance : se connaître, se reconnaître comme « étant fait de vie et de lumière », comme Dieu, en tant qu'intellect. Et cela constitue une contemplation, la vue du Bien, en sa « beauté impérissable, incompréhensible ».

    Le mot désigne ainsi une doctrine ésotérique fondée sur des écrits de l'époque gréco-romaine attribués à l'inspiration du dieu Hermès Trismégiste (nom donné par les Grecs au dieu égyptien Thot) et une doctrine occulte des alchimistes, au Moyen Âge et à la Renaissance. Dans un sens commun, il désigne le caractère de ce qui est difficile à comprendre.

    Pour garder un minimum de cohérence, on ne saurait parler d'hermétisme (au sens d'ésotérisme) sans certaines conditions : affirmation de l'autorité d'Hermès ou d'Hermès Trismégiste ou de Thoth, ésotérisme (secret), inscription dans un courant historique précis (celui du Corpus Hermeticum, pour l'essentiel), tendance philosophique précise (centrée sur l'Un-Tout, la divinisation de l'esprit, les correspondances, l'alchimie mystique).

    Selon Ambelain, auteur de la Symbolique des outils dans l’Art Royal, les Rose-Croix auraient pénétré sciemment les loges maçonniques aux 17ème et 18ème siècles et y auraient introduit l’hermétisme et l’alchimie.

    Les influences mystiques et philosophiques

    L’influence de l’Egypte antique sur la Franc-maçonnerie a de nombreuses et diverses sources : les écrits des anciens auteurs grecs et romains, les traités astrologiques, magiques, kabbalistiques, gnostiques et alchimiques qui fleurirent au Moyen Age[4] et qui furent longuement commentés au cours du 16ème et 17ème siècle par les hermétistes.

    Les contacts entre philosophes et mystiques chrétiens, juifs et arabes du Moyen Age ainsi que les relations entre les sectes fatimides et ismaéliennes et certains dignitaires de l’Ordre du Temple durant les croisades, favoriseront la diffusion en Europe de ces doctrines, regroupées en une forme syncrétique dans l’hermétisme, l’alchimie et la kabbale. Les grands Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle et Roger Bacon iront chez les Arabes au 13ème siècle étudier l’alchimie, cette science hermétique qui connaîtra son âge d’or aux 14ème et 15ème siècles.

    C’est aussi l’époque de Dante et de sa « Divine Comédie », précurseur génial de cette période pré-Renaissance appelée Humanisme et dont Érasme sera l’un des chefs de file avec Thomas More. Par la suite, la Renaissance verra naître de nombreuses associations à buts philosophiques, imprégnées d’hermétisme, de kabbale et d’alchimie, où se distingueront des Marcile Ficin et des Pic de la Mirandole. Parmi ces associations, nées des relations suivies que les philosophes hermétistes et alchimistes entretenaient entre eux, la Communauté des Mages, créée par Cornelius Agrippa, regroupera les maîtres de la recherche alchimique.

    Lors de leurs fréquents déplacements pour se rencontrer, ces savants et philosophes trouvaient asile dans les associations maçonniques et l’on retrouve leur empreinte et celle de leurs prédécesseurs dans le symbolisme hermétique qui transpire de la plupart des œuvres des Compagnons imagiers, maçons et tailleurs de pierre, que sont les sculptures des églises et des cathédrales du Moyen Age. Autant de « demeures philosophales » revêtant un sens alchimique, mis en évidence au début du 20ème siècle par un maître en la matière, le célèbre et mystérieux alchimiste Fulcanelli jouèrent un rôle essentiel dans la fondation de cette académie des sciences qu’est la « Royal Society ».

    Nombre de Rose-Croix étaient également Francs-maçons, comme Christopher Wren, surintendant des bâtiments royaux, Robert Moray, chimiste et mathématicien, premier président de la « Royal Society », et l’historien Elias Ashmole[5] qui avait créé une société ayant pour but l’édification symbolique du Temple de Salomon, c’est-à-dire, suivant l’idéal rose-croix, le temple unificateur des sciences. La fameuse « Royal Society » dont firent partie aussi le Rose-Croix Isaac Newton et le physicien et cofondateur de la Grande Loge de Londres, Théophile Désaguliers, serait donc bien l’un des creusets de la synthèse Rose-Croix et Francs-maçons.

