•  La couverture de la Loge - Le Frère Couvreur 

    Le Frère Couvreur

    Le Frère Couvreur « désigne l’Officier de la Loge chargé de la garde de la porte de la Loge. En d’autres termes, il est l’Officier chargé de protéger et d’assurer la sécurité des Travaux. On dit qu’il « assure la couverture du temple (ou de la Loge) ».

    Selon les Obédiences et les Loges, il se peut qu’il y ait parfois deux Frères Couvreurs : l’un à l’intérieur de la Loge, l’autre à l’extérieur. Dans certains cas, le Frère Couvreur n’est autre que l’ancien Vénérable de la Loge, comme souvent au Rite Ecossais Ancien Accepté. Il est en effet d’usage à plusieurs rites que ce soit le Vénérable Maître descendant de charge qui remplisse cet office car il fait passer celui qui dirigeait la Loge, de l’office le plus élevé, au plus humble, enseignant ainsi que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.

    Idéalement, et pour l’exemple d’humilité qu’il donnerait, la fonction de Couvreur extérieur pourrait être exercée par l’ancien Passé Maître Immédiat. Mais le nombre de Maîtres dans la Loge n’est pas toujours suffisamment élevé pour qu’il en soit ainsi.

    Les décors du Frère Couvreur

    La couverture de la loge est probablement l’un des offices les plus anciens car dans les premières loges, le Couvreur armé d’une épée servait réellement de gardien du seuil.

    Pour emblème de sa mission, le Frère Couvreur porte un sautoir orné d’un glaive vertical dont la pointe dirigée vers le ciel marque sa fermeté dans la protection de l’enceinte sacrée que constitue la loge.

    Qui est à même d’assurer la couverture de la Loge ?

    La couverture de la Loge doit normalement être assurée par un Maître Maçon. Cependant, tant que les travaux ne sont ouverts qu’au Premier degré, voire même au Deuxième degré, et uniquement dans le cas où le nombre de Maîtres présents s’avérerait insuffisant, la fonction de Couvreur peut exceptionnellement être confiée à un Compagnon dûment informé de sa très grande responsabilité et de son rôle dans les rituels qui seront exécutés au cours de la Tenue.

    Mission générale du Frère Couvreur

    Le Frère Couvreur est mandaté par le Vénérable Maître :

    • pour laisser entrer les Francs-maçons qui doivent assister à une Tenue ;
    • pour permettre à des visiteurs autorisés de se joindre à la cérémonie.
    • pour écarter les profanes indiscrets.

    La fonction de Couvreur concerne tout ce qui a trait à la garde des abords, extérieur et intérieur, de la porte. Anciennement, précise Irène Mainguy, il était appelé Frère Terrible à cause de la rigueur et de la vigilance que réclamait la fonction. Il était recommandé au Couvreur « de tenir fermement le glaive qui écarte les indiscrets non préparés à participer aux travaux ».

    Le Couvreur a une fonction qui désigne symboliquement la ligne de séparation très mince entre la loge en activité et le monde profane, et ce, durant toute la durée des travaux d’une tenue, tant que le temple doit être « à couvert ».

    Le Frère Couvreur est mandaté par le Vénérable Maître pour laisser entrer les Francs-maçons qui doivent assister à une tenue et permettre éventuellement à des visiteurs autorisés de se joindre à la cérémonie. Si nécessaire, il doit également écarter les profanes indiscrets.

    Comment assure-t-on la couverture de la Loge ?

    Lorsque débute le rituel d’Ouverture des Travaux,

    il y a lieu de s’assurer si la Loge est couverte extérieurement.

    Le Frère Couvreur est le seul habilité à ouvrir la porte de la Loge.

    Il faut tout d’abord contrôler que la porte d’accès au bâtiment est bien fermée.

    Avant l’entrée des Frères dans la Loge, consiste à contrôler que la porte d’accès au bâtiment est bien fermée et que les profanes ne risquent pas de s’introduire sur les parvis de la Loge.

    Ensuite s’assurer de la qualité de Maçon de tous visiteurs.

    En concertation avec le Frère Expert et le Vénérable Maître, il faut tout d’abord s’assurer de la qualité de Maçon de tous visiteurs. Ceux-ci sont le plus souvent connus de l’un ou l’autre Frère de la loge mais il convient de rester prudent.

    Puis vérifier que tous ont revêtu correctement leurs décors.

    Au moment où les Frères s’apprêtent à pénétrer dans la loge, il y a lieu de vérifier que tous ont revêtu correctement leurs décors.

    Enfin fermer la Porte de la Loge.

    Lorsque les Frères sont tous entrés dans la loge, y compris le Vénérable Maître et les principaux Officiers de sa commission, le Couvreur peut alors fermer la porte de la Loge.

    Lorsque débute le rituel d’ouverture des travaux, il y a lieu de s’assurer si la loge est couverte extérieurement. Pour ce faire, il y a lieu de jeter un dernier coup d’œil à l’extérieur par le judas, de frapper des petits coups sur la porte, au rythme du grade auquel les travaux vont être ouverts. S’il n’y a pas de Couvreur extérieur, il y a lieu de refaire les mêmes petits coups mais en veillant, si possible, à produire une sonorité quelque peu différente, comme pour laisser croire qu’il y a effectivement un second Couvreur à l’extérieur de la loge.

    Lorsque les travaux auront été fermés et lorsque le Vénérable Maître aura donné le signal de la sortie rituelle, le Frère Couvreur est le seul habilité à ouvrir la porte de la loge.

    La gestuelle

    Lorsque les Frères entrent dans la loge, le Couvreur tient son épée de la main droite et l’appuie légèrement sur son épaule droite. Au moment de l’entrée du Vénérable Maître et de sa commission d’Officiers Dignitaires, il doit saluer le Vénérable Maître et tout Grand Officier Dignitaire qui l’accompagne, en se mettant à l’ordre.

    Comment se mettre à l’ordre en tant que Couvreur ?

    Le Frère Couvreur place son épée verticalement devant son visage, la main droite étant à peu près à hauteur de la bouche.

    Comment faire le signe ?

    En étant à l’ordre, l’épée est déplacée vers la droite dans un premier temps ; la main droite glisse vers le bas, dans un second temps, jusqu’à hauteur de la taille, de sorte que le mouvement se fait « par niveau et perpendiculaire ».

    La transmission des décors

    Lorsqu'il y a lieu de changer de Couvreur, notamment lors de la cérémonie d’installation de nouveaux Officiers Dignitaires, l’échange de décors ne se fait pas de n’importe quelle manière.

    Pour la remise des décors au nouveau Couvreur, il y a lieu de lui remettre en premier lieu le sautoir, puis le tablier et enfin l’épée.

    L’épée se transmet en trois temps :

    1. au garde-à-vous, lame devant le visage,
    2. la pointe en bas,
    3. garde de l’épée posée sur l’avant-bras gauche.

    Le nouveau Couvreur salue par l’épée celui qui descend de charge, tandis que ce dernier le salue par le signe de l’Apprenti.

    Enfin, tous deux se font l’accolade fraternelle.

    Comment réagir en cas d’arrivée tardive d’un Frère ?

    Il convient tout d’abord que le Couvreur reste attentif au retentissement éventuel de la sonnerie du bâtiment et avise s’il peut, en toute discrétion, sortir de la loge à un moment qui ne perturbera pas la bonne exécution du rituel, dans le but de laisser entrer le ou les retardataires dans le bâtiment et de lui (les) laisser revêtir leurs décors.

    Qu’il s’agisse d’un Frère de l’Atelier ou d’un Frère visiteur, tout Frère arrivant en retard, c’est-à-dire quand la Tenue a déjà commencé, doit agir avec discrétion et  manifester au Frère Couvreur sa demande d’entrée en loge.

    Le Frère Couvreur choisit son moment d’intervention orale en fonction de l’évolution du rituel. Par exemple :

    • juste après que le Vénérable Maître a déclaré que les travaux sont ouverts ;
    • juste après l’accueil des Frères visiteurs déjà présents sur les colonnes ;
    • ou après l’approbation du tracé de la tenue précédente ;

    Le Frère Couvreur prend alors librement la parole et annonce au Frère Second Surveillant  selon le cas :

    L’annonce est alors répercutée au Vénérable Maître par le Second et le Premier Surveillants. Mais dans certaines loges, le Frère Couvreur peut s’adresser directement au Vénérable Maître dans les mêmes termes.

    Seul le Vénérable Maître peut donner l’autorisation au(x) Frère(s) retardataire(s) de pénétrer dans la loge. Cette entrée tardive doit impérativement s’effectuer de manière rituelle (les pas, les trois saluts, le déplacement sous la conduite du Maître des Cérémonies).

    Quelques éléments historiques

    Autrefois il était nécessaire de bien distinguer le Couvreur du Tuileur. Cette dernière appellation désignait un garde extérieur qui tuilait les visiteurs. Aujourd’hui, ce n’est habituellement plus le Frère Couvreur qui tuile les visiteurs mais le Frère Expert. Notons cependant qu’à la Respectable Loge « La Parfaite Fraternité » à l’Orient de Mons, le Frère Couvreur tuile tous les Frères individuellement au moment de leur entrée dans la loge.

    Le mot « tuiler » est apparu pour la première fois en 1738. Par tuilage il faut comprendre qu’un Officier de la Loge vérifie la qualité d’un Franc-maçon en s’assurant qu’il possède bien le grade qu’il dit avoir reçu par ses réponses. C’est ainsi que le Franc-maçon justifie de sa bonne connaissance de l’instruction de son grade.

    Les Règlements Généraux de la Respectable Loge de Saint Jean travaillant sous le signe distinctif « Des Cœurs Unis » à l’Orient de Paris préconisaient en 5784 certaines dispositions pour l’office du Couvreur. Traduites dans notre français d'aujourd'hui, ces dispositions, qui restent valables de nos jours, étaient les suivantes :

    • Le Frère Couvreur pourra seul ouvrir ou fermer la porte de la loge.
    • Lorsque l'on frappera à la porte de la loge, il en avertira à voix basse un Surveillant.
    • Il n’ouvrira la porte et ne laissera jamais entrer personne en loge sans en avoir reçu l’ordre du Vénérable Maître.
    • Lui seul communiquera à l’extérieur tous les ordres du Vénérable Maître.
    • Il examinera très scrupuleusement si les Frères, tant ceux qui seront à l’ouverture des travaux que ceux qui seront admis pendant leurs cours, sont décorés.
    • Il priera de se décorer tous ceux qui ne le seraient pas.
    • Il demandera le mot de passe.

    La plupart des auteurs d’ouvrages à caractère maçonnique considèrent que la dénomination de Couvreur est en rapport avec le couvreur de métier qui termine un bâtiment en y posant un toit : de même, le gardien de la loge est appelé Couvreur, parce qu’il vérifie que la loge est à couvert pour que les travaux puissent commencer.

    Couvrir la Loge

    L’expression « Couvrir le Temple » désignait autrefois la fonction du Couvreur qui avait pour mission de ne laisser pénétrer aucun profane dans le Temple maçonnique.

    Par extension, aujourd’hui, ce sens a quelque peu varié ! « Assurer la couverture du temple » ne peut pas être confondu avec « Couvrir la loge ou le temple » qui est une expression signifiant sortir, quitter la loge durant la tenue ou les travaux rituels.

    Se retirer d’une tenue constitue un acte d’une haute gravité. La « couverture du temple » ne peut être agréée que pour des raisons de force majeure telle un problème de santé. Ceci ne peut s’accomplir qu’avec l’autorisation du Vénérable Maître de la loge, répondant à une demande faite en bonne et due forme.

    Le Frère qui souhaite pouvoir « couvrir le temple », se lève en se mettant à l’ordre puis attend que l’autorisation de prendre la parole soit accordée par le Vénérable Maître et par le Surveillant responsable de la colonne. Il y a lieu de s’exprimer de la manière suivante : « Vénérable Maître, je sollicite la permission de couvrir le temple ». Il vaut toujours mieux expliquer les raisons de sa sortie anticipée.

    Lorsque le Vénérable Maître émet un avis favorable pour quitter l’assemblée et sortir de la loge, le Frère doit attendre que le Maître des Cérémonies vienne le chercher pour le conduire à la porte de la loge, respecter le sens de circulation propre au Rite pratiqué et, arrivé au niveau du plateau des deux Surveillants, ne pas omettre de saluer le Vénérable Maître et ces derniers avant de sortir. Mais des raisons évidentes de malaise constituent une exception à cette règle.

    Bien entendu, il n’est pas question de laisser seul et dans la détresse sur le parvis un Frère qui a demandé de « couvrir le temple ». Plusieurs Frères peuvent éventuellement quitter l’Atelier et se charger de l’assister.

    Mais le malaise étant passé ou les remèdes nécessaires pris, si le Frère souhaite revenir dans la loge, il devra respecter le protocole d’entrée en loge, c’est-à-dire frapper à la porte selon la batterie du grade, attendre que l’autorisation lui soit donnée, se mettre à l’ordre, faire les pas et saluer le Vénérable Maître ainsi que les deux Surveillants, remercier le Vénérable Maître et surtout rassurer les Frères inquiets en donnant des nouvelles de son état.

    Interventions orales du Couvreur au Rite moderne de la G.L.R.B.

    La vérification du fait que la loge est bien à couvert est prioritaire dans le rituel d’ouverture des travaux. Il importe donc que le Frère qui exerce la fonction de Couvreur puisse réagir comme il se doit au moment approprié, et de préférence de mémoire.

    Le rôle du Frère Couvreur est aussi très important lors de l’Initiation d’un profane. L’idéal, c’est que le Frère Couvreur connaisse de mémoire les quelques répliques qu’il a à donner dans le rituel de cette cérémonie.

    Le rôle du Frère Couvreur lors d’un Passage au grade de Compagnon peut paraître moins important que lors de l’Initiation d’un profane. Cependant, ce serait aussi idéal pour la beauté de cette deuxième cérémonie, que le Frère Couvreur connaisse de mémoire les deux répliques qu’il a à donner au début de ce rituel. Au début de la cérémonie d’Elévation à la Maîtrise, le Frère Couvreur a quelques répliques simples à énoncer. L’idéal, ici aussi, c’est que le Frère Couvreur les connaisse de mémoire pour la beauté de cette cérémonie.

     

    R:. F:. A. B.

     

    Bibliographie

    Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie

    Editions De Vecchi, Paris, 1995

     

    Guigue Christian - La formation maçonnique

    Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995

     

    Lepage Marius - Le Symbolisme

    p. 110, novembre 1952janvier 1953 - n° 2 / 306

     

    Mac Key - Encyclopedia of Freemasonry

    Tome III, article « Tiler », 1966

     

    Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique

    Editions Dervy, Paris, 2001

     


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  •  Analyse du documentaire "La Clé écossaise" 

    Introduction

    La Clef écossaise est un film documentaire belge de Tristan Bourlard et François De Smet. Ses auteurs y exposent les théories les plus récentes concernant les origines de la Franc-maçonnerie et s'appuient en particulier sur la piste dite de la « clé écossaise », développée à partir de 1988 sur la base des recherches de l'historien Robert L. D. Cooper. Ce documentaire a été terminé en novembre 2007.

    Dans un style très "british", solennel et respectueux, agrémenté d'animations en trois dimensions, ce document de 52 minutes enquête avec rigueur sur les origines de la Franc-maçonnerie, une mouvance dont plus de quatre millions de personnes sont membres dans le monde. Une société discrète, voire secrète, mais qui, en Belgique, a récemment ouvert ses portes et révélé ses décors singuliers aux caméras des « Bureaux du pouvoir », sur « La Une ».

    À en croire ce film, qui interroge divers historiens et Francs-maçons, la Franc-maçonnerie trouverait son origine en Écosse, voilà 400 ans, à travers des associations professionnelles – des tailleurs de pierre – qui se sont peu à peu structurées, ont intégré des rituels et des traditions orales puis ont été fréquentées par des aristocrates.

    La mythologie maçonnique s'est nourrie de l'imagerie des bâtisseurs, devenue métaphore de la construction intérieure et spirituelle de ses membres. Il y a eu un peu plus tard croisement avec les premières Loges londoniennes, au départ constituées de commerçants et artisans, devenues ensuite plus élitistes et à qui un Français d'origine, Jean-Théophile Desaguliers a donné une histoire et des règles.

    Du succès de ces divers réseaux serait née la Franc-maçonnerie qui fut combattue (et excommuniée par l'église), voire martyrisée (par les nazis) au cours de l'histoire. La Franc-maçonnerie est une association qui, aujourd'hui encore, conserve cette triple image ambiguë de société secrète, de club humaniste et fraternel ou, malheureusement, de réseau affairiste et comploteur.

    Tristan Bourlard, réalisateur documentariste, et François De Smet, philosophe de formation, se sont associés pour retourner aux origines de la Franc-maçonnerie.

    Ils ouvrent et ferment ainsi des portes à propos d'hypothèses maintes fois répétées comme l'origine templière de la Franc-maçonnerie, la filiation naturelle avec les tailleurs de pierre du moyen âge. Cette œuvre salutaire aura permis au téléspectateur de distinguer le mythe de l'histoire.

    Ce documentaire audiovisuel tente donc d’approcher ce que fut la naissance de la Franc-maçonnerie et essaie d’apporter des réponses aux questions suivantes : « qui l'a créée ? » et « pourquoi ? ». Présenté sous forme d'enquête, ce film, raconte cette aventure. Ses auteurs déclarent y présenter des documents totalement inédits et des témoignages surprenants offrant un éclairage entièrement nouveau sur ce sujet.

    Lorsque ce documentaire a été programmé, sur « La Une », le 31 janvier 2008, il a fait l’objet d’une présentation dans la presse écrite, notamment grâce à l’article de Pierre Invernizzi qui fait l’objet de la présente analyse.

    Analyse de l’article de Pierre Invernizzi

    La Franc-maçonnerie est un sujet sulfureux et énigmatique, propice aux allégations et aux fantasmes de toutes sortes. Notre association mystérieuse et discrète, répandue dans le monde entier, fait l'objet depuis plus de 300 ans de curiosité, de fascination et de méfiance. La Franc-maçonnerie regroupe aujourd'hui plusieurs millions de personnes à travers le monde. À l'abri du monde, dont ils s'isolent le temps d'une soirée, les Francs-maçons se réunissent en Loge et y développent une spiritualité singulière. Et les auteurs de ce documentaire de se poser des questions et de tenter d’y apporter des réponses.

    • Comment est né ce mouvement ?

    Pour les Profanes, comme pour beaucoup d'adeptes, ses origines demeurent mystérieuses. Les Loges elles-mêmes ont oublié d'où elles venaient. Pour la première fois, ce documentaire d'investigation se penche avec sérieux sur la question des origines de la Franc-maçonnerie en se basant sur les recherches les plus récentes.

    • Quels sont ses liens avec les Templiers ?

    • Est-elle la descendante des tailleurs de pierre du moyen âge ?

    • Comment sont nées les premières loges ?

    Ce film nous a fait découvrir un chemin ésotérique composé de mystères non encore résolus.

    • Quelles étaient les véritables aspirations des hommes qui se sont lancés dans cette incroyable aventure ?

    • Comment est née la société fraternelle la plus intrigante des temps modernes ?

    • En quoi consistent les loges de tailleurs de pierre, vieilles de plusieurs siècles ?

    • Quel est leur rapport avec la Franc-maçonnerie naissante de Londres ?

    • Comment les premiers Francs-maçons se sont-ils inspirés de pratiques séculaires ?

    • Quel rôle l'Écosse et les traditions médiévales ont-elles joué dans l'élaboration de ce mouvement ?

    Brève présentation des différents intervenants dans le film

    Pour évoquer les origines mythiques ou réelles de la Franc-maçonnerie, les Loges écossaises, la naissance de la Grande Loge de Londres en 1717, les personnalités particulières du révérend Jean-Théophile Desaguliers et du pasteur James Anderson à qui furent commandées les Constitutions, les deux auteurs ont tout simplement frappé aux portes de spécialistes réputés.

    • Andrew Prescott : premier directeur de recherches sur la Franc-maçonnerie à l'Université de Sheffield.

    • Keith Moore dirige la Bibliothèque et les Archives de la Royal Society de Londres, fondée en 1660.

    • Roger Dachez: historien de la Franc-maçonnerie et actuel président de l'Institut maçonnique de France, Directeur de la revue d'études maçonniques « Renaissance traditionnelle », président de l'Institut maçonnique de France, auteur de « Histoire de la Franc-maçonnerie française ».

    • Jessica Harland-Jacobs : professeur d'Histoire britannique et impériale à l'Université de Floride à Gainesville ; spécialiste de la Franc-maçonnerie ; auteur de « Builders of Empire : Freemasonry and British Imperialism, 1717 – 1927».

    • David Stevenson : premier historien professionnel à avoir étudié les archives des premières loges maçonniques écossaises ; auteur de plusieurs ouvrages sur la question.

    • Ewan Rutherford : ex-Vénérable Maître de la Loge « Chapelle de Marie » (Mary’s Chapel), l'une des plus anciennes loges du monde, située à Édimbourg en Écosse.

    • John Hamill: Directeur des Communications de la Grande Loge unie d'Angleterre (UGLE) ; ancien Grand Lodge Librarian and Curator ; ancien Maître de la Loge de recherche « Quatuor Coronati » n° 2076 ; auteur de « Freemasonry : A Celebration of the Craft, History of English Freemasonry ».

    • Robert L. D. Cooper : est Orateur depuis 14 ans à la Grande Loge des Maçons Anciens et Acceptés d'Ecosse. Il a donné de nombreuses conférences sur la Franc-maçonnerie écossaise, les Templiers, la Chapelle de Rosslyn et d’autres sujets s’y rapportant. En 2005, il a effectué une tournée de conférences durant trois mois. Il est l‘auteur de « The Rosslyn Hoax ? », « Cracking the Freemason's Code », « Freemasons, Templars and Gardeners » (pour ne citer que ceux-ci), et a publié de nombreux articles dans des revues, des magazines et des journaux. Cet historien apparaît souvent à la télévision en tant qu’expert sur la Franc-maçonnerie, et a été quelques fois entendu sur des chaînes de radio. Robert Cooper est membre de nombreux corps maçonniques et sociétés d’études (dont le « Quatuor Coronati Lodge » - la plus ancienne loge de recherche au monde).

