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* Approche du symbolisme de l’Initiation
1ère version : avril 2002
2ème version, revue et améliorée : janvier 2007
Approche du symbolisme de l’Initiation
Sommaire
Franc-maçonnerie et Initiation
L’Initiation, voie symbolique
Notre tradition
L’Ordre maçonnique est traditionnel, universel et intemporel
Découvrir la Tradition initiatique
L’interrogatoire sous le bandeau
Le rituel d’Initiation
Le second séjour dans le Cabinet de Réflexion
Approche du symbolisme de l’épreuve de la Terre
Le dépouillement des métaux
La préparation du Récipiendaire
Le franchissement de la porte basse
Les trois voyages et les trois épreuves
Le calice d’amertume
La prestation de serment
Recevoir la Lumière
L’investiture
Les trois Pas de l’Apprenti
Le tablier, les gants et le bijou
La communication des signes, de l’attouchement et des mots
Brèves considérations sur le Tuilage de l’Apprenti
Rencontre avec le Nombre Trois
La batterie et l’acclamation
Le premier Travail de l’Apprenti
La Chaîne d’Union
La restitution des métaux
Brève analyse du Tableau de Loge d’Apprenti
Pour conclure, du moins provisoirement
Bibliographie générale
Franc-maçonnerie, un Ordre initiatique
Plusieurs livres et essais ont déjà été écrits au sujet de l’Initiation maçonnique. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet de cette réflexion, rappelons tout d’abord ce qu’est pour nous, Maçons réguliers, la Franc-maçonnerie.
La Franc-maçonnerie est, avant tout, un Ordre initiatique, non doctrinal. Elle ne nous impose pas une pensée. Elle nous propose une méthode de réflexion fondée sur les symboles et l’analogie. La fonction première d’une Loge maçonnique régulière est de pratiquer des rituels initiatiques et de consacrer ses efforts à l’Initiation. Mais ce phénomène, essentiel à la vie spirituelle de tous ceux qui ont choisi la voie de la liberté, hors des religions et des philosophies, est très difficile sinon quasi impossible à décrire. Essayons tout de même !
Qu’est-ce que l’initiation ?
L’initiation est le facteur qui met l’individu sur cette voie de réflexion que nous propose la Franc-maçonnerie. C’est une méthode non directive, personnelle, dans le cadre d’une progression organisée. La voie de l’initiation renvoie continuellement l’individu à lui-même. Elle le conduit à se poser des questions et à chercher des réponses personnelles sur la voie du célèbre adage socratique « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et ses dieux ». Celui-ci résume le sens et la raison de l’Ordre maçonnique dont la mission est d’unir l’homme intérieur à l’homme social et à l’univers. Cette mission est inscrite dans les constitutions de l’Ordre et est véhiculée par ses traditions.
« Même si peu de Loges sont réellement initiatiques, même si le rituel est quelquefois mal vécu ou mal préparé, écrit notre Frère Julien Behaeghel, dans le silence du cœur se produit une rencontre : la rencontre vers l’indicible, le non formulable, en un mot l’invisible. Ce qui est en nous est tout autre et ne peut se communiquer que par l’expérience personnelle. »
Avoir une juste compréhension des mécanismes de l’univers, autant que des siens propres, est certainement nécessaire à qui veut participer à l’élaboration de l’œuvre universelle, à commencer par le progrès de l’humanité. Seule une compréhension de la position de l’individu dans le monde, acquise par une réflexion intériorisée sur sa propre condition, lui permet d’aborder judicieusement le domaine extérieur et d’agir sur celui-ci.
De génération en génération la chaîne initiatique transmet les Traditions. Par leur compréhension, l’homme apprend à connaître les secrets de l’univers et, en s’améliorant, à se mettre en harmonie avec lui.
L’Initiation est à la fois la chose la plus difficile et la plus simple. La plus difficile car elle exige de tout individu qui la reçoit, humilité et persévérance. La plus simple, car il suffit, si l’on peut dire, de vouloir l’initiation de tout son être pour que les portes s’ouvrent. De tout son être, autrement dit, en totale simplicité, de manière que la vie en esprit emplisse réellement l’être qui devient « simple en esprit ». Mais que d’efforts pour y parvenir !
Cela ne signifie pas que la quête initiatique est un simple commencement et le début d’une aventure ; en réalité, l’initiation se situe au début de toutes choses, dans le principe, dans le commencement, dans cette « première fois » des anciennes traditions qui exprimaient ainsi la création en esprit.
Venant du latin « initium » qui se traduit par « commencement », le mot « initiation » évoque donc étymologiquement le début de cycle, l’apprentissage d’un savoir nouveau. Mais pour un jeune Apprenti, son Initiation est, avant tout, le début d’une vie nouvelle et d’une nouvelle manière d’envisager l’existence.
Par l’Initiation, le Néophyte entre dans un monde particulier en découvrant un autre aspect de lui-même. L’Initiation est donc un départ sur la voie mais c’est aussi la voie elle-même car l’Initiation induit un processus continu. Ce concept implique l’idée que la Vie est régie par des lois que notre entendement ne peut pénétrer de façon immédiate ni évidente. Y accéder suppose une participation de l’être par son intellect et sa sensibilité. Cet effort est le témoignage d’un désir et ne peut s’exprimer que dans le cadre d’une méthode transmise par l’effet d’un rituel.
Du point de vue ethnologique, l’initiation fait partie des sociétés humaines depuis les temps les plus reculés. Elle a pour but de faire passer un individu d’un état psychologique et social à un autre, d’un statut à celui immédiatement supérieur : par exemple du statut d’adolescent à celui d’adulte, de celui d’homme à celui de guerrier, de celui d’homme à celui de sorcier… Dans ce but, des rituels considérés comme sacrés, associés bien souvent à des épreuves physiques, devaient tester les capacités physiques des prétendants et confirmer s’ils étaient admissibles.
Sur le plan maçonnique, l’initiation à l’époque de la Maçonnerie opérative, avait pour objet l’introduction à la connaissance d’un métier. Cette approche avait un caractère secret et fermé. Cette initiation de métier n’était pas sans rappeler la forme traditionnelle et rituelle de l’initiation aux mystères antiques.
Lorsque la Franc-maçonnerie opérative s’orienta vers une forme plus spéculative, l’initiation revêtit une importance primordiale car elle apparut désormais comme le point de transition entre le profane et le sacré, entre divers états de conscience successifs et la révélation spirituelle la plus éthérée.
C’est pourquoi l’Apprenti ne peut considérer la quête initiatique ni comme un simple commencement ni comme le début d’une grande aventure. L’initiation se situe au début de toutes choses, dans le principe, dans le commencement, dans cette première fois des anciennes traditions.
L’Initiation, voie symbolique
Peut-on parler de l’Initiation sans évoquer le symbole ? Ne devrait-on pas dire que l’Initiation est la voie symbolique et que celle-ci conduit à l’Initiation ?
Par le rite, l’Initiation met le symbole en action puisque celui-ci nous relie à la partie invisible de nous-mêmes.
Pour René Guénon, « les rites sont des symboles mis en action ; tout geste rituel est un symbole agi. En ce sens, on pourrait parler d’une certaine prééminence du symbole par rapport au rite. Mais rite et symbole ne sont que deux aspects d’une même réalité. Et celle-ci n’est autre que la correspondance qui relie entre eux tous les degrés de l’Existence universelle, de telle sorte que, par elle, notre état humain peut être mis en communication avec les états supérieurs de l’être ».
Cette réflexion de René Guénon est fondamentale car elle exprime le processus symbolique et l’état qui le caractérise : l’existence universelle.
L’Initiation est donc une nouvelle naissance et celle-ci est symbolique. Il nous faut, à ce stade, rencontrer et vivre le symbole au plus profond de nous-mêmes.
Cette nouvelle naissance, toute symbolique donc, est souvent comparée à la descente aux Enfers : tous les Initiés doivent vivre cette épreuve de la descente au creux de la nuit peuplée par les ombres du monde du Bas.
Rechercher l’Initiation, c’est tenter de se situer à la naissance de toutes choses, au cœur même de la vie. Cette quête débute lorsque nous prenons conscience que nous ne désirons plus vivre comme des individus conditionnés par l’air du temps, lorsque nous prenons conscience de notre désir d’agir au lieu de réagir, ou encore lorsqu’au plus profond de nous-même, nous ressentons le besoin de découvrir une vie en esprit, au-delà des vérités toutes faites, au-delà des dogmes et du sectarisme intellectuel, religieux ou politique.
L’Initiation a en effet pour but, entre autres, de nous aider à nous détacher de toute forme de dogmatisme et des vérités révélées qui ont provoqué et qui provoquent encore tant de fanatisme et de massacres.
La quête initiatique n’a d’autres bornes que celles que se fixe l’être en recherche, puisqu’une Loge initiatique symbolise l’univers sans limitations et qu’elle offre au Franc-maçon une multiplicité de chemins de connaissance.
L’Initiation est une formidable découverte et elle le demeure tout au long d’une vie en Loge à condition que l’on se remette sans cesse en question et que l’on ne s’arrête pas en chemin.
Un Maître Maçon a dit un jour que « la vérité n’existe que dans la recherche de la vérité » ce qui nous autorise à dire également que l’initiation n’existe que dans la recherche de l’initiation.
L’Initiation maçonnique ne vise ni à prouver, ni à démontrer, ni à convertir, mais à vivre en conscience le mystère de la création. Il n’est probablement pas possible de connaître l’Initiation sans travailler la matière, sans participer à la transmutation universelle, qui va du pesant au léger, de l’inconscient au conscient. Il faut devenir le cercle pour comprendre le Ciel et trouver son centre. Il faut devenir carré pour connaître nos limites et découvrir la croix. D’où l’importance de l’Art du Trait. Chacun peut avec un minimum d’habitude et d’habileté utiliser un compas et une équerre. Le compas trace le Ciel et son infinité. L’équerre est la structure du carré. Elle nous permet de tracer le carré, symbole de la Terre.
Le compas, l’équerre et la règle nous permettent d’imaginer activement l’invisible. Et, ce faisant, de dépasser l’évidence, de traverser le miroir et de ressentir le frisson des espaces nouveaux. Nous devenons infinis et intemporels en entrant dans l’infini et l’intemporalité du symbole. Ce qui est important est dans l’invisible.
L’Initiation est une découverte formidable pour l’individu qui l’a reçue. Elle demeure tout au long de sa vie en Loge pour autant qu’il se remette sans cesse en question et qu’il ne s’arrête pas en chemin. Tout comme la vérité n’existe que dans la recherche de la vérité, l’Initiation n’existe que dans la recherche de l’Initiation !
L’Initiation ne vise ni à prouver, ni à démontrer, ni à convertir, mais à vivre en conscience le mystère de la création. Lorsque des Frères vivent l’Initiation en Loge, ils se créent les uns par les autres et ils découvrent des paysages de l’esprit que seule une authentique communion fraternelle permet d’atteindre.
