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Par Chemin47 le 26 Mai 2015 à 21:46
L'épreuve de la coupe d'amertume
Introduction
Lors de l'Initiation au grade d'Apprenti au Rite moderne (belge), à l’issue des trois voyages et des épreuves des Eléments, le Frère Maître des Cérémonies présente au Récipiendaire une coupe remplie d'un breuvage dont le Vénérable Maître annonce qu’il a un goût amer. L’épreuve du « breuvage d’amertume » ou du « calice d’amertume » n’est pas présente dans tous les rites. Elle n’apparaît notamment pas au Rite Écossais Rectifié !
Ce rituel n'est pas anodin et sans grande valeur ; au contraire, ce moment revêt un rôle fondamental dans la quête initiatique et ce simple geste contient trois symboles parmi les plus importants qu'un Franc-maçon doit retenir, afin de donner une pleine lumière à sa démarche.
Calice ou coupe d’amertume
A l’issue des épreuves des quatre Eléments, le Rituel d'Initiation prévoit que le Frère Maître des Cérémonies fasse boire au Néophyte un breuvage contenu dans ce que le Vénérable Maître appelle « le calice d’amertume » mais que Christian Guigue nous invite à plutôt appeler la « coupe d’amertume ».
Tentons de comprendre s’il s’agit d’un calice ou d’une coupe.
En Franc-maçonnerie, la coupe n’intervient pas dans le cadre d’une communion personnelle avec le Grand Architecte de l’Univers mais comme un avertissement. Parfois appelée à tort « calice » à certains rites, la coupe d’amertume, dénommée ainsi à cause du liquide qu’elle contient, signale à l’Apprenti qu’en cas de défaillance ou de parjure, sa vie présente mais aussi future dans l’autre monde deviendront comparables à l’amertume du liquide contenu.
Ce breuvage, qui, dans le monde profane, est ce qu’on appelle couramment « un digestif », a un goût assez particulier ! La Loge s’approvisionne généralement d’un produit que l’on trouve dans le commerce sous l’appellation « Underberg ». Nos plus « jeunes » Frères qui seront, tôt ou tard, sollicités pour remplir la charge d’Architecte ou d'Économe, doivent le savoir !
L’objectif poursuivi par cette épreuve est de faciliter à l’Impétrant l’oubli de ses penchants passés, sa dépersonnalisation et sa mort à sa vie passée. Il ne s'agit pas de détruire les particularités de son caractère ou de modifier son destin, mais de maîtriser ses penchants afin de saisir la quintessence de son être et de le faire vivre conformément à son déterminisme. Il s'agit donc bien de renaître à une autre vie, plus consciente.
Un peu d’histoire !
Selon André Doré, ce symbole proviendrait d’Allemagne, via le Rite Rectifié qui en faisait déjà usage vers 1755. Jean Reyor considère que le « calice d’amertume » n’a pas d’équivalent dans les initiations chrétiennes ni dans les initiations chevaleresques et hermétiques. Cette pratique semble aussi complètement inconnue en Angleterre. On la retrouve dans le rituel de 1785 du Grand Orient de France.
Dans le « Régulateur du Maçon » datant de 1801, le « calice d’amertume » est présenté au Récipiendaire après les trois voyages dans la Loge. Sa signification n’est pas liée à une mise en garde vis-à-vis d’un reniement du serment, mais par rapport aux difficultés de la voie initiatique.
C’est pourquoi les paroles prononcées par le Vénérable Maître à l’issue de cette épreuve ont à peu près le sens suivant : « Monsieur, ce breuvage, par son amertume, est l’emblème des chagrins inséparables de la vie humaine : la résignation aux décrets de la Providence peut seule les adoucir ».
Au Rite moderne (belge), la phrase exacte est : « Ce breuvage, par son amertume, est l’emblème des épreuves inséparables de la vie. La résignation peut en adoucir les effets, mais le courage seul peut vous aider à les vaincre ».
Selon Christian Guigue, la coupe d’amertume présente dans les rituels d’Initiation maçonnique remonte aux temps les plus lointains. Dans les initiations égyptiennes, le candidat devait boire un breuvage délicat composé de vin et de myrrhe, du moins le lui présentait-on ainsi ! En réalité, il s’agissait plus probablement d’une mixture affreuse faite de vinaigre et de teinture de noix de galle !
Boire à la coupe
Boire à la coupe permettait d’aborder un monde inconnu où l’ineffable mystère du devenir personnel spirituel pouvait se révéler et les directions à emprunter pour les choix d’orientation et d’action personnelle se dessiner. C’est bien évidemment de la mort spirituelle qu’il s’agit.
La coupe peut donc guérir des élans charnels ou des diverses passions par les avertissements divinatoires qu’elle produit comme celui du salut eucharistique toujours possible pour le mystère de la grâce.
La coupe doit faire également prendre en considération son contenu car elle n’a pas pour vocation de rester vide, sinon à quoi servirait-elle ? La coupe n’a d’importance que par le liquide qu’elle contient. Vide, elle ne présente aucun intérêt.
Examinons à présent comment procéder pour mener cette épreuve avec efficacité. Une bonne complicité est nécessaire entre le Vénérable Maître qui doit lire le rituel en tenant compte de ce que fait simultanément le Frère Maître des Cérémonies.
Caractéristiques et symbolisme des « trois phases »
La coupe d’amertume contient un breuvage, c’est-à-dire un liquide doux-amer.
Pour Jules Boucher, le candidat devrait boire le contenu de la coupe en trois temps, en trois gorgées, car il prend en considération les trois phases qui caractérisent le breuvage de l’Initié. Pour Jean Ferré, ces trois phases devraient être respectées car le breuvage symbolise évidemment la vie humaine.
La première gorgée de ce breuvage a un goût insipide, comme l’est la vie profane et matérielle dans laquelle l'Esprit n'est pas encore éveillé. L’être n’a pas su ou pas pu découvrir les vraies valeurs. Sa vie est errance, tumulte, chaos.
La deuxième gorgée a un goût amer. Elle apporterait l'amertume de la vie de l'Initié, de celui qui cherche, de celui qui est tourmenté par le désir de connaître, mais aussi par la profonde solitude qu'il devra accepter pour découvrir soi-même. Le choc de ce goût amer éveille en lui la mémoire d'un monde passé, d'une unité primordiale dont il ne reste que le souvenir dans les formes acquises par les vertus que l'Initiation lui propose de pratiquer. Cette pratique le fera renaître à une vie plus spirituelle, dans laquelle il sera amené à gravir une échelle de valeurs autres et bien plus solides que celles de la pure existence profane. L’être prend conscience de ce qui est imparfait en lui, mais surtout des qualités qui sont en lui, qu’il a laissées inexploitées et qu’il doit cultiver. Beaucoup de courage et d’énergie sont nécessaires pour qu’il puisse travailler sur lui, tailler sa pierre.
La troisième gorgée semble douce. L’être a dépassé l’état de souffrant. Cette troisième gorgée ou ce troisième temps représenterait la vie de l’Adepte qui a reçu depuis longtemps la Lumière en laquelle il puise, Lumière qui lui confère toute sa sérénité, sa paix intérieure et profonde, la quiétude que lui a valu l’Initiation. Lorsque l'Initié sera devenu un véritable Adepte de l’Art Royal, c'est-à-dire lorsqu'il sera parvenu à la sérénité, alors seulement il pourra goûter et apprécier la douceur de ce breuvage. Celui-ci pourrait alors être comparable à une boisson divine qui confère l’immortalité.
Même si ces trois phases rappellent les trois voyages qui viennent d’être effectués ou évoquent aussi les trois degrés fondamentaux de l'Initiation, le symbole lié à cette boisson est contenu dans la coupe.
Tout « Cherchant » dans la voie initiatique doit vider la coupe d’amertume jusqu’au bout, jusqu’à la lie, comme le précise notre rituel, car tout être authentique est confronté, au fur et à mesure de la progression de sa quête, aux plus dures épreuves. L’absorption préalable du breuvage chargé d’amertume est la meilleure manière de s’y préparer par la connaissance. La coupe est symbole de transition entre le monde profane, d’où vient le Récipiendaire, et le monde des aspirations spirituelles.
Comme dans les rites compagnonniques, la coupe d’amertume rappelle étrangement par son goût désagréable la boisson aigre qui fut offerte au Christ au jardin des Oliviers ! Jésus prie pour que ce calice, symbole des souffrances de la Passion, lui soit épargné, mais se résigne à ce que la volonté de Dieu soit faite plutôt que la sienne.
Symbolisme de l’épreuve de la coupe d’amertume
La signification de cette épreuve gestuelle est liée aux difficultés de la voie initiatique. En effet, le Vénérable Maître, qui sollicite le candidat à vider la coupe jusqu'à la lie, précise que ce breuvage, par son amertume, est l’emblème des épreuves inséparables de la vie. La résignation peut en adoucir les effets mais le courage seul peut l’aider à les vaincre.
Boire à la coupe, c’est s’engager fermement sur le chemin de la connaissance de soi. Boire la coupe jusqu'à la lie, c’est consentir à persévérer jusqu'au bout quelle que soit la nature des épreuves à traverser, et s’engager à triompher de ses ténèbres intérieures.
Conclusion provisoire
Tout cherchant dans la voie initiatique doit vider la coupe d’amertume jusqu'au bout, jusqu'à la lie, car tout être authentique est confronté, au fur et à mesure de la progression de sa quête, aux plus dures épreuves.
L’absorption préalable du breuvage chargé d’amertume est la meilleure des manières de s’y préparer par la connaissance, tout comme Mithridate qui s’immunisa contre le poison.
La coupe est symbole de transition entre le monde profane, d’où vient le Récipiendaire, et le monde des aspirations spirituelles.
La coupe étant vide, l’épreuve étant achevée, la Loge est à présent prête à satisfaire les vœux du candidat et à récompenser sa persévérance pour autant que ce dernier consente à prendre l’engagement solennel que la Franc-maçonnerie impose à ses membres. Et c’est généralement ce qui se produit !
R :. F :. A. B.
Bibliographie
Darche Claude - Vade-mecum de l’Apprenti
Editions Dervy, Paris, 2006
Doré André - De la maçonnerie opérative au Grand Orient de France
Essai sur les origines des grades et rituels symboliques
In "Bulletin du Grand Collège des Rites" n° 92
Septembre 1979 – Pages 121 à 149
Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie
Editions Dervy, Paris, 1994
Lhomme Jean, Maisondieu Edouard, Tomaso Jacob
Ésotérisme et spiritualité maçonniques
Editions Dervy, Paris, 2002
Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2006
Reyor Jean - Sur la route des Maîtres maçons
Editions Traditionnelles, 1989
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Par Chemin47 le 26 Mai 2015 à 21:00
Les quatre éléments : terre, air, eau & feu
Introduction
Le domaine des éléments présente des différences selon qu’on le considère dans sa conception orientale ou occidentale.
Conception orientale
L’Asie retient cinq éléments. En Chine, une tradition vieille de plusieurs millénaires fait état de cinq éléments : l’eau, le feu, le bois, le métal et la terre. Notons que l’air est absent. On les retrouve parmi les fondements du système astrologique chinois où leur symbolisme se situe dans le temps et l’espace en parfaite harmonie avec la nature et l’activité terrestre de l’homme à travers les phases cosmiques ou cycles de vie. L’Inde ajoute l’éther. Les cinq éléments se conjuguent dans le « microcosme ». Le sage est celui qui fait vivre le « microcosme » en harmonie avec le « macrocosme ».
Conception occidentale
Les systèmes de pensée occidentaux divisent le cosmos en quatre éléments de base : le feu, l’air, l’eau et la terre. Les stoïciens estimaient que ces quatre éléments s’équilibraient dans le monde grâce à la puissance et la volonté d’un esprit divin.
Si pour l’occident, les diverses traditions font état de quatre éléments, l’eau, l’air, la terre et le feu, également constitutifs du système astrologique usité, un vieil averti remarque cependant vite qu’un cinquième élément, implicite, participe en fait des quatre autres, c’est l’éther, la quintessence ou cinquième « essence », qui revêt une valeur considérable dans le cheminement initiatique.
Plus près de nous, Paracelse, au 16ème siècle, faisait habiter les éléments par des créatures que l’on retrouve dans de nombreuses mythologies ou légendes. Les ondines peuplent les eaux, les sylphes l’air, les gnomes les entrailles de la terre, la salamandre le feu.
Pour l’école néo-pythagoricienne, l’univers est divisé en deux hémisphères. L’air et le feu appartiennent au monde supérieur, la terre et l’eau au monde inférieur.
Il existe une coutume que l’on rencontre quasiment partout où l’on considère qu’il existe quatre éléments : elle consiste à créer deux couples de contraires : feu - eau et air - terre.
La filiation entre l’initiation aux mystères antiques et l’initiation maçonnique est incontestable. Nous pouvons aisément suivre la trace de ce que nous savons des mystères de Bacchus, de Mithra, de Cérès et de Cybèle. Nous pouvons constater une certaine analogie, bien que si les épreuves étaient jadis « physiques » et « réelles », elles ne sont plus en maçonnerie moderne que purement symboliques.
Les quatre éléments et les rites maçonniques
Avec des variantes d’un Rite à l’autre, la Franc-maçonnerie met le néophyte au contact des éléments soit dès le séjour dans le Cabinet de Réflexion soit uniquement dans le Temple, au cours de la cérémonie d’Initiation.
Lors de celle-ci, tous les rites maçonniques font accomplir au récipiendaire trois voyages. Entre chaque voyage, le postulant subit une épreuve au contact de chacun des quatre éléments : l’épreuve de l’air, l’épreuve de l’eau et l’épreuve du feu. Quant à l’épreuve de la terre, elle a le plus souvent été vécue auparavant : c’est le séjour dans le Cabinet de Réflexion.
Les quatre éléments, air, eau, feu, terre, renvoient à la physique des anciens et nous instruisent sur les commencements de notre rapport avec la réalité. La Franc-maçonnerie retient principalement ces éléments alors que d’autres écoles de pensée y ajoutent le bois et le métal. La Franc-maçonnerie utilise bien sûr ces deux derniers, mais de façon moins systématique et moins approfondie.
La Franc-maçonnerie attache à l’eau, à l’air et au feu une notion de purification progressive afin de faire parvenir le cherchant à un état d’élévation. Les rituels articulent leur cérémonie d’initiation sur cette base élémentaire et quaternaire.
Tentons de comprendre ce qui se passe au Rite moderne tel qu’il est pratiqué dans de nombreuses Loges de la Grande Loge régulière de Belgique.
Les épreuves des quatre éléments au Rite moderne
Les plus anciens Rituels maçonniques font état de la purification par les quatre éléments, probable résidu d’une symbolisation totémique du développement de la vie à l’aide et à travers ces entités élémentaires primordiales.
Le premier élément est la terre, le domaine souterrain où se développent les germes et les semences. Elle est figurée par le Cabinet de Réflexion où est enfermé le Récipiendaire.
Le premier voyage se rapporte à l’air, le second à l’eau, le troisième au feu.