    L'évènement audio-visuel

    La diffusion de ce reportage d'investigation a probablement été un événement médiatique. C'est en effet le premier vrai documentaire audio-visuel clair et constructif sur l'histoire et les fondements de la Franc-maçonnerie. Il apporte au monde profane une vision réaliste qui sort des approches suspicieuses, sulfureuses ou même simplement légendaires sur lesquelles les réalisateurs s'étaient presque toujours appuyés par le passé.

    Destiné à terme à être diffusé à la télévision, les réalisateurs ont donc « mis les moyens » et ce document est extrêmement pertinent.

    Ce reportage peut aussi paraître une « bombe » maçonnique. Bien sûr, il remet en cause les clichés flous ou inventés sur la naissance de l'Ordre. Lorsque les Apprentis et Compagnons poseront les bonnes questions, ceux qui sont restés enfermés dans une vision volontairement réductrice de l'origine de l'institution, vont devoir maintenant adapter ou préciser leurs discours !

    Un puzzle

    Entouré de spécialistes internationaux de renom, le président de l'institut maçonnique de France, Roger Dachez, nous présente un morceau d'architecture audiovisuelle qui traite sur un registre totalement scientifique, de la filiation écossaise de la Franc-maçonnerie. Historiquement occultée par une « English-key » qui ne dévoilait pas plus de certitudes qu'un rituel ne dévoilera le secret maçonnique, la « Scottish-key », non seulement établit des faits, mais chose exceptionnelle que les livres n'ont pu faire précédemment, elle les montre !

    C'est donc pour la plupart des Francs-maçons, un véritable scoop ! Ce qui reposait sur des spéculations anciennes et plus récemment sur la renommée parfois contestée d'érudits et chercheurs non maçons, nous est aujourd'hui révélé à l'écran, comme si nous touchions du doigt les fameux documents.

    L'histoire de la Franc-maçonnerie est un peu comme un puzzle de 600 pièces qui, pour 300 d'entre elles, représente le versant français, pour 200 autres le versant anglais et enfin pour 100 autres le versant écossais. Seulement jusqu'à présent nous ne disposions que de 250 pièces françaises, 100 anglaises et 2 écossaises. Toute la prose historique qui occupe le rayon « Franc-maçonnerie » de la Fnac traite de ces 352 pièces.

    Ce reportage raconte comment une grande partie des nouvelles pièces écossaises trouvées, commence à rendre l'image du puzzle lisible... Ces pièces étaient là, au fond des registres des Loges d'Ecosse, mais aussi dans les correspondances de quelques érudits du 17ème siècle.

    Il a fallu qu'un universitaire, spécialiste de la culture écossaise, David Stevenson, entreprenne l'enquête, il y a une trentaine d'années !

    David Stevenson est professeur au Département d'Histoire Ecossaise de l'université de St Andrews. Ses nombreuses publications comprennent : « The Scottish Revolution 1637 – 1644 » (1973), « Revolution and Couffler Revolution in Scotland, 1641 – 1651 » (1977), « The first freemasons. Scotland's early Iodges and their members » (1988)...

    La Franc-maçonnerie a toujours été un mouvement sujet à de larges controverses. Et malgré la vaste littérature qui lui est consacrée, ses origines restent obscures, la thèse la plus répandue étant qu'elle a pris naissance en Angleterre dans les années 1700, mais la plupart des arguments utilisés ne résistent pas à l'examen de ceux relatifs à l'Ecosse.

    L'œuvre d'historien dans un domaine en général abandonné à des auteurs rarement neutres, qu'ils soient ou non favorables à l'Ordre, « Les Origines de la Franc-maçonnerie : le siècle écossais (1590 – 1710) » par David Stevenson est la première tentative pour étudier ces éléments en relation avec l'histoire de l'Ecosse. Ainsi et en s'appuyant sur de nombreux documents, nouveaux ou peu connus, issus des archives des premières loges écossaises, le professeur David Stevenson démontre que l'origine réelle des fondements de la Franc-maçonnerie moderne se trouve en Ecosse aux alentours de 1600, lorsqu'un réseau de loges fut organisé par des tailleurs de pierre avec des rituels et des secrets mêlant mythologie médiévale et influences intellectuelles tardives de la Renaissance pour former un mouvement qui allait se répandre à travers l'Angleterre, puis en Europe et finalement dans le monde entier...

    L'histoire de la naissance de notre mouvement intéresse aussi bien les érudits ou les historiens de la Renaissance et du 17ème siècle, que les Francs-maçons ou tous ceux qui veulent comprendre la véritable nature de cette organisation qui soulève un intérêt considérable, en découvrant l'organisation du métier et la contribution du moyen âge, les maîtres des travaux du roi, les statuts régissant le métier de maçon, l'influence de la Renaissance (alchimie, art de la mémoire, hermétisme, rosicrucianisme ... ), le rôle de l'architecte, les rituels d'identification et d'initiation, les premières loges écossaises, les débuts de la Franc-maçonnerie en Ecosse et en Angleterre... et des personnages forts et attachants comme Sir Robert Morray, général et ingénieur, maçon et stoïcien convaincu cultivant l'alchimie et le symbolisme...

    La théorie (1993) de l'historien écossais David Stevenson met en évidence le rôle considérable qu'auraient joué dans ce processus les loges opératives écossaises de la fin du 16ème siècle et du début du 17ème dans lesquelles on relève déjà la présence de personnalités plus ou moins étrangères au métier.

    Cependant, quelles que soient les qualités documentaires de ses recherches, Stevenson reste lui aussi assez peu convaincant quant aux motivations, nécessairement mutuelles, poussant opératifs et spéculatifs à se côtoyer, alors même que certains des gentlemen maçons écossais possèdent un lien étroit avec le métier.

    Au demeurant, il ne fait qu'effleurer un point essentiel qui fournit sans doute la clé de l'énigme : l'immense intérêt porté à l'œuvre de Vitruve, redécouverte dans la seconde moitié du 15ème siècle. L'architecte y est défini non seulement comme devant être savant dans les techniques de construction, mais aussi comme devant s'intéresser à toutes les sciences. C'est là un programme que les architectes de la Renaissance s'efforceront de suivre. Il n'est que de lire certains passages de l'Architecture de Philibert Delorme (1514 – 1570), fils d'un Maître Maçon lyonnais, pour se convaincre que la dichotomie opératif-spéculatif n'a guère de sens : pour expliquer certains emblèmes et symboles maçonniques, il cite la Bible, mais aussi des sources appartenant à la tradition hermétique, tel le néoplatonicien Marsile Ficin ou encore Francesco Colonna, l'auteur du Songe de Poliphile.

    Comme en témoignent à leur manière les marques typographiques, cet intérêt pour la dimension spéculative et ésotérique de l'architecture est alors européen et il est partagé tout aussi bien par les érudits, notamment à cause des connaissances géométriques des tailleurs de pierre, que par les bâtisseurs, successeurs du « Grand Architecte » qui, au commencement, traça un cercle à la surface du chaos (Proverbes, VIII).

    L'étude des anciens compagnonnages français de tailleurs de pierre (Devoirs) met également en évidence le fait qu'il ne s'agissait pas tous d'ouvriers plus ou moins incultes, et l'on constate la même chose dans les territoires germaniques. Leur clientèle, avec laquelle ils entretiennent souvent des liens amicaux, est précisément le milieu dans lequel recruteront les loges au 18ème siècle.

    Ce qui est paradoxal, c'est que cela fait près de 20 ans que la nouvelle figure du puzzle est connue ou accessible aux Maçons érudits. Ce qui se colportait dans les travaux des plus prestigieuses Loges de recherche et dans les plus éminentes conférences restait, en France comme en Angleterre, ignoré, voir méprisé dans quelques éloquentes démonstrations partisanes qui colonisent généralement les étagères des bibliothèques maçonniques. Mieux valait pour certains, sur les bases d'un flou historique, s'approprier non pas une filiation, mais plutôt s'accaparer l'invention et la définition de la Franc-maçonnerie.

    Ainsi quelques chercheurs érudits, français, anglais, américains... et écossais bien sûr, mirent leurs effort en commun pour, disons le franchement, enfoncer le clou, dans une croisade qui n'était pas à priori celle d'un universitaire comme David Stevenson.

    Sans chercher à remettre en cause les systèmes existant, le reportage met en lumière le versant historique de la genèse de la Franc-maçonnerie, longtemps esquivée des historiens continentaux, comme des historiens anglais. Il est clair que la nouvelle attitude d'ouverture de la Grande Loge Unie d'Angleterre depuis quelques années concourt à cette reconnaissance historique de l'Ecosse.

    Le trousseau de clefs

    Pour analyser cette « révélation », il faut replacer le sujet dans son contexte global, c'est-à-dire entre ce qui relève de la Franc-maçonnerie pure et qui est propre à chaque ordre maçonnique dans sa dimension initiatique ou philosophique, et ce qui relève de la véritable recherche historique et qui fait partie d'une activité commune à tous les passionnés de Franc-maçonnerie que nous pourrions qualifier de « maçonnophiles ».

    Tout d'abord il y a, et surtout en France, plusieurs types de franc-maçonneries, qui n'ont absolument pas besoin les unes des autres pour exister et surtout pour fonctionner correctement. Mais devant le vide historique préexistant (les fameuses pièces manquantes du puzzle) ces différents ordres maçonniques ont su se centrer, parfois à l'extrême, parfois très discrètement, sur leur propre histoire ou pseudo-histoire et leurs propres mythes.

    Ainsi est-il nécessaire de ne pas tout mélanger !

    Ce reportage relève de la maçonnophilie, axée sur la recherche historique et il ne prétend rien de plus, au même titre que toutes les recherches historiques sur l'ordre n'entrent que très partiellement ou pas du tout dans l'art maçonnique des différentes obédiences, surtout aux trois premiers degrés. En ce sens ce document ne constitue aucunement une « divulgation ».

    Il faut donc relativiser l'importance de l'histoire sur la Franc-maçonnerie elle-même, même si une certaine complémentarité existe bien évidemment entre la connaissance de la vérité historique et la pratique de nos différentes formes d'arts vertueux.

    De même, la Franc-maçonnerie, cette fois envisagée dans sa pratique et sa compréhension, n'est pas majoritairement de la science et de l'archéologie de bibliothèque. Elle repose pour de nombreuses obédiences sur des mythes et des légendes qui interviennent d'une manière parfois bien plus fondamentale sur le plan initiatique, qu'ils ne sauraient être tolérés dans le monde profane et le monde des sciences. Pourquoi faut-il que de nombreux intellectuels maçons s'évertuent dans d'indigestes « jus de neurones » à nous démontrer ce qui n'a pas nécessairement besoin d'être démontré, mais simplement d'être vécu ?

    L'allégorie et l'imagination possèdent des vertus qui nous permettent d'aller beaucoup plus loin dans la thématique de nos travaux que ne saurait le faire une page d'histoire, qui trouvera toujours une tache noire pour ternir la blancheur d'une vérité que la nature humaine aura inévitablement rendu imparfaite. L'histoire est donc complexe, on le savait déjà, mais là, la « clef écossaise » vient de nous ouvrir une nouvelle pièce de l'édifice. Cette grande bâtisse ou ce grand puzzle, fascine les chercheurs maçons comme les érudits profanes.

    Alors un jour, le trousseau se complètera peut-être d'une clef égyptienne, d'une clef templière, et d'autres encore. Elles complèteront la compagnie des clefs de l'écossisme, de la laïcité, de la mixité, qui font la richesse d'un édifice où il y a de la place pour tout le monde.

    La cible (c'est-à-dire le grand public) et la forme (un mode de réalisation très « tendance » entre le document-fiction et l’ambiance très « mystério-romanesque ») de ce documentaire auraient pu faire craindre de nous faire baigner dans les potentialités mythiques et légendaires.

    Tout au contraire, c'est une investigation qui ne développe que des faits avérés et rien d'autre, et qui bâtit sur ceux-ci des hypothèses plausibles, avec le plus grand sérieux et la plus extrême précaution.

    Le mythe et le rêve sont donc volontairement laissés de côté. Par exemple, il n'y a pas eu de commentaire à propos du fait que la tombe de William Shaw se trouve à quelques dizaines de mètres de celle de Robert Bruce [1], ce qui aurait rendu croustillant le développement, mais rendu l'œuvre attaquable au niveau des sous-entendus.

    Ainsi, les aspects légendaires n'ont pas été abordés. Il n'a donc jamais été question, ni de « Kilwinning n° 0 », ni de Rosslyn Chapel, ni des Saint-Clair ni même d'une interconnexion entre la fuite de quelques Templiers de France vers l'Ecosse … parties intégrantes des mythes écossais, mais qui possèdent pourtant pour certains d'entre eux quelques réalités historiques avérées.

    Avant d’évoquer ces quelques sujets qui n’ont pas été abordés dans le film, je voudrais rappeler quelques éléments des débuts de l’histoire de la Franc-maçonnerie tels qu’ils étaient encore véhiculés il y a dix ans.

    Le plus ancien témoignage concernant l’organisation du métier de maçon en Angleterre remonte à 1356, à Londres. Un conflit opposait les « maçons de taille » aux « maçons de pose ». Les autorités municipales édictèrent un règlement qui précise que jusqu’alors, le métier n’en avait pas eu.

    Un nouveau règlement est édicté en 1481. L’organisation est déjà relativement élaborée : la Compagnie des Maçons exerce le contrôle du métier à Londres ; elle enregistre notamment les apprentis, lesquels, au terme de leur apprentissage, peuvent comparaître devant une commission de la Compagnie et, après avoir prêté serment de fidélité et de loyauté envers le métier, la ville et la couronne, devenir « hommes libres du métier ».

    Cependant, le cas de la Compagnie des Maçons de Londres reste unique en Angleterre. On ne trouve dans le royaume aucune autre organisation exerçant une autorité équivalente sur le métier. Par ailleurs, aucun document de cette époque ne mentionne l’existence de « secrets » ou de grades. Plus encore, le mot « loge » n’est pas employé.

    Ce mot caractéristique est attesté à partir du 13ème siècle pour désigner la bâtisse édifiée sur le chantier où les ouvriers rangent leurs outils, travaillent, prennent leurs repas et se reposent. A partir du début du 15ème, il désigne l’ensemble des maçons d’un chantier, mais sans qu’il soit fait mention d’un contrôle du métier par cette communauté. C’est seulement au 16ème siècle, en Écosse, que le mot est attesté comme désignant une juridiction permanente réglant l’organisation du métier.

    Cet aspect juridique se situe dans le cadre du système des « Incorporations » qui apparaissent en Écosse au début du 15ème siècle pour assurer l’organisation des métiers dans les cités. Les maçons écossais obtiennent leur charte d’Incorporation en 1475, mais elle ne mentionne pas le mot « loge ».

    C’est en 1598, que William Shaw, Maître des ouvrages du Roi et Surveillant général de l’Incorporation des Maçons, publie de nouveaux Statuts. Ceux-ci traduisent une évolution sensible : désormais c’est une « loge » qui contrôle l’entrée des apprentis et leur accès au rang de compagnon, règle les différends et punit les manquements au règlement.

    Mais la différence fondamentale, c’est que les maçons écossais de 1598 partagent des « secrets », notamment le « Mot du Maçon », qui leur sont communiqués au cours d’une cérémonie après qu’ils aient prêté serment de discrétion.

    Parmi les autres témoignages nous permettant d’étudier le substrat légendaire et historique de la Maçonnerie, les « Old Charges » occupent une position privilégiée.

    Environ 120 textes de ces « Anciens Devoirs » sont actuellement connus. S’échelonnant de la fin du 14ème siècle au premier tiers du 18ème, ils sont tous d’origine anglaise. Les plus anciens sont les manuscrits « Regius » (vers 1390) et « Cooke » (vers 1420).

    Ces textes sont structurés en deux parties : d’une part, une histoire légendaire du métier ; d’autre part, un code réglementant la conduite des maçons et leurs relations avec les apprentis et les maîtres – ce terme désignant alors les employeurs.

    Ces règlements diffèrent sensiblement de ceux de l’Écosse ; en particulier, ils ne prévoient pas de dispositions laissant présager d’une coexistence avec un autre système réglementant le métier (cas de la loge vis-à-vis de l’Incorporation) et ils donnent une large part à des prescriptions à caractère moral et religieux, n’ayant aucun rapport direct avec le métier.

     

    Pour prolonger cette analyse, je me propose d’envisager quelques considérations sur ce qui n’a pas été abordé dans le documentaire.

     

    William Shaw et ses statuts

    Certains font remonter la lignée maçonnique, avant les bâtisseurs de cathédrales, aux architectes du Temple de Salomon. Cependant…

    La première forme de la Franc-maçonnerie est opérative : elle s'est formée au moyen âge à partir d'associations professionnelles de maçons qui regroupaient les francs-mestiers, c'est-à-dire les métiers « libres », non soumis aux servitudes ou aux droits seigneuriaux. Les constructeurs de cathédrales constituaient une main d'œuvre affranchie de toute allégeance, se regroupant en loges libres, isolées ou fédérées, d'où leur appellation de « maçons francs ».

    La première organisation de loges de bâtisseurs européens date de 1454 à Ratisbonne où ont été élaborés les statuts des métiers, gouvernés par quatre loges : Strasbourg, Cologne, Vienne et Berne. La franc-maçonnerie de métier n'était cependant pas seulement opérative mais incluait déjà des éléments spéculatifs c’est-à-dire des membres effectuant des recherches abstraites et théoriques.

    La solidarité de culte existait déjà et fut à l'origine des rites d'initiation qui étaient à la fois ceux du métier mais aussi d'ordre spirituel et basé, dans la France du moyen âge, sur l'observance de la religion catholique romaine. A ces préoccupations s'ajoutaient également une dimension charitable de secours aux malades, ainsi qu'une mission éducative. Le maître-maçon était tout autant architecte qu'entrepreneur, charpentier, tailleur de pierre et sculpteur et avait en charge la transmission de son savoir en direction des apprentis et des compagnons.

    Au cours du 17ème siècle, la déchéance du métier aurait amené les maçons opératifs à accepter dans leurs loges, pour qu'elles survivent, des personnes étrangères à la profession. D'après la théorie dite de la « transition », c'est le nombre grandissant de ces «acceptés», ainsi que la vision différente qu'ils avaient de la vocation de l'association, qui conduisirent tout naturellement à la naissance d'une structure purement spéculative, la maçonnerie « opérative » semblant alors s'être lentement éteinte.

    Il subsiste quelques-uns de ces manuscrits des Old Charges, documents qui se composent d'une histoire du métier et d'un règlement destiné aux tailleurs de pierre et qui font l'objet d'une lecture lors de la réception de nouveaux membres. La plupart de ces textes proviennent d'ailleurs des archives de vieilles loges spéculatives, ce qui tend à accréditer l'idée de la continuité naturelle avec les loges antérieures. Les deux plus anciens documents maçonniques connus sont le Manuscrit Régius (1390) et le Manuscrit Cooke (1425).

    Leur analyse indique l'existence de versions plus anciennes qui sont perdues. Il faut attendre le 17ème siècle et même le début du 18ème pour trouver une nouvelle strate significative de documents du même type, certains étant des copies manifestement réalisées à l'usage de loges déjà spéculatives. Il existe aussi une autre famille de documents, qui datent de l'extrême fin du 16ème siècle et concernent les maçons opératifs écossais, ce sont les « Statuts Shaw » datant de 1599.

    C'est en Écosse que la structure fonctionnelle des loges est institutionnalisée, vers 1598, avec les « statuts Shaw », qui définissent, entre autres, le réseau territorial des loges et l'ascension par degrés : le premier permet, en sept ans, de passer du statut d'apprenti à celui de compagnon.

    Les statuts Shaw

    William Shaw est surtout connu pour être l'auteur de statuts qui portent son nom et qui sont donc connus sous l’appellation « Statuts Shaw ». Il s’agit de deux écrits précurseurs de la structuration de la Franc-maçonnerie moderne. Shaw a mis au point une réglementation de la profession de maçon « opératif », distincte des guildes de métier et une réglementation fonctionnelle et hiérarchique des Loges maçonniques à trois niveaux (Maître de Loge, Compagnons et Apprentis-entrés) pour toute l'Écosse.

    Les premiers « Statuts Shaw » datant de 1598

    Ces premiers statuts datent du 28ème jour de décembre 1598. Ils s’intitulent exactement « Statuts et Ordonnances que doivent observer tous les Maîtres Maçons de ce royaume », arrêtés par William Shaw, Maître des travaux (Maister of Wark) et Surveillant Général (General Warden) dudit Métier.

    Le registre original est toujours en possession de la Loge Mary's Chapel d'Édimbourg à laquelle il appartenait. Cette loge maçonnique, indépendante des guildes de métier, prendra, en cette année, le n° 1 des Loges maçonniques d'Écosse.

    Les seconds « Statuts Shaw » de 1599

    Un an après paraissaient les seconds « Statuts » qui venaient compléter ceux de 1598. Devant les plaintes de la Loge de Kilwinning, William Shaw, à cause de querelles de préséance avec la Loge « Mary's Chapel » n° 1, accorda à celle-ci le n° 0. Elle deviendra ainsi la Loge « Kilwinning » n° 0, Loge-mère de la future Grande Loge d'Écosse.

    S'ajoutent à ces documents internes, quelques mentions éparses de l'existence des loges maçonniques dans divers récits du 17ème siècle, indications qui montrent que se sont effectivement introduites dans les loges des personnes étrangères à la profession, et qui, pour certaines, appartenaient à des milieux érudits (Royal Society) s'intéressant de près aux doctrines hermétiques (alchimie, kabbale, rosicrucianisme).

    Aucun de ces documents ne permet de comprendre de manière explicite le processus de naissance du courant spéculatif. La théorie de la « transition » reste finalement très floue à l'égard des motivations qui auraient poussé, d'une part, les spéculatifs à fréquenter assidûment les loges opératives, et, d'autre part, les opératifs à les y accepter.

    Elle est battue en brèche depuis plusieurs décennies par d'autres théories, certaines allant jusqu'à considérer qu'il n'y a en réalité aucun lien organique entre opératifs et spéculatifs, ces derniers n'ayant fait qu'emprunter aux premiers des formes dont ils auraient détourné la fonction.