    Les Rose-Croix étaient d’ailleurs considérés dès l’origine par les fondateurs de la Franc-maçonnerie moderne comme des « Frères appartenant à la même Fraternité ou Ordre ». Et c’est de ce renouvellement des idées brassées notamment dans les Loges que naquit la Franc-maçonnerie moderne, dite « spéculative », au début du 18ème siècle.

    L’Initiation maçonnique et, tout particulièrement les épreuves par les quatre éléments, seraient en grande partie inspirées par celles pratiquées par les Esséniens, eux-mêmes ayant vraisemblablement emprunté aux prêtres de l’ancienne religion, aux courants judaïques d’Alexandrie et aux gnostiques. La sagesse d’Egypte fut ainsi transmise en orient, traduite et commentée par les philosophes grecs, puis par les philosophes arabes, recueillie par les chevaliers chrétiens, transmise aux Rose-Croix et enfin à la maçonnerie opérative.

    La kabbale

    La kabbale, c’est un ensemble de spéculations métaphysiques sur Dieu, l'Univers et les Hommes. Elle prend ses racines dans les traditions ésotériques juives - du Judaïsme de Tradition. Cette définition ne fait pas ressortir l'Universalité de la Kabbale, la richesse des thèmes qu'elle aborde, ainsi que les multiples aspects qui allie et unit à la fois observation métaphysique et raison mais aussi symbolisme. Mais en découlent des ébauches de réponses aux questions essentielles que sont l'origine de l'Univers, le devenir de l'Homme. Ce qui fait de la kabbale un véritable outil de travail sur soi et un puissant moyen d'appréhender, d'aborder les autres systèmes de pensée, aussi divers soient-ils.

    Comment la kabbale se manifeste-t-elle dans notre pratique ?

    Non seulement le temple maçonnique représente celui de Salomon, mais le premier mot de reconnaissance qui est donné au nouvel Apprenti est le nom hébreu d’une des Colonnes qui se dressaient devant le Temple de Salomon et qui sont elles-mêmes en rapport avec l'Arbre des Sephiroths (ou Arbre de Vie des kabbalistes).

     

    Examinons à présent de manière succincte la nature des différentes influences sur la Franc-maçonnerie.

     

    L’influence rosicrucienne

    La Maçonnerie spéculative serait-elle née de l’influence rosicrucienne ? Ce n'est là qu'une supposition, comme d'ailleurs, la fameuse théorie de l'origine juive de la Franc-maçonnerie et la similitude des symboles maçonniques.

    Parmi les symboles, la Règle, le Fil à plomb, le Pentalpha (Etoile à cinq rayons) et le sceau de Salomon, symbole graphique, fait de deux triangles entrelacés, dit « hexagramme étoilé » ou « triangle de Salomon ». Or, ces symboles n'apparaissent pas dans la symbolique maçonnique avant le 18ème siècle, bien que l'on ait retrouvé de nombreuses marques médiévales laissées par les constructeurs de nos cathédrales.

    Le secret maçonnique, tel qu'il existe de nos jours, n'est ni un « emprunt » à une mystérieuse confrérie rosicrucienne, ni à un groupe de quelconques initiés dont l'existence passé serait difficile à démontrer.

    L'influence rosicrucienne est pourtant manifeste dans la Franc-Maçonnerie des trois premiers grades et l'on trouve dans les rituels d'Initiation de nombreuses traces de cette influence qui relève de l'alchimie et de l'hermétisme : notamment l’acrostiche « V.I.T.R.I.O.L. » dans le Cabinet de Réflexion, ou la Lettre G au centre de l'Etoile flamboyante. Le Cabinet de réflexion, qui est le premier lieu dont la futur Maçon fait connaissance, possède les trois principes alchimiques « Soufre, Mercure, Sel ».

    • L’ensemble des lettres « V.I.T.R.I.O.L. », peint au mur du Cabinet de Réflexion, forme un mot ancien datant des alchimistes et se rapportant à l’acide sulfurique, l’ « huile de vitriol ». C’est l’un des liquides les plus corrosifs qui soient et peu de choses lui résistent, dont notre pauvre chair. Le mot V.I.T.R.I.O.L. est formé par les initiales d'une formule hermétique. Le dépouillement des métaux relève de la plus pure technique de a transmutation alchimique.