Les commentaires que donne Jean-Marie Ragon de Bettignies à ce propos n’apportent aucune explication valable, me semble-t-il, et peuvent même fausser le jugement des néophytes.
Les commentaires d’autres auteurs maçonniques, comme Oswald Wirth, toujours inclinés vers un « moralisme » assez bénin, ne varient guère. Certains font correspondre aux quatre éléments les quatre périodes de la vie humaine : enfance, adolescence, âge mûr et vieillesse. D'autres les font correspondre aux quatre points cardinaux, aux quatre saisons, aux quatre âges du monde : âge d’or, âge d’argent, âge d’airain, âge de fer. Toutes ces comparaisons sont assez banales et n’aident guère l’intelligence des symboles.
Les écrivains Maçons se fourvoient dans leurs explications parce qu’ils n’évitent pas la grave cause de confusion qui consiste à vouloir expliquer l’une par l’autre la philosophie, la religion et l’initiation. S’il est possible d’affronter et de comparer entre elles les initiations, il est par contre impossible d’expliquer la philosophie par la religion, ou l’initiation par la philosophie. Leurs plans de pensée ne sont pas les mêmes, leur langage est différent et le résultat de telles tentatives amène à une incohérence totale.
Les philosophies parlent à la raison ; les religions touchent le cœur ; l’initiation émeut la partie spirituelle de l’être et permet l’accession à la compréhension métaphysique la plus haute du sens de la vie. La plupart des religions confèrent à leurs adeptes leur première initiation par un baptême d’eau purificateur. La Franc-maçonnerie n’impose aucun dogme religieux ou philosophique. En cela elle se montre conséquente avec les plus antiques initiations. Peu lui importe les religions et les philosophies puisqu'elle se situe au delà et en dehors d’elles.
Dans l’Initiation maçonnique, le récipiendaire sort d’abord de la terre. Il est ensuite, successivement, purifié par l’air, par l’eau et par le feu. Il s’affranchit par paliers de la vie matérielle, de la philosophie et de la religion et parvient à l’initiation pure.
Les rites de purification sont aussi anciens que les systèmes religieux et philosophiques eux-mêmes. En Franc-maçonnerie, les purifications se justifient car le postulant est remonté de la terre – du Cabinet de Réflexion – premier stade de sa renaissance où il a subi une putréfaction de la graine. L’épreuve de la terre est un emblème qui signifie la mort du vieil homme indispensable à la germination de l’homme nouveau. Ainsi, en certaines circonstances, l’impur vient de la terre.
Les épreuves des quatre éléments dans d’autres Rites
Le Rite Français fait subir au Récipiendaire une triple purification par l’eau ; une double purification par l’air et une seule purification par le feu. Il semble ainsi donner, implicitement, le nombre quatre à l’élément terre et réaliser la « Tetraktys » pythagoricienne. La Tetraktys, qu’il ne faut pas confondre avec le nombre quatre, est la série des quatre premiers nombres dont la somme est égale à dix. Elle avait, chez les pythagoriciens, un caractère sacré. Considérée en elle-même, la Tetraktys, par les nombres qui la composent, résume tous les enseignements relatifs au monde créé :
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l’esprit créateur
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la matière
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l’union de l’esprit et de la matière
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la forme créée.
En réalité, le Récipiendaire n’accomplit pas trois voyages mais quatre. Le premier est celui qui le mène du Cabinet de Réflexion à la porte du Temple. Arrivé à cette porte il est virtuellement deux fois né. En sortant du Temple sera-t-il vraiment en possession de la nouvelle naissance symbolique ? Lui seul est capable de répondre, car lui seul est capable de « vouloir » sincèrement qu’il en soit ainsi.
Au Rite Écossais Rectifié, on estime que l’épreuve de l’air est vécue par le néophyte au cours de ses pérégrinations dans le Temple.
En se référant aux trois premiers jours de la Création, on s’aperçoit que le premier jour a eu lieu la séparation des ténèbres et de la lumière (feu). Le deuxième jour se produit la séparation des eaux (eau). Enfin le troisième jour apparaissent les continents (terre). C’est vraisemblablement dans cet esprit que le Rite Écossais Rectifié a choisi les éléments et leur ordre dans les voyages.
A l’inverse, dans d’autres rites, qui présentent les éléments air, eau et feu, on pense que l’épreuve de la terre se vit dans le Cabinet de Réflexion et là uniquement. Ainsi, au Rite Écossais Ancien Accepté on considère que l’élément terre fait partie du monde profane. Le candidat fait son travail d’introspection avant son entrée dans le lieu sacré qu’est la Loge.
Pour le Rite Écossais Rectifié, le candidat n’est plus tout à fait un profane car il a franchi la porte du Temple.
Malgré les divergences apparentes, le message de l’élément terre est le même pour tous les rites maçonniques : il convient d’effectuer un mouvement vers soi, vers l’intérieur, afin de pouvoir trouver sa vraie nature. Il faudra alors s’en dépouiller pour renaître à une nouvelle vie.
Au Rite Écossais rectifié, comme le postulant ne subit pas l’épreuve de la terre, il est accueilli dans une Chambre de Préparation. Il accomplit les trois voyages dès son entrée dans la Loge. Lors du premier, il a la qualité de Cherchant et est purifié par le feu. Au deuxième voyage, il est considéré comme Persévérant et est purifié par l’eau. C’est pourquoi, lors du troisième voyage, il est invité à palper de la terre friable contenue dans un vase. On lui explique que le grain mis en terre reçoit la vie mais que par contre le grain altéré subit la putréfaction. Cette mise en garde lui enseigne la polarité positive et négative incluse dans tout symbole ou combinaison symbolique.
Tentons à présent d’approcher le symbolisme de ces différents éléments.
Le symbolisme de la terre
Universellement, la terre est une matrice qui conçoit les sources, les minerais, les métaux. La terre est vue comme un creuset d’où émerge le règne végétal, puis viennent les autres formes de vie.
A l’âge d’or, les hommes naissent de la terre, comme les blés dans un champ creusé de sillons.
La terre symbolise la fonction maternelle. Elle donne et reprend la vie. Très tôt, la terre a été assimilée à la femme, et de nombreuses sociétés établissent des analogies entre le travail de la terre et la procréation. Assimilée à la mère, la terre est un symbole de fécondité et de régénération.
Selon les rites auxquels l’un et l’autre existent, la terre et le Cabinet de Réflexion sont un seul symbole ou des symboles séparés.
La terre dont il s’agit est le minéral et non la planète.
Lorsque le passage dans le Cabinet de Réflexion se substitue à l’épreuve de la terre (palper de la terre ou s’agenouiller dessus), il est le symbole de la terre dans la mesure où son étroitesse, la couleur noire de ses murs sans fenêtre, la durée pendant laquelle le futur Apprenti y est enfermé avec une bougie pour éclairage unique, concourent à faire de cet espace sombre et caverneux un lieu de séjour souterrain propice à l’introspection, à la concentration mentale ou, plutôt, une matrice favorisant la gestation féconde d’un être nouveau, régénéré, qui entreprend une longue descente en soi, qui commence un immense chemin initiatique.
Plus impressionnant pour le candidat que de toucher un peu de terre, le Cabinet de Réflexion le prépare, sans qu’il s’en rende compte, à explorer son moi en un parcours vertical.
En sa qualité d’élément, de principe fondateur, la terre – Cabinet de Réflexion symbolise les ténèbres de l’inconscient qu’une faible lueur éclaire pourtant : celle encore occultée de la Conscience – Energie dont le profane, enfoui dans cette prison tellurique, va devoir peu à peu augmenter en lui le rayonnement. Ne faut-il pas que le grain « meure » en terre pour y germer puis s’épanouir sous la lumière du jour ?
Le symbolisme de l’air
Dès les premiers mots, la Genèse exprime l’idée que la Création est imminente. Elle parle de tohû et de bohû, le désert et le vide, des ténèbres qui couvrent l'abîme, et d’un vent de Dieu qui tournoyait sur les eaux. Ainsi donc, tout vient du souffle de Dieu qui permet au chaos de s’organiser.
Le sixième jour, Yahvé crée l’homme. Là encore, c’est le souffle de Dieu qui est créateur. L’air est l’élément qui permet la transmission. Les ondes sonores se meuvent dans l’air et agissent sur l’ouïe. L’air permet la relation entre le ciel et la terre, et entre la terre et le ciel. En ce sens, sa symbolique rejoint celle de la colonne.
L’air évoque la légèreté, la grâce. Il s’oppose à la pesanteur, à la gravitation, au terrestre et au matériel.
L’air est par excellence l’élément léger, libre et immatériel. Rien d’étonnant, par conséquent, qu’il soit comparé à la finesse, à la subtilité de « l’esprit », d’un état d’être spirituel, intangible, impalpable.
Pour quelques symbolistes, quand Dieu souffle dans la narine de l’homme, il ne lui communique pas seulement la vie, il lui donne en outre la faculté, le pouvoir de rêver, c’est-à-dire la possibilité de quitter le réel.
Pas plus qu’un être humain n’a jamais vu Dieu, personne n’a jamais vu l’air physique ou même ses manifestations : vent, souffle, courant, son, parfum… mais seulement les effets de ses manifestations, des mouvements pour la plupart, arbres qui bougent, frissons sur la peau, vols d’oiseaux ou d’avions, vibrations auditives, autrement dit des déplacements provoqués par des énergies omniprésentes sur terre et dans le cosmos mais indécelables telles quelles.
C’est pourquoi on peut se demander si l’air n’est pas le symbole le plus fidèle de toutes ces énergies, le symbole de la Lumière dynamique.
Le Rite français et le Rire Écossais Rectifié ne procèdent pas à la purification par l’air. Cette purification accomplie dans la plupart des autres rites est considérée comme une faute initiatique née d’amalgames résultant d’altérations des rituels au 19ème siècle. Faute, car l’air est de Dieu soi-même. Il est la manifestation perceptible du souffle vital porteur de l’influence immatérielle de la force qui inspire, anime et crée.
Le souffle est l’esprit de Dieu qui couve sur les eaux primordiales de la Genèse. Souffle et Verbe sont indissociables en ésotérisme. L’un véhicule l’autre. C’est pourquoi, lors de la fermeture des travaux, on éteint les bougies à l’aide d’un éteignoir et en aucun cas on ne les souffle ! Par sa nature le souffle humain est impur et souille ce qu’il touche.
Le symbolisme de l’eau
Le symbolisme de l’eau est présent et très riche dans toutes les civilisations traditionnelles, non seulement à cause de l’importance de l’eau pour la vie mais aussi à cause de ses multiples aspects. Les significations symboliques de l’eau peuvent se réduire à trois thèmes dominants : source de vie, moyen de purification, centre de régénérescence.
Le symbolisme de l’eau est maintes fois évoqué dans la Bible où elle est présentée sous différentes formes : rosée, pluie, déluge, source, torrent, puits, fontaine, fleuve, mer. A chacune de ces formes correspond une symbolique.
Dans la Genèse, l’eau est source de vie. L’eau est à l’origine de la Création. Toute vie est issue d’elle. Elle est la mère avant l’émergence de la terre. Indispensable à la vie terrestre, l’eau de mer semble avoir été, d’après les recherches scientifiques les plus sérieuses, à l’origine des premières cellules biologiques.
Dans les traditions juives et chrétiennes, l’eau symbolise d’abord l’origine de la création. Symbole de pureté et de vertu, elle est un don de Dieu en tant que source de vie. Les Orientaux ont regardé l’eau comme un symbole de bénédiction car elle permet la vie. Mais elle est aussi l’emblème de la sagesse en tant que principe de la création. Avant tout symbole de vie dans l’Ancien Testament, l’eau est devenue symbole de l’Esprit dans le Nouveau Testament.
Cet élément liquide suscite diverses interprétations. L’eau est aussi ce qui permet la vie de continuer, de s’organiser. A son aspect vital s’ajoutent les aspects purificateur (eau lustrale) et régénérateur (eau de pluie) ou générateur (eau de source), voire destructeur (inondation, noyade, déluge).
Dans le rituel maçonnique, l’eau purificatrice, en tant qu’élément fécondant de l’âme, introduit à l’approche de l’Un, dont chacun de nous est par delà sa « momentanéité » terrestre un fragment. La purification par l’eau rappelle aussi au postulant celle de la matrice maternelle d’où émerge spirituellement pour vivre une nouvelle naissance.
Presque toutes les religions font appel à l’eau pour les rites de purification : par libation, aspersion, simple contact, ablution ou immersion.
Dans l’épreuve de l’eau que nous subissons lors de notre Initiation, ce sont plutôt ses significations purificatrice et régénératrice qu’il faut considérer car elles complètent les interprétations de la terre.
Le symbolisme du feu
Le feu est devenu symbole de purification et toutes les religions, dans leurs rites, font appel à cette symbolique souvent associée à celle de l’eau pour signifier la présence divine. La purification par le feu est complémentaire de celle par l’eau.
On ne peut cependant ignorer que les rapports entre l’homme et le feu sont ambigus. Positivement, il est source de chaleur bienfaisante pour notre corps et l’aide à se nourrir par la cuisson de certains aliments. Aveugle, il devient incendie répandant le malheur sur son passage. L’imagerie chrétienne associe d’ailleurs le supplice des flammes éternelles à l’enfer. Donc, modéré, il vivifie ; violent, il tue.
Il existe deux types de feu : le feu naturel contenu dans la matière et le feu contre nature obtenu par des moyens de combustion. C’est pourquoi la bougie utilisée pour la purification devrait être en cire d’abeilles et allumée au cierge du haut flambeau représentant le Maître de la Loge.
Lors de la purification par le feu, au cours du troisième voyage, le postulant devrait prendre conscience de la dualité positive et négative de cet élément. Il comprendrait alors que le combat le plus pénible est celui que l’on entreprend contre soi-même.
La purification par le feu, tel le soleil par ses rayons, symbolise l’action fécondante et illuminatrice. D'où l’importance implicite du feu dans le symbolisme maçonnique.
Dans le rite initiatique, la purification par le feu est en rapport avec le feu intérieur, symbole de l’énergie mentale, qui anime la volonté de l’initié de se perfectionner. Symbole des flammes incendiaires qui libèrent le Maçon de ses vices les plus contraignants et qui détruisent ses passions, le feu allume dans le cœur du postulant l’amour de ses semblables. Ce feu intérieur nait de l’étincelle produite par le contact de la flamme sous la paume de la main.
Le feu est la vraie connaissance, la vraie lumière. Ce feu est celui qui anime l’épée flamboyante et l’étoile flamboyante. Il est allumé par l’Initiation et nourri par l’enseignement des symboles et le vécu maçonnique. Dans la Loge, le feu incarne la présence du Grand Architecte. Bien qu’éteint entre chaque tenue, il est toujours le même, car allumé à l’Orient.
Une interprétation du sens des quatre éléments
Dans les pages qui suivent, j’ai synthétisé l’interprétation d’Alain Pozarnik au sujet du sens des quatre éléments, un des rares auteurs Maçons à l’avoir exprimée avec autant de développement. Je laisse à chacun la liberté d’apprécier cette interprétation.