Notre Initiation a donc pour but de construire, ce qui n’exclut ni la méditation, ni l’accomplissement individuel. Réunis à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, nous tentons d’édifier une œuvre qui dépasse nos existences et qui ne nous appartient pas.
La Réception au premier degré de la Franc-maçonnerie n’est que la première étape d’une quête. Chaque étape procède de la précédente et prépare la suivante. Les faits et gestes de chaque cérémonie sont destinés à sensibiliser la réflexion du candidat sur un nouveau sujet ou une nouvelle manière d’aborder un sujet qui se renouvelle. Le but du travail sur cette voie passe par la réalisation de soi-même.
Notre Tradition
C’est grâce aux Frères qui nous ont précédés et qui nous ont transmis l’Initiation que nous pouvons continuer à la vivre. Aussi cette Initiation, chaque jour à recommencer, se nourrit-elle de la Tradition, cet ensemble de forces créatrices où la spiritualité se recrée en permanence.
Notre Tradition est celle du Verbe et c’est la raison pour laquelle nos Loges font référence à Jean l’Évangéliste et à sa célèbre formulation : « Dans le principe est le Verbe », qui est d’ailleurs une adaptation d’un très ancien texte égyptien. Ce Verbe n’est pas enfermé dans un livre figé qui imposerait une vérité définitive, comme celle des religions dogmatiques, mais il se transmet par des symboles et des rites qui sont autant de paroles vivantes.
L’Initiation nous relie aussi à la tradition des bâtisseurs. Elle est porteuse des éléments nécessaires pour que soit transmis l’esprit du métier.
Les œuvres que les Anciens ont créées témoignent de leur amour de la vie en esprit et de leur capacité à la formuler en vivant le métier et son mystère. Quel que soit le matériau choisi, concret et abstrait, construire est un acte sacré fondé sur l’amour de l’œuvre.
Sur le chantier, dans la Loge, chacun doit être à sa juste place pour qu’aucune énergie ne soit gaspillée. Apprendre son métier consiste, pour l’Apprenti, à découvrir de quelle manière il sera le plus utile afin de participer pleinement à l’œuvre entreprise.
S’il sait entendre ce qui est formulé, il découvrira une méthode, une façon de faire pour s’intégrer à la construction comme une pierre vivante.
Se considérant comme l’héritière des constructeurs de cathédrale – les Maçons opératifs du Moyen Age – la Franc-maçonnerie de tradition peut être définie comme une spiritualité basée notamment sur le symbolisme de la construction. Sa méthode est initiatique.
Dans ses bagages il est possible de découvrir les images splendides de mondes et de valeurs soi-disant révolues, des rituels quasi immuables, des rémanences de corporatisme sauvés des âges, des cérémonies d’initiation qui trouvent leurs racines bien loin dans les ères et cieux écossais, irlandais et compagnonniques. Tout cela fait partie des études, des recherches personnelles de l’Apprenti et de ses inclinaisons du moment.
Mais il ne faut cependant pas perdre de vue que ce n’est surtout pas l’essentiel de la Maçonnerie. Ces connaissances nous sont transmises pour aider le Franc-maçon à se façonner un comportement et une attitude personnelle, pour l’aider à acquérir une expression particulière de lui-même et une communication avec ses Frères.
A la fois spéculative et opérative, la tradition des bâtisseurs nous apprend à lier la pensée à l’acte, l’esprit à la main. Un tel travail, il est vrai, n’est pas compatible avec la complaisance envers soi-même ; il faut sans cesse combattre la vanité pour faire grandir l’amour de l’œuvre.
En découvrant la tradition initiatique pratiquée dans sa Loge, le nouvel Apprenti prendra conscience de la force du lien de vie qui le rattache à ses Frères et le fera croître son désir de participer à l’incarnation de cette tradition.
Jaillissant à chaque instant de l’Orient éternel, la Tradition initiatique est toujours à redécouvrir. Loin d’appartenir à un passé révolu, elle est plutôt l’éternel présent de la conscience qui renaît à chaque formulation. Elle n’est pas d’un temps, mais de tous les temps, car si sa forme change, sa nature demeure immuable. Née de la lumière, elle en transmet le secret sans jamais s’épuiser. La Tradition initiatique n’appartient pas à l’histoire. Elle naît à chaque instant. Quand une Loge parvient à l’incarner, esprit et matière vivent en paix et le temple s’édifie.
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Pages 83 à 85
Beauchard Jean - La voie de l’Initiation maçonnique
Editions Véga, Paris, 2004
Behaeghel Julien - Hiram et la reine de Saba
La Maison de Vie, Fuveau, 2005 - Pages 83 à 89
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique
Le livre de l’Apprenti - La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 9 à 13 et page 92
L’Ordre maçonnique est traditionnel, universel et intemporel
Par Tradition il faut entendre tout ce qui a contribué à former notre pensée actuelle depuis les origines. Cela concerne au passage les rapports de l’humain avec la nature, la vie, l’esprit…
De ce passé émergent des images, des contes, des mythes ou légendes dont est pétrie la pensée globale de chaque civilisation. Ernest Renan disait de la Tradition qu’elle est « un vaste système d’émanation successives ». Ce fonds traditionnel, ces archétypes en quelque sorte, provient en partie d’une époque où l’humain était directement dépendant du milieu naturel dans lequel il vivait.
Les mythes et les légendes racontent les origines et l’évolution de l’humanité de façons diverses parce que les formes de pensée sont diverses, mais leurs fondements se rejoignent, et la Tradition est précisément à cette jonction comme un noyau commun, un centre primordial.
De ce centre partent les multiples rayons qui sont autant de moyens d’expression, suivant les écoles de pensée et les différents langages par lesquels la Tradition s’exprime (astrologie, tarots, alchimie et beaucoup d’autres), chacun véhiculant une pensée qui relie l’homme à l’univers et suscite une philosophie qui enseigne sur le sens de la vie.
Elle résume, en quelque sorte, les enseignements sur lesquels l’humanité s’est établie. Ces enseignements sont les premières réponses aux questionnements de l’homme. Ces réponses découlent de l’observation de la nature à laquelle il était soumis dès l’origine. Ce sont en somme les pensées fondatrices de l’humanité.
La Tradition n’est cependant pas figée. La manière de la percevoir s’adapte en fonction de la société et les récits mythiques évoluent suivant l’époque. La Tradition n’est pas constituée d’un ensemble de certitudes définies. C’est un concept qui ne s’oppose pas au mouvement et qui ne peut s’exprimer que par associations d’idées et mode de pensée analogique.
Parallèlement, le fil de la nature profonde et intime de la conscience met l’individu en accord avec l’origine de la pensée et le sens du sacré. La Tradition nous aide à retrouver la voie de l’Unité et du Principe en même temps que de l’Universel.
Le rituel codifie l’ensemble des actes, des gestes et des mots qui font exister la cérémonie. L’originalité et la spécificité de l’Initiation maçonnique découlent de la forme et de l’esprit des rites maçonniques qui se réfèrent aux traditions des constructeurs.
Les moyens de la Tradition sont d’abord oraux, voire silencieux dans la mesure où chaque individu ne peut avoir qu’une approche personnelle, intime même, des notions mises en cause. En d’autres termes, la démarche traditionnelle est initiatique et le langage ne peut être le même pour tout le monde. D’où le rôle du symbole qui s’adapte aux références propres à chaque individu !
L’Ordre maçonnique est universel par son aspiration à servir l’humanité entière dans la recherche de progrès.
L’Ordre est aussi intemporel dans la mesure où cette notion d’évolution individuelle et sociale est aussi ancienne que les interrogations de l’homme sur son existence et son devenir matériel et spirituel. Le spirituel domine le matériel. C’est là une idée essentielle pour le Franc-maçon.
Le Travail maçonnique vise au perfectionnement moral de l’individu et, au-delà, à son progrès sur le chemin de la Connaissance qui consiste en la compréhension de l’Univers et de ses lois. C’est pour cela que le Franc-maçon reçoit symboliquement « la Lumière ». C’est aussi pour cela que les Francs-maçons se réunissent « en loges » afin de construire « un temple ». Le Temple dont il s’agit alors est celui de l’être propre à chacun et de sa projection sociale.
En Maçonnerie, le symbole est le moyen privilégié de transmission et de communication. Il fait appel au raisonnement par analogie, totalement différent de la forme du raisonnement logique et déductif des scientifiques.
Comme la Tradition, la pensée symbolique, elle non plus, n’est pas statique. Le symbole possède un potentiel d’interprétations diverses. Il ouvre plusieurs pistes. En symbolique, il ne faut jamais isoler mais au contraire mettre en relation plusieurs éléments dont les dénominateurs se croiseront et deviendront significatifs.
En Franc-maçonnerie, dès le premier degré, la méthode est basée sur l’analogie entre l’homme et la pierre de construction.
Bibliographie
Beauchard Jean - La voie de l’Initiation maçonnique
Editions Véga, Paris, 2004
Alleau René - La science des symboles
Editions Payot, 1976
Découvrir la Tradition initiatique
La Tradition maçonnique dont s’inspire la Franc-maçonnerie est née en Egypte, comme l’indiquent plusieurs textes maçonniques et comme en témoigne en particulier le Manuscrit « Regius » qui date de 1390.
La spiritualité pharaonique a offert un nombre impressionnant de rites et de symboles qui se retrouvent de nos jours dans nos Loges initiatiques. Pendant trois millénaires, les confréries de bâtisseurs égyptiens ont créé des œuvres extraordinaires qui nous fascinent toujours. C’est en Egypte que fut créée la première communauté de moines bâtisseurs, dotée d’une règle inspirée de celle des temples égyptiens. C’est ensuite l’alliance entre les moines et les confréries artisanales qui a rendu possible la grande épopée des cathédrales où la tradition égyptienne était fort présente.
Lorsque la Maçonnerie opérative devint spéculative, les intellectuels formèrent les Loges maçonniques tandis que les manuels formèrent les Loges du Compagnonnage. L’Occident ne s’est toujours pas remis de cette scission entre la main et l’esprit. La Franc-maçonnerie comme le Compagnonnage ont éclaté en diverses obédiences ou associations. Mais cette désolante réalité n’a pas pour autant détruit la Tradition initiatique qui est fort heureusement restée encore bien présente dans nos Loges.
Pour que la transmission de la Tradition initiatique soit assurée, il faut se rappeler la notion de Devoir, nom que les Compagnons donnaient à leur association. Le Devoir, c’est aussi un ensemble de règles qui régissent chaque rite ; c’est l’histoire légendaire de son fondateur ; c’est la séquence des symboles qui constituaient l’initiation ; ce sont les coutumes qui sont venues enrichir ce fonds primitif. Et Luc Benoist de nous rappeler que « le devoir, c’est à la fois une histoire, un rituel et une règle d’action ».