    Ces lettres qui forment « V.I.T.R.I.O.L. », évoquent une formule alchimique exprimée en mauvais latin : « Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies occultam lapidem ». Cette formule signifie : « Visite l’intérieur de la Terre, en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ». Parfois deux lettres y sont ajoutées : U. et M. L’ensemble devient alors « V.I.T.R.I.O.L.U.M. » et peut se traduire par « Visite l'Intérieur de la Terre et en Rectifiant, tu Trouveras la Pierre Occulte, la Vraie Médecine ».

    Le mot « Vitriol » est l’anagramme de « l’or y vit ». Donc, en visitant l’intérieur de la terre (compost) et en rectifiant (distillant), on trouve la pierre cachée, la pierre vivante, donneuse de vie.

    Pour Raoul Berteaux, l’inscription « V.I.T.R.I.O.L. » concerne la « descente dans la terre » que le candidat est censé accomplir en descendant dans le Cabinet de Réflexion. Celui-ci est à considérer comme « un donné potentiel » offert à celui qui va se séparer du « vieil homme » et qui est reçu sous le signe de la « terre », en attendant d’être reçu dans le temple sous les signes de « l’air », de « l’eau » et du  « feu ».

    Pour Jules Boucher, l’expression désignée par les lettres « V.I.T.R.I.O.L. » est « une invitation à la recherche de l’Ego profond, qui n’est autre que l’âme humaine elle-même, dans le silence et la méditation ».

    Le Grand Œuvre alchimique et la Construction du Temple sont en réalité des allégories en miroir. Ils se projettent l’un dans l’autre. Ils signifient l’art de faire de l’homme aliéné, esclave de ses passions, un homme libre de ses actes, capable de distinguer l’action de la réaction. La finalité de l’alchimie est donc de sauver l’homme de sa servitude.

    « V.I.T.R.I.O.L. » nous invite donc à regarder en nous-mêmes et à trouver en nous la pierre cachée, celle qui manque à l’édifice pour s’accomplir et tenir debout. La terre est une allégorie de l’homme. En effet, en hébreu, le mot «terre», en tant que matière, se dit Adamah et dérive de Adam, l’homme.

    • La fameuse Lettre G, que l'on voit au centre de l'Etoile flamboyante – et qui orne tous les temples maçonniques – peut être l'initiale du mot « gnose». Cette étoile s'inscrit dans le pentagramme régulier construit par Pythagore. Or Pythagore avait eu connaissance de nombreux mystères égyptiens, lors de son séjour dans les temples initiatiques de la vallée du Nil, séjour qui dura vingt-deux ans.
    • Citons pour terminer une interprétation hermétique de certains termes utilisés dans le vocabulaire maçonnique : Soufre (Vénérable), Mercure (1er Surveillant), Sel (2nd Surveillant), Feu (Orateur), Air (Secrétaire), Eau (Hospitalier), Terre (Trésorier). Nous avons là les trois principes et les quatre éléments des alchimistes. Le feu est sec et chaud ; l'air est chaud et humide ; l'eau est humide et froide ; la terre est froide et sèche.

     

    L’influence de l’Ordre du Temple

    La fin de l'Ordre du Temple (1307-1314) a généré de nombreuses légendes au sujet des Templiers. Elles sont apparues essentiellement à partir du 18ème siècle, en particulier dans les milieux maçonniques, qui ont cru voir en eux le maillon avec les bâtisseurs mythiques du Temple de Salomon.

    Ces légendes se sont développées et portent généralement sur la survivance secrète de l'ordre et la nature d'un mystérieux trésor, source de leur richesse et de leur puissance, ce trésor étant souvent lié à la légende du Graal. Elles sont très répandues dans la littérature ésotérique, qu'il s'agisse de fictions ou de spéculations, et ont récemment connu un regain d'intérêt en raison de livres à succès, de films ou même de jeux vidéo. Un des protagonistes du « Pendule de Foucault » de Umberto Eco remarque que « les Templiers y sont toujours pour quelque chose. »

    Cependant…. c’est en Ecosse où ils étaient sûrs de trouver la protection du roi Bruce que le plus grand nombre de Chevaliers de l’Ordre du Temple se réfugièrent, semble-t-il, avec à leur tête, celui qui avait été le Grand Maître d’Auvergne : le Chevalier Pierre d’Aumont. Les maçons libres écossais leur auraient enseigné là-bas l’art de la maçonnerie et ses symboles.