Pour découvrir le mystère immuable de la vie, la voie maçonnique considère, avec toutes les autres traditions, qu'il suffit de contempler la vie à l’œuvre en soi. Dans son fond l'homme dévoile la paix et l'amour. Pour percevoir la lumière de la vie en soi, il faut être silencieusement en contact avec son être ; si l'on est silencieux, l'attention éveille la conscience du soi infini. C'est au-dedans de lui-même, dans sa caverne secrète que se trouve son être et c'est dans cet être que brille la lumière.
Le travail de l'Apprenti consiste à descendre en lui pour observer les obstacles qui emprisonnent son être, à voir comment naît le monde factice qui pollue son esprit, à préparer l'éveil de son être.
La Franc-maçonnerie présente une voie aux sédiments traditionnels, intuitivement intelligible. La transmission par symboles englobe le monde rationnel et éveille une connaissance omnisciente qui pénètre le cœur de la vie et révèle l'essence ordinairement inaccessible par la simple analyse des choses.
Le rituel d'initiation au grade d'apprenti reprend la vieille théorie grecque des quatre éléments pour indiquer au récipiendaire qu'il doit désormais s'efforcer de connaitre la nature quaternaire de la matière qui le constitue.
Les quatre voyages de l'Apprenti sont :
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la Terre, symboliquement le corps,
-
l'Air, symboliquement l'intellect,
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l'Eau, symboliquement les fonctions instinctives,
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le Feu, symboliquement l'affect.
L'étude de soi en vue de se connaitre commence par un voyage d'étude des quatre fonctions principales que sont :
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la fonction motrice du corps physique,
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les fonctions intellectuelles,
-
les fonctions instinctives,
-
les fonctions affectives (ou émotionnelles).
Connaissance du corps
Le point de départ de tout chemin spirituel est donc tout naturellement la connaissance du corps dans lequel l'Apprenti cherchera peut-être un jour la trace du souffle divin. La connaissance de soi peut conduire à la rencontre consciente de l'éternité et de l'éphémère.
Pour le Maître « parfait », s’il existe, se connaitre, c'est posséder la dimension universelle, la sentir vivre en soi, en son cœur par delà les limites du monde de la multiplicité et de la dualité.
L'initiation n'est pas une réflexion théorique sur la vie mais une attitude intérieure de vie, une perception, un contact direct avec la vie qui peut, après maturation, favoriser la réflexion mais pas l'inverse.
Prendre conscience de la vie en s'appuyant sur la perception de la vie dans le corps éduque l'attention à se tourner vers l'intérieur, à se diviser entre le pôle extérieur et le pôle intérieur, c'est proprement apprendre à avancer sur la Voie Royale qui conduit au centre.
Le corps physique et ses fonctions remplissent le rôle d'un pont entre lui et l'être intérieur qui remplit à son tour le rôle de pont entre lui et l'homme de Lumière. C'est ce cheminement qui constitue la voie initiatique.
Établie au centre de l'homme de Lumière, la conscience se relie au centre de tout être et de toute vie sur terre. L’initié‚ devient alors un homme d'amour objectif, baigné‚ par la lumière incréée. C'est ce chemin que l'Apprenti entreprend à travers son corps pour espérer rejoindre un jour son essence absolue.
Une part importante du travail initiatique consiste à effacer les souvenirs inconscients qui blessent le corps afin de lui donner une parfaite disponibilité, une parfaite transparence, une parfaite ouverture, pour vivre consciemment le moment présent.
Assis à sa place, silencieux, l'Apprenti poursuit l'observation de son corps et imprime volontairement un relâchement à ses muscles pour laisser son regard pénétrer de plus en plus profondément en lui-même. L'Apprenti commence à percevoir enfin les circulations d'énergie en son corps qui devient habité.
En définitive, le regard sur le corps en vue de se connaitre n'a pas pour but l'amélioration du fonctionnement du corps mais la connaissance et l'amélioration de ses fonctionnements en vue d'un dépassement de ses limites pour sentir vivre les énergies cosmiques. Ces énergies concrètement ressenties équilibrent et libèrent le corps physique en l'irradiant d'une force consciente.
L’œuvre de l'initié, qui a correctement accompli sa tâche d'Apprenti, est de réaliser consciemment la transparence du corps et de ses sens pour que vive l'âme intérieure alors qu'il est encore en pleine possession de tous ses moyens. L'initié concrétise consciemment le parcours d'un chemin naturel que le temps lui fera de toute manière parcourir.
L'épreuve de l’air
La deuxième étape lors de l'initiation, conduit le récipiendaire à traverser l'épreuve de l'air, symboliquement liée à l'esprit, à l'intellect, au mental.
La difficulté de se connaitre en connaissant son mental, réside dans le fait que c'est l'intellect qui cherche à se connaitre. La pensée qui s'observe ne peut pas s'analyser, et si jamais elle tentait de le faire, elle serait limitée par ses propres capacités. Aller à la recherche de son mental exige dans une première observation, de voir de quoi est faite notre pensée ordinaire.
L'Apprenti qui observe avec vigilance et neutralité sa pensée, voit ses fonctionnements tels qu'ils sont et non tels qu'il aimerait qu'ils soient ou tels que le regard des autres lui fait croire qu'ils sont ; l'Apprenti remarque que sa pensée est conditionnée et qu'en s'identifiant à elle, il devient lui aussi conditionné. La réalité du monde manifesté échappe à notre entendement au profit du monde créé par le mental.
Le simple fait d'accepter ce qui existe, ce que notre regard intérieur voit, lui permet de ne pas s'accrocher, de ne pas refuser et de descendre un peu plus profondément pour éclairer la réalité. La tolérance au grade de l'Apprenti n'a pas d'autre but.
Tolérer, c'est reconnaître ce qui est et non tout accepter même le pire. L'Apprenti a besoin d'un esprit intelligent et vigilant qui préserve son but. La tolérance sur son chantier maçonnique actuel n'a pas le sens mondain ou philosophique usuel mais veut dire connaitre sans réagir pour approfondir la cause, porter un regard tolérant et bienveillant sur l'objet de sa recherche pour voir, vraiment voir et seulement voir.
En s'exerçant à la manipulation du compas, outil des Maîtres Maçons, l'Apprenti constate que l'ouverture de son esprit est limitée par les conditionnements sociaux, familiaux et éducatifs dans lesquels il a vécu.
En ouvrant davantage encore les branches du compas, en élargissant le cercle de ses investigations sur le fonctionnement de son mental, l'Apprenti découvre qu'il est le jouet d'un autre conditionnement sournois : la propension à la comparaison. Cette manie de la confrontation agite l'esprit. Elle enfante la jalousie, l'intolérance et l'agressivité ; elle défigure la réalité et fragmente le rythme de la vie. Les pensées ainsi générées conditionnent les attitudes comportementales de l'Apprenti, tuent l'amour et détruisent le pouvoir créatif.
La critique engendre généralement une fermeture et une vision superficielle de la situation. Quant à l'autocritique, il convient de ne pas l'assimiler au travail d'observation de soi de l'Apprenti. L'autocritique engendre un jugement et une comparaison qui bloquent le processus de vision de l'ego.
C'est au moment où le mental de l'Apprenti lui souffle des raisons valables d'abandonner ou de dévier son travail initiatique qu'il est nécessaire de persévérer pour progresser.
Le premier travail que l'Apprenti peut effectuer pour tailler son mental, lorsqu'il a clairement vu ses mécanismes de fonctionnement, est un travail de pacification pour le conduire vers le silence qui règne dans son champ opératoire. Il se rend compte alors qu'il n'a aucun pouvoir pour diriger sa pensée. L'Apprenti ne tient pas encore avec suffisamment de science son ciseau et son maillet.
L'art du regard initiatique au grade d'apprenti n'est pas de créer ce qui n'existe pas, mais au contraire, de voir sans perturbation, les fonctions vitales.
Notre mental fractionne la réalité. Par ce fractionnement automatique, le cerveau fractionne notre perception de l'espace et du temps en une multitude de réalités antinomiques qui nous éloignent de la perception de l'unité cosmique universelle.
S'il veut aller trop vite, s'élever au-dessus de la matière sans l'avoir sérieusement observée, comprise et dominée, l'Apprenti risque de n'avoir pas assez d'éléments de connaissance de soi pour atteindre la conscience de soi.
Savoir sans expérimenter accroît la confusion et l'illusion. Si l'attention ne transforme pas radicalement sa pensée, l'Apprenti pourra exprimer de merveilleuses idées mais son comportement dissocié demeurera toujours non conforme à sa pensée.
Pour l'Apprenti ou pour le Maître qui œuvrent sans relâche, la dysharmonie entre la façon de vivre et le produit de la pensée est une vision intime du chemin qu'il leur reste à parcourir.
La vérité, si l'on observe le mental, c'est qu'il mène sa propre existence, produit ses propres illusions et crée son propre monde chimérique. Tel quel, il nous éloigne toujours de la réalité. Pourtant l'intellect est l'outil de connaissance par excellence. Aussi devons-nous connaitre l'état actuel de cet élément pour le purifier et le rendre apte à remplir son vrai rôle dans notre initiation finale.
L'épreuve de l’eau
La troisième étape de l'initiation conduit à l'épreuve de l'eau, symbole des fonctions instinctives qui se manifestent en nous.
Nos fonctions instinctives se nourrissent directement à la source du Grand Architecte de l'Univers et s'ordonnent conformément aux lois naturelles de cet univers.
Nos organes vitaux puisent leurs énergies à l'arbre de vie qui leur dispense le rythme cosmique sans que nous ayons à intervenir.
Ordinairement, dans la société occidentale actuelle, la spontanéité est considérée comme une vertu. Pour l'Apprenti qui commence à comprendre les différents niveaux de réalité, être spontané c'est devenir capable d'être toujours et partout en harmonie avec les lois d'amour des forces universelles pour être automatiquement leur porte-parole.
Cela mérite quelque prudence et l'observation attentive de l'expression de la spontanéité la plus élevée ou plus simplement de la manifestation de « l'instinctivité » de notre fonctionnement organique.
L'évolution spirituelle nécessite une lente progression plutôt que le rêve d'une action spectaculaire qui n'arrivera jamais.
Aller à la recherche de la sagesse et de la connaissance exige une lente pénétration dans le monde parce que c'est dans le monde que se cache la lumière.
Le cheminement maçonnique de l'Apprenti au Maître s'effectue en se dirigeant de la lumière matérielle vers la lumière spirituelle. La lumière naturelle de départ est d'une extrême importance, elle constitue la réalité sur laquelle le regard se pose pour s'élever progressivement vers la lumière immanente.
Dès que l'Apprenti marche vers la lumière, il comprend qu'il ne peut accepter que sa bonne ou sa mauvaise humeur dépende de ses idées ou du fonctionnement automatique d'un organe. Il lui appartient de corriger une tendance comportementale qui ne correspond en aucune manière à l'être qu'il sent parfois vivre en lui. L'Apprenti assume la lumière lorsqu'il combat les ténèbres.
L'édifice maçonnique repose sur le même ensemble logique que la pyramide cellulaire, du plus simple au plus complexe. A la base, nous trouvons l'homme, engendré par la multiplicité et perdu dans la temporalité, ensuite la loge, réunion ou assemblage de plusieurs hommes où chacun a une fonction précise pour que le temple vive, enfin l'obédience, gardienne de la lumière, qui œuvre pour qu'en bas, dans la loge, chacun des frères puisse édifier son temple intérieur universel.
L'énergie de l'obédience se manifeste par l'énergie de chacun des frères, comme l'énergie de chacun des frères se manifeste par l'énergie cosmique en chacun de ses organes.
Nous avons besoin d'une attitude droite, axée sur la colonne vertébrale comme un fil à plomb.
Dans le temple, lors de ses déplacements scrupuleusement codifiés, l'Apprenti peut garder une attention sur ses organes, sur les attitudes automatiques de son corps et les rectifier en fonction de la perception des énergies qu'il sent circuler en lui. Il s'agit de laisser l'être intérieur trouver sa place, ce qui générera une attitude juste.
Il y a là toute une conscience nouvelle à acquérir dans nos maintiens et déplacements. Cette prise en considération de la vie intérieure est une attitude d'amour et de respect qui s'exprime vis-à-vis de nous-mêmes mais surtout vis-à-vis des énergies naturelles en action. Une telle préoccupation exerce au discernement et conduit à la sagesse.
Grâce à sa présence régulière, à son écoute qu'ensemence la parole de ses frères en son cœur, grâce à son attention vigilante exercée dans le temple et à l'extérieur, l'Apprenti, passé Compagnon, puis élevé Maître, sentira dans la sphère énergétique des lieux organiques, un point de jonction entre le matériel et le spirituel, alors, et alors seulement, il comprendra ce qu'est la connaissance puis la conscience de ses fonctions instinctives qui coulent en lui comme l'eau universelle.
L’épreuve du feu
Le Récipiendaire, à la dernière étape de son voyage initiatique, subit l'épreuve du feu, quatrième élément qu'il doit affronter, connaitre et transcender.
Le feu, c'est la force évolutive, la lumière et l'esprit qui créent. Le feu anime, purifie, transforme et dresse vers le ciel. Il est à la fois énergie de l'âme et nature de l'âme. Le feu qui anime le corps et le mental de l'homme ordinaire brûle dans le centre émotionnel.
Pour le pèlerin engagé sur le chemin de la Vérité, comprendre comment le feu alimente les forces négatives qui ravagent son mental et assèchent son cœur devient une nécessité s'il veut espérer, un jour, canaliser la seule force capable de transformer ses émotions en des sentiments qui lui ouvriront la porte de l'initiation. Mais la possession de sentiments n'a rien à voir avec l'explosion automatique des émotions.
Pour tailler la Pierre brute de ses émotions et les éroder en douceur mais avec fermeté, l'Apprenti utilise le Maillet et le Ciseau, outils que la Franc-maçonnerie met à sa disposition. Avant de donner son premier coup de Maillet, l'Apprenti observe attentivement les constituants de son bloc de pierre ; il devine leur force de résistance pour déterminer l'action à entreprendre et adapter son travail de rectification à la solidité des obstacles.
Attaquer ses émotions ne veut pas dire entrer en conflit avec soi-même, refuser ce qui existe et le condamner brutalement au profit d'un idéal. Le but est de nous voir et de nous réconcilier avec nous-mêmes, avec ce que nous sommes, tels que nous sommes, en toute simplicité‚ dans une nouvelle perspective, celle de l’accès à l'homme authentique, à notre essence fondamentale.
L'Apprenti tente de passer du bon sens profane à la réalisation d'une aspiration profonde et s'engage avec résolution dans l’œuvre initiatique. Parce qu'il a cru sentir en lui-même la présence d'une autre dimension, il cherche comment domestiquer le feu de ses émotions pour que ce feu serve à lutter contre le feu et alimente sa propre flamme.
Pour connaitre notre centre affectif et ne plus être esclaves de son fonctionnement impulsif, la première décision à prendre est de le désirer de toutes nos forces et de toute notre âme, puis de rassembler toute la conscience dont nous pouvons disposer pour prendre le risque de douter et de remettre en cause toutes nos idées et toutes leurs justifications.