    Ces théories se distinguent entre elles quant à la motivation première de ce détournement : politique, religieux ou, plus généralement, social. L'Angleterre du 17ème siècle était effectivement en proie à diverses crises et la sociabilité fraternelle des loges aurait permis de surmonter certains clivages.

    La dernière théorie en date, nous l’avons écrit au début de ce travail, est celle de l'historien écossais David Stevenson qui, en 1993, mit en évidence le rôle considérable qu'auraient joué dans ce processus les loges opératives écossaises de la fin du 16ème et du début du 17ème siècle.

    Apparut alors en Grande-Bretagne, la deuxième forme de la Franc-maçonnerie, dite spéculative. Elle procède par l'admission de membres acceptés qui conservent les traditions et les rites anciens tout en intégrant des connaissances autres que celles liées à la maçonnerie.

    La Grande Loge de Londres s’est constituée en 1717. Elle comptait parmi ses membres de nombreux intellectuels et scientifiques, en particulier ceux de la prestigieuse Royal Society, l'Académie des Sciences londonienne. Elle était régie par le « Livre des Constitutions » de James Anderson qui fixait les obligations des Francs-maçons.

    Outre l'affirmation d'une déclaration de tolérance religieuse et de liens de fraternité entre ses membres, ces constitutions précisent que, sur le plan politique, « un maçon est un sujet pacifiste soumis aux pouvoirs civils ; il ne doit jamais se mêler de complots et conspirations contre la paix et le bonheur de la nation ».

    Les premières loges françaises calquées sur le modèle anglais ont vu le jour entre 1720 et 1725. Mais il est probable que l'influence écossaise avait déjà contribué à la création de loges bien antérieures.

     

    Deux faits historiques

    La première Initiation enregistrée sur le sol anglais est celle de Sir Robert Moray, gentilhomme écossais et Quartier-maître Général de l’armée écossaise en train d’assiéger Newcastle on Tyne. Cette initiation a eu lieu le 20 mai 1641. Ce fait est enregistré dans les minutes (« Tracés ») de la Loge d'Édimbourg connue aujourd’hui en tant que « Mary’s Chapel Lodge » n° 1 sur le Tableau de la Grande Loge d’Écosse. Ceci ne permet d’affirmer qu’une seule chose : c’est que la Maçonnerie spéculative existe en Ecosse à cette époque.

    Les recherches menées par le Dr David Stevenson, de l’Université de St Andrews, en Écosse, ont montré que la Loge d’Edimbourg est, à l’origine, une Loge de maçons opératifs et qu’elle avait été enregistrée comme telle par William Shaw en 1598.

    La première Initiation enregistrée d’un Franc-maçon anglais en Angleterre est celle d’Elias Ashmole, antiquaire et héraut bien connu. Elle a eu lieu au domicile de son beau-père à Warrington, le 16 octobre 1646. Aucune des personnes présentes n’était un maçon opératif mais des personnalités locales, officiers de l’armée et autres notables.

    La seule conclusion à en tirer, c’est qu’en 1646, il existe des Loges entièrement spéculatives en Angleterre, dont les membres appartiennent à la classe moyenne et à l’aristocratie. Ainsi la Maçonnerie spéculative existe dans des « Loges » tant en Écosse qu’en Angleterre au début du 17ème siècle.

     

    La Loge de Kilwinning et la diffusion du « Mot de maçon » dans l’Écosse du 17ème siècle

    Le Rite du « Mot de maçon », créé vers 1637 en Écosse, est probablement le plus ancien rite de la Franc-maçonnerie dite « spéculative ».

    La Loge de Kilwinning pratiquait déjà vers 1628-1637 le rite calviniste du « Mot de maçon ». Ce n’était pas là la seule particularité de la Loge de Kilwinning : d’une part, celle-ci, conformément à ce qu’elle avait probablement réussi à faire accepter par William Shaw en 1599, se réunissait le 20 décembre à une date différente du jour de la Saint-Jean l’Évangéliste (soit le 27 décembre) traditionnellement choisie par les autres loges écossaises régulées par les Statuts Shaw de 1599 ; et d’autre part, elle avait refusé de cosigner les deux Chartes Saint Clair de 1601 et de 1628 qui reconnaissaient le seigneur de Sinclair comme patron de diverses loges d’Écosse.

    Kilwinning est une petite ville historique d'environ 8 000 habitants, située sur la côte ouest de l'Écosse, dans le North Ayrshire, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Glasgow. Elle est célèbre dans le domaine de la Franc-maçonnerie pour abriter la plus ancienne loge d'Écosse, parfois nommée « Kilwinning » n° 0, source probable du Rite du « Mot de maçon » (Mason's Word).[1]

    La famille Sinclair étant catholique, il semble alors que la Loge de Kilwinning ait refusé de signer ces deux chartes parce qu’en qualité de loge calviniste, elle refusait de se soumettre et d’obéir à un patron catholique. C’était probablement sa confession calviniste qui en 1599 avait poussé la Loge de Kilwinning à réclamer et à faire accepter par le catholique William Shaw un statut si spécial que, dans ses Statuts de 1599, Shaw avait attribué à la Loge de Kilwinning le titre symbolique de « tête » en situant ce titre par rapport à « l’Église de Kilwinning » : c’était là reconnaître la primauté de la Loge calviniste de Kilwinning à la tête seulement des autres loges calvinistes d’Écosse, et non à la tête de l’ensemble des loges d’Écosse, les loges de Aitchison’s haven, d’Edimbourg et de Saint Andrew étant apparemment plus anciennes que la Loge de Kilwinning. Le refus de la Loge calviniste de Kilwinning de cosigner les deux Chartes Saint Clair de 1601 et de 1628 et d’obéir par là à un patron catholique est important : il induit l’idée qu’en 1628, les loges qui cosignèrent la deuxième Charte Saint Clair (Edinburgh, Glasgow, Stirling, Dunfermline, Dundee et Saint Andrew) n’étaient pas des loges à majorité ou d’abord calvinistes mais des loges qui acceptaient d’être patronnées par un protecteur catholique.

    C’est à cette même époque vers 1628 – 1637 que le rite calviniste du « Mot de maçon » apparaît à Kilwinning et dans sa loge-fille de Scone-Perth. Il semble donc :

    1. que le « Mot de maçon », rite calviniste élaboré et transmis à ses loges-filles (les loges du Renfrewshire et de l’Ayrshire dont celle de Scone-Perth, puis celle de Canongate-Kilwinning) par la loge calviniste de Kilwinning, fut d’abord un rite étranger aux loges qui cosignèrent la deuxième Charte Sain Clair en 1628, ce qui invite à comprendre l’actuel titre de « Mother lodge » revendiqué par la loge de Kilwinning non comme l’affirmation de sa primauté de loge franc-maçonnique (non seulement trois loges écossaises lui étaient antérieures, mais encore ce sont les loges anglaises qui, nées au 14ème siècle, furent les premières loges franc-maçonniques du monde), mais très exactement comme une référence à sa primauté absolue dans la tradition rituelle du « Mot de maçon » qu’elle élabora et fut par conséquent la première à transmettre aux autres loges d’Écosse puis à l’Angleterre et enfin au monde ;

    2. que la Loge de Kilwinning transmit le « Mot de maçon » d’abord aux loges calvinistes comme elle (la plus ardente étant celle de Perth, qui fut probablement la première à recevoir de la Loge de Kilwinning le « Mot de maçon » peu de temps après la création de ce dernier vers 1628 – 1637) ;

    3. et que les autres loges d’Écosse n’adoptèrent le rite calviniste du « Mot de maçon » élaboré et transmis par la Loge de Kilwinning que lorsqu’elles furent composées d’une majorité de calvinistes, et encore de calvinistes covenantaires, précision qui nous amène à examiner la chronologie de la diffusion du rite calviniste du « Mot de maçon » dans les loges écossaises du 17ème siècle.

    Le rite calviniste du « Mot de maçon », qui se trouve d’abord attesté implicitement à Kilwinning (1658) et explicitement à Perth deux fois (1638 à comprendre comme 1628 – 1637 ; et 1658), fut élaboré à Kilwinning entre 1628 et 1637.

    Il ne s’est donc diffusé dans d’autres loges calvinistes qu’après 1628 – 1637. Etant donné qu’en qualité de rite spécifiquement calviniste, il n’a pu être transmis dans l’Écosse du 17ème siècle qu’à des loges calvinistes covenantaires, on peut en déduire que c’est le Covenant de 1638 qui, en uniformisant la vie religieuse d’Écosse sur le modèle presbytérien, et en renforçant ainsi le rattachement des écossais au calvinisme, favorisa la propagation du rite calviniste du « Mot de maçon » dans les autres loges d’Écosse.

    Cependant cette diffusion fut progressive. Lorsqu'en 1641 le calviniste Robert Moray fut accepté comme Maçon par les Maçons d’Edimbourg dans la ville anglaise de Newcastle on Tyne alors occupée par l’armée calviniste d’Écosse, l’examen de la minute d’Edimbourg rendant compte de sa Réception semble indiquer qu’il fut reçu non pas au rite calviniste du « Mot de maçon » (qui était trop récent pour avoir été déjà transmis par la Loge de Kilwinning à la Loge d’Edimbourg) mais selon l’ancien rite anglican des loges opératives, comme tend à le confirmer le fait qu’il fit enregistrer sa marque de Maçon accepté. Ce caractère progressif, c’est-à-dire lent, de la transmission du « Mot de maçon » par la Loge de Kilwinning aux autres loges calvinistes d’Écosse apparaît dans le fait que c’est seulement en 1649 que des calvinistes recommandèrent à plusieurs presbytères d’essayer le « Mot de maçon ». De même, c’est seulement en 1660 qu’un membre de la Loge de Canongate près d’Edimbourg affirma connaître, pratiquer et désirer transmettre à son Apprenti le « Mot de maçon ».

    La pratique du « Mot de maçon » n’est attestée dans la Loge d’Aberdeen qu’en 1670. C’est seulement en 1677 qu’en se séparant de la Loge de Canongate, certains Maçons calvinistes, en créant à Canongate une seconde loge qu’ils demandèrent à la loge calviniste de Kilwinning de patronner, se mirent à adopter et à pouvoir pratiquer le rite calviniste du « Mot de maçon ». Cette précision confirme le caractère spécifiquement et explicitement calviniste du « Mot de maçon » : c’est en 1697 que les seigneurs catholiques Sinclair de Roslin furent dits « obligés de recevoir le Mot de maçon ».

    Une minute du livre de la Loge de Haughfoot montre qu’en 1702 celle-ci, dont l’histoire nous a conservé une partie d’un catéchisme symbolique, avait adopté le rite du « Mot de maçon » ; il est en effet parlé « of entrie as the apprentice did. Leaving out... they then whisper the word as before, and the master mason grips his hand in the ordinary way ». Le rituel du « Mot de maçon » de la loge date de 1710, soit de l’année qui suivit le départ de James Anderson pour Londres.

    Et enfin il semble qu’en 1721 la Loge Mary’s Chapel d’Édimbourg pratiquait le rite du « Mot de maçon » puisque cette année-là elle reçut Jean-Théophile Desaguliers en des termes qui semblent faire référence au « Mot de maçon » ; en effet lorsqu’une minute du livre de « Mary’s Chapel » indique au sujet de Desaguliers que les Frères de la Loge « le trouvant qualifié dans tous les points de la maçonnerie, le reçurent comme un frère dans leur société », elle utilise l’expression « all points » (« tous les points ») qui renvoie aux différents points précisément nommés « points » dans les premiers catéchismes symboliques.

    Cinq documents attestent ainsi le rapport étroit qui exista entre l’Église réformée presbytérienne d’Écosse et l’apparition du « Mot de maçon ». De tout ce qui précède on peut déduire que le « Mot de maçon » fut élaboré en Écosse par des Francs-maçons acceptés de confession calviniste, et que c’est dans la triple conception réformée du temple (temple compris comme temple de Salomon, figure du corps de Jésus-Christ constitué par l’ensemble des membres de la communauté chrétienne) qu’ils puisèrent l’idée du « Mot de maçon ».

    Mais si tout ceci nous permet de mieux comprendre le sens spirituel que la référence au Temple de Salomon revêtit pour les Maçons calvinistes d’Écosse au 17ème siècle, il n’a pas encore été possible de rendre compte de la nécessité historique qui poussa les Maçons acceptés et calvinistes d’Écosse à élaborer ce « Mot de maçon » tel qu’il fut (c’est-à-dire un mot de reconnaissance et par conséquent un mot de passe emprunté au nom des deux Colonnes du Temple de Salomon, tout cela dans le cadre spécifique d’une loge composée de maçons opératifs et de maçons acceptés).

     

    Les Sinclair

    Les origines des Sinclair

    En 876, Rollon, le fils de Roginvald le Tout Puissant, remonta la Seine et pilla la région alentour. Pour faire la paix, Charles, Roi de France, lui donna des provinces au nord de la France et le traité fut signé au château de Saint-Clair-sur-Epte d'où les Saint Clair (Sinclair) tirent leur nom.

    La conquête normande

    Guillaume le Conquérant, le cousin des Saint Clair, reçut de vastes domaines en Angleterre à la suite de la bataille de Hastings. Il y avait des Saint Clair en Écosse bien avant la conquête normande. En 1057, le Roi donna à Guillaume de Saint Clair, un terrain nommé Rosslyn qui appartient à la famille depuis ce temps-là.

    Succès écossais et relations avec les Templiers

    Les Saint Clair, associés aux Chevaliers du Temple, participèrent aux croisades de Jérusalem. Après la suppression de l'Ordre des Chevaliers du Temple par le Pape, les Sinclair permirent à l'Ordre d'établir son quartier général dans le domaine de Rosslyn.

    Bannockburn et le cœur de Bruce

    A la bataille de Bannockburn en 1314, les Chevaliers du Temple, menés par Sir Guillaume de Saint Clair et deux de ses fils, vainquirent l'armée anglaise. Les Chevaliers du Temple commémorent toujours cette victoire le jour de la fête de la Saint-Jean à Bannockburn.

    Deux Saint Clair allèrent chercher le cœur de Robert Bruce mort en Espagne, afin de le ramener en Écosse pour l'ensevelir. Les Maures les attaquèrent et les tuèrent à leur retour. Cependant, le courage de ces deux chevaliers écossais les impressionna tellement qu'ils autorisèrent le rapatriement en Écosse des deux cadavres ainsi que le cœur de Robert Bruce.

    Le Nouveau Monde

    En 1389, Henri de Saint Clair, comte des Orcades et prince de Norvège, partit pour le nouveau monde avec 200 hommes armés et 12 navires remplis de canons. Ils naviguèrent jusqu'en Nouvelle Écosse où Henri fonda une colonie. D'autres preuves de voyages d'Henri de Saint Clair vers le nouveau monde, datant d'une époque avant la naissance de Christophe Colomb, se trouvent dans la chapelle de Rosslyn.

    Le comté de Caithness

    En 1455, le comté de Caithness fut donné à Guillaume de Saint Clair des Orcades. Depuis ces temps-là, beaucoup de Sinclair sont devenus célèbres et particulièrement Sir John Sinclair d'Ulster, premier président de la Chambre d'Agriculture à l’époque de Pitt ; le chef d'Escadron Arthur de Saint Clair qui, pendant la guerre d'Indépendance des États-Unis, fut le conseiller de confiance du Général Washington.

     

    La Chapelle Rosslyn (Rosslyn Chapel)

    La Rosslyn Chapel ou Chapelle de Rosslyn (anciennement nommée Collégiale de Saint Mathieu) est une église catholique qui fut construite au 15ème siècle à coté du petit village de Roslin, dans le Midlothian [2] en Écosse.

    Elle fut dessinée par des architectes qui avaient aussi consulté Sir William Sinclair (orthographe alternative « Sainteclaire / Saintclair / Sinclair / St Clair ») de la famille Sinclair [3], une famille écossaise noble descendante d'une famille normande. La construction de la chapelle commença vers 1440 – bien que la date officielle de fondation soit 1446 – et s'acheva quarante ans plus tard.

    Les fouilles réalisées au 19ème siècle prouvent que la chapelle faisait partie autrefois d’un ensemble plus grand, dont la construction aurait été interrompue à la mort de William Sinclair.

    La chapelle de Rosslyn ressemble presque exactement au chœur de la cathédrale de Glasgow, beaucoup plus grande mais aussi plus ancienne.

    La petite chapelle de Rosslyn est connue à cause de la complexité de sa décoration et par les histoires fantastiques qui y ont été attachées. Par exemple :

    1. Ses deux piliers ont des sculptures différentes. La légende veut que le maître maçon entama la réalisation de ce qu'on nomme aujourd'hui le pilier de l'Apprenti, jusqu'au jour où se sentant incapable de le terminer, il partit en voyage d'études à Rome afin d'améliorer ses compétences. Pendant son absence, son apprenti termina lui-même l'œuvre, ce qui déclencha la colère du maître-maçon qui tua l'apprenti.

    2. Des Francs-maçons pensent y voir les piliers de Boaz et Jachin du Temple de Jérusalem. La chapelle est soutenue par 13 piliers, un quatorzième pilier entre ceux de l’avant dernière paire crée une séparation entre la nef et la chapelle de la Vierge.

    3. De plus, de nombreux archéoastronomes [4] pensent que des coordonnées géographiques islandaises (d’où les Saint Clair pourraient être originaires) sont sculptées sur les murs mais également dans toute la Grande-Bretagne.

    En réalité, la petite chapelle de Rosslyn existait pour permettre aux chanoines et aux deux petits garçons qui y chantait avec eux, de prier jour et nuit, et de dire la messe catholique.

     

    Mary's Chapel

    1599 est la date des premières Minutes (procès-verbaux des réunions) de Mary's Chapel, qui apparaissent être ainsi les plus anciennes Minutes de Loge du monde.

    C’est pourquoi la plus ancienne Loge maçonnique connue dont on puisse clairement établir qu'elle était structurellement distincte de la corporation locale de maçons opératifs (à laquelle elle restait cependant adossée) fut celle de Mary's Chapel, fondée en 1599 sous l'autorité de William Saint Clair, à Édimbourg en Écosse.

    Comme elle, la plupart des toutes premières loges maçonniques distinctes des corporations sont écossaises et créés sous le régime des statuts dits « Statuts Shaw ». Elles sont jalouses de leur indépendance et pratiquent :

    • soit l'ancienne cérémonie d'admission datant des corporations et connue sous le nom de « Rite des Anciens Devoirs » ;

    • soit, à partir des années 1630 et en milieu presbytérien, un rituel d'initiation fort simple avec transmission d'un « secret » connu sous le nom de « Rite du Mot de maçon ».

    Ces deux rites sont comparables à ceux qu'on peut trouver dans d'autres corporations ou confréries de métiers de l'époque, telle que, par exemple, celle des francs-jardiniers. Toutefois, la prééminence donnée dans la société de l'époque au métier de maçon, leur réputation et celle de leur rituel attirèrent dans leurs rangs, surtout à partir de 1670, d'assez nombreux gentilshommes et bourgeois. Assez souvent ceux-ci, après avoir reçu l'initiation maçonnique, continuaient à se passionner pour le sujet mais fréquentaient assez peu les réunions ordinaires de leurs loges.

     

    Considérations sur la survivance de l’Ordre du Temple en Ecosse

    Rappelons que l’Ordre des Chevaliers du Temple ou tout simplement l'Ordre du Temple était un ordre religieux et militaire international issu de la chevalerie chrétienne du moyen âge. Ses membres ont été appelés plus simplement « les Templiers ».

    Cet ordre fut créé le 13 janvier 1129 à partir d'une milice appelée « les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon ». Il œuvra pendant les 12ème et 13ème siècles à l'accompagnement et à la protection des pèlerins pour Jérusalem dans le contexte de la guerre sainte et des croisades. Il participa activement aux batailles qui eurent lieu lors des croisades et de la reconquête. Afin de mener à bien ses missions et notamment d'en assurer le financement, il constitua à travers toute l'Europe chrétienne et à partir de dons fonciers, un réseau de monastères appelés commanderies. Cette activité soutenue fit de l'ordre un interlocuteur financier privilégié des puissances de l'époque, le menant même à effectuer des transactions sans but lucratif avec certains rois ou à avoir la garde de trésors royaux.

    Après la perte définitive de la Terre sainte en 1291, l'ordre fut victime de la lutte entre la papauté et Philippe le Bel et fut dissous par le pape Clément V le 22 mars 1312 à la suite d'un procès en hérésie. La fin tragique de l'ordre mena à nombre de spéculations et de légendes sur son compte.

    La fin de l'Ordre du Temple fut si brutale que d’aucuns imaginèrent qu’il se prolongea après sa dissolution en 1314. Un certain nombre de Templiers ayant survécu, d’aucuns n’hésitèrent pas à supposer que Jacques de Molay avait eu le temps de transmettre son titre avant sa tragique fin.

    En ce qui concerne les survivances de l’Ordre du Temple, sont généralement citées la filiation de Beaulieu, la filiation d’Aumont, la filiation Larmenius et la filiation de Geoffroy de Gonneville. Seules la filiation d’Aumont nous amène à la Franc-maçonnerie écossaise !

    La filiation d'Aumont

    Au soir du 18 mars 1314, Pierre d'Aumont, précepteur d'Auvergne et sept autres chevaliers déguisés en maçons auraient récupéré les cendres de Jacques de Molay et juré de venger l'Ordre. Pierre d’Aumont se serait alors réfugié en Écosse, sur l'île de Mull où il aurait été désigné comme nouveau Grand Maître de l'Ordre le 24 juin 1315. Pierre d'Aumont paraît aux côtés du roi Robert Bruce dans sa lutte contre les Anglais. Ce noyau de Templiers serait à l'origine de la constitution de la loge maçonnique Heredom [5] ou « Sainte Maison ».

    Une tradition maçonnique affirme que « Kilwinning », la Loge écossaise la plus ancienne, a été fondée par le roi d’Ecosse Robert Bruce après sa victoire sur les Anglais, et qu’elle accueillait des Templiers qui s’étaient enfuis de France.

    Sous la conduite du dernier Grand Maître clandestin, Pierre d'Aumont, et sous la protection du roi Robert Bruce, les chevaliers Templiers se seraient regroupés dans l'Ordre de Saint André du Chardon qu'ils associèrent au « Rite écossais », ordre maçonnique déjà en place en Écosse.