    Mais pourquoi les Templiers avaient-ils choisi l’Ecosse pour échapper aux persécutions de Philippe le Bel, roi de France ? Les Templiers étaient sûrs de trouver là-bas d’autres Templiers avec lesquels ils étaient depuis longtemps en relation. De plus, le roi Bruce, excommunié par le Pape, pouvait être un fidèle allié qui avait aussi besoin de combattants expérimentés.

    Jusqu’ici les hypothèses relevaient plus de la légende que de l’histoire puisqu'aucune preuve de ces allégations ne pouvait être établie. Mais, au terme d’une longue et minutieuse enquête, les deux chercheurs britanniques, Michaël Baigent et Richard Leigh, ont pu établir que tout cela trouvait confirmation par la découverte de nombreuses tombes templières, postérieures à 1314 et portant gravés sur leur pierre tombale aux côtés de l’épée du Temple des symboles appartenant indéniablement à la maçonnerie opérative.

    Jean-Jacques Gabut s’est rendu à son tour sur place pour vérifier les dires de ces deux auteurs. Il a exploré systématiquement les Highlands et principalement le comté d'Argyll. Il confirme en tous points les découvertes des deux journalistes britanniques.

    L’église de Kilmartin sur les rives du Loch Awe, la chapelle de Kilmory sur le Loch Sween et les pierres tombales qu’il a pu identifier dans les nombreux cimetières de la région, confirment l’existence de dizaines de tombes templières datant des 12ème, 13ème, 14ème et 15ème siècles, ce qui authentifie par là même la survivance de l’Ordre du Temple en Ecosse bien après sa disparition officielle.

    Jean-Jacques Gabut fait aussi remarquer que sur ces tombes, aux côtés de la croix-épée du Chevalier, aux côtés parfois de sculptures complexes du style des croix fleurées de Rosslyn, figurent nombre de symboles maçonniques, notamment des équerres et des maillets. Toutes ces tombes sont anonymes, conformément aux traditions du Temple. Elles portent toutes la croix en forme d’épée caractéristique des Chevaliers de l’Ordre. Elles sont, par elles-mêmes, les indices matériels qui manquaient jusqu’alors pour corroborer la thèse, maintes fois avancée, d’une symbiose étroite entre Templiers et maçons opératifs.

    A Kilmory, Jean-Jacques Gabut a pu identifier la croix templière sculptée sur le mur extérieur de la chapelle en ruines et il a pu admirer à l’intérieur une dalle funéraire datant du 14ème siècle sur laquelle était gravée une silhouette en armes avec sa croix templière surmontée d’une équerre maçonnique. Selon lui, la chapelle de Kilmory fut sans conteste une chapelle du Temple, de même que celle de Kilmartin, selon toute vraisemblance.

    La présence des tombes, curieusement « oubliées », dans le comté d’Argyll atteste deux choses : d’une part, qu’il y eut bien, après la date fatidique de 1307, des Templiers qui vécurent et moururent dans les monts d’Ecosse ; d’autre part, que des initiés maçons avaient vécu là, eux aussi, et que peut-être parfois les uns et les autres ne faisaient qu’un !

    Dans une perspective maçonnique entretenue par les Loges, le Chevalier Humbert Blanc (Imbert Blanke), ancien Précepteur d’Auvergne, se serait réfugié en Angleterre tandis que le Chevalier Pierre d’Aumont, ancien Grand Maître provincial d’Auvergne, aurait gagné Heredown en Ecosse où il aurait aidé le roi Robert Bruce à gagner l’indépendance de son pays par la bataille de Bannockburn en 1314.

    On sait d’ailleurs aujourd'hui qu’à la suite de cette fameuse bataille remportée à Bannockburn par le roi Bruce sur les Anglais, celui-ci réalisa la fusion de l’Ordre de Saint-Jean d’Ecosse avec l’Ordre du Temple qui n’avait toujours pas été inquiété jusqu'à l’acte de dissolution papal. Le nouvel Ordre prit le nom d’« Ordre du Temple et de Saint-Jean ».