En comprenant de manière très consciente, avec une attention excessivement vigilante le mécanisme d'une peur ou d'un désir, nous pouvons éliminer toutes les peurs et tous les désirs, car le mécanisme est toujours le même, chaque peur contient toutes les peurs, chaque désir contient tous les désirs, chaque colère contient toutes les colères.
L'Apprenti qui veut vraiment voir le mécanisme de ses émotions demeure silencieux face à sa colère ou face à toute autre émotion. Dans ce long face à face, il découvre la source d'un conflit entre deux éléments intérieurs.
D'une manière générale, la dualité émotionnelle naît lorsque l'on compare ce qui est présent, ce qui existe avec ce dont notre mental nous souffle qu'il devrait exister. L'émotion prend sa source dans le refus.
Au cœur de la Loge, le Pavé mosaïque symbolise - en partie du moins - la dualité, dualité de nos pensées, de nos émotions, de notre corps, mais aussi dualité de la création.
Parmi ses Frères, l'Apprenti peut travailler efficacement à la connaissance de soi sans se laisser emporter par ses émotions négatives.
La Loge est un espace privilégié où chacun vient librement et sans en attendre quelques avantages. Il n'y a pas de compétitions durcies par le désir de l'avoir, et la règle tacite veut qu'il y règne une ambiance chaleureuse et fraternelle. C'est dire qu'il n'y a pas de place pour l'expression des émotions négatives.
Les vrais sentiments viennent du cœur, de l'espace intérieur où la sphère du cœur de l'homme rencontre la sphère du cœur invisible du cosmos. Les relations humaines sont une communion directe de cœur à cœur.
Lorsque l'intelligence du cœur ordonne, c'est uniquement pour le bien de l'autre, pour que soit respect‚ l'ordre universel ici et maintenant, dans le présent immédiat.
Tel est le point de vue d’Alain Pozarnik au sujet du sens des épreuves initiatiques réunies au cours des trois – ou quatre – voyages symboliques de la cérémonie d’Initiation. Les épreuves initiatiques de la terre, de l’air, de l’eau et du feu ont pour fonction de purifier le profane de tout ce qui jusqu'alors n’était pas en accord avec l’éthique maçonnique (conceptions, pensées, passions, penchants, pulsions…). Il s’agit d’une rupture franche et profonde avec ce qu’était son existence jusqu'à présent : c’est le passage de l’obscurité profane à la lumière sacrée.
Il est temps de conclure, du moins provisoirement, car la présente recherche peut à tout moment être remise en question.
Pour conclure, du moins provisoirement
La terminologie maçonnique emploie généralement le terme « élément » pour désigner l’un des quatre principes essentiels qui président à la vie de l’homme et qui sont : l’air, l’eau, le feu, la terre. Par le biais de notre Initiation, puis au long des travaux en loge qui dureront toute notre vie de Franc-maçon nous apprenons à connaitre et découvrir ces différents éléments. Nous sommes également amenés à reconnaître leur valeur symbolique et la dimension ésotérique de chacun d’eux. Puisse la présente recherche y avoir contribué, du moins ouvert la voie.
Les épreuves sont les étapes physiques et symboliques par lesquelles nous avons dû passer en recevant l’Initiation avant d’être accepté dans notre loge comme Frère Maçon. Ces épreuves, par les conditions de réflexion qu’elles suscitent, ont pour fonction de nous mettre dans un état de réceptivité maximale pour nous amener à transcender et projeter spirituellement notre existence, d’abord dans le cadre de notre loge maçonnique puis dans tous les autres compartiments de notre vie.
Il me semble que le message symbolique des épreuves initiatiques réside en ceci : il faut avoir « vécu » les éléments pour pouvoir s’en affranchir et les dépasser. Cela ne veut pas dire que le matériel, la philosophie, la religion n’existent plus. Nous ne les renions pas. Nous avons conscience de leur utilité, mais nous agissons désormais sur un autre plan.
Nous qui voulions recevoir la Lumière et accéder au plan d’une vie supérieure, nous devions être purs comme l’enfant qui vient de naître. En nous prêtant à l’épreuve de la terre, nous avons manifesté que telle était notre ambition la plus chère et c’est pourquoi nous avons demandé à être reçu Maçon. Mais la Vraie Lumière, celle qui éclaire l’esprit et réchauffe le cœur, ne se confère point ; il nous faut la conquérir. Mais au préalable, nous devions nous purifier de la vie.
Lors de notre Initiation, nous avons donc subi des épreuves purificatrices. L’épreuve de l’air, qui est associé symboliquement à l’approche philosophique et à l’intellectualité, a pour fonction de nous aider à devenir maitre de notre esprit pour accéder aux plus hautes sphères de la compréhension et de la spiritualité. En subissant l’épreuve de l’eau, nous avons été symboliquement lavés de nos imperfections, de nos égarements.
Dans le cadre maçonnique, le feu est présent par sa relation avec la maîtrise nécessaire pour le dompter et surtout la lumière qu’il prodigue. La Lumière étant assimilée à la Connaissance, le feu devient instrument de connaissance et acquiert ainsi une dimension symbolique de toute première valeur. Il est celui qui éclaire, qui illumine, qui transforme les ténèbres en champ lumineux, qui permet de voir, donc de savoir. C’est un révélateur de l’essence des choses à part entière. Quant à l’épreuve du feu, elle a probablement pour but nous faire comprendre que l’adolescent que nous étions est devenu homme, que le Compagnon est devenu Maître, que les symboles ont parlé et que la vérité éclaire notre conscience.
R:. F:. A. B.
Bibliographie
Alban Gilbert - Guide de l’Apprenti
Editions Detrad, Paris, 1996
Béresniak Daniel - L’apprentissage maçonnique, une école de l’éveil ?
Editions Detrad, Paris, 1983
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges Bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Sentiers de la Tradition - Editions L’Etoile, Bruxelles, 1999
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995
Chevalier Jean et Gheerbrant Alain - Dictionnaire des symboles
Editions Robert Laffont – Jupiter, Paris, 1999
Ferré Jean - Dictionnaire des symboles maçonniques
Editions du Rocher, Monaco, 1997
Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie
Editions Dervy, Paris, 1994
Guigue Christian - La formation maçonnique
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995
Pozarnik Alain - A la lumière de l’Acacia, du profane à la maîtrise
Editions Dervy, Paris, 1995
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Par Chemin47 le 25 Mai 2015 à 20:05
Cette planche est essentiellement consacrée aux voyages du candidat Apprenti-maçon.
Sans rien dévoiler au sujet des degrés suivants, ce travail offre aussi l’occasion de préciser l’importance des voyages en Franc-maçonnerie.
Le sens des voyages
La notion de « voyage »
Bien que trop rarement mentionnée, la notion de voyage est très présente et très importante dans la dynamique maçonnique. En effet, le voyage est par essence l’expression du mouvement, à la fois dans ce qu’il a de provocateur et de stimulant.
De ce point de vue, on peut affirmer que le voyage, bien qu’il soit parfois contraignant, est toujours un facteur de changement, de repositionnement, donc d’enrichissement.
Dans la plupart des rites, les voyages sont essentiels au déroulement de la cérémonie. Ils correspondent à des épreuves liées aux Eléments que sont l’Air, le Feu, l’Eau et la Terre, à des mises en contact avec les métaux comme le Fer, l’Argent ou le Cuivre, ou l’approche de connaissances nouvelles.
Si, comme le dit l’adage, les voyages forment la jeunesse, ils façonnent aussi les « cherchants » que doivent être les Francs-maçons. Ils sont à la base de l’enseignement maçonnique, comme le prévoit la Tradition.
Pour l’individu qui le vit, le voyage correspond à une prise de conscience de son état passé et à l’acquisition d’un nouveau savoir, soit intellectuel, soit manuel, deux savoirs intimement liés en maçonnerie.
Pourquoi voyage-t-on ?
A l’origine des premiers pas vers l’inconnu, l’être éprouve tout d’abord un sentiment d’insatisfaction car il n’a pas trouvé ce qu’il attendait de la vie, de son environnement.
La démarche logique veut qu’il aille chercher ailleurs ce qu’il n’a pas trouvé. Cet ailleurs peut se situer à la fois dans le temps et dans l’espace. En effet, le cherchant peut aussi bien s’éloigner de son lieu de vie que remonter dans le temps à la recherche d’un système de pensée, d’une religion, d’une Tradition.
René Guenon, Champollion, Fulcanelli comme bien d’autres, ont mené cette quête sur des chemins différents.
Tout voyage suppose que « l’ailleurs » est plus beau, plus riche que « l’ici ». Il est aussi le signe d’un attrait pour l’inconnu, l’étrange ou l’étranger. Au moment du départ, il est nécessaire de faire table rase et tout miser sur un avenir plus ou moins aléatoire. Le voyage implique une rupture avec l’entourage et le passé, rupture qui se traduit généralement par une mort symbolique.
Voyage et Initiation
Le mot « initiation » contient l’idée de mouvement, de voyage. En effet les racines du mot sont In qui signifie dans, pendant, au bout de ; et Itus qui indique l’action d’aller, de marcher. L’initiation est une progression vers un centre.
Le voyage, c’est d’abord l’occasion de bouger, donc de remettre en question ce que l’on pensait être un équilibre acquis.
C’est pourquoi le voyage a une dimension « initiatique » qui, sous cet angle, se révèle d’une richesse extraordinaire. Il est à la fois recherche extérieure, mais aussi intérieure, moyen d’expression « mobile » d’une quête personnelle de la connaissance tous azimuts.
Le concept des voyages est une constante des traditions ésotériques. Dans notre Ordre, ils s’exécutent en trois déplacements dextrogyres autour du Tableau de Loge. Ces circumambulations autour du centre de la Loge ont pour but d’inciter le postulant à se concentrer sur son propre centre. C’est pourquoi le terme « voyage » acquiert ici une dimension très spécifique dans le contexte initiatique. Le postulant entreprend un déplacement éloigné dans la profondeur spirituelle de son être mais qu’il ne maîtrise pas faute de moyens.
Les voyages et la Franc-maçonnerie
Le tout premier voyage du candidat Franc-maçon est celui qui le mène du monde profane au parvis du Temple. Ce voyage est toujours dicté par l’insatisfaction car l’être a conscience des limites du monde profane. C’est pourquoi le postulant vient chercher en Maçonnerie ce qu’il n’a pas trouvé jusqu'alors. Ce peuvent être des contacts humains, une philosophie, une morale, une tradition, des connaissances, un besoin d'action...
Le deuxième voyage se passe dans le Cabinet de Réflexion. Le chapitre suivant y est totalement consacré tant cette épreuve est importante. Ce Cabinet de Réflexion est l’espace philosophique où tous les Francs-maçons sont passés pour mourir au vieil homme et accéder à l’homme nouveau, à ce qui, en eux, va lentement se réveiller et parvenir à la pleine lumière. C’est un voyage intérieur dont la finalité est la mort de l’individu profane pour une renaissance. Il s’agit de mourir à ce que nous sommes aujourd'hui pour advenir à quelque chose de nouveau. Le vieil homme symbolise celui qui vit du monde des apparences, qui s’en contente et ne cherche pas ou peu à dépasser ce stade de conscience. Le vieil homme symbolise aussi celui qui arrive dans le temple avant son initiation, lourd de sa vie et de ses problèmes, vieux parce qu’il s’agit aujourd'hui de faire du neuf, de procéder à cette merveilleuse alchimie spirituelle qu’est l’initiation d’où il sortira régénéré.
Le troisième voyage conduit le Profane du Cabinet de Réflexion à la Porte du Temple. L’être a laissé dans le ventre de la terre ses métaux et sa matérialité. Il a abandonné son ancienne peau et se trouve dans l’attente d’une seconde naissance. A cet instant, le voilà seul, aveugle, ni nu ni vêtu. Mais il aura bientôt près de lui un guide sûr qui lui évitera erreurs et errements.
Le voyage dans le Cabinet de Réflexion ou l’épreuve de la terre
Le Cabinet de Réflexion se présente comme une sorte de sas entre deux mondes où le futur Initié se dépouille des aspects profanes de son être pour devenir réceptif à la lumière de l’initiation qui lui sera offerte. L’objectif est d’isoler le Récipiendaire de son entourage familier, de le séparer du monde profane. Durant cet isolement, il est confronté à quatre facteurs ambiants : le silence, la solitude, l’immobilité et l’obscurité. Ces facteurs devraient favoriser sa confrontation avec lui-même car il se trouve brusquement dans un univers inconnu qu’il peut percevoir comme hostile.
C’est un moment de méditation intense où il est possible d’arrêter le temps et le monde dans le silence et le recueillement, et où débute un voyage qui conduit au cœur du temple. Mais le Cabinet de Réflexion offre un autre message au futur Initié en lui recommandant de pratiquer deux qualités : la vigilance et la persévérance, aussi indispensables l’une que l’autre pour affronter les épreuves. Il soumet le candidat à l’Initiation à une première purification liée aux éléments : la purification par la terre. Pour Edouard Plantagenet, « l’épreuve de la terre, c’est le passage dans le Cabinet de Réflexion ».
Le Cabinet de Réflexion symbolise une descente intérieure au centre de la terre. Le passage d’un cycle à l’autre s’accomplit dans l’obscurité, ce qui correspond également à un changement d’état. Cette mise en condition s’explique par la nécessité qu’il y a de prendre conscience de la force réelle de ses convictions dans ses engagements vitaux.
Ce lieu de méditation qui met en scène tout ce qui concerne la mort, permet à chacun de faire une incursion dans sa tombe avant l’heure ! C’est pourquoi il est censé être enfoui au sein de la terre, ce qui est d’autant plus perceptible si le cabinet est situé dans les caves. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas !
Le Cabinet de Réflexion invite le postulant à mourir à lui-même pour renaître et l’incite à poursuivre le parcours de son existence, en rectifiant, afin d’éveiller sa conscience à une autre dimension pour donner un autre sens à sa vie. Ce moment privilégié de méditation permet de faire un bilan du passé et d’effectuer par anticipation une mort symbolique virtuelle, ce passage devant déboucher sur un nouveau commencement.
Pour Oswald Wirth, «pour apprendre à penser, il faut s’exercer à s’isoler et à s’abstraire. On y parvient en rentrant en soi-même, en regardant au-dedans, sans se laisser distraire par ce qui se passe au dehors. Le profane soumis à l’épreuve de la Terre est appelé à mettre en jeu les énergies latentes qu’il porte en lui-même. L’Initiation a pour but de favoriser la pleine expansion de son individualité».
Le Cabinet de Réflexion est l’unique moment, dans le cheminement initiatique, où l’on reste seul en présence de soi-même, isolé dans la pénombre, devant des énigmes à résoudre et des décisions à prendre. Pour le candidat à l’Initiation, ce second séjour dans le Cabinet de Réflexion concerne aussi la rédaction de son testament philosophique !