    Les historiens n’ont peut-être pas assez insisté sur le fait que Philippe le Bel avait dissout les sociétés de maçons dans tout le royaume de France, juste au moment où il entreprenait les persécutions de l’Ordre du Temple. C’est donc que Philippe le Bel pouvait redouter, à juste titre, l’aide qu’auraient pu apporter ces sociétés de maçons opératifs aux chevaliers en détresse !

     

    Une filiation entre l’Ordre du Temple et la Franc-maçonnerie ?

    Par-delà le symbolisme identique, nous pouvons penser que c’est bien tout un esprit commun, une fraternité partagée qui ont sans doute uni chevaliers et maçons. Les maçons ne seraient-ils pas somme toute les héritiers légitimes des chevaliers ?

    La symbiose entre Templiers et Maçons ne fait plus aucun doute pour tous les historiens et maçonnologues sérieux, même si les preuves en sont absentes !

    Pour Jean Tourniac, les liens étroits existant entre Templiers et maçons « n’ont pu s’effacer à la dissolution du Temple ». « L’Ordre du Temple était le plus grand fournisseur des travaux de la corporation et la protégeait, lui accordait franchise dans ses terres, places et dépendances. Comment la corporation des maçons aurait-elle pu l’oublier et refuser asile au moment de la tragédie du 14ème siècle ? ».

    Jean Tourniac pense que les Templiers ont « enfermé dans de nouvelles structures le trésor de leurs symboles et le souvenir de leur chevalerie ».

    Paul Naudon est lui aussi convaincu que les communautés de francs-métiers créées sous l’égide des Bénédictins et des Templiers n’ont pas disparu avec l’Ordre du Temple et que l’action du Temple sur la maçonnerie opérative fut décisive.

    L’héritage templier dans la Franc-maçonnerie s’est manifesté non seulement dans une transmission des pratiques et vertus du Temple – l’équité, la tolérance, la générosité – mais plus encore par l’infusion des grands principes de la Chevalerie et leur aboutissement logique : le rêve d’une grande fraternité universelle. La Chevalerie n’est-elle pas l’expression du Temple universel et ne travaille-elle pas pour le Dieu unique ?

    Une fois condamné, il fallait bien que l’Ordre du Temple ait choisi un héritier de ses secrets. Le meilleur héritier n’était-il pas celui qui possédait déjà en propre d’autres secrets et savait les garder jalousement, c’est-à-dire les maçons libres ?

     

    Conclusions

    Les auteurs du documentaire « La clé écossaise » ont osé poser des questions essentielles que tout Franc-maçon devrait se poser au sujet de la Franc-maçonnerie et de ses origines. En guise de réponses, ils ont mis en lumière et puisé dans les recherches effectuées par l’historien Robert Cooper à partir de 1988 (c’est-à-dire il y a déjà vingt ans) et dans les travaux de David Stevenson entrepris il y a une trentaine d’années.

    L'effet de la diffusion à la télévision de ce documentaire pourrait avoir des répercutions importantes sur le regard du monde profane sur l'institution, au point aussi d'augmenter considérablement le nombre de postulants à la porte du temple.

    Il va falloir intégrer la « clef écossaise », mais il y aura déjà une chose acquise, c'est que la réalité historique ne pourra plus être ignorée ni détournée lorsqu'il sera question des fondements de la maçonnerie dite « spéculative ».

    Le puzzle devenant de plus en plus lisible, c'est aussi la crédibilité du système dans son entier qui y gagne et donc bien entendu : l'invisible « Franc-maçonnerie Universelle ».

    Le reportage a eu l'intelligence de ne pas se disperser. Il a traité d'un point fondamental : les liens avérés entre la Franc-maçonnerie d'Écosse et les pères des constitutions d'Anderson, James Anderson et Jean Théophile Desaguliers.

    Après l'immense succès de la diffusion de ce documentaire en Belgique, on peut s'attendre à un second numéro qui devrait traiter de la suite historique, du développement au 18ème siècle, de la Grande Loge d'Écosse et nous rapprocher un peu plus de la Franc-maçonnerie contemporaine.

     

     R:. F:. A. B.

     

    [1] Robert 1er d'Écosse, Robert de Brus (en normand), Roibert a Briuis (en Écossais méd.), Robert the Bruce ou Robert Bruce (en anglais moderne) (Château de Cardoss, 11 juillet 1274 – 7 juin 1329), comte de Carrick, est roi d'Écosse de 1306 à 1329. Il appartient à la maison Bruce.

    [2] Le Midlothian (Meadhan Lodainn en écossais) est une des 32 divisions administratives de l’Écosse. Le Midlothian est frontalier avec les Scottish Borders, l’East Lothian et la ville d’Édimbourg.

    C’était auparavant un comté entre le West Lothian à l’ouest, le Lanarkshire et le Peebleshire au sud, le Berwickshire et l’East Lothian à l’Est. Il comprenait alors la ville d’Édimbourg et était parfois appelé Edinburghshire.

    [3] La famille Sinclair est une famille écossaise d'origine normande. Sinclair devint le nom du clan écossais qui lui est rattaché, et dont font partie les Rosslyn et les Caithness.

    Le nom est orthographié de différentes façons, suivant les époques et les usages. Le nom original de Saint-Clair a évolué en Saint Clare après l'arrivée en Écosse puis Sinclair à partir de la fin du 16e siècle lorsque deux branches sont apparues. Les Caithness adoptèrent la forme Sinclair. Les Rosslyn préfèrent encore l'ancienne forme de Saint Clare ou parfois St. Clair. Sinclair est néanmoins la forme la plus courante et celle utilisée dans la Scottish Clan and Familly Encyclopedia et dans le Webster's New biographical Dictionnary.

    [4] L'archéoastronomie résulte de la combinaison d’études astronomiques et archéologiques. Elle revêt deux facettes : d’une part elle cherche à expliquer les observations astronomiques passées, à la lumière des connaissances actuelles ; d’autre part, associée à des études archéologiques et ethnologiques, elle tente d’interpréter et de préciser un possible usage astronomique de constructions anciennes tels que les mégalithes ou les géoglyphes de Nazca. Dans un contexte inverse, elle peut contribuer à l'astronomie ordinaire qui peut trouver dans des textes anciens des mentions d'événements astronomiques.

    [5] La Franc-maçonnerie, qui serait née en Écosse, et plus exactement à Kilwinning d'Heredom, a peut-être vu le jour sur une colline, haut lieu sacré et spirituel qu'est Heredom. Le mot « Heredom » reste énigmatique. Des tas d'interprétations ont été données mais aucune n'est satisfaisante. Cette colline existe bien, et certains pensent qu'il s'agit d'une colline artificielle élevée par une ancienne culture. Sur place en Écosse, aucune colline ne porte ce nom, mais en revanche il existe un Mont Greenan, qui est selon toute vraisemblance la colline d'Heredom.  C'est une tradition très ancienne qui transmet ce nom, et non celui de la toponymie, pourtant déjà elle-même fort ancienne… Cela signifie qu'Heredom appartient à une langue antique, qui existait en ces lieux.

     


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  •  Le culte de Mithra 

    Introduction

    La plupart des chrétiens célèbrent Noël le 25 décembre, date de naissance de Jésus-Christ. D'autres croyants fêtent Noël le 6 janvier car ils pensent que c'est la date correcte. En l'an 354, quelques églises occidentales, y compris celle de Rome, ont commencé à fêter la naissance du Christ le 25 décembre. Mais pourquoi avoir choisi cette date pour les célébrations ? La réponse à cette première question semble se trouver dans le culte de Mithra.

    En effet, c’est le 25 décembre, qui coïncide à peu près avec le solstice d’hiver, que l’on commémorait la naissance de Mithra. Les 16 de chaque mois étaient également des dates sacrées. Les adeptes de Mithra louaient également le dimanche, jour du Soleil.

    D’où les questions suivantes : qui était Mithra ? Qu’est-ce que le mithraïsme ? Quelles sont ses rapports avec le christianisme ? Comment se présentait le culte de Mithra et quelle est son origine, son histoire ? Quels sont ses principes ? Que sait-on des rites pratiqués et des différents niveaux d’initiation ?

    Qui était Mithra ?

    Mithra, ange de la lumière, était un serviteur du dieu suprême Ahura Mazda (Ormuzd) et l'intercesseur des hommes auprès de lui.

    Cette religion était très austère : les initiés étaient soumis à des épreuves, puis baptisés par aspersion avec le sang d'un taureau sacrifié (taurobole) pour devenir frères d'armes. Les prêtres enseignaient que, par la pratique de certains rites de purification, d'abstinence et de communion, il était possible de participer à la nature des astres lumineux et immortels.

    Le dieu Mithra est généralement représenté sous les traits d'un jeune homme coiffé d'un bonnet phrygien et vêtu d'un manteau flottant, d'une tunique courte et d'un pantalon oriental. Il poignarde un taureau qu'il a terrassé.

    * Le culte de Mithra

    Puisque le 25 décembre était son anniversaire, on continua à le célébrer à cette date qui coïncidait avec le solstice d’hiver. Au 4ème siècle, pour enrayer ce culte païen, l'Eglise chrétienne prit une mesure très astucieuse pour célébrer la naissance du Christ et perpétuer les traditions existantes : elle avança la fête de la naissance du Christ du 6 janvier au 25 décembre !

    Remarquons que le choix du 25 décembre par les Romains pour le solstice d'hiver est dû à une erreur commise lors de la réforme du calendrier romain.

    Les deux anniversaires représentaient donc des choses différentes selon les traditions. Les adorateurs de Mithra prirent le nom de « Soldats de Mithra ».

    Qu’est-ce que le mithraïsme ?

    Le mithraïsme ou culte de Mithra est un culte à mystères qui est apparu probablement pendant le 2ème siècle avant Jésus-Christ dans la partie orientale de la Méditerranée. Il se répandit d'abord en Asie Mineure, en Égypte puis il s'est diffusé pendant les siècles suivants dans tout l'Empire romain. Il y fut apporté par les légions romaines puis il passa en Gaule, en Germanie et en Espagne. Il a atteint son apogée durant les 3ème et 4ème siècles, époque pendant laquelle il devint un concurrent important du christianisme.

    Le culte de Mithra eut une implantation particulière auprès des soldats romains. Adapté au goût romain, la forme la plus populaire du mithraïsme était le « Sol Invictus », le soleil irrépressible, dont la renaissance est célébrée à l'apogée du saturne le 25 décembre. Le mithraïsme était principalement une religion de soldat, privilégiant les vertus de fidélité, virilité, et courage. Elle fut adoptée par Rome à partir du panthéon gréco-romain et devint la religion officielle de l'empire Romain en l'an 300. À ce moment-là, dans chaque ville et village, dans chaque garnison et avant-poste militaire de la Syrie à la frontière écossaise, on pouvait trouver un mithraeum et des prêtres officiants la religion.

    En fait, le mithraïsme, principale religion romaine et perse a été remplacée par le christianisme sous le règne de l’empereur Constantin en 312 après Jésus-Christ. Après la conversion de Constantin au christianisme, le mithraïsme déclina et perdit son statut de religion d'état. Trente ans plus tard, Theodosius rendit le culte de Mithra punissable de la peine de mort. Comme toutes les religions païennes, il fut déclaré illégal en 391.

    Célébré dans des cryptes où les fidèles se réunissaient pour des banquets sacrés, le culte de Mithra s'accompagnait d'images, peintes ou sculptées, qui évoquaient le geste de Mithra, serviteur du Bien. Ainsi rappelait-on le sacrifice du taureau céleste dont le sang était source de vie, sacrifice que renouvelaient périodiquement les disciples du dieu.

    Le culte de Mithra

    Le mithraïsme était alors une religion concurrente du christianisme. Son culte était surtout très populaire dans les armées, ce qui engagea une rivalité farouche entre les croyants des deux religions, à tel point que l'Église dut faire de nombreuses concessions au culte païen de Mithra. Nous savons aujourd'hui, par exemple, que c'est parce que l’anniversaire de Mithra se célébrait aux alentours de l'actuel solstice d'hiver que l'on fête Noël le 25 décembre.

    Dans la Rome païenne avaient lieu les « Saturnales », du 17 décembre aux « Calendes » de janvier (premier jour de l'An romain). L'une des fêtes, « Natalis Invicti » (Nativité du Soleil Invincible) ou « Sol Invictus » (Dieu Invaincu), célébrait justement Mithra, dieu de la lumière, symbolisant la pureté, la chasteté et combattant contre les forces obscures. Le 25 décembre, on fêtait la naissance de Mithra, le soleil invaincu (Dies natalis solis invicti) par le sacrifice d'un jeune taureau.

    * Le culte de Mithra

    Religion initiatique à mystères, le mithraïsme rend un culte au taureau. Ce type de culte a cependant des origines très anciennes en Europe et remonte très certainement au paléolithique supérieur ou à l'épipaléolithique. La corrida en Espagne et dans le monde hispanique en est une lointaine survivance.

    Mithra, qui s'est créé lui-même à partir de la roche des cavernes, est à la fois primogenitur et autogenitur. Son premier exploit, la tauroctonie, fut de vaincre, à peine né, un tore aussi furieux que puissant.

    Lors de l’initiation, les adeptes, au cours d’agapes, s'aspergeaient du sang du taureau sacrifié et se traçaient réciproquement une croix de cendres sur le front et le dos des mains. Le myste descendait probablement dans une fosse au-dessus de laquelle était sacrifié l'animal, son sang retombant ainsi sur lui. Le rituel se déroulait dans des lieux à l'écart et de préférence dans des grottes, les mithreae.

    Il semble que la Franc-maçonnerie se soit inspirée de nombreux rites et mythes d'origine mithriaque. Certains ont aussi pensé que le culte Mithra a pu inspirer la religion chrétienne.

    Les origines du culte de Mithra

    Les origines

    Mithra est une divinité indo-iranienne dont on peut faire remonter l'origine au second millénaire avant Jésus-Christ. Son nom est mentionné pour la première fois dans un traité entre les Hittites et les Mitanniens, signé vers 1400 avant Jésus-Christ. En Inde, Mithra figurait dans les hymnes védiques comme dieu de la lumière, associé à Varuna.

    A l’origine, Mithra était une déité solaire indoue également adorée par les Perses. Alors qu’en Inde, Mitra (sans « h ») est identifié en tant que « Dieu de lumière merveilleuse » et allié d'Indra, le roi du ciel, Mithra est prié avec Varuna, le dieu de la loi morale et de la vérité. Conjointement connus en tant que « Mitra-Varuna », ensemble ils maintiennent l'ordre dans le monde tout en voyageant dans leur char magique : « Ces dieux sont la toute-puissance du soleil. Ils sont nobles et nous rendent pleins de vigueur ». (Veda vii.65)

    Le culte de Mitra s'est ensuite propagé à l'ouest de la Perse (Iran) et vers l'est de la Chine. Avec l'expansion rapide de l'empire persan, le culte de Mitra s'est propagé rapidement vers l'Europe. « Mithra » apparaît également dans le Zoroastrian Avesta, le scripte indou. Il explique le monde en termes de dualité et de principe d'opposition, un bon côté (représenté par la lumière) et un autre côté, celui du mal et de l'obscurité. Les êtres humains doivent choisir leur camp et sont en perpétuel conflit entre les deux forces, Mithra étant considéré comme le médiateur le plus puissant, pouvant aider les humains à écarter les attaques des forces démoniaques. Mithra est encore vénéré en Iran (comme le dieu antique du soleil) et en Chine où la mythologie chinoise voit Mithra comme chef d'une armée de statues érigées en son honneur.

    Dans l'Avesta iranien c'est un dieu bénéfique, collaborateur d'Ahura Mazda. Il reçoit aussi le surnom de « juge des âmes ». Il est possible que son culte soit arrivé dans l'Empire romain depuis l’Iran grâce à la diffusion du zoroastrisme dont il serait une forme d’hérésie.

    Cependant, les études actuelles tendent à considérer qu'on ne peut pas admettre un lien de parenté direct entre le Mitra indo-iranien et le mithraïsme, du fait de l'utilisation de la forme grecque « Mithra » au lieu de « Mitra » pour le différencier.

    Dans la Perse achéménide la religion officielle était le zoroastrisme, qui postulait l'existence d'un dieu unique, Ahura Mazda. C'est l'unique divinité mentionnée dans les inscriptions conservées de l'époque de Darius 1er (521 – 485 avant Jésus-Christ).

    Cependant, il existe une inscription conservée, à Suse, de l'époque de Artaxerxès II (404 – 358 avant Jésus-Christ), sur laquelle est représenté Mithra aux côtés de Ahura Mazda et d'un autre dieu appelé Anahite.

    Existe-t-il un lien entre ce Mitra persan, ses prédécesseurs indo-iraniens, et Mithra du culte à mystères de l'Empire Romain ? Ainsi le pensait celui qui commença les études sur la religion mithraïque, Franz Cumont. Mais aujourd'hui la question est loin d'être résolue.

    Dans les royaumes de Parthie et du Pont, un grand nombre de rois portaient le nom de Mithridate (par exemple Mithridate VI), ce qui peut être en relation étymologique avec Mithra. D'un autre côté, à Pergame, en Asie mineure, des sculpteurs grecs ont produit les premiers bas-reliefs représentant l'image du Taurobole. Alors que le culte de Mithra commençait seulement à se diffuser en Hellade, tout ceci marque peut-être le chemin de Mithra vers Rome.

    La première référence dans l'histographie gréco-romaine au culte de Mithra se trouve dans l'œuvre de l'historien Plutarque qui mentionne que les pirates de Cilicie célébraient des rites secrets en relation avec Mithra en 67 avant Jésus-Christ.

    Le mithraïsme dans le Haut Empire romain

    Il est probable que ceux qui ont introduit le mithraïsme dans l'Empire romain étaient des légionnaires qui avaient exercé aux frontières orientales de l'Empire.

    Les premières preuves matérielles du culte de Mithra datent des années 71 et 72 de l'ère chrétienne : il s'agit d'inscriptions faites par des soldats romains qui venaient de la garnison de Carnuntum, dans la province de Pannonie Supérieure, et qui probablement étaient allés avant en Orient, en guerre contre les Parthes et rétablir l’ordre à Jérusalem où des émeutes avaient eu lieu.

    Vers l'année 80, l'auteur romain Stace mentionne la scène de la tauroctonie dans sa « Thébaïde » (I, 719 – 720). Plutarque, dans sa « Vie de Pompée », dit clairement que le culte de Mithra était déjà connu à son époque.

    À la fin du 2ème siècle, le mithraïsme était largement diffusé dans l'armée romaine, comme chez les bureaucrates, les marchands et même chez les esclaves.

    La majeure partie des preuves archéologiques vient des frontières germaines de l'Empire. De petits objets de culte en relation avec Mithra furent trouvés dans des fouilles depuis la Roumanie jusqu'au Mur d’Hadrien.

    Le mithraïsme pendant le Bas Empire

    Les empereurs du 3ème siècle étaient en général des protecteurs du mithraïsme, parce qu'ils utilisaient sa structure très hiérarchisée pour renforcer leur propre pouvoir. Ainsi, Mithra s'est reconverti en symbole de l'autorité et du triomphe des empereurs. Depuis l'époque de Commode, qui s'initia au culte, les adeptes du mithraïsme provenaient de toutes les classes sociales.

    Un grand nombre de mithreae ont été découverts dans les garnisons des frontières de l'Empire. En Angleterre on en identifia au moins trois, le long du Mur d'Hadrien, à Housesteads, Carrawburgh et Rudchester. Des restes d'autres mithraea furent retrouvés à Londres.

    D'autres sanctuaires de Mithra, érigés à cette époque, se trouvent dans la province de Dacie (où on retrouva en 2003 un mithraeum à Alba-Tulia), ainsi qu'en Numidie, dans le nord de l'Afrique.

    Cependant la plus grande concentration de mithreae se trouve à Rome même et près d'Ostie, avec un total de douze temples identifiés, alors qu'il se peut qu'il en existe plusieurs centaines. On peut juger de l'importance du mithraïsme à Rome aux découvertes archéologiques : plus de 74 sculptures, une centaine d'inscriptions et des ruines de temples et de sanctuaires dans toute la ville et sa périphérie. Un des mithreae les plus représentatifs, dont l'autel et les bancs de pierre existent toujours, fut construit sous une maison romaine (ce qui apparemment était une pratique habituelle) est encore visible dans la crypte sur laquelle fut construite la Basilique Saint-Clément à Rome.

    Fin du mithraïsme

    À la fin du 3ème siècle, un syncrétisme s'est produit entre la religion mithraïque et certains cultes solaires de provenance orientale qui cristallisèrent dans la nouvelle religion du Sol Invictus « soleil invaincu ».

    Cette religion devint officielle dans l'Empire en 274 grâce à l'empereur Aurélien qui érigea à Rome un splendide temple dédié à la nouvelle divinité et créa un corps de clergé d'état pour assurer le culte, dont le dirigeant s'appelait pontifex solis invicti. Aurélien attribuait au Sol Invictus ses victoires en Orient.

    Ce syncrétisme cependant ne sonna pas la fin du mithraïsme qui continua à exister comme culte non officiel. Un grand nombre des sénateurs de l'époque pratiquaient en même temps le mithraïsme et la religion du Sol Invictus.

    Cependant, cette période marque le début de la décadence du mithraïsme, à cause des pertes de territoires que l'Empire subissait suite aux invasions de peuples barbares qui affectaient des territoires frontaliers où le culte était très enraciné.

    La compétition du christianisme, appuyé par Constantin, vola des adeptes au mithraïsme. Il faut aussi prendre en compte le fait que le mithraïsme excluait les femmes alors qu'elles avaient le droit de participer au culte chrétien.

    Le mithraïsme tint tête au christianisme jusqu'au 4ème siècle, époque à laquelle il se heurta aux persécutions de l'empereur Théodose (379 – 394), dont un édit, en 391, interdit le culte païen et les sacrifices sous peine de mort. Le christianisme supplanta le mithraïsme pendant le 4ème siècle et devint la religion officielle de l'Empire sous Théodose.

    Il y eut quelques essais de redonner vie au culte de Mithra par Julien « l'apostat » (361 – 363) et par l'usurpateur Eugène (392 – 394) mais ils ne rencontrèrent pas beaucoup de succès. Le mithraïsme fut formellement interdit dès 391, alors que sa pratique clandestine s’est maintenue durant quelques décennies.