Au-delà de cet aspect historique, la Tradition initiatique possède une toute autre dimension : il s’y trouve quelque chose qui est Dieu, quelque chose de divin et semblable à Dieu qui, Lui, n’est limité ni par le temps ni par l’espace.
La Tradition initiatique dont se nourrit une Loge est un ensemble de forces créatrices où la spiritualité se recrée en permanence, sans dogme ni doctrine. Notre tradition est celle du Verbe. C’est la raison pour laquelle nos Loges font référence à Jean l’Évangéliste et à sa formulation devenue célèbre : « Dans le principe est le Verbe », formulation qui est une adaptation d’un très ancien texte égyptien.
Lorsqu’elle est correctement pratiquée, l’Initiation maçonnique relie l’Apprenti à la tradition des bâtisseurs, porteuse des éléments nécessaires pour que l’esprit du métier lui soit transmis. Pour l’Apprenti, apprendre son métier consiste à découvrir de quelle manière il sera le plus utile sur le chantier afin de participer pleinement à l’œuvre entreprise.
S’il est capable d’entendre ce qui est formulé, l’Apprenti découvrira une méthode, une façon de faire pour s’intégrer à la construction comme une pierre vivante.
La tradition des bâtisseurs, à la fois spéculative et opérative, apprend à lier la pensée à l’acte, l’esprit à la main car participer à une construction implique la manipulation de la matière pour pouvoir mettre à jour l’esprit qui gît en elle.
En découvrant la Tradition initiatique pratiquée dans la Loge, l’Apprenti prend progressivement conscience de la force du lien de vie qui le rattache à ses Frères et il fait croître son désir de participer à l’incarnation de cette tradition.
Jaillissant à tout moment de l’Orient éternel, la Tradition initiatique est toujours à redécouvrir. Elle est l’éternel présent de la conscience qui renaît à chaque formulation. Elle est de tous les temps, car si sa forme change, sa nature demeure immuable. Née de la lumière, elle en transmet le secret sans jamais s’épuiser.
Notre Tradition initiatique a pour fondement la révélation du Principe Divin transcendant et le terme de révélation contient l’idée de manifestation de ce Principe créateur et ordonnateur. En Franc-maçonnerie, la référence à la Tradition fondée sur la révélation primordiale du Principe transcendant, se fait en dehors de toute exigence dogmatique ou de tout présupposé confessionnel.
Il ne peut y avoir de Maçonnerie authentique sans la présence du Volume de la Loi Sacrée sur l’autel durant la Tenue. Le Volume de la Loi Sacrée peut être soit la Bible, soit tout autre livre inspiré et représentatif d’un grand mouvement mystique (le Coran, les Veda, l’Avesta), soit tout écrit relatant les révélations du Verbe créateur.
Mais nul ne peut méconnaître à quel point la Bible – et l’Évangile de Jean en particulier – concourent à la construction de l’ésotérisme maçonnique. C’est là que réside tout le symbolisme de la « Parole Perdue » qui rejoint, en différents aspects, le mythe de l’origine et la perfection de la Création.
Tradition et Volume de la Loi Sacrée sont donc très intimement liés. Celui-ci est le témoin de différentes alliances. L’une d’entre elles, l’alliance noachite, a permis, dans l’esprit des premiers Maçons spéculatifs de l’Angleterre du début du 18ème siècle, d’inscrire la Franc-maçonnerie et sa finalité spirituelle dans l'alliance la plus large qui ait été contractée entre Dieu et l'homme.
En inscrivant la Franc-maçonnerie dans la perspective de l’alliance noachite, Anderson et Désaguliers ont fait du Noé biblique, ouvrier de Dieu – Grand Architecte de l’Univers – la figure symbolique de ce que nous aspirons à devenir : des éléments utiles de la construction universelle, des collaborateurs du Grand Œuvre, des pierres vivantes de ce Temple dont la Vérité transcendante, qui inspire et protège les Travaux des Maçons, est la clé de voûte.
C’est donc bien parce que les outils de la construction, que sont l’équerre et le compas, sont liés au Livre de la Loi Sacrée, qui renferme la Loi Morale, que nous pouvons édifier notre temple intérieur, celui de l’esprit, en conformité avec le plan du Grand Architecte.
Notre Obédience, la Grande Loge Régulière de Belgique, travaille à la gloire du Grand Architecte de l’Univers, Principe transcendant qui fonde et éclaire l’ascèse initiatique. Sans cette affirmation première il n’y aurait pas de filiation traditionnelle, pas de rattachement à une Loi Morale dont le Livre est le symbole.
La plus ancienne tradition maçonnique, attestée par les Manuscrits des Anciens Devoirs et les Constitutions d’Anderson, établit très clairement que Dieu est Grand Architecte de l’Univers, le Dieu biblique, le Dieu qui contracte l’alliance avec Noé l’homme juste.
Cette tradition postule également que toute initiation régulièrement transmise suppose non seulement l’invocation au Grand Architecte de l’Univers, mais aussi le rattachement à l’Ordre par la prise d’Obligation sur les trois Grandes Lumières, où les outils de la construction, symboles d’édification spirituelle, sont unis au Volume de la Loi Sacrée, véhicule de la Tradition dont le Grand Architecte est le Principe. Ce sont là les bornes de cette Tradition que nous devons maintenir vivante et transmettre à notre tour.
La Tradition initiatique n’appartient donc pas à l’histoire. Elle naît à chaque instant. Lorsqu’une Loge parvient à l’incarner, esprit et matière vivent en paix et le temple s’édifie.
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Pages 97 à 99
Behaeghel Julien - Symboles et Initiation maçonnique
Editions du Rocher, Monaco, 2000 - Pages 59 à 66
Benoist Luc - Le Compagnonnage et les métiers
Que sais-je ? - P.U.F.
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d'Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 22 à 25
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Page 128
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Pages 3, 5, 23 et 123
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique
Le livre de l’Apprenti - La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 15 à 21 ; 91 à 93
Nefontaine Luc - Symboles et symbolisme dans la Franc-maçonnerie
Tome 2 - Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1997 - Pages 105 et 114
Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le travail en loge d'Apprentis
Editions Dervy-Livres, Paris, 1988 - Pages 88 à 94
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome I : « L'Apprenti » - Editions Dervy, Paris, 1994
Pages 32, 47, 144, 172, 173, 202 et 203
L’interrogatoire sous le bandeau
Personne ne peut entrer dans une Loge particulière ni en être membre, sans le consentement unanime de cette Loge et de tous ses membres alors présents. Cette règle de l’unanimité est fondamentale : on ne peut en effet imaginer qu’un postulant soit admis à la majorité, tandis qu’une minorité, qui aurait voté contre lui, puisse adopter à son égard une attitude fraternelle. C’est donc d’un seul cœur et d’une seule voix qu’une Loge peut accepter un nouveau Frère, un nouvel être dont la présence modifiera fatalement la vie de la Loge. C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’étapes doivent être franchies avant que s’ouvre la porte du temple.
Concrètement, bien que des différences puissent apparaître d’une obédience à l’autre, l’Initiation se déroule généralement en plusieurs phases successives dont l’enchaînement est immuable, selon les règlements généraux de l’Ordre.
Les enquêtes
Après avoir été approché par son ou ses parrains, le candidat a subi une ou plusieurs enquêtes au cours desquelles mille et une questions de tous ordres lui ont été posées. Il est en effet important de s’assurer que le Profane ne fait pas fausse route et que la Loge, à la porte de laquelle il frappe, est capable de lui offrir ce qu’il recherche.
Les réponses fournies par le candidat à un éventuel questionnaire écrit ainsi que les rapports des enquêteurs sont lus devant tous les membres de l’Atelier. Une décision est ensuite prise : soit le processus s’arrête là parce que le vote n’a pas été favorable, soit la procédure peut se poursuivre grâce à un vote positif. Dans ce cas, le Profane est convoqué pour « l’épreuve sous le bandeau ».
L’épreuve de l’interrogatoire sous le bandeau
Cette mesure prise à l’encontre du Profane consiste à l’isoler de l’univers dans lequel il a vécu jusqu’à présent. A cet effet, il pénètre une première fois dans le Cabinet de Réflexion, non encore paré de ses symboles, lieu de pénombre isolé du monde, sorte de sas initiatique où sa démarche nouvelle va peu à peu prendre corps. Il y répond généralement à trois questions écrites qui ont trait à ses devoirs. Les réponses fournies par écrit sont ensuite lues en Loge, tandis que le candidat reste encore un certain temps à méditer dans le Cabinet de Réflexion.
Ce passage, cet interrogatoire sous le bandeau, est ainsi appelé parce qu’un bandeau recouvre les yeux du Profane pour lui permettre d’être seul avec lui-même, pour éviter qu’il ne voie quoi que ce soit dans la Loge et qui pourrait venir le distraire. Le Profane répond ensuite oralement aux questions éventuelles que lui posent le Vénérable Maître et le Frère Orateur, au nom des Frères de la Loge, sans limitation dans le temps.
A travers l’ensemble de ces questions, ce qui est demandé au Profane, c’est d’exprimer son désir d’initiation à travers son authenticité. Ici, pas de place à l’esprit de compétition ni à la brillance intellectuelle ni à la facilité d’expression. « Soyez vrai ! » dit le Vénérable Maître. Seule compte l’authenticité du candidat.
A l’issue de cette épreuve sous le bandeau, qui fait partie intégrante de l’Initiation et qui reste une étape inoubliable de celle-ci pour tous ceux qui l’ont vécue, il appartient alors aux membres de la Loge de se prononcer à l’unanimité. Parfois, les débats peuvent être longs. Chaque avis doit être dûment motivé. Chaque Frère qui intervient a pleinement conscience de la gravité de ses propos car un Profane ne subit pas deux fois l’épreuve sous le bandeau et la décision de la Loge est sans appel.
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Page 84
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique
Le livre de l’Apprenti - La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 43 à 44
Le rituel d’Initiation
Lors de la cérémonie d’Initiation, le nouvel Apprenti découvre la totalité de l’architecture de la Loge. S’il est correctement appliqué, le rituel est d’une richesse telle qu’il n’est pas assimilable par le raisonnement ni par la mémoire. Ce que vit le novice s’adresse à sa sensibilité, à son cœur où sera préservé ce moment exceptionnel de sa naissance à l’initiation.
Bien qu’une simple connaissance intellectuelle ne puisse en communiquer toute l’étendue, le rituel de l’Initiation au Premier degré du Rite moderne se structure de la manière suivante :
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le franchissement de la porte basse
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les trois voyages et les épreuves correspondant aux trois éléments
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la présentation du calice d’amertume
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la prestation de serment
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les trois pas
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l’investiture
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la remise des décors et règlements
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la communication des mots, signes et attouchement
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la scène du tuilage d’un Apprenti
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le premier Travail de l’Apprenti
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la planche d’instruction du grade
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l’incorporation dans la Chaîne d’union
Ces différents aspects du rituel sont développés dans les chapitres suivants.