Bien que la rédaction du testament philosophique soit souvent le fruit d’une réflexion trop brève, cet acte permet néanmoins de clarifier les dernières pensées profanes, pour faire le point sur ce qui subsiste d’essentiel d’une existence passée.
La rédaction d’un testament spirituel est un acte qui devance l’échéance naturelle de la destinée, car c’est de sa libre volonté que le candidat à l’Initiation met un terme à une phase de son existence et en tourne définitivement la page. Cette rédaction du testament constitue comme une anticipation du serment du futur Initié, puisqu'il sera considéré comme le terme de sa vie profane. Le testament sera ensuite brûlé et réduit en cendres, comme un témoignage de confiance vis-à-vis de la détermination du Récipiendaire à s’engager dans la voie initiatique.
Irène Mainguy considère le testament philosophique comme « un pont virtuel reliant le passé profane à l’avenir de l’Initié et comme un point de passage vers un autre devenir, une nouvelle qualité d'être ».
Mais les richesses du Cabinet de Réflexion ne s’arrêtent pas là car il contient plusieurs éléments alchimiques qui contribuent à transmuter un matériau mortel pour en dégager la réalité immortelle. En vivant cette première expérience alchimique qui sera suivie de beaucoup d’autres pour qui fera preuve de vigilance et de persévérance, le futur Initié se dépouille des aspects caducs pour recevoir le rayonnement de l’or de l’Initiation, au-delà de la mort. Mourir, c’est passer d’un mode d’existence à un autre. Le Récipiendaire doit mourir aux faiblesses profanes pour renaître à la vie initiatique.
Pour Raoul Berteaux, l’inscription « V.I.T.R.I.O.L. » concerne la « descente dans la terre » que le candidat est censé accomplir en descendant dans le Cabinet de Réflexion. Celui-ci est à considérer comme « un donné potentiel » offert à celui qui va se séparer du « vieil homme » et qui est reçu sous le signe de la « terre », en attendant d’être reçu dans le temple sous les signes de « l’air », de « l’eau » et du « feu ».
Pour Jules Boucher, l’expression désignée par les lettres «V.I.T.R.I.O.L.» est « une invitation à la recherche de l’Ego profond, qui n’est autre que l’âme humaine elle-même, dans le silence et la méditation ».
Déjà dans ce Cabinet de Réflexion, le futur Frère peut percevoir cette grande lumière de l’Initiation qui se présente à lui sous de multiples formes symboliques qu’il commence par pressentir avant de pouvoir les déchiffrer. Mais pour opérer un réel recentrage à caractère illuminatif, il convient d’apprendre à méditer en profondeur.
Pour cela, l’isolement silencieux s’impose, car on ne peut suivre le cours de ses pensées qu’en évitant tout ce qui disperse et distrait. Fuir le tumulte du monde profane, se retirer dans la solitude fut donc jadis le premier acte de l’aspirant à la Sagesse.
Les trois voyages au cours de la cérémonie d’Initiation
Au Premier degré, le prescrit maçonnique prévoit trois voyages qui font suite aux trois premiers évoqués ci-dessus. Tous les rites maçonniques font accomplir au Récipiendaire trois voyages au cours de la cérémonie d’Initiation. Au cours de chacun de ces périples, le postulant subit une épreuve relative aux Eléments. Les quatre Eléments renvoient à la physique des anciens et instruisent sur les commencements de notre rapport avec la réalité. Ces voyages et ces épreuves constituent l’enseignement du commencement de l’Initiation.
Les épreuves physiques placées tout au long de l’Initiation sont de lointaines réminiscences des épreuves subies par l’impétrant dans les Mystères anciens de la plus haute antiquité : culte de Mithra, initiations dans les sanctuaires égyptiens, culte d’Isis, de Dyonisos … Ces voyages et leurs épreuves physiques ont une réelle nécessité et surtout possèdent un sens moral et philosophique.
Il s’agit tout d’abord de frapper l’imagination et les sens, de frapper l’inconscient et de déstabiliser ce conscient qui se croit à l’abri de tout. Avec les peurs de l’enfance qui reviennent, le noir, la solitude et les ombres, l’Initiation est en marche et travaillera pleinement et longtemps dans l’inconscient de celui qui n’est encore à ce moment qu’un Profane.
Il va falloir qu’avec ses propres forces, avec sa raison et sa conscience pour seuls points d’appui, l’impétrant se guide seul dans le dédale des passions, des intérêts, des convoitises, qu’il garde le sens clair de la réalité et du discernement sans perdre le sens sacré de l’idéal. Il devra échapper à l’égoïsme, à l’égocentrisme, au scepticisme. Il lui faut trouver l’amour du Bien, l’amour de l’Humanité, l’amour de la Justice, de la Sagesse.
Si le postulant a choisi de vivre ce rituel, c’est pour se remettre en question et se libérer de la gangue des préjugés. Mais cela ne peut fonctionner qu’à la condition d’y repenser et d’y travailler sans cesse.
Cette cérémonie, en elle-même et par elle-même, n’est, faut-il le rappeler, qu’une mise en route. Elle est conçue pour provoquer un choc et ne fait pas du Profane un Initié. Pour tirer profit de la cérémonie, le jeune Apprenti doit la revivre après l’avoir vécue, en relire le rituel, la repenser car elle contient des incitations et de nombreuses allusions. Il appartient à celui qui l’a vécue d’en faire surgir le sens.
Même si leur dramatisation matérielle apparaît parfois un peu pauvre, les épreuves maçonniques telles qu’elles sont mises en scène dans nos Loges, font allusion aux mystères les plus formidables de la Tradition initiatique. Le candidat qui les subit en esprit et en vérité devient un réel Initié. S’il les évite, il reste profane en dépit de toutes les connaissances dont il peut faire étalage par la suite.
Pour Guy Boisdenghien, « le concept des voyages est une constante des traditions ésotériques. En Maçonnerie, ils s’exécutent en trois déplacements dextrogyres autour du Tableau de Loge. Ces circumambulations autour du centre de la Loge, modèle réduit du Cosmos ont pour but d’inciter le postulant à se concentrer sur son propre centre. Aussi le terme « voyage » qui, dans le lexique profane, définit un déplacement vers un lieu assez éloigné acquiert une toute autre dimension de sens dans le vocabulaire initiatique. Le postulant entreprend effectivement un déplacement éloigné, dans la profondeur spirituelle de son en-soi dont il a conscience mais qu’il ne maîtrise pas faute de moyens mis à sa disposition ».
Le voyage résume à lui seul la vie de l’homme et surtout la pérégrination de l’Initié qui cherche dans le labyrinthe terrestre sa lumière, son centre, son éternité. De tous temps, les pèlerinages ont été associés à la recherche du centre et à la reconstruction du monde. En voyageant, l’être met ses pas dans ceux du Créateur pour recréer avec lui les phases de l’œuvre. L’Initiation est un voyage hors du temps pour se rapprocher du centre de la totalité invisible.
Pour Irène Mainguy, « les voyages symboliques préfigurent ceux qui seront à faire dans l’univers entier représenté par la loge… Le voyage peut physiquement désigner un déplacement dans l’espace, mais le véritable voyage consiste à se diriger de la périphérie vers le centre de soi-même, pour accéder à son propre cœur et ouvrir son temple intérieur qui est comparable à un saint des saints individuel, en tous points semblable à l’Unique ».
Le sens des trois voyages
Dans l’Initiation maçonnique, le Récipiendaire sort d’abord de la terre, le premier des quatre Eléments, le domaine souterrain où se développent les germes et les semences. Elle est figurée par le Cabinet de Réflexion où le Récipiendaire a été enfermé.
D’après notre rituel (au Rite Moderne belge), « Le premier voyage est l’emblème de la vie humaine. Le cliquetis d’armes, le bruit, le fracas, la turbulence évoquent le tumulte des passions, le choc des intérêts, les obstacles et les pièges qui guettent l’homme sur le chemin de la vie ».
Au cours du deuxième voyage, le Profane apprend que « nul n’entre en ces lieux que de sa propre et libre volonté, mais que quiconque est admis doit respecter les convictions de chacun, comme chacun respectera les siennes. Ainsi la Maçonnerie devient le centre d’union où se nouent d’une amitié fidèle des hommes qui, autrement, auraient dû rester à jamais éloignés l’un de l’autre ».
« Pendant ce deuxième voyage, le tumulte et le cliquetis d’armes se sont apaisés. Ceci symbolise le résultat que la persévérance permet d’atteindre. Ainsi l’homme ferme et courageux surmonte les obstacles qui entravent sa route ».
« Au cours du troisième voyage ont régné l’ordre et la paix ». « Les flammes par lesquelles » est passé le Récipiendaire « ont achevé sa purification ». « Puissent-elles entretenir à jamais en son cœur l’ardeur de la charité. Courage, savoir, vertu ne sont que de vains mots sans la charité ».
Les trois purifications
Puis, au cours de ces trois voyages effectués dans la Loge, tout autour du Tableau de Loge, le Candidat est successivement purifié par l’air, par l’eau et par le feu. Ainsi, il s’affranchit par paliers de la vie matérielle, de la philosophie et de la religion et parvient à l’initiation pure.
Les rites de purification sont aussi anciens que les systèmes religieux et philosophiques eux-mêmes. Les plus anciens Rituels maçonniques font état de la purification par les quatre éléments, probable résidu d’une symbolisation totémique du développement de la vie à l’aide et à travers ces entités élémentaires primordiales. En Franc-maçonnerie, les purifications se justifient car le postulant est remonté de la terre – c’est-à-dire du Cabinet de Réflexion – premier stade de sa renaissance où il a subi une putréfaction de la graine. L’épreuve de la terre est un emblème qui signifie la mort du vieil homme, indispensable à la germination de l’homme nouveau. Ainsi, en certaines circonstances, l’impur vient de la terre.
Les trois voyages dans la Loge s’effectuent par circumambulations successives, allant du bruit des grandes eaux au silence du non – temps. Ces circumambulations symbolisent les métamorphoses de l’être en quête du centre, de l’être qui quitte le monde inconscient pour s’éveiller à son devenir intemporel.
Le premier voyage dans la Loge (pratiquant le Rite moderne belge) est le voyage de l’air. Initié en devenir, le candidat accepte le souffle créateur. Le souffle est le Verbe et le Verbe est au commencement de toute renaissance. C’est le Verbe qui initie et révèle la lumière. Le souffle est le Verbe créateur qui propulse l’Initié dans les hauteurs aériennes. Le souffle crée l’aile qui emportera l’être dans les sphères du non – temps.
En recevant le souffle initiatique, le Néophyte devient lui-même souffle qui se mêle au souffle vivifiant de l’univers. Et en devenant souffle, il se libère de la pesanteur pour devenir vide et lumière. L’air est le voyage de l’élévation.
Le deuxième voyage par circumambulation, c’est le voyage de l’eau ou du baptême, au cours duquel se produit la dissolution de l’être par l’élément liquide afin de naître à une nouvelle forme.
Mais le souffle n’a de sens que s’il est souffle d’amour et c’est le feu qui fait que le Néophyte se consume pour l’autre, pour les autres, afin que les autres vivent et puissent à leur tour prendre conscience de leur rôle de transmetteur. L’homme transmet le feu d’amour qu’il a reçu par l’Initiation. Cela constitue le troisième et dernier voyage dans la Loge : c’est le voyage du feu.
Le feu est la transmutation de toute matière en lumière. Le feu a une double dimension. Il est à la fois chaleur et lumière : la chaleur dégagée par la transformation – purification et la lumière qui en émane. Cette double réalité du feu en fait l’élément essentiel de la métamorphose de la matière. Le feu inscrit dans le Verbe manifesté est l’amour initiatique du Créateur.
Les dernières circumambulations rapprochent le Néophyte du centre, symbolisé par le Tableau de Loge, et lui donnent la force de recevoir la Lumière. Car il faut être fort, en effet, pour traverser le miroir du mirage du temps.
Recevoir le feu, c’est accepter de devenir lumière, donc de brûler pour les autres. Le feu est le commencement d’un nouveau processus, d’une nouvelle vie. Recevoir la Lumière équivaut à recevoir la Connaissance, et la Connaissance est amour.
L’Initiation par le feu est la dernière phase du processus. Il était absolument nécessaire de d’abord mourir dans la terre pour recevoir ensuite le souffle du Verbe puis d’être régénéré dans l’eau, pour enfin brûler en devenant un lumineux. C’est en recevant la Lumière que le Néophyte est devenu un ouvrier du Temple, un morceau du plan. Le feu devient Lumière.
Pour Julien Behaeghel, l’Apprenti meurt quatre fois dans les éléments de la matière alchimique : la terre, l’air, l’eau et le feu. « Mourir dans les quatre éléments correspond à la métamorphose de notre propre corporéité. Le corps de matière meurt dans l’obscurité de la caverne – Terre, le tombeau de résurrection ; il se dissout dans l’Eau baptismale, l’eau de la nouvelle naissance ; il se spiritualise dans le Feu de la conscience et se verticalise dans l’Air de légèreté. L’horizontale de la Terre – Eau devient la verticale du Feu – Air ».
Si durant cette phase initiatique des quatre voyages au travers des quatre Eléments le Profane a les yeux bandés, c’est bien entendu pour ne pas voir. C’est surtout pour prolonger l’épreuve du Cabinet de Réflexion, pour lui permettre de rentre en lui, d’éveiller ses autres sens comme le toucher et l’écoute. C’est pour mettre en œuvre son sens intuitif, sa réceptivité. C’est pour éprouver sa confiance.
Passer par les quatre Eléments, c’est se purifier, c’est commencer la lente et longue ascension de l’âme, de l’être, vers ce qui, en lui, est unique, universel, indestructible, son énergie, son centre, son joyau.
Pour Bachelard, ces quatre Eléments ne sont pas figés. Ils se transforment, évoluent au gré de leurs rencontres. Ils sont « les hormones de l’imagination. Ils mettent en action des groupes d’images. Ils aident à l’assimilation intime du réel dispersé dans les formes. Par eux s’effectuent les grandes synthèses qui donnent des caractères un peu réguliers à l’imaginaire. En particulier, l’air est ce qui nous fait grandir psychiquement ».
Ainsi, selon les philosophes de l’Antiquité comme Platon, Pythagore, Empédocle et Aristote, la nature réaliserait son œuvre de génération et de destruction au moyen de ces quatre Eléments : eau, feu, air et terre.
Lorsque les trois voyages sont terminés, lorsque le candidat a été purifié par les quatre Eléments, le Vénérable Maître invite le Maître des Cérémonies à présenter le Calice d’amertume au candidat.
L’épreuve du calice d’amertume
La signification de ce geste est liée aux difficultés de la voie initiatique. En effet, le Vénérable Maître, qui sollicite le candidat à vider la coupe jusqu'à la lie, précise que « ce breuvage, par son amertume, est l’emblème des épreuves inséparables de la vie. La résignation peut en adoucir les effets mais le courage seul peut l’aider à les vaincre ».
Boire à la coupe, c’est s’engager fermement sur le chemin de la connaissance de soi. Boire la coupe jusqu'à la lie, c’est consentir à persévérer jusqu'au bout quelle que soit la nature des épreuves à traverser, et s’engager à triompher de ses ténèbres intérieures.