    Le mithraïsme survécut pourtant jusqu'au début du 5ème siècle dans quelques régions des Alpes et revint à la vie, tenace mais de manière éphémère dans les régions orientales de l'Empire, où il trouvait ses origines. Il eut un rôle important dans le développement du manichéisme, religion qui fut également en forte compétition avec le christianisme.

    Le mithraïsme à Rome

    Un grand nombre de sujets romains avaient adopté le mithraïsme, et plus particulièrement les soldats. À Rome, le temple de Mithra était creusé sous le mont Capitolin, les mystères mithriaques se célébrant dans une caverne, à proximité d'une source.

    Dans les camps militaires, Mithra était le dieu protecteur. La divinité indo-iranienne appelée Mitra (l'ami) en sanscrit et Mithra en avestique est décrite dans les Veda et dans l'Avesta comme étant le dieu des contrats et de la solidarité. Si son rôle est demeuré secondaire en Inde, où son culte ainsi que celui de son frère Varuna déclinèrent très vite, il n'en fut pas de même en Iran, où il prit une importance croissante et où il fut l'objet d'un culte très populaire. Ce culte, transporté hors des limites de la Perse et agrémenté d'éléments étrangers, devint le noyau d'une religion avec initiation et enseignement ésotérique, connue sous le nom de mithriacisme.

    Les adorateurs de Mithra reconnaissaient une divinité unique manifestée par la lumière des astres, surtout le Soleil, brillant et invincible, ennemi de la nuit et des démons.

    Principes du mithraïsme

    Les informations, plutôt fragmentaires, qui existent sur le culte de Mithra concernent sa pratique pendant le Bas Empire Romain. C'était un culte à mystères, de type initiatique, basé sur la transmission orale et un rituel d'initié à initié et non sur des écritures sacrées. C'est pourquoi la documentation écrite concernant le culte de Mithra est pratiquement inexistante. L'étude de cette religion est principalement basée sur l'iconographie qui décorait les mithraea.

    Le mithraeum, les mithraea

    Le culte de Mithra s'exerçait dans des temples nommés mithraeum (pluriel mithraea). Ces endroits étaient au départ des grottes naturelles, et plus tard des constructions artificielles les imitant, obscures et dépourvues de fenêtres. Ils étaient exigus, la plupart ne pouvaient pas accueillir plus de quarante personnes.

    Dans un mithraeum type on peut distinguer trois parties :

    • L'antichambre ;
    • Le spelaeum ou spelunca (la grotte), grande salle rectangulaire décorée de peintures et deux grandes banquettes le long de chaque mur pour les repas sacrés ;
    • Le sanctuaire, au fond de la grotte, dans lequel se trouvaient l'autel et l'image — peinture, bas-relief ou statue — de Mithra donnant la mort au taureau.

    Des mithraea ont été découvertes dans beaucoup de provinces de l’Empire romain. Certains furent convertis en cryptes sous des églises chrétiennes. La plus grande concentration de mithraea se trouve dans la capitale, Rome, mais on en a découvert dans des lieux éloignés les uns des autres tels que dans le nord de l'Angleterre et la Palestine. Leur diffusion géographique dans l'Empire dépendait des installations et des camps militaires.

    Mythologie et iconographie

    Il n'y a pas de textes sur le mithraïsme écrits par les adeptes eux-mêmes. Les seules sources d'information sont les images sacrées trouvées dans les mithraea.

    Récit mythique

    Selon le récit que l'on a pu reconstruire à partir des images des mithraea et les quelques témoignages écrits, le dieu Mithra naquit près d'une source sacrée, sous un arbre lui aussi sacré, près d'une pierre (la petra generatrix).

    Au moment de sa naissance, il portait le bonnet phrygien, une torche et un couteau. Il fut adoré par les pasteurs dès sa naissance. Il but l'eau de la source sacrée. Avec son couteau, il coupa le fruit de l'arbre sacré et, avec les feuilles de cet arbre, il se confectionna des vêtements.

    Il rencontra le taureau primordial quand celui-ci paissait dans les montagnes. Il le saisit par les cornes et le monta, mais, dans son galop sauvage, la bête le fit tomber. Cependant, Mithra continua à s'accrocher aux cornes de l'animal et le taureau le traîna pendant longtemps jusqu'à ce que l'animal n'en puisse plus. Le dieu l'attacha alors par ses pattes arrière et le chargea sur ses épaules. Ce voyage de Mithra avec le taureau sur ses épaules se nomme transitus.

    Quand Mithra arriva dans la grotte, un corbeau envoyé par le Soleil lui annonça qu'il devait faire un sacrifice, et le dieu, soumettant le taureau, lui enfonça le couteau dans le flanc. Du blé sortit de la colonne vertébrale du taureau, et du vin de son sang. Son sperme, recueilli par la lune, produisit des animaux utiles à l'homme. Arrivèrent alors le chien qui mangea le grain, le scorpion qui serra les testicules du taureau avec ses pinces, et le serpent.

    Certaines peintures montrent Mithra transportant un rocher sur son dos, comme Atlas dans la mythologie grecque, et/ou vêtu d'une cape dont le côté intérieur représente le ciel étoilé. Près d'un mithraeum proche du Mur d’Hadrien, on trouva une statue de Mithra en bronze sortant d'un anneau zodiacal en forme d'œuf. Elle est aujourd'hui conservée à l'Université de Newcastle. Une inscription trouvée à Rome suggère que Mithra pourrait s'identifier au dieu primordial de l'orphisme, Phanès, qui surgit de l'œuf cosmique à l'origine du temps, engendrant l'univers. Cette opinion est renforcée par un bas-relief du Musée d'Este, à Modène, où l'on voit Phanès surgissant d'un œuf, entouré des douze signes du Zodiaque, dans une image très similaire à celle conservée à Newcastle.

    Une des images centrales du culte de Mithra est la « tauroctonie », qui représente le sacrifice rituel du taureau sacré par Mithra. Cette représentation présente des éléments iconographiques constants : Mithra apparaît coiffé du bonnet phrygien et regarde sa victime avec compassion. Incliné sur le taureau, il l'égorge avec un couteau de sacrifice. De la blessure du taureau il sort du grain. Près du taureau figurent quelques animaux : un scorpion, qui menace de ses pinces les testicules du taureau ; un serpent ; un chien qui se nourrit du grain qui sort de la blessure. Parfois apparaissent aussi un lion et une coupe.

    L'image est encadrée de deux porteurs de torches, nommés Cautès et Cautopatès. La scène paraît située dans une espèce de grotte, qui peut être la représentation du mithraeum lui-même ou la représentation du cosmos selon d'autres interprétations.

    Interprétations

    Franz Cumont, auteur d'une étude sur la religion de Mithra, interprète cette image à la lumière de la mythologie iranienne. Il relie l'image avec des textes qui se réfèrent au sacrifice (tauroctonie) d'un taureau par Ahriman, le dieu du mal ; des restes sanglants du taureau vont naître plus tard tous les êtres. Selon l'hypothèse de Cumont, Mithra aurait été ensuite substitué à Ahriman dans le rapport mythique, et c'est sous cette forme qu'il serait arrivé en Méditerranée orientale.

    David Ulansey propose une explication radicalement différente de l'image de la tauroctonie, basée sur le symbolisme astrologique. Selon sa théorie, Mithra est un dieu si puissant qu'il est capable de transformer l'ordre même de l'Univers. Le taureau serait le symbole de la constellation du taureau. Au début de l'astrologie, en Mésopotamie, entre 4000 et 2000 avant Jésus-Christ, le Soleil était au niveau du Taureau pendant l’équinoxe de printemps. À cause de la précession des équinoxes, le Soleil se place durant l'équinoxe de printemps dans une constellation différente tous les 2160 ans à peu près. Ainsi il passa dans le Bélier vers l'an 2000 avant Jésus-Christ, marquant la fin de l’ère astrologique du Taureau.

    Le sacrifice du taureau par Mithra symboliserait ce changement, causé, selon les croyants, par l'omniprésence de leur dieu.

    Cela expliquerait aussi les animaux qui figurent sur les images de la tauroctonie : le chien, le serpent, le corbeau, le scorpion, le lion, la coupe et le taureau qui s'interprètent en tant que constellations du Petit Chien, de l'Hydre, du Corbeau, du Scorpion, du Lion, Verseau et Taureau, toutes placées dans l'équateur céleste pendant l'ère du Taureau. L'hypothèse expliquerait aussi la profusion d'images zodiacales dans l'iconographie mithraïque. La précession des équinoxes fut découverte et étudiée par l'astronome Hipparque au 2ème siècle avant Jésus-Christ.

    Une autre interprétation considère que le sacrifice du taureau représente la libération de l'énergie de la Nature. Le serpent, comme dans le symbole de l'Ouroboros, serait une allusion au cycle de la vie ; le chien représenterait l'Humanité, alimentant symboliquement le sacrifice, et le scorpion pourrait être le symbole de la victoire de la mort. Les deux compagnons de Mithra, qui portent les torches et qui s'appellent Cautès et Cautopatès représenteraient respectivement le lever et le coucher du soleil.

    Pour les fidèles, le sacrifice du taureau avait sans doute un caractère salutaire, et la participation aux mystères garantissait l'immortalité.

    La fin symbolique de Mithra se termine par un grand banquet où Apollon sur son char va emmener Mithra. Il apporte aux hommes l'espoir d'une vie au-delà de la mort, puisqu'il est accueilli au ciel par Apollon.

    Niveaux d'initiation

    Dans le culte de Mithra l’initiation comportait sept grades ou sept niveaux correspondant à une fonction rituelle et qui étaient mis en relation avec les sept planètes de l'astronomie de l'époque (la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne), selon cet ordre, d'après l'interprétation de Joseph Campbell. La majorité des membres arrivaient seulement au quatrième rang (Lion), et seulement quelques élus accédaient aux rangs supérieurs.

     Les niveaux, connus grâce aux textes de saint Jérôme qui confirment certains écrits, étaient les suivants :

    • Corax (« corbeau ») ;
    • Cryphius (κρύφιος / Krýphios, « occulte ») : d'autres auteurs interprètent ce rang comme Nymphus (« époux ») ;
    • Miles (« soldat ») : ses attributs étaient la couronne et l'épée ;
    • Leo (« lion ») : dans les rituels on présentait à Mithra les offrandes des sacrifices ;
    • Perses (« Persan ») ;
    • Heliodromus (« émissaire du soleil ») : ses attributs étaient la torche, le fouet et la couronne ;
    • Pater (« père ») : ses attributs (le bonnet phrygien, le bâton et l'anneau) rappellent ceux de l'évêque chrétien.

    Pendant les rites, les initiés portaient des masques d'animaux relatifs à leur niveau d'initiation. Le sacrifice d'un taureau peut participer à la célébration d'un nouveau niveau d'initiation d'un adepte.

    Les rites

    Pour la reconstitution des rituels mithraïques, on ne peut compter que sur les textes des Pères de l’Eglise qui ont critiqué le culte de Mithra, et sur l'iconographie retrouvée dans les mithraea.

    Les femmes étaient exclues des mystères de Mithra. Quant aux hommes, il semble qu'il n'y avait pas d'âge minimum requis, et que des enfants y furent admis. La langue utilisée dans les rituels était le grec, mélangé de quelques formules en persan (certainement incompréhensibles pour la majorité des fidèles) ; cependant le latin s'est introduit progressivement.

    Il semble que le rite principal de la religion mithraïque ait été un banquet rituel que l'on peut rapprocher d'une certaine manière de l'eucharistie du christianisme. Selon le témoignage du chrétien Justin, les aliments offerts durant le banquet étaient du pain et de l'eau. Cependant les découvertes archéologiques montrent que c'était du pain et du vin, comme dans le rite chrétien. Cette cérémonie se célébrait dans la partie centrale du mithraeum, dans laquelle deux banquets en parallèle offraient un espace suffisant pour que les fidèles pussent s'étendre, selon la coutume romaine. Les « Corbeaux » (Corax) remplissaient la fonction de serveurs des nourritures sacrées. Le rituel incluait aussi le sacrifice d'un taureau, bien qu'on sacrifiât également d'autres animaux.

    * Le culte de Mithra

    La statue de tauroctonie remplissait sans doute un rôle dans ses rites, bien que ce ne soit pas très clair. Dans certains mithraeae, on a découvert des piédestals tournants, qui peuvent montrer et cacher alternativement l'image divine aux fidèles.

    À un certain moment de l'évolution du mithraïsme, on utilisait aussi le rite du « taurobole », ou le baptême des fidèles avec le sang d'un taureau, qui se pratique également dans d'autres religions orientales.

    D'autres rites devaient être en relation avec la cérémonie d'initiation. Grâce à Tertulien, on connaît le rite de l'initiation du « Soldat » : le candidat était « baptisé », probablement par immersion. Il était marqué au fer chaud et enfin on le mettait à l'essai avec le « rite de la couronne » (le néophyte devait laisser tomber la couronne dont on l'avait coiffé, en proclamant que c'était la couronne de Mithra). A chaque niveau d'initiation correspondait un rituel.

    Une synthèse en guise de conclusion provisoire

    Mithra, le dieu solaire, trouve son origine en Inde. Mais c'est probablement en Arménie que les Romains ont récupéré son mythe et l'ont diffusé à travers tout le Vieux Continent.

    Comme le Christianisme, avec lequel il rivalisa entre le 1er siècle et le début du 4ème siècle dans l'Empire romain, le culte de Mithra est une religion du salut ; c'est aussi une religion à mystères, d'origine indo-persane, que les pirates et les mercenaires étrangers introduisirent à Rome où elle gagna rapidement la faveur des empereurs.

    Parti de la plaine de l'Indus, le culte de Mithra s'est propagé en Europe dès la fin du 1er siècle après Jésus-Christ par l'intermédiaire des Romains. Le mythe de ce dieu solaire raconte sa victoire sur le mal lors de la mise à mort d'un taureau.

    Religion de soldats et non de prêtres, le culte de Mithra avait tout pour séduire les légionnaires romains qui répandirent le culte du dieu dans l'Empire. Durant le 2ème siècle après Jésus-Christ, le culte de Mithra s'implanta dans toutes les villes de garnison, en Italie, en Gaule, en Bretagne, en Afrique et jusqu'au Danube. A Rome, l'empereur Commode et ses successeurs adoptèrent le culte de Mithra pour se concilier l'armée. Mais le culte de Mithra, si répandu dans l'armée, n'avait pas pénétré en profondeur les couches populaires.

    Aux 2ème et 3ème siècles avant Jésus-Christ, ce culte fut répandu dans tout l'Empire romain et l'empereur Aurélien en fit même la religion d'Etat. Les soldats romains, dont bon nombre vénéraient Mithra, furent les ambassadeurs de cette religion qu'ils répandirent jusque dans les provinces les plus éloignées de l'Empire.

    Au 4ème siècle, pour enrayer ce culte païen, l'Eglise chrétienne prit une mesure très astucieuse. La fête de la naissance du Christ fut avancée du 6 janvier au 25 décembre. En effet le solstice d'hiver du 25 décembre était la fête la plus importante de l'an mithraïen : on fêtait la renaissance du « sol invinctus » (dieu invaincu). L'Eglise n'hésita pas à déclarer le Christ « sol invinctus ». Au cours du même siècle, le culte de Mithra s'éteignit, laissant la place au christianisme avec lequel il présentait beaucoup de similitudes. Lorsque le christianisme s'imposa en Italie, de nombreuses églises prirent la place du mithraeum, le lieu de culte des adeptes de Mithra. Ceux-ci croyaient à la montée des âmes au ciel, à la fin des temps, avec le retour de Mithra sur le char du soleil qui devait purifier le monde par le feu.

    Les mystères de Mithra n'ont pas grand chose à voir avec le christianisme au point de vue spirituel et mystique. Le mithraïsme se base essentiellement sur des symboles et interprétations du combat de Mithra contre le taureau primordial. Par celui-ci, il libéra les âmes dans le monde et engendra les cycles de la vie. Le symbole du corbeau, messager du dieu soleil qui demande à Mithra de sacrifier le taureau, nous démontre que le mithraïsme est une forme hénothéisme oriental. Il s'appuie sur la conscience et la révélation des mystères de la vie qui font de Mithra un dieu de « lumière ».

    Plutôt que comparer le christianisme et le mithraïsme dans leurs spiritualités, il existe des similarités qui sont, elles, cultuelles. En effet, Mithra naît un 25 décembre (date du solstice), les cultes ont lieu le dimanche (jour du soleil), la représentation iconographie du « bon pasteur » est partagée par le christianisme et le mithraïsme. Plus inquiétant encore, l'eucharistie chrétienne avec le vin et le pain est pratiquée par les adeptes de Mithra. Tout indique, historiquement, que le mithraïsme influença le christianisme sur ces points.

    L'aspect le plus intéressant du mithraïsme est certainement le caractère initiatique sur lequel le culte s'appuie. Les disciples se réunissaient dans des mithraea (cavités naturelles aménagées) où la pratique rituelle s'amorçait sur une initiation graduelle.

    Ainsi le nouvel initié se voyait octroyé le grade de corax et suivaient : le nymphus, le miles, le leo, le perses, l'heliodromus et enfin le pater représentés par des masques distinctifs et symboles de leurs degrés respectifs.

    A chaque passage d'un degré à un autre, une part des « secrets » était révélée à l'initié qui subissait épreuves et voyages. Au premier degré, l'initié était baptisé par le sang d'un taureau, puis par l'eau pure et, enfin, enduit de miel. On pratiquait à des degrés divers les voyages du « chaud », du « froid », des jeûnes, etc. La liturgie était basée sur un rituel de forme et en langue grecque (déjà en usage dans la religion romaine) et empruntait autant des formules persanes qu'une vocalisation latine. On concluait évidemment le culte par des agapes frugales et fraternelles selon le terme même des initiés.

    Il est probable que le mithraïsme aurait pu s'imposer comme la religion de l'antiquité et survivre à sa rivalité avec le christianisme. Pourtant, son tort fut l'association croissante de Mithra avec la quasi-totalité des panthéons nationaux. Egalement, son exclusivité masculine à l'initiation le desservit auprès des femmes et - plus encore - chez les épouses que le christianisme ne repoussaient pas.

    Quoi qu'il en soit, le culte des mystères de Mithra pose à la société occidentale de nombreuses questions. Sur le christianisme d'abord, sur la spiritualité des sociétés païennes ensuite, sur une « mondialisation des religions » qui paraît véritable dès cette époque et, ensuite, sur ces écoles de mystères qui firent couler quantité d'encre dans les siècles qui nous précèdent.

    Trop longtemps dans l'histoire, on a minimisé l'importance du culte de Mithra et son apport dans la société occidentale. Certaines thèses avanceraient même qu'il inspira bien plus la Franc-maçonnerie que le christianisme. Les mythes fondateurs sont ce qu'ils sont, ce culte reste néanmoins intéressant tant dans sa spiritualité que par sa concurrence historique avec le christianisme.

     

    R:. F:. A. B.

     

    Bibliographie

    Burkert Walter - Les Cultes à mystères dans l'Antiquité

    Editions BELLES LETTRES - Collection « Vérité des mythes », 2003

     

    Campbell Joseph - Les masques de Dieu – Mythologie créatrice

    Livres De Pingouin, Édition de réédition, 1995

     

    Cumont Franz - Les Mystères de Mithra

    Bruxelles, 1913 (3ème édition) - Les Introuvables, 1991

     

    Cumont Franz - Les Religions orientales dans le paganisme romain

    4ème édition - Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1929

     

    Turcan Robert - Mithra et le Mithriacisme

    Les Belles Lettres, Collection Histoire, Paris, 1993

      


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  •  Les Mystères d'Eleusis 

    « Heureux qui possède, parmi les hommes de la terre,

    la vision de ces mystères. » (Perséphone et Hadès)

    * Les Mystères d'Eleusis

    Introduction

    Les mystères les plus célèbres sont sans conteste ceux de Déméter à Éleusis, bourgade attique annexée par Athènes au VIIème siècle avant notre ère. Déjà centre d’un culte dédié à la déesse de l’agriculture dès la plus haute Antiquité, Éleusis a acquis un rayonnement exceptionnel grâce aux cérémonies d’initiation qui s’y déroulaient chaque année et dont la finalité était d’assurer aux initiés le bonheur dans l’au-delà. Si les Mystères d’Éleusis étaient frappés du sceau du secret, on peut toutefois lever, au moins un peu, le voile sur les rites qui s’y déroulaient.

    La Grande Déesse Maternelle de la Terre, divinité de la fertilité et déesse des « Mystères d'Éleusis », comptait parmi les douze grands dieux olympiens.

    Dans la religion grecque antique, les mystères d’Éleusis faisaient partie d'un culte à mystères, de nature ésotérique, effectué dans le temple de Déméter à Éleusis, à 20 km au sud-ouest d'Athènes.

    Consacrés à Déméter et sa fille Perséphone, ils figurent parmi les plus célèbres et sur lesquels nous avons plus d'informations que tout autre culte grec, depuis le témoignage le plus ancien (dans l'Hymne homérique à Déméter), jusqu'à la suppression de ce culte par l'empereur romain Théodose en 393.

    Située en bordure de la mer dans la fertile plaine de Thria, Éleusis est l'un des lieux sacrés de la Grèce antique.

    La cité fut un état indépendant sous la conduite des Eumolpides, avant d'être annexé par les Athéniens au VIIème siècle avant Jésus-Christ. Les Grecs y construisirent le sanctuaire des « Grandes Déesses » dédié à Déméter, la déesse du blé, et à sa fille Korê, assimilée à Perséphone qui symbolisait la réapparition de la vie à chaque printemps.

    Les mystères, d'origine préhellénique, plongeaient leurs racines dans de vieux rites chtoniens [1] liés à la fertilité et à la fécondation de la terre. La déesse associée à la semence était Perséphone, enlevée par Hadès (Pluton). Sa mère, Déméter s'en plaignit à Zeus et menacera de détruire les récoltes s'il n'intervenait pas.

    Les Mystères d'Éleusis, peut-être sous l'influence de l'orphisme [2], deviendront une religion de salut. Le mystère central, dans chacune de ces deux sectes, était celui de la mort et de la résurrection, symbolisé par la décomposition de la graine dans la terre et sa réapparition sous la forme d'un être vivant qui s'élève vers la lumière.