Ce rituel est destiné à faire naître à la fois un Initié et un Apprenti. Il lui révèle les mots de passe et sacré, les signes et l’attouchement qui correspondent à son grade et constituent les secrets de métier. En passant par l’épreuve alchimique des quatre Eléments, le nouvel Initié est façonné par les forces de création qui, à chaque instant, engendrent la vie.
Pendant ce rituel, le nouveau Frère vit la totalité de la voie initiatique dont il lui faudra prendre conscience petit à petit. Tout a été fait et tout a été dit, de manière symbolique, et tout reste à accomplir pour vivre pleinement l’Initiation. En effet, tout ce qui sera nécessaire à l’Apprenti lui est offert dès ce moment. Par le rituel, les éléments de connaissance spécifiques à son grade lui sont transmis. Ils constituent le viatique du voyage initiatique. Bien entendu, le nouvel Apprenti n’est pas encore capable de les comprendre dans leur totalité mais il les reçoit en son cœur. Ce don de la Loge est un acte d’amour ! Tout ce que l’Apprenti doit encore faire pour apprendre le métier, c’est d’apprendre à vivre pleinement en fonction de cet amour qui l’a fait naître, amour fraternel qui offre à l’Apprenti le chemin de la cohérence et de l’harmonie dans lesquelles une construction ne saurait être durable.
Bibliographie
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique
Le livre de l’Apprenti - La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 55 à 59 ; 61 à 63
Le second séjour dans le Cabinet de Réflexion
Tant avant son interrogatoire sous le bandeau qu’avant son Initiation, le Profane est introduit dans le Cabinet de réflexion. Pour ce second séjour dans ce réduit, théoriquement peint intérieurement en noir, des symboles y ont été placés. Il est possible de les classer en cinq catégories :
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les symboles de nature physique : une cruche d’eau et un morceau de pain ;
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les symboles temporels : un sablier et le dessin d’une faux ;
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les symboles de nature intellectuelle : un crâne, des représentations d’ossements ; le testament du candidat ;
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les symboles lumineux : une bougie, des sentences ;
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les symboles hermétiques : des représentations de sel, de soufre, de mercure, d’un coq et l’acrostiche « V.I.T.R.I.O.L. »
Sur la table sont placés notamment un crâne humain et un sablier, du pain, une cruche d’eau, une coupe contenant du sel et une autre contenant du soufre (celle-ci n’est parfois que dessinée !). Sur un tableau noir, un coq, une faux… Au mur, quelques sentences. Elles peuvent donner froid dans le dos si le candidat n’est pas sincère ! Il en est de même pour l’inscription «V.I.T.R.I.O.L.» ainsi que pour le dessin symbolique d’un coq surmontant une banderole portant les mots «Vigilance et Persévérance». L’éclairage n’y est normalement fourni que par une bougie allumée.
SE RÉFLÉCHIR ET S’ANALYSER
Jules Boucher écrit qu’il s’agit d’un « cabinet de réflexion » au singulier. D’accord avec G. Persigout qui avait produit en 1946 un ouvrage considérable à ce sujet, Jules Boucher explique que « le profane, isolé dans ce cabinet, ne se livre pas à des réflexions mais qu’il opère une réflexion, au sens de « renversement » sur lui-même, en voie de renaître à nouveau ». En d’autres termes, dit Raoul Berteaux, le candidat « se réfléchit ». « Il est invité à s’analyser et à méditer sur le résultat de son introspection ».
« Ce cabinet de réflexion correspond à une partie des rites initiatiques pratiqués en tous temps et en tous lieux. En effet, l’Initiation est à la fois une pédagogie et une thérapeutique, nous dit Daniel Beresniak. Il s’agit d’améliorer l’homme, de le transformer… L’Art Royal se propose de créer un homme nouveau, débarrassé des contraintes d’un inconscient qu’il ne contrôle pas. L’introspection dirigée par des symboles s’effectuera d’autant plus facilement qu’il sera à l’abri de son milieu ambiant familier. De plus, cette séparation constitue une rupture génératrice d’un choc physique bénéfique. Le Cabinet de Réflexion est donc, pour l’essentiel, la forme moderne et adaptée à nos mœurs de l’antique cabane initiatique ».
Cette cellule étroite nous apparaît donc comme le lieu d’une transition, d’un passage et d’une préparation. Le candidat à l’Initiation peut y éprouver la sensation d’être comme arraché à sa quotidienneté familière. Il peut être surpris par la présence et la disposition d’objets connus et qu’il peut théoriquement nommer sans difficulté.
Ces objets peuvent paraître mystérieux parce que leur disposition et leur association se présentent à nos yeux comme les éléments d’un rébus dont la lecture peut sans doute nous révéler des vérités essentielles. Le candidat est invité à faire un retour sur lui-même, à s’interroger sur les finalités et le sens de la vie.
Les lettres « V.I.T.R.I.O.L. » dont chacune est séparée par un point, forment l’abréviation d’une expression relative à une formule alchimique. Tentons de la comprendre.
V.I.T.R.I.O.L. ET L’ALCHIMIE DANS LA TRADITION MAÇONNIQUE
Ces lettres évoquent une formule latine : « Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies occultam lapidem », ce qui signifie « Visite l’intérieur de la Terre, en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ». Parfois deux lettres sont ajoutées : U.M. pour former le signe « V.I.T.R.I.O.L.U.M. ». Ces deux dernières signifient « Veram Medicinam », « médecine de vérité ». Tous les auteurs précisent que ce sigle était la devise des anciens Rose-Croix. Faisons appel à ceux qui ont largement développé cette question.
Selon Ambelain, auteur de la Symbolique des outils dans l’Art Royal, les Rose-Croix auraient pénétré sciemment les loges maçonniques aux 17ème et 18ème siècles et y auraient introduit l’hermétisme et l’alchimie.
« Cette formule invite à approcher la pensée alchimiste. L’alchimie irrigue la tradition maçonnique et son approche permet de se libérer de certaines idées reçues qui gênent la pensée. L’alchimie a aussi été regardée comme un ensemble de techniques artisanales pré-chimiques ayant pour objet la composition des teintures, la fabrication synthétique des gemmes et des métaux précieux ».
Au siècle dernier, Marcelin Berthelot, qui fut le premier à entreprendre la publication et la traduction de collections manuscrites, ne voyait dans les opérations alchimiques que des expériences de chimie dont la finalité était la recherche de la synthèse de l’or. « Les alchimistes ont eu l’intuition de l’unité de la matière ».
« En explorant la matière, la science, aux 18ème et 19ème siècles, est arrivée à une opinion opposée. Les molécules qui identifient un corps sont composées de corps simples, indivisibles : les atomes. Les physiciens du 20ème siècle ont décomposé ce corps simple et vérifié ainsi la théorie alchimique traditionnelle de l’unité de la matière ».
La littérature alchimique, fort ancienne, remonte à une époque où la pensée n’était pas libre. La vérité était perçue comme analogue à une chose déjà dite clairement (la « révélation ») et dont l’explication et la transmission étaient le monopole d’une caste de clercs. Seule la hiérarchie cléricale était autorisée à produire du sens, à dire ce qui est vrai, bien et beau et elle disposait d’un «bras séculier» pour châtier les déviants. Toute idée neuve était donc considérée comme subversive parce qu’elle était neuve et non conforme au déjà dit.
Dans une société libre, la parole est libre et chacun s’exprime clairement. Dans une société totalitaire, il faut habiller ses idées de manière à ne pas provoquer de suspicion du censeur, créer un langage à double sens pour avoir de quoi se défendre si le censeur perçoit des propos susceptibles de déranger les certitudes obligatoires.
La littérature alchimique est donc à décrypter dans le contexte d’une orthodoxie obligatoire. L’alchimie, déjà tenue en grande suspicion chez les chrétiens comme chez les musulmans, était quand même un refuge pour les penseurs libres. Elle procurait des métaphores et des légendes propres à voiler, et en même temps à montrer ce que l’Initié doit lire.
Ceci étant, Daniel Béresniak nous invite à situer l’alchimie dans le contexte des structures et des valeurs des civilisations de son temps et de ses lieux, et se garder de l’interpréter selon notre façon actuelle de penser. «Elle ressemble à une science physico-chimique mais elle est aussi et surtout une expérience mystique : elle relie la matière et l’esprit, observe les relations entre la vie des métaux et l’âme universelle».
« La littérature alchimique parle de la matière et des métamorphoses à lui faire vivre au moyen des opérations. Cette matière est une métaphore pour l’esprit et les opérations alchimiques sont des métaphores pour signifier les expériences de la psyché ».
« Le Grand Œuvre alchimique et la Construction du Temple sont en réalité des allégories en miroir. Ils se projettent l’un dans l’autre. Ils signifient l’art de faire de l’homme aliéné, esclave de ses passions, un homme libre de ses actes, capable de distinguer l’action de la réaction. La finalité de l’alchimie est donc de sauver l’homme de sa servitude ».
« V.I.T.R.I.O.L. » nous invite donc à regarder en nous-mêmes et à trouver en nous la pierre cachée, celle qui manque à l’édifice pour s’accomplir et tenir debout. La terre est une allégorie de l’homme. En effet, en hébreu, le mot « terre », en tant que matière, se dit Adamah et dérive de Adam, l’homme.
RECTIFIER
« En rectifiant » signifie nécessairement qu’à un moment donné de la « visite », il y a une opération intellectuelle à effectuer. Cette opération intellectuelle, qui consiste à modifier le cours normal des choses, le sens de la visite, n’est concevable que si elle s’appuie sur des connaissances acquises, susceptibles de servir de références pour juger un état de fait. « En rectifiant » implique par conséquent la nécessité de posséder un savoir suffisamment étendu. Ce n’est pas la pierre cachée qui procure ce savoir, mais c’est ce savoir qui permet de la trouver. La pierre cachée est donc la conclusion, la récompense et la finalité d’un effort dont l’efficacité est rendue possible par le savoir.
Il conviendra donc de s’interroger régulièrement sur le processus de sa propre pensée, sur ce qui conduit des questions aux réponses, essentiellement dans le rituel des Tenues, sur l’induction et la déduction. Il s’agira de se regarder penser, d’apprendre à s’étonner, même de ce qui parait évident.
Ainsi, la rectification apparaît comme une remise en question de ce qui semble acquis, comme une interrogation sur le processus de la pensée, comme une révision des outils de la pensée.
La rectification nous rappelle que chercher la vérité, c’est observer, supposer, généraliser et corriger sans cesse. La rectification est donc l’opération essentielle qui autorise la progression du savoir : c’est reconnaître l’erreur.