Pour Jules Boucher, le candidat devrait boire le contenu de la coupe en trois fois car il prend en considération les trois phases qui caractérisent le breuvage de l’Initié :
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la première serait comme un liquide insipide, sans saveur, le symbole d la vie du profane en qui l’esprit n’a pas été éveillé ;
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la deuxième, amère, symboliserait la vie de l’Initié qui est en voie de rechercher et de découvrir. Il est en proie au tourment de la recherche de la connaissance, voulant trouver la lumière et vivement sortir de son enfermement ;
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la troisième phase serait la vie de l’adepte qui a reçu depuis longtemps la lumière en laquelle il puise, qui lui confère toute sa sérénité, sa paix intérieure et profonde, la quiétude que lui a valu l’Initiation, et le breuvage pourrait alors être comparable à la boisson divine qui confère l’immortalité.
Tout cherchant dans la voie initiatique doit vider la coupe d’amertume jusqu'au bout, jusqu'à la lie, car tout être authentique est confronté, au fur et à mesure de la progression de sa quête, aux plus dures épreuves.
L’absorption préalable du breuvage chargé d’amertume est la meilleure manière de s’y préparer par la connaissance. La coupe est symbole de transition entre le monde profane, d’où vient le Récipiendaire, et le monde des aspirations spirituelles.
La coupe étant vide, la Loge est à présent prête à satisfaire les vœux du candidat et à récompenser sa persévérance pour autant que ce dernier consente à prendre l’engagement solennel que la Franc-maçonnerie impose à ses membres.
Les visites dans d’autres Loges
Le privilège de la visite d’une autre Loge se trouve octroyé aux Compagnons et aux Maîtres. Les Apprentis s’avérant – en principe – trop ignorants et inexpérimentés ne peuvent « voyager » seuls.
Visiter une Loge, c’est participer aux Travaux d’une Loge autre que celle à laquelle on appartient. Il est très important pour un Maçon de visiter. Il apprend ainsi à connaître d’autres visages, d’autres personnalités mais aussi d’autres rites. De plus, les visites créent des liens entre les Loges. Celles-ci en arrivent parfois à organiser des Tenues communes.
Un Frère visiteur doit respecter les usages de l’Atelier qu’il visite. Il commence par se présenter au Vénérable de la Loge. Il répond au « tuilage » s’il y est convié fraternellement. Ensuite, il calque son comportement sur celui des membres de la loge visitée et ne manque pas de présenter, s’il est Compagnon ou Maître uniquement, et au moment opportun, les salutations fraternelles de son Atelier.
En visitant une autre Loge, le Maçon devient un ambassadeur de sa Loge. Sa conduite, ses propos doivent le désigner comme étant un modèle de Maçon faisant honneur à sa Loge et à son rite.
Pour conclure, du moins provisoirement
Ce n’est pas sans raison que l’Initiation comporte un aspect de dépouillement du vieil homme, de purification des impuretés etc. Pour ce qui nous concerne, l’Initiation maçonnique prend la forme de voyages autour du centre durant lesquels sont présentées certaines épreuves qui ont pour but de s’éprouver soi-même et posséder désormais un modèle efficace de ce qu’il y a lieu de continuer dans la vie courante.
Le fait que ces obstacles soient surmontés au cours d’une circumambulation répétitive autour du centre est capital car il indique la méthode à utiliser pour effectuer réellement la purification : voir le centre sous tous ses aspects, puis abandonner ce qui est périphérique et, en se concentrant, au sens technique méditatif du terme, atteindre le moyeu vide et immobile de la roue qui tournoie.
R :. F :. A. B.
Bibliographie
Bernard Baudouin - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995
Behaeghel Julien - Symboles et initiation maçonnique
Hiram dans le labyrinthe
Editions du Rocher, Monaco, 2000
Behaeghel Julien - L’Apprenti maçon et le monde des symboles
La Maison de Vie, Fuveau, 2000
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome 1 : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995
Darche Claude - Vade-mecum de l’Apprenti
Editions Dervy, Paris, 2006
Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie
Editions Dervy, Paris, 1994
Ferré Jean - Dictionnaire des symboles maçonniques
Editions du Rocher, 1997
Guigue Christian - La formation maçonnique
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001
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Par Chemin47 le 24 Mai 2015 à 20:29
Le franchissement de la Porte basse
Introduction
Le glossaire général du symbolisme maçonnique, présent sur un « site Internet », nous indique que la « Porte du temple », placée entre les deux Colonnes, est un symbole particulièrement parlant et que, pour subir son Initiation, le Profane pénètre dans la Loge par la « Porte basse ».
Le rituel maçonnique veut en effet que le candidat à l’Initiation soit obligé de se courber lors de sa première entrée dans la Loge. Bien que cette attitude puisse nous inciter à faire preuve d’humilité, il ne s’agit pas d’humilier le candidat, mais de lui signifier qu’il meurt à la vie profane pour renaître à une vie nouvelle.
La Porte basse est un passage obligé pour tout Récipiendaire dûment préparé, ni nu ni vêtu, parfois avec une corde autour du cou (gestuelle appliquée dans certaines Loges pratiquant le Rite Écossais Ancien et Accepté) ou parfois même les mains enchaînées.
Ce symbole de la Porte a de nombreuses significations que je vais tenter de développer dans cette recherche.
Ces premières considérations m’ont déjà permis de répondre à deux premières questions : « Quand franchit-on la Porte basse ? » et « Pourquoi la franchit-on ? ».
Nous pouvons aisément comprendre que cette gestuelle ne concerne que le Profane qui a frappé à la Porte de la Loge. Le Vénérable Maître, au nom de tous les Frères, lui en a permis l’accès. Et la Porte lui a été ouverte.
L’objectif de la présente planche est d’examiner comment se passe concrètement le franchissement de la Porte basse et de dégager le symbolisme de cette scène.
Mais avant tout, je voudrais signaler que dans la littérature maçonnique, certains auteurs utilisent l’expression la « Porte du temple ». Prenons plutôt l’habitude de dire « la Porte de la Loge », afin d’être en conformité avec les indications de notre Rite moderne (belge) adoptées par la Grande Loge Régulière de Belgique : la Loge n'étant pas le Temple, il faut éviter de parler du « Temple », de « la Porte du Temple », etc. Le Temple n'est mentionné que lorsqu'il est fait allusion au Temple de Salomon.
La Porte de la Loge est le lieu d’accès qui marque la limite entre l’enceinte sacrée et le monde profane. Elle est située à l’Occident, là où le Soleil disparaît, entre les Colonnes « J:. » et « B:. ».
Le franchissement de la porte basse
Après lui avoir bandé les yeux pour quitter le Cabinet de Réflexion, le candidat est amené au Parvis, avec l’aide du Maître des Cérémonies. Portant une chemise blanche laissant bras et sein gauche découverts, le genou droit nu et le pied gauche nu dans une pantoufle, le candidat est ainsi amené face à la Porte de la Loge. C’est ainsi que, « ni nu ni vêtu », les yeux bandés (et même une corde au cou au Rite Écossais Ancien Accepté) le candidat se présente à la Porte de la Loge.
Pour se mouvoir, il est à présent entièrement dépendant de celui qui voudra bien ne pas le laisser choir ! Au Rite moderne, c’est soit au parrain du candidat, soit au Maître des Cérémonies que revient le devoir de le mener vers les épreuves qui l’attendent.
Privé de la vue pour un certain temps, ses autres sens devraient être stimulés davantage car, dès cet instant, il a à éprouver et à entendre. Son regard d’aveugle se tourne vers l’intérieur mais au cours de la cérémonie, il n’a pas vraiment le loisir de regarder en lui-même. Il en aura le souvenir, plus tard.
Pour pouvoir pénétrer dans la Loge, le Maître des Cérémonies frappe violemment, en profane, sur la porte et fait savoir qu’il demande l’entrée pour un profane « né libre et de bonnes mœurs qui demande à être reçu Franc-maçon ». A ce dialogue qui lui semble lointain, le candidat ne comprend pas grand-chose, si ce n’est qu’il a acquis le droit d’entrer. C’est par trois grands coups (parfois un seul) qu’il obtient l’entrée de la Loge. Puis il entend la porte s’ouvrir à grand fracas.
L’entrée de la Loge est une marche à la rencontre du soleil, vers l’Orient. Elle est le lieu de passage entre deux mondes. Elle est la limite entre l’enceinte sacrée et le monde profane. Elle signale le passage et invite à la franchir.
La Porte de la Loge est très basse et le passage est difficile. En réalité, des mains le font se baisser pour passer sous la canne du Maître des Cérémonies tenue horizontalement par les deux Surveillants. Le Récipiendaire doit se faire tout petit, se laisser pousser ou tirer. Il doit vivre sa « renaissance ». La Porte basse est un passage obligé pour le Récipiendaire dûment préparé. Il se redresse, avance et s’arrête bientôt, parfois stoppé par ce qu’il sent sur sa poitrine (Au Rite Écossais Rectifié, c’est la pointe de l’épée du Second Surveillant).
Cette entrée n’est certes pas banale. Elle est loin d’être discrète car elle est précédée de trois grands coups frappés à la porte. Plus tard, l’Apprenti apprendra – dans le « Tuilage » – qu’il a été introduit dans la Loge par « Trois Grands Coups » qui signifient « demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira ». Il s’agit évidemment d’une référence à l'Evangile de Luc, qui met textuellement cette phrase dans la bouche de Jésus qui la complète par « Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe on ouvrira » (Lc, XI, 9, 10).
Dans l’esprit maçonnique, nous constatons toute l’importance de la démarche volontaire. Si l’on demande, on reçoit ; mais si l’on veut recevoir, il faut demander. Rien ne vient tout seul, et en particulier la Vérité, qui ne se révèlera pas d’elle-même. Il faudra la chercher, la débusquer là où elle se cache, c’est-à-dire en des endroits où l’on ne s’attendait pas à la trouver.
La manière de franchir la Porte basse
Placés dans la même situation de simplicité et sur pied d’égalité, tous les Profanes franchissent la Porte basse dans la même situation, qu’ils soient notables, riches ou pauvres. Et pour certains Récipiendaires, ce franchissement peut paraître difficile car il implique de se baisser, de s’abaisser, de faire preuve d’humilité.
Le Récipiendaire est invité à baisser la tête, à passer en boule comme le fœtus au moment de la naissance. C’est pourquoi, après la prestation de serment, l’appellation de « Néophyte » est tout à fait justifiée : « néophyte » signifiant « qui devient une nouvelle plante ».
Cette position de passage invite à la concentration sur soi, nécessaire à un passage difficile. Accéder à la Loge demande de passer par la Porte étroite. Le Récipiendaire est libre de son choix, bien qu’entravé en apparence dans sa démarche.
Franchir une porte donne accès vers autre chose. La Porte de la Loge n’est-elle pas basse pour indiquer la difficulté de passer du monde profane au monde initiatique ? Le sentiment qui domine le monde profane est bien souvent l’orgueil, la soif d’avoir et de pouvoir.
Chacun se considérant comme le centre du monde, rapportant tout à son ego, ne jugeant les évènements qu’en fonction des répercussions sur sa situation individuelle, voulant plier le monde à ses conceptions étroites et égoïstes, sans se préoccuper du sort de l’humanité. Frapper à la Porte de la Loge, franchir la Porte basse, c’est un début de prise de conscience de l’état d’ignorance dans lequel on est, et de la nécessité d’un guide.
Le franchissement de la Porte de la Loge maçonnique correspond au passage du domaine profane à celui du sacré. Cette porte qui permet l’accès à un changement d’état fait penser aux portes de la naissance et de la mort, franchissements inéluctables et imposés, alors que celui de l’Initiation est choisi librement. Toutefois celui qui est Initié par l’épreuve de la mort, éprouvée en ce monde par anticipation, a le privilège par cette connaissance, de s’affranchir de toutes les peurs.
Le fait d’avoir franchi la Porte de la Loge ne signifie pas que l’on est Initié. Tout le travail reste à faire ! Refranchir la porte en sens inverse doit permettre, dans le cadre d’une extériorisation ou d’un engagement extérieur dans la société, de transmettre à bon escient la Lumière reçue.
Par extension, la Loge est aussi une porte. A plusieurs titres, porte des dieux, porte des hommes. Par l’une, le ciel descend sur la terre, par l’autre, les hommes remontent au ciel. La Porte des dieux est le Solstice d’hiver, la Saint Jean d’hiver, la période de Noël, le moment où le soleil va reprendre sa course ascendante et où Jean l'Évangéliste se tourne vers le haut pour louer le ciel. La Porte des hommes correspond, elle, au Solstice d’été, lorsque le soleil commence à descendre, à la Saint Jean-Baptiste, à la fin du mois de juin. A la fois jour le plus long et nuit la plus courte. La Porte du temple dite porte d’entrée est aussi porte de sortie car sa fonction est double.
La Porte basse n’est pas sans analogie avec la porte étroite dont parle Jésus dans le Sermon sur la montagne[1] :
« Entrez par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et il en est peu qui le trouvent ». (Mt, VII, 13 – 14)
Approche du symbolisme des trois coups
Pour éviter toute connotation religieuse dans l’extrait de la parole biblique (Lc, XI, 9, 10), le rituel précise que l’objet des demandes, c’est la Lumière.
Le candidat demande et recevra la Lumière. Le candidat cherche et trouvera la Vérité. Le candidat frappe à la Porte de la Loge et celle-ci s’ouvrira.
Les Trois Grands Coups martelant symboliquement les trois demandes sont, dans la pratique, parfois réduits à un seul (au Rite Écossais Ancien Accepté), car frapper trois coups reviendrait à frapper en Initié. Sauf si ces trois coups sont bien espacés et non à l’image de la batterie du grade d’Apprenti (au Rite moderne).
Coup unique ou trois coups, ce geste porte en lui toute la quête du postulant. Il sous-entend que c’est là qu’il cherchera Lumière et Vérité mais qu’il ne trouvera que le chemin qui conduit vers elles.
Approche du symbolisme de la Porte de la Loge
La Porte s’est donc ouverte avec grand fracas. La réponse aux Trois Grands Coups qui marquaient la quête du Postulant (peut-être désespérée et angoissée) est elle-même bruyante. Le Postulant ne fait pas une entrée furtive par une porte entrebâillée. Son entrée dans le monde de la Connaissance est au contraire tonitruante. Elle ne se fait pas sur un tapis rouge à travers deux battants largement ouverts. Il lui faut franchir la Porte Basse, profondément courbé, par humilité et respect.
Il est « ni nu, ni vêtu », mais en situation intermédiaire, en train d’effectuer un rite de passage, comme le font encore les jeunes gens de nombreuses tribus africaines, de l’enfance à l’adolescence. Mais pour le Postulant, il s’agit de passer de l’état profane à l’état d’Initié. Ces deux états sont représentés par le monde d’où il vient et le monde dans lequel il va pénétrer. La transition est marquée par cette Porte Basse.