    Les Mystères d'Éleusis comportaient des cérémonies d'initiation complexes qui se déroulaient en deux temps :

    1. Les candidats étaient d'abord initiés aux Petits Mystères qui étaient célébrés au printemps dans le faubourg athénien d'Agra.
    2. Ils participaient, six mois plus tard, aux Grands Mystères durant une dizaine de jours. Ils devenaient mystes après avoir été purifiés puis se rendaient en procession solennelle jusqu'au sanctuaire, en empruntant la Voie sacrée qui reliait Athènes à Éleusis. L'initiation secrète avait lieu à l'intérieur du sanctuaire, dans le Télestérion.

    Origine mythologique du culte

    Selon la mythologie grecque, Perséphone, fille de Zeus et de Déméter, fut enlevée par Hadès pour être son épouse et la reine des Enfers, alors qu'elle cueillait des fleurs dans les prairies d'Enna en Sicile. Les cultures cessèrent de croître dans les champs alors que Déméter parcourait le monde à la recherche de sa fille. Un jour, alors qu'elle errait sur les terres de Grèce sous les traits d'une vieille mendiante, elle entra dans la cité d'Éleusis et demanda l'hospitalité. Les citoyens l'accueillirent avec une grande générosité et, en reconnaissance, la déesse dévoila sa véritable identité et récompensa ses bienfaiteurs : elle leur dévoila ses mystères et la maîtrise de l'agriculture.

    Par la suite, Déméter retrouva sa fille mais elle ne put être entièrement libérée des Enfers, puisque ceux qui mangent la nourriture des morts ne peuvent retourner chez les vivants et que Perséphone avait mangé sept pépins d’une grenade (fruit associé au mariage) offerte par Hadès. Zeus décréta toutefois que Perséphone passerait huit mois de l'année sur terre durant la saison des cultures avec sa mère et le reste de l'année, pendant l'hiver, en compagnie d'Hadès.

    Le culte des Mystères

    Les rituels des Mystères étaient toujours accomplis par les prêtres de Déméter. Parmi les plus connus d'entre eux, on retrouve Céléos et son fils Triptolème, à qui Déméter avait donné la tâche d'enseigner l'agriculture et de semer le blé sur Terre.

    Ce prêtre avait aussi institué les Éleusinies, fêtes associées au culte. Parmi les autres premiers prêtres se trouvaient Dioclès, Eumolpos et Polyxène. On célébrait le culte dans le télestérion d'Éleusis.

    L'aspect principal de ce culte se construisait autour de la culture du blé et le cycle des cultures.

    Tous les initiés préservaient les secrets de la religion et croyaient fermement qu'ils connaîtraient eux aussi une vie après la mort à cause de leur initiation à ces mystères. Comme la divulgation des rites était strictement défendue et qu’aucun auteur n’a trahi ce secret, aucun écrit ne documente avec précision les cérémonies.

    L'Hymne homérique à Déméter est la principale source de données sur les rituels. Très respectés, ces mystères attiraient des visiteurs de toute la Grèce. Il existe des preuves de la pratique d'un culte sur ce site dès l'époque mycénienne : le magnifique télestérion, « salle d'initiation » qui date de l'époque de Pisistrate au 6ème siècle av. J.-C. et de nombreux bas-reliefs et sculptures qui en témoignaient.

    Annuellement, il existait deux célébrations des mystères d’Éleusis : les Grands mystères et les Petits mystères. Ces derniers avaient généralement lieu au printemps. C’était alors que les prêtres purifiaient les mystes et que l’on sacrifiait un cochon à Déméter.

    L'initiation aux Mystères

    Les Petits Mystères, ouverts à tous, avaient lieu à Agraï, à l’est d’Athènes, sur les rives du fleuve Ilissos. Ils se déroulent principalement sous la forme de rites de purification dans les eaux du fleuve. C’est au cours des Petits Mystères que débutait l’instruction des candidats à l’initiation. Ces derniers, à la fin des cérémonies, prenaient le nom de mystes, c’est-à-dire des « initiés ».

    Les Grands Mystères duraient une dizaine de jours, d’après la durée de l’errance de Déméter à la recherche de sa fille. En septembre, avant l’automne, on se préparait aux cérémonies préliminaires qui se déroulaient à l’extérieur. Ces rites n’étaient accessibles qu’aux seuls mystes.

    Ils débutaient par le départ d’une procession de jeunes hommes, les éphèbes, se rendant d’Athènes jusqu’à Éleusis pour y chercher les hiéras, des reliques sacrées. Celles-ci étaient ensuite rapportées voilées jusqu’à Athènes, où elles étaient déposées dans le sanctuaire de l’Éleusinion, un sanctuaire à la base de l’Acropole.

    Les cérémonies se poursuivaient pour les mystes – candidats dignes des mystères – par un bain purificateur dans la mer, où était également plongé un porcelet qui était ensuite sacrifié. Une période de jeûne s’écoulait avant que la procession des mystes suive la statue d'Iacchos, les hiéras et les prêtres en direction d’Éleusis le long de la route sacrée. Une nouvelle procession partait alors d’Athènes pour retourner à Éleusis et y rapporter les hiéras. À Éleusis se déroulaient des célébrations de Déméter et Perséphone et des sacrifices en leur honneur.

    Après avoir rompu le jeûne en consommant le kykéôn (nourriture à base de blé), le rite secret d’initiation avait lieu dans le télestérion, où les mystes recevaient des révélations des initiés et accédaient au salut et à la vie après la mort. C’est très probablement ainsi que se passait l'initiation aux Grands Mystères.

    Sous le sceau du secret

    Seuls les initiés avaient le droit de pénétrer dans le Télestérion et d'assister aux mystères. Nul n'avait le droit d'en révéler le secret sous peine de mort. Il est donc difficile de savoir précisément ce qui se passait lors de ces cérémonies. Celles-ci comprenaient probablement des représentations sacrées de la quête terrestre de Déméter à la recherche de sa fille Perséphone. Les initiés eux-mêmes entraient alors dans la peau de Déméter, errant dans le Télestérion plongé dans l’obscurité. La fin de la quête de la déesse et la réapparition à la surface de Perséphone était signifiée par le retour de la lumière dans le temple et la présentation aux initiés d’un épi de blé.

    Les Grands Mystères comprenaient une seconde étape, à laquelle ne pouvaient participer que ceux qui avaient été initiés depuis une année au moins. Il s’agissait certainement aussi d’une représentation sacrée, mais qui, évoquant l’union de Déméter et de Zeus, se rapprochait plus d’un culte de la fertilité. C’était à la fin de cette étape que les initiés prenaient le nom d’époptes – « ceux qui savent ».

    Quiconque parlait le grec et n’avait pas commis d’homicide était admissible à participer aux rituels. Les participants se constituaient : des mystes (nouveaux initiés) qui y participaient pour une première fois pour y être initiés, des mystes initiés y retournant une seconde fois pour passer à un niveau supérieur, des époptes qui étaient passés à ce niveau et des prêtres qui présidaient aux rites.

    Parmi ceux qui dirigeaient la cérémonie, on trouvait quatre ministres : l’Hiérophante (celui qui révèle les choses sacrées), le Dodonque (chef des lampadophores), le Hierocéryce (chef des hérauts sacrés) et l'Assistant (dont le costume symbolisait la lune). L'archonte-roi d'Athènes était le surintendant de la cérémonie.

    La cérémonie était également dirigée par une multitude de « ministres » subalternes répartis en différentes classes. Les Mystères étaient ouverts à tous, riches comme pauvres, hommes libres comme esclaves, hommes comme femmes. La plupart des empereurs romains se sont d'ailleurs fait initier à ces Mystères.

    Le sanctuaire cessa toute activité après sa mise à sac par Alaric Ier et les Wisigoths en 395. Cependant, d'après Carl Gustav Jung dans son « Essai d'exploration de l'inconscient », les Mystères d'Éleusis « furent finalement supprimés au début du 7ème siècle de l'ère chrétienne ».

    Les Mystères d’Eleusis, d’un point de vue maçonnique

    De toute la hiérarchie d'initiations que l'on peut déceler, organisée en 7 étapes : Petits Mystères, Grands Mystères, Epoptie, et ensuite Holoclères, Sacerdoce, Initiation royale, Initiation suprême, on voit se dégager l'appétit de purification, l'ambition de se libérer des contraintes, des astreintes, de la matière, de la gangue de chair et de corps et l'aspiration, au-delà des passions, aux retrouvailles avec soi-même, libéré des chairs et des sangs, le goût d'appréhender le Monde et la Vie, la véritable Vie, qui serait celle de l'Esprit, curieusement tendu vers l'Un, l'Unité, par réunion de la Pensée et de l’Âme.

    Le chemin vers cette vérité apparaît long et difficile, impose des guides appelés « mystagogues », des recherches et des efforts … Il s'engouffre dans une descente sous terre, par l'Obscur, revient dans une ascension vers la Lumière, sur le chemin haut de la Vérité, avec l'espoir de parvenir dans la vie à la Connaissance.

    Au travers du Mythe et de ses Mystères, on perçoit l'angoisse de l'éphémère et du sens de la vie individuelle qui conduit à la mort, avec la question lancinante du Sens. Pourquoi cette descente ? Pourquoi cette incarnation de la Pensée et de l'Âme, dans la chair, la matière, la douleur, le quotidien ? Et quel destin après la mort ? Et déjà l'idée d'avoir à préparer le séjour dans l'Au-delà, en vivant la mort, avant de mourir, pour s'assurer du bonheur dans l'Autre monde.

    Et qui, mieux que des morts, qui connaissent déjà le royaume d'Hadès, peuvent enseigner, initier le Chemin et le Destin, la Vie après la mort ? Qui mieux que Coré, qui revient chaque printemps des mondes souterrains, pour dire aux hommes mortels ce qui s'y passe, ce qu'il faut faire, et comment ?

    Au moins, malgré le secret, sait-on que les mystères font mourir le myste, font parcourir le chemin du mort qui se dépouille de sa parole, de sa fortune, de ses vêtements même, en allant nu, dans le gouffre étroit, obscur, un bandeau sur les yeux, reconnaître le parcours pour ressusciter en remontant vers la Lumière, en Haut. Aspiration à la Vie, guidé par ceux qui connaissent. Initiés holoclères, mieux que quiconque.

    Au moins sait-on que le Mystère montre, révèle, annonce le Chemin et la Direction et rassérène, en ouvrant les voies du Bonheur, malgré la « faute folle » qui condamne les mortels à vieillir, à mourir, qui intègre la mort à la vie, faisant comprendre la mort comme la fin naturelle de !a vie, en laissant l'espérance de la Vie, au-delà de la Mort.

    Des indices, des signes, des symboles sont donnés, lisibles, perceptibles par le Franc-maçon, qui croit les reconnaître pour avancer en pays familier, au point de retrouver ses sources de Tradition et ses moyens de connaissance, trouvant à relier ses propres pratiques rituelles à un fond antique universel, donnant sens à ses propres mystères modernes qui s'en trouvent éclairés.

    Que la Vérité soit inséparable des moyens de sa recherche et qu'elle se tienne dans l'indicible, que son appréhension relève de l'Intuition et qu'elle passe par l’Émotion éclaire le processus des rites et la kyrielle des symboles !

    Que la Vérité soit accessible parce qu'il y a des Lois compréhensibles par l'esprit de l'homme, même si cette appréhension est difficile, peut rasséréner l’Âme angoissée, puisqu'il est possible d'y parvenir, même si on ne sait pas parcourir tout le chemin jusqu'à la plus haute lumière : « Car jamais l'œil ne verrait le soleil s'il n'était semblable au soleil et l’Âme ne verrait pas le beau si elle n'était devenue belle ». (Platon).

    Du peu que l'on connaisse de ces Mystères, si bien gardés, si peu transgressés, de ces Mystères « qu'il est impossible de pénétrer », on sait quand même que l'initiation au troisième grade fait à l'Epopte la Révélation ultime par le symbole de l’Épi de blé moissonné en silence appelé « l'illuminateur parfait » et du Phallus dressé pour la génération.

    Par ce chemin, l'Initié voyage de l'obscurité vers la Lumière sous le mystère du Sceau dépouillé de tout ce qui est corps et âme, réduit à la Monade qui n'a ni qualité physique, ni dimensions, ni liens dans l'espace « Unité parfaite, principe des choses matérielles choses matérielles et spirituelles ». Le voilà qui descend un long couloir obscur, en silence, les yeux bandés à la recherche de la Lumière et de la raison qui gouverne le monde (le Logos), symbolisées par l'Arbre de Vie où l'on cueille un fruit, sous le mystère du Sceau, qui le conduit dans le chemin. Aidé par un mystagogue, il progresse vers la Lumière lointaine, élevée.

    Par cette ascension hors de la caverne, il accède à la Vérité, Lumière éclatante, contemplation du dieu, révélation du « dieu unique », « identique par essence à tous les dieux ». C’est la révélation de l'Un, Unité dans la Lumière éclatante, au moment où l'on moissonne l'épi de blé, symbole du Phallos qui symbolise lui-même « autre chose » pour la Connaissance Intuitive ; l'épi gorgé des lumières du soleil, symbole de la vie semée dans l'homme à sa naissance.

    Le « phallos dressé pour la génération » gorgé de toutes les énergies de l'homme, rassemble la Lumière de vie pour générer, perpétuer, renaître et exprimer l'essentiel de la vie, la vie essentielle.

    Or, dans l'initiation, l’hiérophante qui s'unit à la prêtresse de Déméter pour célébrer l'Union, est rendu infécond par la ciguë et l'accouplement se précipite dans le spirituel. Le Phallos pour symbole de la Lumière semée dans l'homme qui naît, symbole de la raison humaine produit de l'union de la Pensée et de l'Âme.

    Les rites des Mystères d’Eleusis sont restés mystérieux

    La divulgation des rites secrets était rigoureusement interdite. Les Mystères d’Eleusis étaient extrêmement populaires au-delà même des limites de la Grèce, au point que la salle d’initiation, le Télestrérion, atteignit finalement une surface de deux mille six cents mètres carrés. Malgré le nombre immense des fidèles, aucun auteur ancien n’a jamais commis le sacrilège de rompre cet interdit. Nous savons seulement qu’ils étaient destinés à séparer les initiés, appelés à jouir éternellement de la vraie vie au-delà de la mort, des non-initiés destinés au bourbier infernal. Après avoir rompu le jeûne et absorbé le Kykéôn, simple bouillie de blé commémorant le premier repas de Déméter à Eleusis, les mystes recevaient des initiés une révélation bouleversante.

    Pour conclure, du moins provisoirement

    Les Mystères ont été célébrés à Eleusis pendant près de deux mille ans, même si certaines cérémonies ont pu être modifiées au fils des ans. On distingue les Petits Mystères, les rites des Grands Mystères et l'expérience finale, l'epopteia.

    Les Mystères d’Eleusis étaient consacrés au culte des deux déesses, Déméter, l’antique Terre Mère préhellénique, et Perséphone ou Coré, la fille qu’elle conçut de Zeus. Déméter est identifiée à Cérès par les Romains. Déesse agraire, elle est associée au blé et à l’abondance et occupe une place importante dans la religion grecque.

    Les Eleusinies sont les fêtes les plus connues du culte des deux déesses. Elles auraient été institués à l’initiative de Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu de Déméter la mission de répandre le blé partout dans le Monde. Elles semblent provenir de cultes agraires primitifs assez fortement modifiés en syncrétisme avec des cultes dionysiaques et l’Orphisme. Elles étaient annuellement célébrées dans le Télestrérion d’Eleusis et faisaient participer le fidèle à la résurrection de l’enfant divin revenu de l’empire de la mort. L’Orphisme, en raison de la concordance des mythes orphites et éleusiniens, réussit à s’infiltrer dans la religion athénienne, influençant les rites des Mystères.

    L’initiation éleusinienne assurait par elle-même le salut et la future survie personnelle du myste. Définitivement sauvé par les vertus magiques de cette entremise extérieure, il n’était tenu à aucun comportement éthique ou moral particulier. En cela, au moins autant que par les préoccupations relatives à la vie future et la tendance au monothéisme héritée de l’Orphisme, les Mystères Eleusiniens ont préparé le passage du paganisme aux cultes modernes, et tout particulièrement au Christianisme.

    R:. F:. A. B.

     

    [1] Se dit des divinités qui vivent sous la terre, des divinités infernales.

    [2] Dans l'Antiquité grecque, doctrine philosophique et religieuse fondée sur la pensée attribuée à Orphée.

    Bibliographie

    Foucart Paul - Les Mystères d'Éleusis

    Editions Pardès, 1992

     

    Meautis Georges - Les dieux de la Grèce et les mystères d'Éleusis

    Editions PUF, 1959

     

    Turcan Robert - « Les Mystères d'Éleusis, la quête du bonheur suprême »

    in Religions & Histoire n° 24,

    Editions Faton, jan. – fév. 2009, p. 26 - 35

     

    Dictionnaire critique de l'ésotérisme

    Editions PUF

     

    Homère, Hymnes à Déméter

    Les belles Lettres, Paris, 1997

     


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  •  Les Esséniens 

    Introduction

    Depuis quelques années, des journalistes et des écrivains osent effectuer des rapprochements entre Jésus et les Esséniens. Pourtant, il semble que la Bible ne mentionne jamais ces derniers.  Je me suis donc posé quelques questions à leur sujet : qui étaient-ils ? Où et quand ont-ils vécu ? Qu’ont-ils proposé et que nous ont-ils laissé sur le plan philosophique ?

    Selon Daniel Montpetit, l'origine de ce groupement religieux juif appelé les Esséniens remonte approximativement aux années 130 avant Jésus-Christ. À cette époque, lors du règne de Jean Hyrcan, dit Hyrcanus, deuxième fils de Simon Macchabée et grand-prêtre de Jérusalem, des politiques « modernisantes » ont été adoptées. Dans le but de contrer l'effet de telles orientations, plusieurs Juifs se sont regroupés pour manifester leur opposition. Parmi eux, certains se sont lancés dans le conservatisme de la stricte observance de la Loi : c’étaient les Pharisiens. D'autres, les Esséniens, ont opté pour une stratégie bien différente. Ils ont décidé de se retirer dans le désert. Voilà leur façon de montrer qu'ils n'acceptaient aucun compromis au niveau de leur relation avec Dieu. Les Esséniens ne constituaient donc pas un parti au même titre que les Pharisiens, les Sadducéens ou les Zélotes. Au contraire, leur regroupement en des lieux désertiques prit la forme d'une communauté monastique.

    Actuellement, les historiens ne détiennent qu’assez peu de renseignements sur les Esséniens et sur leur façon de vivre. D'ailleurs, la Bible ne fait aucune mention explicite de ce groupe de personnes. Il est même surprenant que le terme « Essénien » n'apparaisse ni dans l'Ancien ni dans le Nouveau Testament. La surprise est d'autant plus grande qu'au temps de Jésus les Esséniens formaient l'un des trois éléments principaux du judaïsme avec les Pharisiens et les Sadducéens !

    Cependant, depuis 1947, les fouilles archéologiques effectuées à Qumrân, petite localité située au nord-ouest de la mer Morte, constituent une source privilégiée d'informations à leur sujet.

    En effet, les Esséniens s'étaient installés à cet endroit dans le désert de Juda. La communauté des Esséniens se servait de grottes pour entreposer leurs écrits. C'est d'ailleurs dans ces bibliothèques primitives que les archéologues trouvèrent des textes manuscrits de presque tous les livres de la Bible. Grâce à ces découvertes, nous savons aujourd'hui que la communauté des Esséniens vivait aux alentours de Qumrân. De plus, le travail, la prière, l'étude (spécialement de la Bible) et l'ascèse constituaient les principaux axes de leur vie.

    Quelques caractéristiques de Jean le Baptiste suggèrent qu'il appartenait à la communauté des Esséniens. En effet, la Bible présente Jean le Baptiste comme un ascète qui habitait le désert : « Jean grandit dans les lieux déserts jusqu'au jour où il se manifesta à Israël. » (Luc 1,80). De plus, comme certains Esséniens fervents en avaient l'habitude, Jean baptisa dans l'eau pour le pardon des péchés. Toutefois, Jean innove par rapport aux pratiques antérieures en n'accordant le baptême qu'une seule fois.

    Les Esséniens, communauté monastique

    Les Esséniens étaient donc les membres d'une communauté juive, fondée vers le 2ème siècle avant Jésus-Christ. Les principaux groupements s'établirent, semble-t-il, sur les rives de la mer Morte. Flavius Josèphe, Philon d’Alexandrie et Pline l’Ancien sont des auteurs anciens qui ont décrit les Esséniens.

    Les archéologues pensent que le site de Qumrân était un établissement essénien et que ses occupants sont probablement les auteurs des fameux manuscrits de la mer Morte. Le mouvement semble avoir disparu vers 70 après Jésus-Christ.

    Leurs pratiques communautaires

    Le plus marquant dans cette communauté était la mise en commun et la répartition des biens de la collectivité selon les besoins de chaque membre. Le shabbat était observé strictement, comme la pureté rituelle (bains à l'eau froide et port de vêtements blancs). Il était interdit de jurer, de prêter serment, de procéder à des sacrifices d'animaux, de fabriquer des armes, de faire des affaires ou de tenir un commerce. Les membres, après un noviciat de trois ans, renonçaient aux plaisirs terrestres pour entrer dans une sorte de vie monacale. Leur alimentation était particulière en ce qu'elle ne devait pas subir de transformation, notamment par la cuisson. Leur nourriture se composait essentiellement de pain, de racines sauvages, et de fruits. La consommation de viande était interdite. Ils vivaient selon des règles strictes et des sanctions étaient prévues en cas de manquements ou de fautes :

    • fausse déclaration de biens : un an d'exclusion
    • mensonge ou scène de colère contre un autre membre de la communauté : 6 mois d’exclusion
    • crachat ou rire pendant une réunion ou une séance de prière : 1 mois d’exclusion
    • gesticulation pendant une réunion : 10 jours d’exclusion
    • le port de lainages était prohibé.