    Une tradition maçonnique affirme que « Kilwinning », la loge écossaise la plus ancienne, a été fondée par le roi d’Ecosse Robert Bruce après sa victoire sur les Anglais, et qu’elle accueillait des Templiers qui s’étaient enfuis de France.

    Ces découvertes historiques récentes nous permettent de penser que l’Ordre du Temple et les maçons opératifs écossais ont pu exercer une influence réciproque, de sorte que de nos jours, la résurgence templière la plus crédible exécute des rituels similaires à ceux de la Franc-maçonnerie et que plusieurs éléments du symbolisme sont communs.

    Comment cette influence templière se laisse-t-elle percevoir ?

    Dès le premier degré, la Loge (trop souvent appelée à tort « Temple ») est gardée par un Frère armé d’une épée, qui vérifie si « les abords sont gardés » ou si la Loge est couverte extérieurement. Il s’agit du Frère Couvreur. Un autre Frère, en principe armé lui aussi d’une épée (au R.E.A.A.) est chargé de vérifier que ceux qui veulent entrer possèdent les mots et les signes de reconnaissance : c’est le Frère Expert. Rappelons aussi que tous les impétrants sont en quelque sorte adoubés par trois coups d’épée (« Je vous crée, je vous consacre et je vous reçois »).

     

    L’alchimie traditionnelle et spirituelle

    Autrefois l'alchimiste travaillait à la transformation de la matière dans un laboratoire. Observons ce mot : il comprend « labor », le travail, et « oratoire », lieu de prière. On peut aussi y voir : « laborare », travailler, et « orare » : prier. Les deux termes (thermes = sources) se sont séparés par le temps qui coule : les uns ont gardé la transformation de la matière (chimie), les autres, la prière (Al = Dieu).

    L'alchimie vraie, l'alchimie traditionnelle, est la connaissance des lois de la vie dans l'homme et dans la nature et la reconstitution du processus par lequel cette vie, adultérée ici-bas par la chute adamique, a perdu et peut recouvrer sa pureté, sa splendeur, sa plénitude et ses prérogatives primordiales : ce qui, dans l'homme moral s'appelle rédemption ou régénération, réincrudation[6] dans l'homme physique ; purification et perfection dans la nature, enfin quintessenciation et transmutation dans le règne minéral proprement dit.

    Son domaine embrasse donc tout le créé et, pour l'humanité militante, toute la portion du créé qu'elle a entraînée avec elle dans sa déchéance et qui doit ressusciter avec elle et par elle, telle qu'elle fut avant la Transgression.

    L’alchimie est une voie spirituelle qui s’adresse aux humbles et aux petits, à ceux qui sont encore capables de s’émerveiller devant le miracle de la Nature. Quoique son domaine le plus central soit le plan spirituel, l'alchimie connaît cent applications plus ou moins contingentes, à tous les degrés et sous tous les aspects de la vie.

    Il existe donc une alchimie intellectuelle, une alchimie morale, une sociale, une physiologique, une astrale, une animale, une végétale, une minérale, et bien d'autres encore. Mais l'alchimie spirituelle demeure le modèle, la clé et la raison des autres.

    L'alchimie est la science naturelle par excellence ; elle est fondée sur la connaissance des principes cosmiques de la création, préservation et destruction de l'univers, c'est-à-dire du mystère de la Trinité[7]. La véritable alchimie doit être comprise non comme une spectaculaire transmutation des métaux en or mais comme une spiritualisation de la matière de l'homme lui-même.

    Et, conformément à l'énoncé d’Hermès dans la fameuse Table d'Emeraude[8], la connaissance d'une quelconque de ces adaptations découvre implicitement celle de toutes les autres. L'univers est un et cette unité est le sceau de la Vérité.

    Il y a cinq concepts préalables à la compréhension de l'alchimie :

    • L'univers est d'origine divine.
    • Toute matière est rattachée au divin et donc en interrelation avec les différents éléments de la Création.
    • Chaque organisme, incluant le règne minéral est en évolution.
    • L'être humain a le pouvoir d'agir sur chaque organisme et dans chaque règne.
    • La compréhension des lois de la Nature permet à l'homme d'accélérer les processus d’évolution.

    Ceci nous amène à une interprétation symbolique : l'alchimie ne se limiterait pas à son apparence matérialiste ; les manipulations chimiques seraient essentiellement symboliques de la transformation psychique, menant l’individu à une évolution spirituelle.