On peut considérer qu’il s’agit d’un véritable accouchement. Le futur Initié a été en gestation dans l’œuf philosophique, au sein de la terre mère, le Cabinet de Réflexion.
Il naît à sa nouvelle vie à travers ce passage étroit, se trouvant dans l’état du nouveau-né, bien désarmé et démuni dans un monde qu’il ne connaît pas et ne comprend pas.
Ce qu’il va vivre lors de la cérémonie représente alors sa petite enfance au cours de laquelle, totalement dépendant, il découvrait le monde.
L’état d’Apprenti qui suivra correspondra à celui de l’enfance. La loge dans laquelle il fait son entrée sera sa « Loge mère », celle qui l’aura fait naître et avec laquelle il gardera des liens affectifs très forts tout au long de sa vie maçonnique.
Ce symbole qu’est la Porte de la Loge a de nombreuses significations. Il est demandé au Profane de franchir une porte qu’il ne voit pas. Franchir cette porte ne se résume pas seulement à un déplacement dans l’espace : cela devient un acte symbolique qui doit être mûrement réfléchi et accompli en parfaite connaissance de cause.
La porte basse suppose la délimitation volontaire de lieux comme d’espaces différents, du profane au sacré. Elle a une fonction de protection ; elle donne ou interdit l’accès à autre chose, à un autre lieu, une autre connaissance ; ainsi, la porte fermée est une protection du lieu sacré.
Le postulant accomplit un réel passage d’une vie à l’autre entre la matrice qui l’a porté et la Loge dont il ignore encore tout. Et pour marquer de façon indélébile la difficulté de ce nouvel accouchement, c’est courbé, presque rampant, qu’il passe la porte comme s’il sortait d’une trappe avant de pouvoir, enfin, se relever et retrouver sa stature proprement humaine.
Cette pratique existait déjà aux premiers temps de la Franc-maçonnerie comme l’attestent certains documents du début du 18e siècle.
« Ni nu ni vêtu », le postulant pénètre dans la Loge entre deux états : l’état de nature et l’état social, ni tout à fait l’un, ni l’autre non plus. C’est dans cet appareil qu’il se redresse enfin, vertical entre terre et ciel et dans l’axe d’une Lumière qu’il pressent mais ne découvre pas encore.
Dans tous les rites initiatiques, il y a, au départ, une intention de changement d’état, actif et conscient, en vue d’un accomplissement de l’être. Bien souvent la porte est gardée par des gardiens du seuil ou des sentinelles qui renforcent son caractère de protecteur.
Si la porte peut être définie comme une surface plate, généralement rectangulaire, remarquons qu’elle est une invention humaine dont on ne trouve nulle trace dans la nature.
La Porte de la Loge est un symbole ; un symbole riche de sens. Il représente le passage d’un état à un autre. Il est assimilable, par analogie, aux symboles du pont et de l’échelle qui appartiennent aussi au domaine de la construction. La Porte étroite ou la Porte basse n’a pas la même signification que la Porte solsticiale (évoquée dans certains rituels de célébration des Solstices) car elle est sans retour et livre un passage unique.
Dans tous les rites initiatiques, il y a au départ une intention de changement d’état, actif, conscient, en vue d’un accomplissement de l’être. Bien souvent la porte est gardée par des « gardiens du seuil » ou sentinelles qui renforcent son caractère protecteur. En Maçonnerie, ce sont – suivant le Rite auquel on travaille – le Frère Couvreur, le Tuileur et l’Expert qui remplissent ces fonctions de gardien du seuil de l’espace sacré.
Anciennement le Tuileur montait la garde à l’extérieur de la Loge (c’est encore le cas dans la Maçonnerie de la Marque) et le Couvreur à l’intérieur communiquant, entre eux par des échanges de coups donnés de part et d’autre de la porte. Le nombre et le rythme de ces coups étant calqués sur ceux du degré ou grade pratiqué. Cet usage est encore observé de nos jours dans les Rites Anglais, dont le Rite « Émulation ».
Au Rite moderne, nous avons un Frère Couvreur et parfois aussi un Frère Couvreur extérieur qui communiquent de la même façon aux moments opportuns.
Conclusion provisoire
Avant même de frapper à la Porte de la Loge, il faut la trouver et donc l’avoir cherchée. La Franc-maçonnerie n’est pas une voie de masse. N’est-elle pas même élitiste ? En réalité, si seuls quelques-uns suivent la voie qu’elle propose, c’est que, parmi les hommes qui auraient la possibilité de la suivre, fort peu sont animés des aspirations nécessaires et que, parmi ceux-ci, certains ne trouvent pas la porte et d’autres ont peur de ce qu’ils trouveront derrière. De toute façon, le chemin resserré qu’il y a derrière la porte est ardu et caillouteux : la voie maçonnique n’est pas celle de la facilité.
Pour les chrétiens, cette porte est peut-être plus facile à trouver. Jésus a dit en effet : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. » (Jn X, 9).
Lors du franchissement de cette Porte basse, certains d’entre nous ont peut-être éprouvé le sentiment de venir au monde, tête en avant, comme lors d’un accouchement où le bébé sort la tête la première. Pourquoi pas ?
Mais ne faudrait-il pas plutôt considérer ce franchissement comme notre première leçon d’humilité ? Car ce qui s’apparente presque à une génuflexion nous oblige à prendre conscience du peu que nous sommes. En effet, en nous pliant à jouer cette scène, nous n’entrons pas dans la Loge fier et content de nous-même. Nous entrons avec nos incertitudes et nos méconnaissances, rejouant le mythe de tout être qui cherche la vérité.
Nous nous courbons devant le travail qui nous attend, mais des bras secourables nous aident à nous relever et le monde redevient fraternel et aimant !
R :. F :. A. B.
[1] Voir Guénon René, « Les symboles de la science sacrée ». Editions Gallimard, 1962
Suggestions pour aller plus loin dans la recherche
Guérillot Claude - De la porte basse à la porte étroite - Une approche de l'Initiation
Collection « L'Esprit des Choses » – Editions Dervy, Paris, 2007
Claude Guérillot se définissait comme un « théiste noachiste » pour qui « le ciel n'est pas fermé » et Dieu n'est jamais absent de sa Création.
Dès lors, pour lui, les trois grandes théophanies du Sinaï, de l'Incarnation et de la « dictée du Coran » étaient de « grandes révélations » auxquelles l'homme peut accéder s'il renonce à faire de lui-même une « idole humaine », si, comme le disait Luther, « il se reconnaît pêcheur » et s'il se met à l'écoute des « petites révélations » reconnues par Louis-Claude de Saint-Martin. Si, depuis l'élaboration de ce livre, l'auteur a beaucoup évolué, il continue de penser que l'essentiel, comme l'a écrit Amadou Hampâté Bâ, est d'être capable de dire « oui à Dieu » du plus profond de son âme.
Rechercher ce qu'est un symbole, peiner vers une initiation toujours remise en cause, c'est œuvrer au chantier d'une cathédrale, d'un temple intérieur ; c'est être un ouvrier sur le chantier divin. Une immense chaîne intemporelle relie entre eux les amants de la sagesse, les chercheurs de l'Absolu, de l'hiérophante oublié d'Eleusis aux inspirés d'Israël, du Pater initiant Mithra aux Initiés chrétiens que furent Thérèse d'Avila ou saint Jean de la Croix, des sages de la Kabbale aux Soufis de l'Islam.
Et tous, humbles ouvriers du Temple, ont travaillé ensemble à la plus grande gloire de Dieu. Si, de nos jours, un seul Européen sur dix pratique une religion, plus des trois quarts croient en Dieu et aspirent, plus ou moins confusément, à retrouver le chemin qui mène vers lui. C'est ce chemin pénible, cette ascension pénible entre les précipices, que l'auteur a engagé. C'est à ces femmes et à ces hommes qui veulent retrouver, sans tomber dans le piège des sectes, un chemin vers « la maison du Père » que ce livre s'adresse.
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995
Beauchard Jean - La voie de l’Initiation maçonnique
Editions Véga, Paris, 2004
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome 1 : « Les Loges bleues » – Editions Detrad, Paris, 1997
Darche Claude - Vade-mecum de l’Apprenti
Editions Dervy, Paris, 2006
Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie
Editions Dervy, Paris, 1994
Guénon René - Les symboles de la science sacrée
Editions Gallimard, 1962
Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire
3e édition revue et augmentée – Editions Dervy, Paris, 2006
Mondet Jean-Claude
La Première Lettre - L’Apprenti au Rite Ecossais Ancien et Accepté
Editions du Rocher, Monaco, 2007
1 commentaire -
Par Chemin47 le 23 Mai 2015 à 16:46
Ni nu, ni vêtu …
ou
« De l’importance de la vêture lors de l’Initiation »
Introduction
Je me souviens du soir de mon Initiation. Mon parrain m’avait averti que je devais revêtir un smoking pour la circonstance. J’étais très heureux et fier de porter pour la première fois de ma vie un beau smoking tout neuf. A peine arrivé sur les lieux, voilà qu’un Frère me fit descendre dans une cave pas propre du tout. Ah, mon beau smoking ! Dans quel état allais-je me présenter dans la Loge quand le moment serait enfin arrivé ?
Après la rédaction de ce que l’on nomme assez pompeusement mon « testament philosophique » vint le moment de me préparer… Et ce Frère « préparateur » de me demander de me défaire de mon veston, de me débarrasser de mes métaux, de déboutonner ma chemise, d’enlever même ma chemisette et cela en plein mois de décembre ! Ensuite j’ai dû enlever ma chaussure gauche et ledit Frère m’a remonté une partie du pantalon jusqu'au genou droit.
Ah, mon beau smoking ! Cela valait bien la peine d’en acheter un si beau si c’était pour me l’enlever partiellement !
Tel était mon état d’esprit à ce moment.
Treize ans se sont écoulés avant que je ne décide de livrer mes réflexions à ce sujet.
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Où trouve-t-on l’expression « ni nu, ni vêtu » dans nos rituels, dans les anciennes instructions maçonniques ?
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Comment l’Impétrant est-il réellement vêtu quand on dit qu’il est « ni nu, ni vêtu » ?
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Pourquoi les Maçons font-ils adopter cette vêture aux Impétrants ?
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Sait-on quand est-elle apparue ?
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Quels sens, quelles interprétations peut-on donner à cet accoutrement vestimentaire ?
Telles sont les questions auxquelles j’ai tenté d’apporter dans cette planche quelques éléments de réponses.
Dans notre société, le port de vêtements est souvent une indication du niveau de richesse sociale. Ils accentuent les différences et l’inégalité de fortune. J’ai appris que le smoking nous est généralement « imposé » pour gommer les différences entre nous. Mais il est aussi évident que si les usages de notre Loge nous imposent le port d’un smoking, c’est aussi pour renforcer le côté festif de l’Initiation et pour contribuer à la beauté de la cérémonie.
Dépouillé de cette apparence, quelques instants avant l’Initiation, l’objectif poursuivi n’était-il pas de me rappeler à mon état ontologique de pauvreté ?
Ainsi présenté à la Loge, je ressentais physiquement l’état inconfortable de la dualité, du déséquilibre et de la contradiction, particulièrement éprouvé par la claudication de ma marche.
Cette préparation physique et vestimentaire ne marquait-elle pas la distinction et le croisement des courants énergétiques de droite et de gauche de mon corps, établissant une symétrie autour des axes perpendiculaires et verticaux qui se croisent près du sein gauche où est localisé mon cœur ?
La droite est généralement considérée comme active et la gauche comme passive. Cette disposition vestimentaire – qui peut faire penser à celle d’un condamné à mort – ne devait-elle pas m’aider à prendre conscience de l’obstacle que crée tout dysfonctionnement physique ? Cette mise en scène n’était-elle pas faite pour m’aider à me dépouiller de mon ego, à mourir à moi-même ?
Assez curieusement, dans notre rituel de l’Initiation au Rite moderne belge, l’expression « ni nu, ni vêtu » n’apparaît pas ! Dans le rituel officiel de notre obédience, la G.L.R.B., elle n’est utilisée que dans la septième indication relative à la préparation de tout candidat à l’Initiation. Ces indications s’adressent avant tout aux Frères chargés de cette préparation (Expert, Maître des Cérémonies, parrain du candidat éventuellement).
Que dit cette 7ème indication ? Le candidat sera préparé « ni nu, ni vêtu », c'est-à-dire la tête nue, les yeux bandés avec soin, portant une chemise blanche laissant le bras et le sein gauches découverts, le genou droit nu, le pied gauche nu dans une pantoufle.
Nous savons maintenant comment un candidat doit être préparé physiquement et que l’expression « ni nu, ni vêtu » ne figure pas dans le rituel en lui-même mais dans les indications de mise en scène qui le précèdent.
Examinons à présent d’où nous vient cette tradition.
Un peu d’histoire
La préparation physique du candidat à l’Initiation ne s’est pas faite en un jour. Elle est le produit d’une évolution dans le temps avec, sans doute, des influences diverses. En tout cas, elle n’est pas « de temps immémorial » mais certainement d’origine humaine. Ses différentes caractéristiques n’ont pas une source unique. On devrait d’ailleurs distinguer la préparation des jambes, le placement du bandeau et le dévoilement partiel de la poitrine. Cette préparation a aussi été considérée comme inutile, voire humiliante par certaines obédiences. La Grande Loge Symbolique Écossaise s’est ainsi contentée, dès 1880, de bander les yeux au Profane, habitude qui fut reprise peu après par le Grand Orient puis par la Grande Loge de Belgique.
L’origine de cette expression « ni nu, ni vêtu » dans nos rituels est donc plus ou moins floue. Cet usage ne se rencontre nulle part chez les opératifs. Certains pensent qu’elle pourrait provenir de la tradition templière mais cette hypothèse n’est pas démontrable.
Au travers de ses diverses formulations, on ne peut nier que la coutume du « ni nu, ni vêtu » ainsi que celle du dépouillement des métaux ne soit fort ancienne puisque dans la tradition hébraïque, le Talmud précise que l’on ne doit pénétrer dans le Temple ni chaussé de souliers, ni vêtu de son vêtement extérieur, ni porteur d’argent, car le Temple est considéré comme une terre sacrée.
Les textes maçonniques anciens reprennent à peu près les mêmes données, ce qui laisse à penser qu’elles font partie d’un fonds commun dont l’origine ne peut être qu’hypothétique et sur lequel se sont greffées diverses significations symboliques tout au long du 18ème siècle.
Les historiens de la Franc-maçonnerie ont pu reconstituer les premiers cérémonials de réception des trois grades de la Maçonnerie spéculative dite « bleue » à partir des divers manuscrits et documents disponibles et largement publiés tels que le Manuscrit Graham (1726), le Manuscrit « Masonry Dissected » de Prichard (1730). Ces documents en fournissent les principaux éléments par les instructions ou « catéchismes » par demandes et réponses qu’ils contiennent[1].
Comme il en est toujours avec le temps pour tout cérémonial, ces cérémonies de Réception (ou d’Initiation) relativement simples au début se sont compliquées dès 1740. La France n’est pas étrangère aux innovations introduites à partir de cette date.