Bibliographie
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 80 à 83
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Pages 141 à 148
Clavel F.T.B. - Histoire de la Franc-maçonnerie
Editions Artéfact, 1987 - Pages 1 à 6
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique - Le livre de l’Apprenti
La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 45 à 49
Guénon René - L’Esotérisme de Dante
Chapitre VI « Les trois mondes »
Editons Gallimard, 1974 - Pages 41 à 50
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 171 à 187
Autres ouvrages consultés :
Ambelain Robert - Symbolique des outils dans l’Art Royal
Editions Edimaf, Paris, 1996
Béresniak Daniel - Rites et Symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges Bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995
Approche du symbolisme de l’épreuve de la terre
Le Cabinet de Réflexion se présente donc comme une sorte de sas entre deux mondes où le futur Initié se dépouille des aspects profanes de son être pour devenir réceptif à la lumière de l’initiation qui lui sera offerte. L’objectif est d’isoler le Récipiendaire de son entourage familier, de le séparer du monde profane. Durant cet isolement, il est confronté à quatre facteurs ambiants : le silence, la solitude, l’immobilité et l’obscurité. Ces facteurs devraient favoriser sa confrontation avec lui-même car il se trouve brusquement dans un univers inconnu qu’il peut percevoir comme hostile.
C’est un moment de méditation intense où il est possible d’arrêter le temps et le monde dans le silence et le recueillement, et où débute un voyage qui conduit au cœur du temple. Mais le Cabinet de Réflexion offre un autre message au futur Initié en lui recommandant de pratiquer deux qualités : la vigilance et la persévérance, aussi indispensables l’une que l’autre pour affronter les épreuves. Il soumet le candidat à l’initiation à une première purification liée aux éléments : la purification par la terre. Pour Edouard Plantagenet, « l’épreuve de la terre, c’est le passage dans le Cabinet de réflexion ».
Le Cabinet de Réflexion symbolise une descente intérieure au centre de la terre. Le passage d’un cycle à l’autre s’accomplit dans l’obscurité, ce qui correspond également à un changement d’état. Cette mise en condition s’explique par la nécessité qu’il y a de prendre conscience de la force réelle de ses convictions dans ses engagements vitaux.
Ce lieu de méditation qui met en scène tout ce qui concerne la mort, permet à chacun de faire une incursion dans sa tombe avant l’heure ! C’est pourquoi il est censé être enfoui au sein de la terre, ce qui est d’autant plus perceptible si le cabinet est situé dans les caves.
Le Cabinet de Réflexion invite le postulant à mourir à lui-même pour renaître et l’incite à poursuivre le parcours de son existence, en rectifiant, afin d’éveiller sa conscience à une autre dimension pour donner un autre sens à sa vie. Ce moment privilégié de méditation permet de faire un bilan du passé et d’effectuer par anticipation une mort symbolique virtuelle, ce passage devant déboucher sur un nouveau commencement.
Pour Oswald Wirth, «pour apprendre à penser, il faut s’exercer à s’isoler et à s’abstraire. On y parvient en rentrant en soi-même, en regardant au-dedans, sans se laisser distraire par ce qui se passe au dehors. Le profane soumis à l’épreuve de la Terre est appelé à mettre en jeu les énergies latentes qu’il porte en lui-même. L’Initiation a pour but de favoriser la pleine expansion de son individualité».
Le Cabinet de Réflexion est l’unique moment, dans le cheminement initiatique, où l’on reste seul en présence de soi-même, isolé dans la pénombre, devant des énigmes à résoudre et des décisions à prendre. Pour le candidat à l’Initiation, ce second séjour dans le Cabinet de Réflexion concerne aussi la rédaction de son testament philosophique !
Bien que la rédaction du testament philosophique soit souvent le fruit d’une réflexion trop brève, cet acte permet néanmoins de clarifier les dernières pensées profanes, pour faire le point sur ce qui subsiste d’essentiel d’une existence passée.
La rédaction d’un testament spirituel est un acte qui devance l’échéance naturelle de la destinée, car c’est par volonté libre que le candidat à l’Initiation veut mettre un terme à une phase de son existence et en tourner définitivement la page. Cette rédaction du testament constitue comme une anticipation du serment du futur Initié, puisqu’il sera considéré comme le terme de sa vie profane. Le testament sera ensuite brûlé et réduit en cendres, comme un témoignage de confiance vis-à-vis de la détermination du Récipiendaire à s’engager dans la voie initiatique.
Irène Mainguy considère le testament philosophique comme « un pont virtuel reliant le passé profane à l’avenir de l’initié et comme un point de passage vers un autre devenir, une nouvelle qualité d'être ».
Mais les richesses du Cabinet de Réflexion ne s’arrêtent pas là car il contient plusieurs éléments alchimiques qui contribuent à transmuter un matériau mortel pour en dégager la réalité immortelle. En vivant cette première expérience alchimique qui sera suivie de beaucoup d’autres pour qui fera preuve de vigilance et de persévérance, le futur Initié se dépouille des aspects caducs pour recevoir le rayonnement de l’or de l’Initiation, au-delà de la mort. Mourir, c’est passer d’un mode d’existence à un autre. Le Récipiendaire doit mourir aux faiblesses profanes pour renaître à la vie initiatique.
Pour Raoul Berteaux, l’inscription « V.I.T.R.I.O.L. » concerne la « descente dans la terre » que le candidat est censé accomplir en descendant dans le Cabinet de Réflexion. Celui-ci est à considérer comme « un donné potentiel » offert à celui qui va se séparer du « vieil homme » et qui est reçu sous le signe de la « terre », en attendant d’être reçu dans le temple sous les signes de « l’air », de « l’eau » et du « feu ». Pour Jules Boucher, l’expression désignée par les lettres « V.I.T.R.I.O.L. » est « une invitation à la recherche de l’Ego profond, qui n’est autre que l’âme humaine elle-même, dans le silence et la méditation ».
Déjà dans ce Cabinet de Réflexion, le futur Frère peut percevoir cette grande lumière de l’Initiation qui se présente à lui sous de multiples formes symboliques qu’il commence par pressentir avant de pouvoir les déchiffrer. Mais pour opérer un réel recentrage à caractère illuminatif, il convient d’apprendre à méditer en profondeur. Pour cela, l’isolement silencieux s’impose, car on ne peut suivre le cours de ses pensées qu’en évitant tout ce qui disperse et distrait. Fuir le tumulte du monde profane, se retirer dans la solitude fut donc jadis le premier acte de l’aspirant à la Sagesse.
Ayant visité la Terre, le postulant reste encore un petit temps dans la pénombre, les yeux bandés, avant de sortir de ce lieu sombre auquel il commençait à s’habituer. Il va être déchaussé et en partie dévêtu, puis guidé jusqu’à la porte du Temple où il se présente en toute humilité. Cette évocation du dépouillement est celle du retour à un état primordial d’innocence, un état naturel en fait.
Bibliographie
Béresniak Daniel - Rites et Symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges Bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997 - Pages 20 à 39
Béresniak Daniel - L’apprentissage maçonnique, une école de l’éveil ?
Editions Detrad, Paris, 1983 - Pages 117 à 129
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 80 à 83
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Pages 141 à 148
Boucher Jules - La Symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Page 42
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique - Le livre de l’Apprenti
La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 45 à 49
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 171 à 187
Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le travail en loge d’Apprentis
Editions Dervy – Livres, Paris, 1988 - Pages 52 à 59
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome 1 : « L’Apprenti » - Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 126 à 131
Le dépouillement des métaux
Peu de temps avant que ne débute la cérémonie de l’Initiation au grade d’Apprenti, le Récipiendaire « se laisse dépouiller de ses métaux ». En réalité, le candidat est invité à remettre au Frère qui le prépare tout ce qu’il possède à ce moment sur lui comme monnaie métallique ou de papier, comme bijoux ou autres objets en métal. C’est sans restriction et en toute confiance qu’il remet ces choses qui, dans la vie courante, facilitent l’insertion sociale et constituent les signes d’une certaine respectabilité, valeur toute relative il est vrai.
Au sens propre, ce geste est généralement présenté comme signe de dépouillement mais il est évident que c’est le sens figuré qui est le plus important : c’est l’abandon volontaire de tous pouvoirs, possessions et vanités afin de se présenter tout simplement en tant qu’homme.
Quel sens donner à l’abandon des métaux ?
« Pourquoi ce tabou du métal dans la Loge ? » s’interroge Daniel Béresniak. « Si, aux métaux, les Francs-maçons associent les préjugés et tout ce dont il faut se départir pour réunir et construire, c’est que, à l’origine, il y a un tabou, une interdiction dont il faut connaître l’histoire et le sens. Le symbolisme est l’étude de l’histoire des associations sémiotiques et, par conséquent, il apporte un éclairage précieux sur la nature humaine ».
Cette voie nous invite dès lors à remonter dans le passé, à creuser le sol pour éclairer ce qu’il y a dessous, à remonter aux sources !
1. Renoncer aux valeurs temporelles ?
La plupart des écrivains Francs-maçons commentent le symbolisme des métaux à partir de cette idée de renonciation aux valeurs temporelles.
Dans le monde entier et en tous temps, les sociétés fermées qui se donnent une vocation spirituelle ont apparemment exigé de leurs néophytes une « renonciation » aux valeurs temporelles. Donc, à première lecture, le dépouillement des métaux serait à associer à la renonciation aux valeurs temporelles. Ainsi dépouillé de tout signe de reconnaissance sociale et de tout pouvoir d’acheter un bien, le Récipiendaire est invité à sortir de cette idée d’avoir, de posséder et, de ce fait, invité aussi à « être », à être lui-même. Se dépouiller des métaux, c’est renoncer à confondre l’être et l’avoir.
Il s’agit donc pour le candidat de se montrer tel qu’il est, avec pureté, avec sincérité, avec une certaine innocence, comme celle de l’enfant qui va naître.
2. Libérer l’homme ?
Dans une explication simpliste et terre à terre, A. Gédalge, auteur d’un « Manuel du premier degré », prétend que c’est pour « libérer le Récipiendaire » qu’on le dépouille de ses métaux. « C’est pour lui enseigner que tout se paye en ce monde et qu’on ne peut espérer recevoir sans donner ».
Et cet auteur d’ajouter : « Le dépouillement des métaux symbolise encore l’abandon de l’attachement aux idées préconçues. Le profane doit s’efforcer de penser par lui-même et ne point garder de trop vif attachement pour les pensées qui lui avaient paru les plus agréables jusqu’alors ».
L’usage de dépouiller le candidat de ses métaux est ancien mais se fait avec une rigueur variable, comme le souligne encore un auteur anonyme : « Par suite de l’aversion de la Maçonnerie pour tous les métaux, on pousse le scrupule jusqu’à faire dépouiller un homme de ses habits quand il s’y trouve du galon. L’observation est juste, mais on a souvent dérogé comme on déroge encore à cet usage dans plusieurs loges ».
Presque toutes les instructions de la fin du 18ème siècle associent le métal à la souillure : « Pourquoi les outils de métal étaient-ils interdits ? » : « Pour que le Temple ne soit pas souillé ! ».
La source de l’association du métal à la souillure est biblique. Les références bibliques nous invitent à réviser certaines idées reçues sur les notions de sacré, de profane, de pureté et de souillure.