    Le Maître de justice

    On sait d'après les textes trouvés à Qumrân que les Esséniens vénéraient un Maître de Justice, probablement leur fondateur, qui aurait été la victime d'un prêtre impie. Il paraît fort probable que ce Maître de Justice ne fut autre que le grand prêtre Onias III, déposé en 175 avant l'ère chrétienne par Antiochus IV Epiphane, puis assassiné en 170 dans son exil de Syrie à l'instigation de son successeur Ménélas, auquel il ne ménageait pas ses reproches. Onias III serait donc le Maître de Justice et Ménélas le prêtre impie. On sait qu’Onias III fut le dernier grand prêtre légitime de la descendance de Sadoq, grand prêtre de Salomon, le fondateur du Temple de Jérusalem.

    Les Esséniens, qui se déclaraient « fils de Sadoq », seraient donc les partisans légitimistes d’Onias III, avant tout des gens de race sacerdotale, ou les alliés de ces derniers. Cela expliquerait leur fidélité fondamentale à la religion de leurs ancêtres juifs, et leur vénération extrême à l'égard du Temple de Jérusalem, dans lequel pourtant ils ne célébraient pas, parce qu'ils l'estimaient occupé par des usurpateurs.

    Destinée de l'essénisme

    Les relations des Esséniens avec la monarchie hasmonéenne furent ambiguës : à la fois ils rejetaient ces monarques comme grands prêtres illégitimes, mais ils appuyaient hautement leur résistance à l'influence grecque et païenne, incarnée par les Séleucides. C'est la raison pour laquelle les Esséniens furent probablement tolérés, et non pas persécutés, par les Hasmonéens, puis ensuite par les Hérodiens, leurs héritiers.

    Lors de la destruction du Temple et lors du chaos qui sévit dans la Judée à la fin du premier siècle, les Esséniens ne réussirent pas à conserver leur identité, tandis que la communauté juive de la Diaspora s'organisait autour des Pharisiens survivants, ce qui donna naissance à la tradition du judaïsme rabbinique. Il est probable que l'établissement de Qumrân représentait une survivance précaire du mouvement essénien. En 70, après la destruction de leur établissement par les légions romaines, puis la ruine de Jérusalem, les Esséniens disparurent complètement. Il demeure fort peu vraisemblable qu'ils se soient mêlés ou fondus dans la secte des Pharisiens, fidèles du Temple, qui représentaient plutôt pour eux leurs ennemis.

    Essénisme et christianisme

    Les origines du mouvement essénien furent bien antérieures à l'ère chrétienne, et dans les écrits de Qumrân on ne trouve aucune allusion au christianisme.

    Il existe certaines analogies entre les deux mouvements (messianisme, pratiques baptismales, renoncement aux biens matériels), ce qui a fait dire à Ernest Renan que le christianisme est « un essénisme qui a réussi », mais les Esséniens, qui nous sont maintenant mieux connus depuis la découverte des manuscrits de la mer Morte, se distinguaient de Jésus de Nazareth par leur rigorisme ritualiste, leur souci de pureté extérieure, leur manière de vivre dans des communautés retirées, leur pensée (espérance eschatologique cataclysmique, et non pas avènement messianique dans la douceur). Ni les textes néotestamentaires ni les autres (Flavius Josèphe, les Pères de l’Eglise, les apocryphes) ne font mention des Esséniens à propos de Jésus ou des Chrétiens. Des rapprochements peuvent cependant être faits entre le Nouveau Testament et les textes Esséniens concernant certains thèmes (lignée davidique du Messie, résurrection des morts) ou expressions, comme par exemple celle de « pauvres en esprit », présente à la fois dans les Béatitudes et dans certains fragments retrouvés à Qumrân où elle désigne les fidèles observateurs de la loi.

    Un courant complexe

    Pour Marcel Simon, « le courant des Esséniens, sur lesquels les manuscrits de la mer Morte ont jeté une lumière toute nouvelle, apparaît comme le plus complexe et, à bien des égards, le plus intéressant. Communauté fermée, d’organisation monastique, retirée dans le désert, sur les rivages inhospitaliers de la mer Morte, les Esséniens communiquent à leurs seuls initiés un enseignement ésotérique. Purs entre les purs, on les a parfois définis comme des Pharisiens au superlatif. Leur mouvement est né sans doute, au lendemain de l’insurrection maccabéenne, d’une protestation contre l’attitude, jugée trop mondaine et laxiste, des souverains hasmonéens et contre un sacerdoce considéré par eux comme illégitime.

    En conséquence, ils se détournent des liturgies officielles du Temple et pratiquent dans leur solitude des rites qui leur sont propres. Ils englobent dans une même condamnation les païens, ceux des Juifs qui fréquentent les occupants idolâtres et la masse du peuple qui accepte l’autorité d’un clergé indigne. Ils vivent dans une atmosphère eschatologique et se considèrent comme le petit troupeau des élus qui constitueront le noyau du Royaume imminent ».

    Les origines du christianisme, l'hypothèse des Esséniens

    Les Esséniens étaient des Juifs vivant en communauté installés dans le désert de Judée, à Qumrân, et dont on a retrouvé les manuscrits dits « de la mer Morte » en 1947. Ces manuscrits avaient traversé deux mille ans dans des jarres, elles-mêmes dissimulées dans des grottes. Malgré le temps qui avait dévoré les contours des rouleaux, on a réussi à reconstituer des textes et des fragments de texte.

    Beaucoup d'incertain demeure à ce propos. Arrivés aux alentours du troisième siècle avant Jésus-Christ, on sait que les Esséniens s'établirent dans le désert de Judée pendant deux à trois siècles et qu’ils en furent délogés par les Romains entre 66 et 70, lors de la révolte des Juifs.

    La plus grande partie de la littérature que l'on peut lire à leur sujet est orientée :

    1°) certains veulent y voir les premiers Chrétiens, et donc l'inexistence de Jésus, celui-ci étant le « Maître de Justice » de cette secte, légèrement différent de celui qui, selon eux, est imaginé dans les Évangiles ;

    2°) d'autres, au contraire, nient les ressemblances et les coïncidences et veulent y voir des Juifs très orthodoxes qui n'ont aucun rapport avec les premiers Chrétiens.

    Jusqu'à présent, l'essénisme est l’origine considérée comme la plus plausible du christianisme. Grâce à elle, il y aurait un fort trait d'union entre le judaïsme et le christianisme. Les Chrétiens ne seraient autres que des Juifs libéraux et réformateurs, dans la prolongation d'Isaïe, de Jérémie, des Proverbes et de la Sagesse – et, bien sûr, de Jésus. D'ailleurs, certains aspects de l'essénisme frappent particulièrement par leur ressemblance avec le christianisme, et l'on ne peut décemment pas prétendre que cela soit dû au simple hasard.

    De l'époque de Jésus-Christ, les Esséniens nous ont laissé pratiquement les seuls textes qui constituent toutefois une grande bibliothèque. On a pu retrouver presque tous les livres de l'Ancien Testament avec cependant quelques nuances dans l'écriture, des commentaires, et des œuvres personnelles. Ces dernières sont de deux sortes en particulier : les unes véhiculent une pensée très orthodoxe, exigeant le respect des règles allant jusqu'aux moindres détails. Le rouleau du temple énonce les sacrifices (13.9), les exigences, et réclame de la part des moines un respect de la loi très rigoureux. Cette même règle entraîne en cas de non-respect des punitions très strictes allant de la défense de parler pendant un laps de temps, jusqu'au bannissement pendant plusieurs années.

    D'autres manuscrits sont en revanche les supports d'une pensée plus étonnante, voulant mettre l'accent sur les points essentiels de la religion. Ce sont des compositions originales.

    Les principales idées fondatrices du christianisme y sont récurrentes : la circoncision prônée est celle du cœur (Règle de la Communauté 5.5, Commentaire d'Habacuc 11.13) à défaut d'une circoncision charnelle, ce qui est prépondérant dans la pensée de saint Paul.

    Ces manuscrits recèlent également d'autres sentences typiques du christianisme, et on peut croire que ces textes aient servi de brouillon aux Épîtres et aux Évangiles.

    Les points communs ne s'arrêtent pas à de simples affinités philosophiques. Les Esséniens avaient un mode de vie en communauté, ils observaient la chasteté : ils n'avaient aucune femme. Ils pratiquaient la bénédiction du pain et du vin (Règle de la communauté, 6.5) ; ils se baptisaient ; ils s'interdisaient toute nourriture animale sauf le poisson. Tout cela était identique aux pratiques chrétiennes de l'antiquité.

    De plus, entre la fin de l'essénisme et le début du christianisme, il y a une cohésion évidente. Elle pousserait à prétendre que les Esséniens, dès lors qu'ils cessèrent d'être « Esséniens », furent « Chrétiens ». En effet, c'est seulement après 66 – 70 que le christianisme devint apostolique. Comme par hasard, il se développa immédiatement après, de la même façon que le bouddhisme s'étend aujourd'hui en Occident à cause de l'occupation du Tibet par les Chinois. À ceci s'ajoute l'incertitude quant à la datation exacte de Jésus-Christ : il ne serait pas impossible que celui-ci soit plus ancien qu'on ne le croit, raison pour laquelle le christianisme fut missionnaire bien après que le Christ fut mort.

    Les Esséniens considéraient leur « Maître de justice » comme leur élu, lequel doit annoncer la bonne parole, mais non pas le dernier élu, venu pour l'appliquer. Voilà peut-être pourquoi les Chrétiens pensèrent que Jésus devait revenir lors de l'Apocalypse et que, dans l'Évangile selon saint Jean, l'intervention du Christ est annoncée à nouveau : il sera le dernier pasteur de l'humanité. C'est ce personnage qui est mentionné par les Esséniens dans le manuscrit 4Q534-536.

    La doctrine des Esséniens présente les aspects d'un dualisme mitigé, que l'on respire dans les Évangiles et les Épîtres de Jacques et Jean. A posteriori, cette doctrine a dévié dans deux directions opposées : le dualisme absolu du manichéisme, et l'abandon du dualisme d'un autre côté, chez les catholiques en particulier. Il faudrait peut-être se référer à l'essénisme pour retrouver l'essence du message chrétien d'origine.

    Les Esséniens se représentent Dieu comme un principe de totalité. L'homme, en tant que chair, est le néant. Ils attachent à Dieu le caractère d'unité, avec les mêmes caractéristiques que le Verbe dans l'Évangile de Saint Jean. Le Verbe – si on ne précise pas quelle personne, quel temps, quel verbe – serait l'essence de l'action, le « chaos », le « tout », le « tohu-bohu » que les Cathares considéraient comme le principe du monde. Les hommes sont entre l'esprit mauvais et l'esprit bon, ils peuvent s'identifier à l'un ou à l'autre.

    Dans l'essénisme comme dans le zoroastrisme, c'est Dieu qui a créé ces deux esprits. Le Bien : c'est la totalité, l'infinité, l'autorité. Il inclut donc le mal ; or ce dernier est néant car il n'est que lui seul. Les Esséniens, comme les Cathares, rejetaient le monde. Ils lui associaient le mal, la corruption, la luxure, le péché.

    Après le Christ, il y eut la naissance de beaucoup de sectes, chacune revendiquant la véritable filiation avec le Christ. Le catholicisme, tout comme le manichéisme puis le catharisme, n'était que l'une d'elles. Si le catholicisme seul a survécu, c'est peut-être qu'il était béni de Dieu, mais peut-être également qu'il savait montrer plus d'intelligence dans sa façon de perdurer.

    Qumrân

    Egalement appelé Khirbet Qumrân (ruine de pierre), Qumrân est un établissement juif de la Palestine antique près duquel furent découverts en 1946 les « manuscrits de la mer Morte ». Le site se trouve sur la rive nord-ouest de la mer Morte, à 13 km au sud de Jéricho.

    À l'époque du Christ, Qumrân était le centre d'une grande communauté religieuse appartenant à la secte des Esséniens. Ceux-ci se séparèrent des autres courants religieux juifs au 2ème siècle avant Jésus-Christ. Persécutés par les Maccabées, ils se retirèrent dans le désert, ce qui convenait à leur vie ascétique.

    A la fin de l'époque du Premier Temple, aux 8ème et 7ème siècles avant l'ère chrétienne, un premier village fut créé en ces lieux.

    Quelques rares vestiges d'une petite ferme fortifiée ou d'un fortin judaïte y ont été retrouvés. Certains spécialistes ont identifié ce site et affirmé qu'il s'agissait de Secacah, ou la ville du sel, deux des six villes du territoire désertique de Juda (Josué 15 : 61-62).

    Le village de Qumrân fut reconstitué à la fin du 2e siècle avant l'ère chrétienne, probablement pendant le règne du roi asmonéen Jean Hyrcan 1er. L'ancienne localité fut alors restaurée et agrandie. Au début du 1er siècle avant l'ère chrétienne, durant le règne d'Alexandre Jannée, de nouvelles constructions déterminèrent le plan du site jusqu'à sa destruction. Un aqueduc fut construit à partir d'un escarpement surplombant le Wadi Qumrân à plusieurs centaines de mètres à l'est du site. Les eaux des crues d'hiver étaient recueillies en amont d'un barrage situé au pied de l'escarpement puis s'écoulaient dans l'aqueduc jusqu'à Qumrân où elles remplissaient les nombreuses citernes et mikvaot (bains rituels).

    L'approvisionnement en eau revêtait une importance essentielle pour une résidence permanente à Qumrân où les températures d'été de cette région désertique sont extrêmement élevées. Avec ses nombreuses salles spacieuses destinées sans aucun doute à des fonctions publiques et ses quartiers d'habitation relativement peu nombreux, le plan de Qumrân est unique en son genre et ne ressemble en rien aux autres villages de la même époque.

    L'entrée principale du village se trouvait au nord, au pied d'une tour de guet. Les murs des bâtiments étaient construits en pierres ramassées au pied de l'escarpement et enduits d'une épaisse couche de plâtre blanc-gris. Les fenêtres et les montants des portes étaient en pierres soigneusement taillées et les toits, selon l'usage à l'époque, étaient constitués par des poutres en bois, de la paille et du plâtre.

    Le bâtiment principal de Qumrân comprenait plusieurs pièces – certaines, de toute évidence, sur deux étages – s’ordonnant autour d'une cour centrale. Dans l'angle nord-ouest, se dressait une tour aux murs particulièrement épais dominant l'ensemble du village. La tour, qui servait de poste de guet et d'alerte, protégeait le village contre des raids des tribus du désert.

    Une pièce garnie de bancs le long des murs accueillait les réunions des membres de la communauté qui y étudiaient probablement la Torah. Au sud et à l'est du bâtiment principal, d'autres ensembles de bâtiments comprenaient de longs vestibules, des chambres et des bains rituels. L'un des grands vestibules servait de salle de réunion et de réfectoire. Dans une pièce servant à entreposer des réserves à proximité d'une cuisine, des piles bien rangées de plusieurs centaines de récipients en poterie et un grand nombre de petits bols ont été retrouvés. Un atelier où étaient fabriquées les poteries pour la communauté a été découvert dans la partie sud-est du site avec sa cuve pour la préparation de l'argile, une roue de potier en pierre et deux fours à cuisson ronds.

    L'historien juif Flavius Josèphe (Guerre des Juifs II, pp. 120-161) et les écrits des Esséniens eux-mêmes retrouvés près de Qumrân donnent une idée de leur doctrine religieuse. Selon ces sources, les Esséniens constituaient une secte juive de l'époque du Second Temple : ils croyaient en la prédestination et en l'éternité de l'âme mais pas à la résurrection des morts et ils étaient opposés aux sacrifices accomplis dans le Temple de Jérusalem.

    Les membres de la secte vivaient du fruit de leur travail, mettant leurs biens en commun. Ils s'adonnaient à l'agriculture mais pas au commerce, étaient hostiles à toute forme d'esclavage et vivaient modestement avec un minimum de confort et des vêtements tout simples. Les Esséniens étaient ennemis du mariage, mais certains avaient des familles, se conformant au commandement divin d'assurer la survie du genre humain. Ils respectaient quotidiennement un certain nombre de rites : prière avant le lever du soleil ; immersion rituelle et repas pris en commun ; travail pendant la journée ; le soir, autre bain rituel suivi d'un repas collectif. Les nouveaux membres n'étaient acceptés qu'après une candidature d'une durée de trois ans, un examen d'entrée et le serment de ne pas révéler aux étrangers les secrets de la communauté et ses écrits. Persuadés qu'il leur incombait de combattre les forces du mal, ils participèrent activement à la révolte contre les Romains.

    Les spécialistes pensent que leurs croyances et leur mode de vie communautaire influèrent considérablement sur le développement des débuts du christianisme ; certains soutiennent que Jean le Baptiste fut influencé par les Esséniens, ou gardait le contact avec eux, voire était membre de la secte.

    Un grand nombre de mikvaot (bains rituels) ont été retrouvés dans l'ensemble du site. Ils étaient creusés dans les marnes du sol, et leur étanchéité était assurée par du plâtre hydraulique gris.

    Le grand escalier conduisant en bas était à certains endroits, divisé au milieu par un muret de 20 cm de hauteur séparant ceux qui descendaient prendre leur bain rituel de ceux qui remontaient après s'être purifiés. Les bains rituels étaient alimentés en eau par l'aqueduc. Les mikvaot de Qumrân étaient caractéristiques des édifices publics et privés de Jérusalem et d'ailleurs à l'époque du Second Temple.

    La Michnah (Traité Mikvaot) souligne l'importance de l'immersion dans l'eau pour la purification spirituelle et énumère les conditions requises pour construire ces bains rituels. Les mikvaot de Qumrân respectaient toutes ces conditions. Ce qui est inhabituel à Qumrân, c'est le grand nombre de ces installations et la taille de certaines par rapport au village. Ces dernières étaient probablement utilisées par les membres de la secte pour une immersion collective, un élément central de leurs rituels quotidiens.

    En 31 avant l'ère chrétienne, un tremblement de terre endommagea gravement les constructions et les mikvaot de Qumrân. Les fouilles ont révélé des fissures dans les murs et une épaisse couche de cendres produites par un incendie. Le tremblement de terre est mentionné par Josèphe (Antiquités 15, 121 sq. ; Guerres I, 370 sq.).

    Le village de Qumrân fut alors abandonné jusqu'au début du 1er siècle de l'ère chrétienne, lorsque des membres de la communauté revinrent s'y installer. Ils restaurèrent les anciens bâtiments et y vécurent après avoir procédé à des adjonctions et à des modifications. Dans le bâtiment principal se trouvait une longue salle dans laquelle il reste des bancs ou des tables basses en terre recouvertes de plâtre à l'extérieur, ainsi que des petits encriers en argile. Selon l'archéologue, ces découvertes indiquent que cette pièce était un scriptorium où les scribes du village copiaient les écritures saintes et les règles régissant la communauté.

    On estime que seulement quelques dizaines de dirigeants de la communauté vivaient en permanence à Qumrân. La plupart des membres de la secte, probablement au nombre de quelques milliers, vivaient dans des villages et des villes. Il est certain qu'une grande communauté essénienne vivait à Jérusalem.

    Selon Josèphe, le nom de la porte de la muraille sud de Jérusalem, sur le mont Sion, s'appelait la Porte des Esséniens. A certaines époques, les membres de la secte vivaient dans le désert près de Qumrân et, pendant les fêtes et les manifestations de la communauté, d'autres membres affluaient et étaient hébergés dans des tentes, des cabanes et des grottes des environs.

    Durant l'étude et les fouilles effectuées dernièrement dans les grottes sur les versants de marne au nord du site, des poteries ont été retrouvées, indiquant que ces grottes servaient aussi d'habitations. Des cercles de pierres à proximité soulignent d'ailleurs l'emplacement d'un campement.

    Les bâtiments de Qumrân étaient obstrués à l'est par un mur en grandes pierres. Au-delà, les terrasses de marne s'étendaient sur plusieurs centaines de mètres avant d'aboutir à une falaise. Sur ce terrain de marne, se trouvait un grand cimetière de plus d'un millier de tombes alignées en rangées d'orientation nord-sud. Quelques-unes ont été exhumées, révélant des tombes extrêmement simples creusées dans la marne et recouvertes d'un tas de pierre. La plupart des personnes enterrées là étaient des hommes, mais à l'extrémité du cimetière, on a également trouvé des tombes de femmes et d'enfants.

    Le village de Qumrân, détruit pendant la guerre menée par les Juifs contre Rome, en l'an 68, ne fut jamais repeuplé.

    Les manuscrits de la mer Morte

    Des rouleaux et d'autres objets de l'époque du Second Temple ont été découverts dans plusieurs grottes situées près de Qumrân, aussi bien des grottes naturelles dans les escarpements de calcaire dur, à l'ouest du site, que des grottes taillées dans les falaises de marne. A l'approche de l'armée romaine, les habitants de Qumrân se réfugièrent dans les grottes et y cachèrent leurs documents. Le climat sec de la région de la mer Morte a conservé ces manuscrits écrits, il y a 2000 ans, sur du parchemin.

    Dans la grotte n° 4, située dans la falaise de marne au sud du site, les archéologues n'ont retrouvé que 15 000 petits fragments appartenant à environ 600 manuscrits différents. Des hommes de l'antiquité ou des Bédouins contemporains ont peut-être retiré des rouleaux de cette grotte, n'y laissant que des débris. Cette grotte servait aux Esséniens de Gueniza, un endroit pour conserver les écrits sacrés déchirés.

    Dans les années 1950 et 1960, de nombreuses grottes dans les canyons du désert de Judée, le long des rives de la mer Morte, firent l'objet d'études et de fouilles. Parmi les documents découverts là ainsi que dans les grottes autour de Qumrân, on a retrouvé des exemplaires de tous les livres de la Bible (excepté le rouleau d'Esther). Le plus célèbre est le rouleau complet du livre d'Isaïe écrit entre le 2ème  siècle avant l'ère chrétienne et la destruction du site en l'an 68. Cette date a été récemment confirmée par un examen au carbone 14 d'un échantillon de parchemin du rouleau. Les livres de la bibliothèque de Qumrân sont considérés comme les copies les plus anciennes des livres de la Bible. Des écrits de la secte essénienne, dont le centre spirituel se trouvait à cet endroit pendant les deux cents ans précédant la destruction de Jérusalem et du Temple, ont également été mis à jour dans les grottes près de Qumrân.