    Carl Gustav Jung notamment a vu dans la Pierre Philosophale la métaphore culturelle du processus d'évolution psychique de tout être humain, la force le poussant vers davantage de différenciation, dans un système de mise en abyme[9] du microcosme et du macrocosme.

    Le message de spiritualité qui est transmis par l’alchimie est un message philosophique. C’est un message dans lequel l’essentiel du travail se fait sur la personne elle-même et non sur les autres personnes. En fait, l’alchimie peut apporter à la personne qui s’y intéresse un message d’une tradition qui est celle des origines et qui s’est perpétuée tout au long des siècles au niveau des sociétés humaines.

     

    R:. F:.  A. B.

     

    [1] La famille Sinclair est une famille écossaise. Sinclair devint le nom du clan écossais qui lui est rattaché, et dont font partie les Rosslyn et les Caithness. Les Sinclair sont d'origine normande, et leur nom dérive de Sancto Claro, un nom commun de lieu en Normandie. 

    [2] La chimie n'existait pas encore !

    [3] La chimie est la science qui étudie la composition et les réactions de la matière.

    [4] Par exemple le « Corpus hermeticum » de Marsile Ficin datant de 1450.

    [5] Elias Ashmole était un hermétiste, un rosicrucien et un astrologue. Ses écrits montrent une fascination pour le monde de l’alchimie. Comme il l’a écrit lui-même, il a été « fait franc-maçon » en 1646 à Warrington.

    [6] La réincrudation est un terme de technique hermétique qui signifie rendre cru, c'est-à-dire remettre dans un état antérieur à celui qui caractérise la maturité ou « rétrograder ». Il s'agit d'une opération que les alchimistes accomplissent en vue de réanimer les corporifications, c'est-à-dire de rendre vivants les métaux morts.

    [7] Mystère de la Trinité è minerai trine (soufre+ mercure + sel) è Père, Fils, Saint Esprit, mais aussi corps, âme et esprit.

    [8] La Table d’Emeraude (Tabula Smaragdina en latin) est un des textes les plus célèbres de la littérature alchimique et hermétique. C’est un texte très court, composé d'une douzaine de formules allégoriques et obscures, dont la célèbre correspondance entre le macrocosme et le microcosme : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Selon la légende, elle présente l’enseignement d’Hermès Trismégiste, fondateur mythique de l'alchimie, et aurait été retrouvée dans son tombeau, gravé sur une tablette d’émeraude. La plus ancienne version connue se trouve en appendice d’un traité arabe du 6ème siècle. Traduite en latin au 12ème siècle, elle fut commentée par de nombreux alchimistes au Moyen Âge et surtout à la Renaissance. Après le discrédit scientifique de l'alchimie et le développement de la chimie moderne au 18ème siècle, elle a continué à fasciner occultistes et ésotéristes. 

    [9] La mise en abyme — également orthographiée mise en abysme ou plus rarement mise en abîme — est un procédé consistant à représenter une œuvre dans une œuvre du même type, par exemple en incrustant une image en elle-même.

     

    Bibliographie

     

    Ambelain Robert - Symbolique des outils dans l’Art Royal

    Editions Niclaus, Paris, 1965 – Editions Signatura, 2011

     

    Ambelain Robert - L'Alchimie spirituelle, la voie intérieure,

    La Diffusion scientifique, Paris, 1961

     

    Ariès François - Le dépouillement des métaux et l’alchimie du Temple

    La Maison de Vie, Fuveau, 2007

     

    Baigent Michael & Leigh Richard - Des Templiers aux Francs-maçons

    Editions du Rocher, Monaco, 1991

     

    Canseliet Eugène - Alchimie

    Etudes diverses de symbolisme hermétique et de pratique philosophale

    Editions Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1964

    Nouvelle édition revue et augmentée, 1978

     

    Fulcanelli

    Les Demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré

    Pauvert Editions, 1992

     

    Gabut Jean-Jacques

    Les survivances chevaleresques dans la Franc-maçonnerie du R.E.A.A.

    Editions Dervy, Paris, 2004

     

    Grad A. – D.

    Pour comprendre la kabbale

    Editions Dervy, Paris, 1999

     

    Voyages en Franc-maçonnerie

    1ère édition

    Grande Loge Régulière de Belgique, Bruxelles, 2005


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