Le sens de ces mots a changé dans le contexte chrétien en Europe et, par suite, dans les textes maçonniques. Mais une exploration de la Bible permet d’éclairer l’association métal - impur et aussi de relier la cérémonie du dépouillement des métaux à l’assemblage en silence des éléments qui constituent le Temple.
3. Renoncer aux richesses pour en acquérir d’autres ?
Au niveau de la préparation du candidat avant l’Initiation, le dépouillement des métaux n’a rien à voir avec la démarche symbolique. Selon Daniel Béresniak, il s’agit d’un rite apparenté à une tradition universelle, celle qui repose sur l’idée d’une renonciation à certaines richesses pour en acquérir d’autres d’un ordre différent. L’originalité de la Franc-maçonnerie consiste en ce qu’elle rappelle ce rite sans l’appliquer entièrement puisqu’elle restitue les métaux. Par conséquent les métaux ne sont pas objet de mépris.
4. Abandonner ses passions ?
En Maçonnerie, l’expression « les Métaux » possède les deux sens : propre et figuré.
Au sens figuré, ce serait l’abandon volontaire de toute passion au moment d’entrer en Loge. Certains auteurs préfèrent en effet commenter le symbolisme de l’abandon des métaux en songeant aux passions, aux préjugés dont le Néophyte doit absolument se défaire.
Ainsi, pour Jean-Pierre Bayard, les métaux symbolisent « tout ce qui brille d’un état trompeur » et « en étant dépouillé des métaux, c’est l’abandon des passions, des anciennes conceptions, des préjugés ».
Et pour Oswald Wirth, « les métaux représentent tout ce qui brille d’un éclat trompeur ».
Lorsque l’esprit est inexpérimenté, il se laisse facilement séduire par les notions fausses communément admises. Le penseur doit donc se défier des opinions reçues. La monnaie courante des préjugés vulgaires constitue une richesse illusoire que le sage doit apprendre à mépriser.
C’est dire qu’il faut se faire pauvre en esprit si nous voulons être initiés et parvenir à concevoir la vérité. Nous sommes probablement plus près de celle-ci lorsque nous ne savons rien que lorsque nous restons attachés à des erreurs. Mieux vaut donc ne rien posséder plutôt que d’avoir des dettes !
Oswald Wirth écrit encore : « L’homme qui aspire à être libre doit apprendre à se détacher des choses futiles ». Les anciens sages méprisaient le luxe. La raison leur prescrivait de réduire leurs besoins au strict nécessaire et de chercher la richesse dans l’absence de désirs immodérés. Qui vit content de rien possède toute chose !
Remarquons cependant que la Franc-maçonnerie n’astreint pas l’Initié à faire vœu de pauvreté. Il doit simplement se souvenir que la cupidité est le pivot de tous les vices antisociaux. Le penseur doit se déplacer lui-même dans les conditions de pureté et d’innocence qu’on attribue à l’état de nature. C’est donc en revenant à la simplicité du plus jeune âge qu’on réalise les conditions les plus favorables à la recherche désintéressée du vrai.
5. Se débarrasser de ses préjugés ?
« Se dépouiller des métaux » est une expression symbolique qui, pour Daniel Béresniak, signifie « se débarrasser de ses préjugés ». Mais il précise qu’il faut comprendre comment les préjugés surgissent et s’établissent, reconnaître leur fonction de défense de l’intégrité du « moi ».
Ce travail implique l’écoute sans juger. En effet, dire des préjugés qu’ils sont négatifs, dangereux, pernicieux, ne sert à rien. Il faut regarder à quoi ils servent et observer leur vie sans malveillance ni bienveillance. Plutôt avec bienveillance quand même car, si on aime la vie, on aime aussi les jeux étranges auxquels se livrent les êtres vivants pour durer et être mieux.
Tailler sa pierre, c’est la remettre en cause, la regarder comme « à être ». C’est donc reconnaître la légitimité du devenir. Chargé de métaux, le Profane est un être parlé. Libéré des métaux, l’Initié devient un être parlant.
6. Se méfier de l’impureté des métaux ?
Quelques auteurs font aussi allusion à l’impureté des métaux.
En ce qui concerne le sens propre de l’expression « les métaux », Jules Boucher cite à nouveau Leadbeater : « Le candidat se voit enlever tous ses métaux car ceux-ci peuvent gêner la circulation des courants magnétiques ».
En ce qui concerne la raison de cette prohibition rigoureuse, c’est, d’après quelques auteurs, le sentiment que les métaux sont jusqu’à un certain point impurs.
Jules Boucher estime qu’on peut considérer de deux façons l’Initiation maçonnique : soit au point de vue hermétique, soit au point de vue magique. Dans le premier cas, le Profane doit être pur parce qu’il représente la matière première des Sages. Dans le second cas, le Profane doit être pur magiquement, c’est-à-dire que rien ne doit pouvoir gêner les influx dans lesquels il va se trouver placé.
Raoul Berteaux croit, pour sa part, que nous sommes en présence d’allégories qui concernent les domaines moraux et sociaux. Les traditions occultes, alchimiques et astrologiques font appel au symbolisme des métaux, dont le nombre est souvent égal à sept, comme les planètes.
Dans la tradition occulte, alchimique et astrologique, chacun des sept métaux correspondait à une planète et, à chacune de celles-ci, on peut faire correspondre l’un des sept péchés capitaux.
MÉTAUX PLANÈTES PÉCHÉS CAPITAUX
Or Soleil Orgueil
Argent Lune Paresse
Fer Mars Colère
Mercure Mercure Envie
Etain Jupiter Gourmandise
Cuivre Vénus Luxure
Plomb Saturne Avarice
7. Se protéger des ondes magnétiques ?
« Mais pourquoi le récipiendaire est-il dépossédé de tout métal avant de se présenter à l’initiation ? » insiste Raoul Berteaux qui prétend que tout porteur de métaux capte, à son insu, des ondes électromagnétiques et qu’il est, à tout moment, soumis à des influences qu’il ne perçoit pas et, a fortiori, qu’il ne contrôle pas.
Débarrassé des métaux, le Récipiendaire est mis à l’abri ; il est protégé selon un processus passif, comme il sera protégé selon un processus actif en portant le tablier qui l’isole.
8. Respecter la tradition ?
Une autre lecture relie la coutume du dépouillement des métaux à la tradition spécifiquement maçonnique. Cette tradition s’établit, au cours des premières années du 18ème siècle, à partir de commentaires d’un passage de la Bible où il est question de la construction du Temple de Jérusalem.
Ce texte est le suivant :
« Lorsqu’on bâtit la maison, on se servit de pierres toutes taillées et ni marteau, ni hache, ni aucun instrument de fer ne furent entendus dans la maison pendant qu’on la construit » I Roi 6 7.
Le manuscrit Graham, un texte maçonnique de 1726, reprend ce passage.
Le Masonic Manual d’Anderson, le rédacteur des Constitutions, le texte fondateur de la Franc-maçonnerie moderne, dit :
« Nos instructions maçonniques actuelles nous enseignent que nous apprenons de l’Histoire Sainte qu’on n’entendit pas le bruit d’une hache, d’un marteau ni d’aucun outil de fer pendant sa construction ».
Les instructions Wooler, un texte maçonnique de la fin du 18ème siècle, rédigées en Ecosse, proposent un enseignement par questions et réponses dans lequel figure ceci :
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Pourquoi les outils de fer étaient interdits ?
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C’était le meilleur moyen de montrer l’ingéniosité de la maçonnerie à cette époque, car ces matériaux étaient préparés à une si grande distance de là que, quand on les assemblait, ils s’ajustaient de façon si parfaite qu’on eût dit l’œuvre du Grand Architecte de l’Univers plus que l’œuvre d’un mortel.
9. Apprendre dans le silence ?
Le discours le plus ancien sur l’abandon des métaux se réfère à l’enseignement du silence. Le métal de référence y est le fer. Le discours moderne est plus moralisateur et le métal de référence est l’or.
L’enseignement du silence est associé à la construction. Les instructions Wooler citées ci-dessus précisent que les outils de fer sont interdits afin de montrer l’ingéniosité de la Maçonnerie. Elles dégagent deux étapes dans la construction de l’édifice (et de l’homme, et de la société) : la préparation des éléments de la construction, d’une part et l’assemblage des éléments préparés, d’autre part.
La première étape se passe là où les éléments existent : la forêt et la carrière. Dans la forêt, on coupe les arbres, on les débite, on taille le bois. Dans la carrière on extrait des pierres et on les taille. Ces préparatifs produisent du bruit, un vacarme assourdissant. Les éléments de bois et de pierre sont ensuite portés là où se construit l’édifice, en un lieu choisi et distingué. En cet endroit, les éléments s’assemblent et s’emboîtent alors silencieusement.
Ce silence témoigne pour l’intelligence et cela pour la raison suivante : ceux qui ont coupé les arbres et taillé le bois, extrait et taillé les pierres avaient déjà en tête l’image de l’œuvre accomplie. Ils avaient déjà imaginé, mesuré, calculé, prévu jusque dans les moindres détails.
Le silence de la seconde et dernière phase de la construction, la réunion des éléments épars, est le fruit de l’intelligence qui, pour concevoir l’édifice, a réuni l’art et la science. Et ce qui a mis en marche l’intelligence, c’est la passion de créer.
L’exercice de l’intelligence, c’est l’art de visualiser ce qui est à être, c’est l’art de créer, de dominer la nature pour réaliser un projet, c’est l’art de construire, c’est l’Art Royal.
Le candidat à l’Initiation se présente donc sur le parvis muni de tous les outils métalliques grâce auxquels il s’est construit comme partie d’un ensemble à être. Son argent, ses clefs, sa montre, ses médailles, ses bijoux, instituent son identité et représentent son lieu d’origine, son ancrage social, ses appartenances, sa fonction sociale. Il se dépouille de ces outils de taille et signifie ainsi qu’il est prêt à s’insérer parmi ses Frères, à trouver sa juste place dans un édifice encore à construire. Il se présente sur le parvis du temple comme la pierre que l’architecte attend.
Le discours maçonnique sur les métaux dit, dans tous les cas, qu’il faut, à un certain moment, les écarter. Mais si nous voulons tirer profit du symbolisme, il nous faut collectionner les explications que nous fournissent de nombreux auteurs et comparer leurs avis car seule la comparaison permet de construire du sens.
Paraître ni nu ni vêtu, dépouillé de ses métaux, c’est-à-dire dans sa plus grande simplicité, telle serait donc la perfection « symbolique » demandée au Récipiendaire, au moment où il va recevoir l’Initiation. Il est donc invité à maîtriser toutes ses passions, en particulier celles de la possession, du pouvoir, de la vanité, etc., passions qui sont inhérentes, à des degrés divers, à l’homme commun.