    Les livres bibliques

    Les onze grottes à manuscrits de la région de Qumrân, cotées de 1 Q à 11 Q, ont livré les restes d’un millier de rouleaux ; une douzaine à peine sont à peu près complets, ainsi le rouleau d’Isaïe de la grotte 1, qui mesure 7,34 m de long.

    Un quart de cette vaste bibliothèque comprend les livres saints qui, vers l’an 100 de l’ère chrétienne, furent incorporés dans le « canon palestinien », formé par les Pharisiens. Tous les écrits de l’Ancien Testament y sont représentés, la plupart par dizaines d’exemplaires fragmentaires, tel le Psautier qui compte trente-cinq copies ; l’une de celles-ci, le Psautier de la grotte 11, comporte sur un rouleau long de 4,50 m presque tous les psaumes de la troisième et dernière partie du Psautier. Le Psautier essénien contenait beaucoup plus de psaumes que le Psautier pharisien, lequel en a cent cinquante. Il ne manque, dans cette réserve, que le livre d’Esther, écarté pour des raisons liturgiques, les Esséniens ne reconnaissant pas la fête de Purim dont il est question dans cet ouvrage.

    Quelques textes de Qumrân livrent des sources des écrits bibliques : ainsi, une chronologie araméenne de la grotte 4, qui est antérieure à la dernière révision du Pentateuque ; deux sources du Psautier ; une «Prière de Nabonide» (éditée par Milik, Revue biblique, 1956), qui est la source du chapitre IV du livre de Daniel. On connaît en outre des traductions araméennes (targums) de livres bibliques : fragments du Lévitique et de Job de 4 Q, morceaux substantiels de Job de 11 Q.

    Écrits pseudépigraphes

    Les habitants du monastère qumrânien lisaient de nombreux ouvrages qui plus tard ont été rejetés par les Juifs orthodoxes comme apocryphes. Ces pseudépigraphes étaient, par contre, reconnus comme inspirés par les premiers Chrétiens, tout au moins jusqu'au 4ème siècle. À la lumière des études récentes, il semble bien certain que le canon paléochrétien des livres saints recouvrait exactement le canon essénien. Tel est le cas des livres d’Hénoch (le septième patriarche d’avant le Déluge), dont on conserve onze manuscrits araméens fragmentaires de 4 Q, une citation explicite dans l’épître de Jude, des versions grecque et éthiopienne ; également hénochique est le « livre des Géants » (une douzaine de manuscrits à Qumrân), celui-ci incorporé dans le canon manichéen. Plusieurs ouvrages étaient attribués à Noé, le premier patriarche postdiluvien.

    Les Esséniens lisaient en araméen, les Chrétiens en version grecque les «Testaments» des trois patriarches sacerdotaux (Levi, Qahat et Amram). Il existe aussi en hébreu le « Testament de Nephtali ». D'autres compositions qumrâniennes sont attribuées à Abraham, Josué, David, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Daniel.

    On a retrouvé enfin les originaux de quelques livres bibliques deutérocanoniques : livre de Tobie en araméen (4 manuscrits de 4 Q), Siracide hébreu (2 Q et Masada), un fragment de l’épître de Jérémie en grec (7 Q).

    Textes esséniens

    Plus de la moitié des manuscrits de Qumrân relèvent de la production littéraire strictement essénienne. Un ouvrage appelé le « livre des Jubilés » raconte l’histoire sainte de la Création jusqu’à la promulgation de la Loi, répartie en périodes de quarante-neuf ans. L’original hébreu s’est conservé dans les fragments des deux manuscrits de 1 Q, deux de 2 Q, un de 3 Q, huit de 4 Q, un de 11 Q, un de Massada. On possède une version éthiopienne complète et une version latine incomplète de cet écrit essénien qui, par ailleurs, fut utilisé par les chroniqueurs chrétiens.

    De très nombreux manuscrits qumrâniens commentent verset par verset les livres inspirés des prophètes et de David. Le texte biblique y est expliqué en fonction de l’histoire de la secte et en particulier de la vie du fondateur.

    Presque complets sont les commentaires (pesharim) d’Habacuc (1 Q) et de Nahum (4 Q). D'autres commentaires de caractère juridique et rituel, reprennent les prescriptions contenues dans le Pentateuque de Moïse (pesharim halachiques).

    La vie des Esséniens était soumise à divers règlements : celle des moines du Khirbet Qumrân à la « Règle de la communauté » (dont on a trouvé un exemplaire complet en 1 Q, des fragments d’un manuscrit en 5 Q et de dix manuscrits en 4 Q) ; celle des camps de Damascène et des thiases Esséniens au « Document de Damas » (on en a découvert une copie assez complète au début de ce siècle dans une synagogue du Caire, puis des fragments d’un manuscrit en 5 Q, d’un autre en 6 Q, de huit en 4 Q) ; des échantillons d’autres règles sont conservés en de nombreux manuscrits fragmentaires de la grotte 4. Un règlement fictif décrit la guerre apocalyptique contre les « fils de ténèbres » ; ce « Manuel du combattant » (ou la « Règle de la guerre ») est représenté par un exemplaire presque complet de 1 Q, par des fragments de plusieurs manuscrits de 4 Q, par un manuscrit de 11 Q.

    Beaucoup d’écrits étaient destinés à l’usage liturgique, par exemple pour la fête du renouvellement de l’Alliance, qui se célébrait le quinzième jour du troisième mois. Les Esséniens suivaient dans leur vie liturgique un calendrier particulier, à fêtes fixes, où l’année comptait trois cent soixante-quatre jours et cinquante-deux semaines. Une vingtaine de manuscrits de 4 Q donnent en détails ces computations chronologiques en cycles d’un an, de trois ans, de six ans (service hebdomadaire des vingt-quatre familles sacerdotales dans le Temple : 6 Z 52 = 13 Z 24), de sept jubilés. À ce groupe il faut ajouter sans doute le « Rouleau du Temple ».

    Également prolifique était la production hymnique, utilisée elle aussi, tout au moins en partie, dans la liturgie. Un rouleau assez complet de la grotte 1 contient un recueil des cantiques d’action de grâces (Hodayot), qui reflète le haut degré de la mystique essénienne.

    Après la découverte...

    Après la découverte des manuscrits, Qumrân fut soigneusement fouillé de 1946 à 1956. Les archéologues purent identifier certaines salles qui avaient servi à l'étude et au culte, ainsi que d'autres où étaient sans doute pris les repas en commun, une grande pièce avec des encriers (peut-être le scriptorium où étaient copiés les manuscrits) et enfin des bassins pour les bains. Les fouilles révélèrent également un cimetière proche comprenant plus de 1 000 tombes.

    Science et fantaisie

    Un demi-siècle après leur découverte, les manuscrits trouvés dans onze grottes des environs de la côte nord-est de la mer Morte continuent d'attirer l'attention tant des scientifiques que des chercheurs.

    Ce qui au début était réservé principalement aux publications destinées aux chercheurs a occupé, en fait, une place toujours plus considérable dans les milieux de diffusion de masse. En plus des publications de vulgarisation qui comptent avec un sérieux dossier scientifique, il existe également une longue liste de « best-sellers » destinés à informer les non-spécialistes sur le contenu des manuscrits, en même temps qu'ils promettent de révéler des secrets qui parfois se rapportent à des scandales du monde des spécialistes, tandis que d'autres dénoncent certaines manœuvres sinistres pour les cacher, ou annoncent de nouvelles découvertes qui marque­raient la fin de la foi chrétienne.

    Souvent les périodiques annoncent des découvertes archéologiques ou un déchiffrement de textes anciens qui mettraient en question les fondements du christianisme ou ce que, habituellement, on affirme sur le terrain de la science. Dans ces cas, apparaît fréquemment le nom de Qumrân.

    La publication des manuscrits

    À partir du moment où l'on a considéré comme publique l'annonce de la découverte des manuscrits, les chercheurs firent connaître le contenu de ceux-ci en des livres et des revues spécialisées, tandis que paraissaient lentement les gros volumes qui contiennent les fac-similés. Beaucoup de spécialistes qui se servaient de ces premières publications assumèrent la tâche de les vulgariser.

    L'état dans lequel se trouvent les manuscrits, souvent réduits à de petits fragments de très peu de centimètres (et parfois de millimètres), est un facteur qui empêche une publication rapide de ces manuscrits. Pour reconstituer les livres, les spécialistes doivent s'astreindre à une tâche qui souvent ressemble à la solution d'un casse-tête. Une fois reconstruit, le livre doit être translittéré, traduit et finalement interprété, avant d'être confié aux presses. Ceux qui s'entendent en la matière ne peuvent exiger davantage de célérité.

    Pour éviter que, comme conséquence de quelque conflit belliqueux, les textes ne puissent se perdre définitivement, on mit à part quelques copies de la totalité de ces textes, même de ceux qui n'avaient pas été traduits, et on les déposa en diverses parties du monde. Sur ces copies pesait une espèce d'embargo de publication, vu que le département des Antiquités de l'État d'Israël s'en réservait les droits, mais aux États-Unis on ne se sentit pas lié par cet embargo et en 1991, après l'annonce selon laquelle Israël ne prendrait pas de mesures légales contre les éditeurs, parut une publication en deux tomes avec la totalité des textes.

    Une histoire différente des origines du christianisme

    Très peu de jours avant que ne paraisse au jour ladite édition, les journalistes Michael Baigent et Richard Leigh firent paraître aux États-Unis le livre « The Dead Sea Scrolls Deception » (La supercherie des rouleaux de la mer Morte), qui eut une ample diffusion et fut rapidement traduit en d'autres langues. L'édition qui se vend à Buenos Aires porte une bande aguichante : Le livre qui fait trembler le Vatican. D'après ces auteurs, une grande quantité de textes de Qumrân avaient été cachés par les soins d'un manœuvre du Vatican, parce qu'en ces textes figurait une version totalement différente des origines du christianisme.

    La description présentée par Baigent et Leigh se révéla un étonnant roman : le Nouveau Testament, rédigé au 2ème siècle, a défiguré les faits, parce que, en réalité, les premiers habitants de Qumrân constituaient un groupe de « guerrilleros » qui luttaient contre l'occupation romaine sous les ordres de Jacques, que le Nouveau Testament appelle « frère de Jésus » et qui n'est autre que « le maître de justice », le fondateur de la Communauté, selon les manuscrits.

    Saint Paul fut un agent du sanhédrin, qui pour s'introduire dans la communauté feignit une conversion et fit semblant qu'il allait recruter des volontaires parmi les Juifs de la diaspora en vue de la lutte contre les Romains. Mais ce qu'il fit, ce fut d'inventer l'histoire de Jésus pour brouiller les idées des Juifs et les convertir en fidèles sujets des Romains.

    Comme roman, cela pouvait se trouver très intéressant, mais comme histoire, il y a là-contre que rien de cela n'a pu être trouvé dans les manuscrits une fois connus dans leur publication intégrale.

    En réalité, ces deux journalistes ne créaient rien de nouveau : ils ne faisaient que suivre les traces d'un autre collègue, Edmund Wilson, qui en 1955 publia l'annonce que les manuscrits provoquaient la confusion chez les Chrétiens et les Juifs. Ils disposaient également de la conférence et des publications du professeur John Allegro, membre du comité des chercheurs consacrés à la publica­tion des textes, qui affirmait que dans les documents il apparaissait que le fondateur de la communauté, le Maître de justice, avait été crucifié et enseveli, et que ses disciples attendaient sa résurrection. Plus tard, il dut se rétracter de ces traductions face aux preuves d'inconsistance apportées par d'autres experts.

    John Allegro dénonça, de même, la fausseté des affirmations selon lesquelles le retard dans la publication était dû à certaines manœuvres tendant à empêcher l'édition des documents, lesquelles manœuvres auraient émané d'autorités religieuses craignant que l'on connaisse la vérité sur les origines du christianisme. L'existence de ce complot apparaît, de plus, comme thèse du livre de N. A. Silberman, « La guerre des rouleaux de la mer Morte » qui affirme que tout cela est l'œuvre de spécialistes juifs et chrétiens qui placent la discipline religieuse avant le respect de la vérité.

    Les journalistes M. Baigent et R. Leigh comptaient aussi avec les théories avancées au cours de la décennie précédente par Robert H. Eisenman, professeur de l'université de Californie, selon lesquelles les manuscrits n'appartenaient pas à la date que leur attribue la grande majorité des spécialistes, ce que démontraient les analyses au carbone 14.

    Le professeur Eisenman mit en doute le paiement que recevaient les collègues pour leur travail, en même temps qu'il relativisait (ou mieux : dépréciait) la certitude que pouvait donner l'analyse au carbone 14, même sous sa forme la plus perfectionnée. Il proposa pour les textes de Qumrân une date plus tardive : ils appartiendraient à l'époque des origines du christianisme et les personnes qui y sont mentionnées sont Jacques, « le frère de Jésus » (le Maître de justice), saint Paul (l'homme du mensonge) et le grand-prêtre Anne (le prêtre impie).

    Robert H. Eisenman est l'un des responsables de l'édition complète des photographies des manuscrits de Qumrân mentionnées précédemment, mais en celles-ci, on ne peut rien trouver qui rendent vraisemblables ses théories, si ce n'est à travers une exégèse capricieuse des textes. Au contraire, on n'a pu trouver dans ces textes que des noms de personnages appartenant à l'époque préchrétienne.

    Pour évaluer correctement ces publications, il importe de savoir que les journalistes auteurs du livre « Les rouleaux de la Mer Morte » sont connus dans le monde des publications à sensations pour d'autres livres sur une certaine secte ou certain groupe ésotérique formé autour de descendants de la lignée de Jésus, qui subsistent encore et détiennent un plan de domination mondiale.

    Le professeur John Allegro, de son côté, est l'auteur d'un livre répandu - édité en espagnol à Buenos Aires - dans lequel il expose la thèse selon laquelle Jésus-Christ n'est rien de plus que la personnification d'un champignon hallucinogène auquel rendait culte une secte qui se droguait...

    Une version un peu différente des origines du christianisme à Qumrân se trouve dans les publications de Mademoiselle Barbara Thiering, professeur de l'université de Sydney, pour qui le Maître de justice était saint Jean Baptiste et le prêtre impie, rien de moins que Jésus. Le Seigneur aurait un été un moine de Qumrân opposé au rigoureux Baptiste en raison de son ouverture aux pécheurs et aux marginalisés. Condamné à mort par Pilate, il fut retiré de la croix avec une mort qui fut apparente grâce à un breuvage narcotique. Une fois rétabli par les soins médicaux des Esséniens, il voyagea à Rome, se maria d'abord avec Marie-Madeleine et plus tard avec Lydie (de Philippes), desquelles il eut deux enfants. La critique que l'on peut faire de cette théorie ne diffère en rien de la précédente : en plus d'être un roman surprenant, elle n'a aucun appui dans les textes qui indubitablement sont de l'époque préchrétienne. Pour arriver aux conclusions indiquées, il faut changer le sens des mots et utiliser une exégèse inacceptable.

    La mort apparente de Jésus et la réanimation postérieure avec l'aide de la médecine des Esséniens ont connu une autre variante dans l'œuvre des Allemands Holger Kersten et Elmar Gruber. D'après ceux-ci, les analyses au carbone par lesquelles on estima que le suaire de Turin n'était pas une relique authentique furent falsifiées par le Vatican, parce qu'il ne convenait pas que l'on sût la vérité: en réalité, le suaire révèle que Jésus n'était pas mort. La théorie de la falsification des analyses a été adoptée et diffusée par certains catholiques avec des intentions qui n'ont rien en commun avec celle des auteurs en question.

    L'œuvre de Dalmiro Sáenz, Cristo de pie (Le Christ debout) est un roman d'apparence historique dans lequel se révéleraient des données de la vie authentique d'un Jésus essénien, dont les documents seraient demeurés cachés à Qumrân et que l'on n'aurait pas encore fait connaître. Comme dans les autres cas, une fantaisie totalement incompatible avec ce que l'on sait aujourd'hui des manuscrits.

    Dans toutes ces œuvres, il apparaît que, sous une forme ou sous une autre, les doctrines du christianisme existaient déjà à Qumrân et que l'Évangile n'a apporté rien de nouveau.

    En 1950, peu d'années après les découvertes, le professeur André Dupont-Sommer, de la Sorbonne, soutint qu'il fallait chercher à Qumrân les origines du christianisme. En d'autres cas, ces auteurs présentent les similitudes de forme et de contenu des textes pour en déduire immédiatement qu'il s'agit d'une identité.

    Enfin, d'autres se limitent à affirmer que Jésus a appris sa doctrine dans la communauté de la Mer Morte, mais sans présenter aucun document pour appuyer cette affirmation. Les œuvres publiées en France par Gérald Messadié appartiennent à cette catégorie. La lenteur à publier - pour les motifs mentionnés plus haut - a été critiquée également par d'autres experts, mais l'explication selon laquelle on la devrait à un « complot » est le fruit de l'imagination, vu que l'édition dépend également de spécialistes non chrétiens qui n'ont jamais parlé de son existence.

    Bien plus, les membres du comité interconfessionnel responsable de la publication, dont faisait partie également J. Allegro, présentèrent une lettre dans laquelle ils s'opposaient aux affirmations de ce professeur.

    Enfin, l'édition totale des manuscrits a révélé qu'il ne s'y trouve rien qui mette en danger la foi des Chrétiens. Voire, ils peuvent être lus en version espagnole depuis plusieurs années. Le professeur Florentino García Martínez a publié en 1992 la traduction complète des manuscrits non bibliques, édition qui ultérieurement a été retraduite en d'autres langues.

    Manuscrits chrétiens à Qumrân

    Le père José O'Callaghan, professeur jésuite de Rome, a donné involontairement une forte impulsion à l'affirmation selon laquelle les habitants de Qumrân étaient les premiers Chrétiens, en annonçant qu'il avait identifié des textes du Nouveau Testament parmi le fragment de la grotte 7. Celle-ci, découverte en février 1955, attire l'attention des chercheurs, parce que, contrairement aux autres, elle contient seulement des papyrus (il n'y a pas de parchemins), qui sont rédigés seulement en grec (pas de textes en hébreu ni en araméen). Les fragments que l'on a pu facilement identifier parce qu'ils comprennent des mots ou des phrases entières appartiennent à l'Ancien Testament (la Septante).

    Le père O’ Callaghan s'est penché sur les fragments minuscules qui contiennent seulement quelques lettres et qui, à cause de cela, offrent une plus grande difficulté pour leur identification. Dans des conférences et des publications, de même que dans l'édition de son livre en 1974, ce chercheur présenta l'hypothèse que neuf de ces fragments appartenaient – avec différents degrés de certitude – aux livres du Nouveau Testament. Aujourd'hui, la discussion se limite au fragment 7Q5, qui serait à peu près de l'année 50 après Jésus-Christ, et qui, selon le père O’ Callaghan, contiendrait le texte de Mt 6, 52-53.

    Cette hypothèse, amplement discutée, est acceptée par certains et rejetée par d'autres. Le problème consiste à savoir si quelques lettres peuvent donner la certitude qu'à Qumrân on trouve des textes du Nouveau Testament.

    Il semble­rait qu'à l'aide des ordinateurs on a pu prouver scientifiquement que dans les livres écrits en grec actuellement connus, le groupe de lettres en question ne peut appartenir à nul autre qu'à l'évangile de Marc. S'il en est ainsi, l'hypothèse d'O’ Callaghan est possible et satisfait beaucoup de scientifiques.

    D'autres, en revanche, la rejettent, comme c'est le cas pour l'Institut de critique textuelle de Münster (actuellement la plus importante). Les professeurs E. A. Muro et E. Puech sont arrivés à la conclusion qu'il s'agit d'un fragment de l'apocryphe Lettre de Henoch. Le professeur Harmut Stegeman, de l'université de Göttingen, présente cette hypothèse de lecture du même papyrus. Ce même auteur a publié ultérieurement un volume dans lequel il traite amplement et profondément de ce thème.

    Mais ce qui dans la discussion scientifique paraît une possibilité a été renversé par quelques-uns et présenté comme une certitude dans un cadre complètement différent.

    Des représentants des fondamentalistes actuels ont brandi l'affirmation selon laquelle l'évangile de Marc est antérieur à l'an 50, comme garantie que les évangiles contiennent un compte rendu littéral de ce que Jésus a fait et dit, rédigé immédiatement après les faits. On attaque ainsi toute affirmation selon laquelle les évangiles présenteraient Jésus perçu à partir de la foi et de la prédication de l'Église.

    En retraçant la date de la composition de l'évangile on vise à exclure la possibilité d'un approfondissement théologique et d'une élaboration de la part de la communauté et des écrivains, processus aujourd'hui admis par tous les théologiens et aussi par le magistère de l'Église catholique.

    Pour conclure, du moins provisoirement

    Cette planche m’a permis de découvrir la communauté des Esséniens qui vivait aux alentours de Qumrân, quel était leur quotidien. Travail, prière, étude et ascèse constituaient les principaux axes de leur vie. J’ai aussi découvert leur fidélité fondamentale à la religion de leurs ancêtres juifs, leur vénération extrême à l'égard du Temple de Jérusalem, des points communs avec les Chrétiens : ils observaient la chasteté. Ils pratiquaient la bénédiction du pain et du vin ; ils se baptisaient ; ils s'interdisaient toute nourriture animale sauf le poisson. Tout cela était identique aux pratiques chrétiennes de l'antiquité. Indirectement, cette recherche m’a aussi permis :

    • d’évoquer la découverte des « Manuscrits de la mer Morte » dans la localité de Qumrân ;
    • de remettre en question bien trop de certitudes dues à l’éducation catholique reçue durant mon enfance
    • et notamment de découvrir une histoire bien différente des origines probables du christianisme.

     

    R:. F:. A. B.

    Bibliographie

    Del Medico, H.E. - Le Mythe des Esséniens

    Editions Plon, Paris, 1958

     

    Eisenman Robert - The Dead sea scrolls and the first christians

    Element Books Ltd., 1996

     

    Gallez Edouard M. - Le Messie et son prophète - 2 tomes

    Editions de Paris, Versailles, 2005

     

    Ouvrage collectif sous la direction de Hershel Shanks

    L'Aventure des manuscrits de la mer Morte

    Collection Points, Editions  Seuil, Paris, 2002

     

    Simon Marcel - La Civilisation de l’Antiquité et le Christianisme

    Chapitre concernant le Judaïsme

    Editions Arthaud, Paris, 1972


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