Certains éléments des préalables à la Réception proprement dite de tout candidat correspondent d’évidence à une nécessité logique. Mais ne jugeons jamais d’un phénomène ou d’un usage du passé en fonction de critères contemporains !
Si le « Manuscrit Dumfries n° 4 », daté de 1710, donne des précisions sur la posture du Récipiendaire (ni assis, ni debout, ni courant, ni marchant, mais sur son genou gauche, de façon humiliante avec une corde autour du cou), le « Manuscrit Graham » (1726) au caractère nettement christique, nous indique que le candidat est un être sans ornement, ni nu, ni vêtu, ni chaussé, ni pieds nus, ni agenouillé, ni debout, ce qui indiquait un cœur humble et soumis pour être « un fidèle disciple du juste Jésus ».
L’expression « ni nu, ni vêtu » ne figure pas dans les manuscrits écossais de 1696 – 1714. Le « Manuscrit Sloane » de 1700 n’en parle pas non plus.
En ce qui concerne le Rite Écossais Rectifié, il ne faillit pas à la règle des usages antérieurs. Le rituel adopté au Convent des Gaules à Lyon en 1778 est explicite. A la question « Comment étiez-vous habillé en entrant en Loge ? » il fallait répondre : « Ni nu ni vêtu et dépourvu de tous métaux ». Ces dispositions se retrouvent dans le rituel approuvé au Convent de Wilhemsbad en 1782.
L’expression « ni nu ni vêtu » se retrouve également dans :
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le catéchisme des Elus Coëns de l’Univers (en France) ;
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le rituel de la Stricte Observance (en Allemagne) ;
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le sceau rompu (1745) ;
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le rituel du Marquis de Gages (1763) ;
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le Grade d’Apprenti des Loges de Lyon de 1772 ;
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le Nouveau Catéchisme des Francs-maçons (1780).
Voilà ce que peut nous apprendre l’histoire maçonnique au travers des rituels.
Mais connaître la genèse d’un usage, ce n’est pas le comprendre. Connaître la lettre n’est pas en comprendre l’esprit.
L’analyse des questions / réponses dans les anciens catéchismes nous apporte également des éléments intéressant pour interpréter l’expression « ni nu, ni vêtu ».
Petit retour aux sources
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L’expression « ni nu, ni vêtu » apparaît dans un catéchisme du « Guide des Maçons Écossais»[2]. La justification doit retenir notre attention : le candidat est présenté ainsi en Loge pour lui prouver que le luxe est un vice qui n’en impose qu’au vulgaire et que l’homme vertueux doit fouler aux pieds tout sentiment de vanité et d’orgueil ».
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Dans le même esprit, l’instruction du « Régulateur du maçon» (1785) précise que le candidat n’entre en Loge que « ni nu, ni vêtu pour lui représenter l’état d’innocence et pour lui rappeler que la vertu n’a pas besoin d’ornements, et dépouillé de tous métaux parce qu’ils sont l’emblème et souvent l’occasion des vices que le Maçon doit éviter ».
Que représente le cœur à découvert ? Ne faut-il pas y voir un signe de sincérité et de franchise ?
Que représente le genou droit mis à nu ? Peut-être une marque des sentiments d’humilité qui doivent être ceux du néophyte partant à la recherche de la vérité ?
Pourquoi le pied gauche est-il déchaussé ? Sans doute une imitation d’une coutume orientale ? Mais probablement aussi par respect pour le lieu où le candidat va pénétrer, lieu saint puisque l’on y cherche la Vérité !
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Dans les premières « Divulgations écossaises», on peut aussi trouver des rapprochements analogiques entre la simplicité du Maçon et la pauvreté évangélique, entre le Récipiendaire pauvre et nu et le Christ dépouillé de ses vêtements.
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Ne pourrions-nous pas aussi voir dans cette expression « ni nu, ni vêtu » un reflet de ce que nous expose « l’herméneutique de la Genèse » et le « Traité de la réintégration des êtres » de Martines de Pasqually?
Demande : A quoi fait allusion l’Apprenti qui n’est « ni nu, ni vêtu » ?
Réponse : Il est fait allusion à l’âme qui après sa prévarication fut dépourvue de puissance spirituelle divine, elle devint sombre et ténébreuse à la vue de son maître parce qu’elle avait perdu son habit de gloire. Elle n’était ni nue, relativement à son émanation divine, ni vêtue en ce qu’elle était dépouillée de sa puissance, ne pouvant plus agir spirituellement.
Avant la chute, l’homme était vêtu d’une tunique de lumière. Après la chute, il est, selon la terminologie de de Pasqually, « incorporisé », c’est-à-dire vêtu d’une tunique de peau, en quelque sorte d’un vêtement de ce monde-ci au lieu de celui de ce monde-là qui est le monde à venir, devant se réaliser.
A partir de ces éléments historiques, chaque Rite a avancé son explication de cette partie du cérémonial de Réception en l’adaptant à sa philosophie propre et à sa sensibilité particulière.
Approche du symbolisme de la préparation vestimentaire du candidat à l’Initiation
Les anciennes instructions mettent l’accent sur l’importance de la tenue vestimentaire du Récipiendaire, la reliant dans un premier temps à une préparation à l’Initiation d’ordre intérieur, celle du cœur.
« Ni nu ni vêtu », telle doit être l’apparence du Récipiendaire lorsqu'il est conduit aux épreuves de l’Initiation au degré d’Apprenti. Le candidat est soumis à cet état comme un rappel de celui de sa naissance où il était nu, innocent. Etre vêtu signifie ici symboliquement, la marque de sa condition humaine et de la socialisation qui en découle. C’est dans cet état que le candidat à l’Initiation est préparé physiquement, c’est-à-dire ni nu ni vêtu, mais dans un état décent, dépouillé d’une partie de ses vêtements. Il s’agit d’un état nouveau qui demande une certaine préparation sur le parvis ou dans un local proche de la Loge.
Cette préparation concerne les vêtements qui créent la forme visible d’une réalité intérieure : ils disent comment celui qui les porte veut se montrer et quel rôle il veut jouer. Cette préparation vestimentaire du Récipiendaire a pour but de déstructurer le message signifié par l’habit. Etre « ni nu ni vêtu » est une expérience neuve.
En effet, nous sommes tantôt nus, tantôt vêtus, plus ou moins nus ou vêtus, mais nous ne sommes jamais ni nus ni vêtus. Constatons que cet état est impossible ! Cette préparation vestimentaire du Récipiendaire suggère cet état impossible : le bras et le sein gauches sont découverts ; la jambe et le genou droits sont mis à nu et le pied gauche est déchaussé.
Pour Jules Boucher, « le cœur est à découvert en signe de sincérité et de franchise ; le genou droit est mis à nu pour marquer les sentiments d’humilité qui doivent être ceux de l’Initié ; le pied gauche est déchaussé en signe de respect ».
Cette préparation physique du Récipiendaire présente un caractère inhibitif. En effet, le candidat a tout d’abord son attention attirée sur le cœur, considéré comme le siège de l’affectivité. C’est de cette manière qu’il devrait prendre conscience qu’il devra prendre garde aux entraînements sentimentaux auxquels cèdent trop facilement la plupart des hommes.
Ensuite, son attention est attirée vers son genou droit, celui que l’on pose à terre dans une génuflexion, acte de soumission à quelqu'un. Etant à découvert, le genou devient particulièrement sensible et cela devrait inciter le Récipiendaire à n’accomplir toute génuflexion qu’avec circonspection.
Enfin, le pied gauche est déchaussé. Au Rite moderne, la marche débute du pied droit, marquant ainsi la prépondérance de la raison sur la sentimentalité. Le pied gauche déchaussé entrave la marche et le Récipiendaire est obligé de s’appuyer solidement sur le pied droit.
La pénétration en Loge « ni nu ni vêtu » rappelle la vision décrite par Platon du personnage coupé en deux, chaque partie de lui-même étant à la recherche de l’autre moitié.
Mais l’état « ni nu, ni vêtu » du postulant à l’Initiation rappelle aussi l’état du boiteux sous lequel est le plus souvent représenté le forgeron. Cette préparation qui n’a rien d’une brimade, est aussi faite pour faire prendre conscience de l’état d’infirmité spirituelle, d’opposition interne et d’incomplétude dans lequel se trouve toute personne en quête de Lumière, venant frapper à la porte du temple.
Ainsi, le candidat à l’Initiation, présenté dans l’état d’infirmité du forgeron, dépouillé de ses métaux les plus vils, part à la recherche des métaux les plus nobles, prenant pour maître Tubalcaïn, modèle de la conciliation des oppositions nécessaires et fécondes, lui traçant la voie à suivre.
Si l’on observe scrupuleusement la préparation vestimentaire décrite dans le Guide des Maçons Écossais, on peut constater que les endroits découverts correspondent à ceux concernés dans la prestation de serment. Au Rite Écossais Ancien Accepté, le Frère Expert bande les yeux du candidat, lui ôte ses métaux, le met en chemise depuis la tête jusqu'à la ceinture, le sein gauche à découvert, le genou droit nu et le soulier gauche en pantoufle.
Arnould Grémilly pense que le torse nu symbolise l’homme dépouillé de tous vêtements profanes, que ce soit la blouse ou la jaquette, insignes d’un rang ou d’une fonction, vains oripeaux dont on n’a plus à s’affubler devant la mort.
Réflexions après quelques années de Maçonnerie
Placé à la porte de ce qui allait devenir ma Loge-mère, je n’étais qu’un individu chargé de ses certitudes et encore ancré dans certains modes de vie et de pensée, même si j’étais en quête et que je venais d’effectuer le premier pas volontaire dans une démarche de nature spirituelle, ainsi que mon parrain avait dû me l’expliquer. Mes acquis, mes certitudes me rendaient en quelque sorte aveugle à d’autres éclairages. Et c’était de cela dont je devrais ensuite me défaire par moi-même.
Si j’avais été initié dans une Loge pratiquant le Rite Écossais Rectifié, le Frère Introducteur aurait dû m’inviter à me dépouiller moi-même et à me faire quitter volontairement mes vêtements. Le « ni nu, ni vêtu », par la figuration d’incomplétude qu’il comporte, aurait alors pu signifier que je n’étais à ce moment « ni ce que je croyais être », « ni ce que j’étais vraiment ».
Aujourd'hui, j’en déduis que l’expression « ni nu, ni vêtu » me situait dans un état intermédiaire : je n’étais plus et je n’étais pas encore ! C’est donc l’expression d’un état fragile et instable comme tout état intermédiaire.
Le fait de me dépouiller d’une partie de mes vêtements – en l’occurrence ma fameuse veste de smoking – acte volontaire ou subi, correspondait à déposer là et à cet instant tout préjugé. J’étais ainsi privé du repère social qu’est l’habit, cette « décoration illusoire dont l’orgueil le couvre ».
Cette « épreuve » n’avait sans doute pas pour simple but de me déstabiliser mais de me placer clairement hors du cadre profane où, ni nu ni vêtu, j’aurais passé pour un dérangé.
Je remarque aujourd'hui que les trois parties dénudées de mon corps sont celles qui ont été en quelque sorte marquées d’un sceau : mon cœur par la pointe du Compas ; mon genou par l'Équerre sur laquelle il a ensuite reposé lors de mon engagement ; mon pied par le sol, donc par la terre. Ces trois parties du corps constituent traditionnellement trois niveaux : celui de la connaissance directe et de la loi d’amour (le cœur), celui de l’humilité et de la puissance (le genou) ; celui de la réalité et de l’action (le pied).
Les paroles extraites de nos rituels sont certes une invitation au détachement conscient du monde matériel mais surtout une invitation à l’intériorisation, seule façon de tenter de nous connaître.
Si nous dépassons le sens premier de cette expression « ni nu, ni vêtu », sens de rejet des vains honneurs et des vaines gloires, nous pouvons trouver dans les Écritures une explication plus directement en rapport avec la finalité de notre quête, le rejet des formes n’étant et ne devant être qu’un préliminaire.
En effet, dans l’Ecriture, la nudité symbolise l’intériorité et le secret, un secret référant à l’être et au sacré, donc bien au-delà de la simple chose cachée. Dans un épisode biblique concernant Noé et ses fils, le vêtement est une allégorie du voile masquant, et à partir d’un certain niveau, protégeant le secret ontologique.
L’impétrant n’est ni nu, ni vêtu. Il ne pénètre pas encore le « secret » lorsqu'il frappe à la porte dans cet état. Mais son voile commence à disparaître, à se fragmenter. La question se pose alors de savoir si un jour il sera réellement nu à ses propres yeux ; s’il sera capable de se voir, dépouillé, dans sa réalité ; si le fait de se voir ainsi lui permettra de se connaître.
Pour conclure, du moins provisoirement…
Avant d’être admis dans la Loge, je me souviens d’avoir séjourné dans un cabinet de réflexion, de méditation. Ensuite la préparation vestimentaire de l’Impétrant que j’étais – ni nu, ni vêtu – m’a paru troublante juste avant de subir le rituel de l’Initiation au grade d’Apprenti, mais elle était importante pour tout le symbolisme dont elle est chargée.
Je comprends mieux à présent que cette préparation de tout Récipiendaire correspond toujours à une préparation intérieure. Au Rite Émulation, ne précise-t-on pas au candidat qu’il a d’abord été préparé dans son cœur avant de l’être dans une pièce attenant à la Loge ?
Paraître ni nu ni vêtu, dépouillé de ses métaux, c’est-à-dire dans sa plus grande simplicité, telle serait donc la perfection «symbolique» demandée au Récipiendaire, au moment où il va recevoir l’Initiation. Il est donc invité à maîtriser toutes ses passions, en particulier celles de la possession, du pouvoir, de la vanité, etc., passions qui sont inhérentes, à des degrés divers, à l’homme commun.
L’état de ni nu ni vêtu du postulant à l’Initiation me rappelle aussi l’état du boiteux sous lequel est le plus souvent présenté le forgeron. A mes yeux, cette préparation, qui n’a rien d’une brimade, est faite pour faire prendre conscience de l’état d’infirmité spirituelle, d’opposition interne et d’incomplétude dans lequel se trouve toute personne en quête de lumière, venant frapper à la porte du temple.
R :. F :. A. B.
[1] De nos jours, au Rite moderne, nous utilisons le vocable « tuilage ».
[2] Le guide des Maçons Écossais est la première version imprimée des grades symboliques du Rite Écossais Ancien et Accepté. Publié en 1820, le texte en est cependant bien antérieur à cette date car déjà pratiqué dans certaines loges parisiennes quinze années auparavant. Il devrait probablement dater d’avant 1760.
Bibliographie
Bascher Xavier, Bermann Roland et Noël Pierre
« Ni nu, ni vêtu » et ses implications au R.E.R.
In « Acta macionica » n° 17 - G.L.R.B. – Pages 91 à 107
Grémilly Arnould - Entretiens avec les Maîtres
Editions AVS
Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire
3ème édition revue et augmentée
Editions Dervy, Paris, 2006 – Pages 101 à 103
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