Retirer les métaux et la monnaie à l’aspirant, c’est lui enlever le plus grand corrupteur des consciences ; c’est prouver matériellement le renoncement aux biens matériels ; c’est montrer que la vraie « libération » ne peut s’accomplir que par l’ascension vers l’Esprit ; c’est aussi lui redonner cette « simplicité » et cette «nudité» dont parlent les Évangiles.
L’enlèvement des métaux correspond à la Pierre brute qui est remise au nouvel Initié. Le rituel le replace « symboliquement » dans l’état de nature en supprimant le métal qui caractérise précisément la civilisation et tout ce qu’elle comporte de factice.
La Franc-maçonnerie n’exige pas de ses membres le vœu de pauvreté. La Franc-maçonnerie exalte le travail. Tout son symbolisme blasonne l’amour du travail, seule véritable source de la dignité et seul moteur du progrès individuel et collectif. La Franc-maçonnerie ne peut admettre que le travail soit une punition infligée à l’homme.
La richesse, dans la mesure où elle est le fruit du travail est une bénédiction. S’il ne méprise pas la richesse, fruit du travail, l’Initié ne se laisse pas griser par elle et sait lui attribuer sa juste place, là où elle ne gène pas son épanouissement spirituel.
L’abandon des métaux, c’est donc :
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abandonner volontairement toutes possessions et vanités ;
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abandonner ses préjugés, ses passions et ses idées préconçues ;
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renoncer aux valeurs temporelles, le temps de la purification ;
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renoncer à l’idée de posséder ;
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être invité à être soi-même, en toute simplicité ;
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renoncer aux richesses matérielles pour acquérir des richesses spirituelles ;
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respecter la tradition.
Tel semble le message le plus plausible qu’évoquerait le rite du dépouillement des métaux.
Bibliographie
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 77 à 78
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome 1 : « L’Apprenti » - Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 124 et 125
Autres ouvrages cités :
André-Gedalge, Amélie - Manuel interprétatif du symbolisme maçonnique
1er degré symbolique – Grade d’Apprenti
Editions Belisane, Nice, 1986
Bayard Jean-Pierre - Le Symbolisme maçonnique traditionnel
Page 247
Horne Alex - Le Temple de Salomon dans la tradition maçonnique
Londres 1972, traduit par Daniel Beresniak aux Editions du Rocher, Paris, 1990
Leadbeater - Le côté occulte de la Franc-maçonnerie
1930
La préparation du Récipiendaire
Le mot « préparation » désigne toutes les règles de protocole auxquelles doit se soumettre le Profane, candidat à l’Initiation. Toujours en rapport avec une valeur symbolique, cela concerne non seulement le dépouillement de ses métaux mais aussi, selon le Rite pratiqué, une certaine façon de se vêtir en laissant apparentes des parties de son corps. Cette préparation concerne aussi la rédaction d’un testament philosophique qui se fait dans le Cabinet de Réflexion quelques instants avant que débute la cérémonie d’Initiation.
Au Rite moderne, le Frère Expert ou le Passé Maître Immédiat, selon les habitudes de la Loge, va donner lecture d’un message au candidat séjournant encore dans le Cabinet de Réflexion. Ce texte souligne la liberté de pensée qui est laissée à chacun et invite le candidat à débarrasser son esprit de tout ce qu’il peut contenir de préjugés et d’erreurs. Le candidat se défait de ses métaux, les place dans une enveloppe aussitôt scellée puis se met à rédiger son testament philosophique.
Quelques instants plus tard, le Frère Expert est chargé de ramener ce testament en Loge. Il le tient sur l’extrémité de son épée. Généralement ce testament n’est pas révélé. A la fin de la cérémonie, il est le plus souvent brûlé par le Frère Secrétaire.
Le Frère Expert, assisté du Maître des Cérémonies, aide ensuite le candidat à se défaire d‘une partie de sa vêture en vue de son entrée en Loge pour la cérémonie d’Initiation.
La vêture
Les anciennes instructions mettent l’accent sur l’importance de la tenue vestimentaire du Récipiendaire, la reliant dans un premier temps à une préparation à l’Initiation d’ordre intérieur, qui est celle du cœur.
« Ni nu ni vêtu », telle doit être l’apparence du Récipiendaire lorsqu’il est conduit aux épreuves de l’Initiation au degré d’Apprenti. Le candidat est soumis à cet état comme un rappel de celui de sa naissance où il était nu, innocent. Etre vêtu signifie ici symboliquement, la marque de sa condition humaine et de la socialisation qui en découle. C’est dans cet état que le candidat à l’Initiation est préparé physiquement, c’est-à-dire ni nu ni vêtu, mais dans un état décent, dépouillé d’une partie de ses vêtements. Il s’agit d’un état nouveau qui demande une certaine préparation sur le parvis ou dans un local proche de la Loge.
Cette préparation concerne les vêtements qui créent la forme visible d’une réalité intérieure : ils disent comment celui qui les porte veut se montrer et quel rôle il veut jouer. Dans la société, le port des vêtements est une indication du niveau de richesse sociale. Ils accentuent les différences et l’inégalité de fortune. Dépouillé de cette apparence, le candidat est rappelé à son état ontologique de pauvreté.
Cette préparation vestimentaire du Récipiendaire a pour but de déstructurer le message signifié par l’habit. Etre « ni nu ni vêtu » est une expérience neuve.
En effet, nous sommes tantôt nus, tantôt vêtus, plus ou moins nus ou vêtus, mais nous ne sommes jamais ni nus ni vêtus. Constatons que cet état est impossible ! Cette préparation vestimentaire du Récipiendaire suggère cet état impossible : le bras et le sein gauches sont découverts ; la jambe et le genou droits sont mis à nu et le pied gauche est déchaussé.
Pour Jules Boucher, « le cœur est à découvert en signe de sincérité et de franchise ; le genou droit est mis à nu pour marquer les sentiments d’humilité qui doivent être ceux de l’Initié ; le pied gauche est déchaussé en signe de respect ».
Cette préparation physique du Récipiendaire présente un caractère inhibitif. En effet, le candidat a tout d’abord son attention attirée sur le cœur, considéré comme le siège de l’affectivité. C’est de cette manière qu’il devrait prendre conscience qu’il devra prendre garde aux entraînements sentimentaux auxquels cèdent trop facilement la plupart des hommes.
Ensuite, son attention est attirée vers son genou droit, celui que l’on pose à terre dans une génuflexion, acte de soumission à quelqu’un. Etant à découvert, le genou devient particulièrement sensible et cela devrait inciter le Récipiendaire à n’accomplir toute génuflexion qu’avec circonspection.
Enfin, le pied gauche est déchaussé. Au Rite moderne, la marche débute du pied droit, marquant ainsi la prépondérance de la raison sur la sentimentalité. Le pied gauche déchaussé entrave la marche et le Récipiendaire est obligé de s’appuyer solidement sur le pied droit.
Pour Irène Mainguy, « le Récipiendaire, ainsi présenté ressent physiquement l’état inconfortable de la dualité, du déséquilibre et de la contradiction, particulièrement éprouvé par la claudication de la marche. Cette préparation physique et vestimentaire marque la distinction et le croisement des courants énergétiques de droite et de gauche du corps humain, établissant une symétrie autour des axes perpendiculaires et verticaux qui se croisent près du sein gauche où est localisé le cœur. La droite est considérée comme active et la gauche comme passive. Le candidat prend conscience de l’obstacle que crée tout dysfonctionnement physique, après cette préparation vestimentaire, qui peut faire penser à celle d’un condamné à mort. Cette mise en scène est faite pour l’aider à se dépouiller de son ego, à mourir à lui-même ».
La pénétration en Loge « ni nu ni vêtu » rappelle la vision décrite par Platon du personnage coupé en deux, chaque partie de lui-même étant à la recherche de l’autre moitié. Mais l’état « ni nu, ni vêtu » du postulant à l’Initiation rappelle aussi l’état du boiteux sous lequel est le plus souvent représenté le forgeron. Cette préparation qui n’a rien d’une brimade, est aussi faite pour faire prendre conscience de l’état d’infirmité spirituelle, d’opposition interne et d’incomplétude dans lequel se trouve toute personne en quête de Lumière, venant frapper à la porte du temple.
Ainsi, le candidat à l’Initiation, présenté dans l’état d’infirmité du forgeron, dépouillé de ses métaux les plus vils, part à la recherche des métaux les plus nobles, prenant pour maître Tubalcaïn, modèle de la conciliation des oppositions nécessaires et fécondes, lui traçant la voie à suivre.
Le bandeau
La préparation du Récipiendaire comporte, en outre, l’usage d’un bandeau, bande de tissu noir dont l’usage le plus commun est de couvrir les yeux de tout Profane lorsqu’il pénètre dans le Temple, avant son Initiation.
Il est dit au Récipiendaire qu’un bandeau couvre ses yeux afin qu’aucune préoccupation extérieure ne vienne le distraire, qu’il soit entièrement seul et qu’il puisse pénétrer dans les replis de sa conscience. Raoul Berteaux fait remarquer que « si ces termes étaient pris à la lettre, on ne pourrait manquer de remarquer que le Récipiendaire engagé dans un cérémonial inattendu et surprenant pour lui, n’est pas placé dans des conditions favorables à la méditation silencieuse ni au repli sur soi-même ». Il faut donc passer par delà ces termes imagés.
Ce bandeau empêche le Profane non seulement de voir le Temple, sa décoration et les symboles qui s’y trouvent représentés, mais également d’identifier les Maçons assistant à la Tenue, ce qu’il pourra faire dès qu’il aura été admis dans l’Ordre, au terme de la cérémonie d’Initiation. Certains commentaires rencontrés dans la littérature maçonnique soulignent que l’obscurité créée par le bandeau évoque l’ignorance de l’état profane, alors que la lumière qui éclate lors de la chute du bandeau évoquera la connaissance de l’état initiatique.
Symboliquement, n’étant pas encore entré dans l’univers maçonnique, le candidat reste plongé dans l’obscurité. Si les yeux bandés protègent de toute curiosité, ils constituent une préparation à la concentration intérieure et rendent davantage réceptif. En effet, à ce stade du contact de l’individu avec la Franc-maçonnerie, le bandeau a surtout pour fonction d’isoler le Profane, d’éviter qu’il ne soit distrait ou impressionné par l’environnement spectaculaire du Temple, et de favoriser sa concentration sur les réponses qu’il aura encore à donner à ceux qui vont l’interpeller.
La vue supprimée, les autres sens prennent de l’acuité. C’est surtout l’ouïe qui se développe. La Franc-maçonnerie veut ainsi signifier que le profane, s’il ne sait pas voir, écoute trop souvent les bruits du monde et les paroles des autres.
Jules Boucher souligne que « le symbolisme du bandeau, qui semble si élémentaire, est l’un des plus profonds de toute la Maçonnerie ». Le bandeau est en effet l’un des outils majeurs de la révélation, du passage de l’obscurité à la Lumière maçonnique, de l’appréhension aveugle du monde à une vision claire et pénétrante. Mais pour ce faire, il faut d’abord que le Profane qui va être initié s’en remette à ceux qu’il rejoint par cet acte, qu’il s’abandonne à eux les yeux bandés, en signe d’abnégation et de confiance totale.
L’initiation commence par un voyage ; l’initiation est un voyage qui se fait les yeux bandés car, d’une part, le candidat Maçon est en recherche : il n’a pas encore vu la Lumière et il est dans les ténèbres de sa quête ; et d’autre part, il doit se détourner du mirage temporel pour regarder vers l’intérieur ; il doit regarder l’intérieur de la tombe de résurrection.
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Pages 22, 23 et 126
Behaeghel Julien - L’Apprenti maçon et le monde des symboles
La Maison de Vie, Fuveau, 2000 - Page 53
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997 - Pages 43 à 46
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 78 à 80
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Page 39 à 41
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 87, 88, 113, 166 et 167
Autre ouvrage cité :
de Souzenelle Annick - De l’arbre de vie au schéma corporel ou Le symbolisme du corps humain
Editions Dangles et Albin Michel, 2000
Le franchissement de la porte basse
Après lui avoir à nouveau bandé les yeux pour quitter le Cabinet de Réflexion, le candidat est amené au Parvis, avec l’aide du Maître des Cérémonies. Portant une chemise blanche laissant bras et sein gauche découvert, le genou droit nu et le pied gauche nu dans une pantoufle, le candidat est ainsi conduit face à la porte de la Loge.
Pour se mouvoir, il est à présent entièrement dépendant de celui qui voudra bien ne pas le laisser choir ! Au Rite moderne, c’est soit au parrain du candidat, soit au Maître des Cérémonies que revient le devoir de le mener vers les épreuves qui l’attendent.
Privé de la vue pour un certain temps, ses autres sens devraient être stimulés davantage car, dès cet instant, il a à éprouver et à entendre. Son regard d’aveugle se tourne vers l’intérieur mais au cours de la cérémonie, il n’a pas vraiment le loisir de regarder en lui-même. Il en aura le souvenir, plus tard.
Pour pouvoir pénétrer dans la Loge, le Maître des Cérémonies frappe violemment, en profane, sur la porte et fait savoir qu’il demande l’entrée pour un profane « né libre et de bonnes mœurs qui demande à être reçu Franc-maçon ». C’est en effet par trois grands coups que ce dernier obtient l’entrée de la Loge.
La Porte du Temple est à l’occident, entre les Colonnes J\ et B\.là où le soleil se couche. L’entrée de la Loge est une marche à la rencontre du soleil, vers l’orient. Elle est le lieu de passage entre deux mondes, la limite entre l’enceinte sacrée et le monde profane. Elle signale le passage et invite à la franchir.
La Porte du Temple est très basse et le passage est difficile. Le Récipiendaire soit se faire tout petit, se laisser pousser et tirer. C’est vivre la naissance. La porte basse est un passage obligé pour le Récipiendaire dûment préparé.
Ce symbole de la porte a de nombreuses significations. Il est demandé au Profane de franchir une porte qu’il ne voit pas. Franchir cette porte ne se résume pas seulement à un déplacement dans l’espace : cela devient un acte symbolique qui doit être mûrement réfléchi et accompli en parfaite connaissance de cause.
Placés dans la même situation de simplicité et sur pied d’égalité, tous les Profanes franchissent la porte basse dans la même situation, qu’ils soient notables, riches ou pauvres. Et pour certains Récipiendaires, ce franchissement peut paraître difficile car il implique de se baisser, de s’abaisser, de faire preuve d’humilité. Le Récipiendaire est invité à se courber, à passer en boule comme le fœtus au moment de sa naissance, ce qui justifie l’appellation de « néophyte » (c’est-à-dire « qui devient une nouvelle plante ») après la prestation de serment. Cette position de passage invite à la concentration sur soi, nécessaire à un passage difficile.
Ce symbole de passage est riche de sens : il permet de passer d’un état à un autre ; il est assimilable, par analogie, aux symboles du pont et de l’échelle qui appartiennent aussi au symbolisme de la construction.
La porte basse suppose la délimitation volontaire de lieux comme d’espaces différents, du profane au sacré. Elle a une fonction de protection ; elle donne ou interdit l’accès à autre chose, à un autre lieu, une autre connaissance ; ainsi, la porte fermée est une protection du lieu sacré.
Le postulant accomplit un réel passage d’une vie à l’autre entre la matrice qui l’a porté et le Temple dont il ignore encore tout. Et pour marquer de façon indélébile la difficulté de ce nouvel accouchement, c’est courbé, presque rampant, qu’il passe la porte comme s’il sortait d’une trappe avant de pouvoir, enfin, se relever et retrouver sa stature proprement humaine.
Cette pratique existait déjà aux premiers temps de la Franc-maçonnerie comme l’attestent certains documents du début du 18ème siècle.
« Ni nu ni vêtu », le postulant pénètre dans le Temple entre deux états : l’état de nature et l’état social, ni tout à fait l’un, ni l’autre non plus. C’est dans cet appareil qu’il se redresse enfin, vertical entre terre et ciel et dans l’axe d’une Lumière qu’il pressent mais ne découvre pas encore.
Dans tous les rites initiatiques, il y a, au départ, une intention de changement d’état, actif et conscient, en vue d’un accomplissement de l’être. Bien souvent la porte est gardée par des gardiens du seuil ou des sentinelles qui renforcent son caractère de protecteur. En Franc-maçonnerie, c’est au Couvreur de remplir cette fonction de gardien du seuil de l’espace sacré.
Franchir une porte donne accès vers autre chose. La Porte du Temple est basse pour indiquer la difficulté de passer du monde profane au monde initiatique. Le sentiment qui domine le monde profane est bien souvent l’orgueil, la soif d’avoir et de pouvoir. Chacun se considérant comme le centre du monde, rapportant tout à son ego, ne jugeant les événements qu’en fonction des répercussions sur sa situation personnelle, voulant plier le monde à ses conceptions étroites et égoïstes, sans se préoccuper du sort de l’humanité. Frapper à la Porte du Temple, franchir la porte basse, c’est un début de prise de conscience de l’état d’ignorance dans lequel on est, et de la nécessité d’un guide.
Le franchissement de la Porte du Temple maçonnique correspond au passage du domaine profane à celui du domaine sacré. Cette porte qui permet l’accès à un changement d’état fait penser aux portes de la naissance et de la mort, franchissements inéluctables et imposés, alors que celui de l’initiation est choisi librement.
Le fait de passer la Porte du Temple ne veut pas dire que l’on est initié. Tout le travail reste à faire ! Franchir la porte en sens inverse doit permettre, dans le cadre d’une extériorisation ou d’un engagement extérieur dans la société, de transmettre à bon escient la lumière reçue.
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Pages 125 et 126
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997 - Page 49
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 111 et 112
Beauchard Jean - La voie de l’Initiation maçonnique
Editions Véga, Paris, 2004
Les trois voyages et les trois épreuves
Les trois voyages
Au premier degré de la Maçonnerie, le rituel prévoit trois voyages. Pour Guy Boisdenghien, « le concept des voyages est une constante des traditions ésotériques. En maçonnerie, ils s’exécutent en trois déplacements dextrogyres autour du Tableau de Loge. Ces circumambulations autour du centre de la Loge, modèle réduit du Cosmos ont pour but d’inciter le postulant à se concentrer sur son propre centre. Aussi le terme « voyage » qui, dans le lexique profane, définit un déplacement vers un lieu assez éloigné acquiert une toute autre dimension de sens dans le vocabulaire initiatique. Le postulant entreprend effectivement un déplacement éloigné, dans la profondeur spirituelle de son en-soi dont il a conscience mais qu’il ne maîtrise pas faute de moyens mis à sa disposition ».
Le voyage résume à lui seul la vie de l’homme et surtout la pérégrination de l’Initié qui cherche dans le labyrinthe terrestre sa lumière, son centre, son éternité. De tous temps, les pèlerinages ont été associés à la recherche du centre et à la reconstruction du monde. En voyageant, l’être met ses pas dans ceux du Créateur pour recréer avec lui les phases de l’œuvre. L’Initiation est un voyage hors du temps pour se rapprocher du centre de la totalité invisible.
Pour Irène Mainguy, « les voyages symboliques préfigurent ceux qui seront à faire dans l’univers entier représenté par la loge… Le voyage peut physiquement désigner un déplacement dans l’espace, mais le véritable voyage consiste à se diriger de la périphérie vers le centre de soi-même, pour accéder à son propre cœur et ouvrir son temple intérieur qui est comparable à un saint des saints individuel, en tous points semblable à l’Unique ».
Dans l’Initiation maçonnique, le Récipiendaire sort d’abord de la terre. Le premier élément est la terre, le domaine souterrain où se développent les germes et les semences. Elle est figurée par le Cabinet de Réflexion où le Récipiendaire a été enfermé. C’est en réalité son premier voyage.
Les trois purifications et les quatre éléments
Puis, au cours de trois voyages effectués dans la Loge, il est successivement purifié par l’air, par l’eau et par le feu. Ainsi, il s’affranchit par paliers de la vie matérielle, de la philosophie et de la religion et parvient à l’initiation pure.
Les rites de purification sont aussi anciens que les systèmes religieux et philosophiques eux-mêmes. Les plus anciens Rituels maçonniques font état de la purification par les quatre éléments, probable résidu d’une symbolisation totémique du développement de la vie à l’aide et à travers ces entités élémentaires primordiales. En Franc-maçonnerie, les purifications se justifient car le postulant est remonté de la terre – c’est-à-dire du Cabinet de Réflexion – premier stade de sa renaissance où il a subi une putréfaction de la graine. L’Épreuve de la Terre est un emblème qui signifie la mort du vieil homme, indispensable à la germination de l’homme nouveau. Ainsi, en certaines circonstances, l’impur vient de la terre.
Les trois voyages dans la Loge s’effectuent par circumambulations successives, allant du bruit des grandes eaux au silence du non – temps. Ces circumambulations symbolisent les métamorphoses de l’être en quête du centre, de l’être qui quitte le monde inconscient pour s’éveiller à son devenir intemporel.
Le premier voyage dans la Loge est le voyage de l’air. Initié en devenir, le candidat accepte le souffle créateur. Le souffle est le Verbe et le Verbe est au commencement de toute renaissance. C’est le Verbe qui initie et révèle la lumière. Le souffle est le Verbe créateur qui propulse l’Initié dans les hauteurs aériennes. Le souffle crée l’aile qui emportera l’être dans les sphères du non – temps.
En recevant le souffle initiatique, le Néophyte devient lui-même souffle qui se mêle au souffle vivifiant de l’univers. Et en devenant souffle, il se libère de la pesanteur pour devenir vide et lumière. L’air est le voyage de l’élévation.
Le deuxième voyage par circumambulation, c’est le voyage de l’eau ou du baptême, au cours duquel se produit la dissolution de l’être par l’élément liquide afin de naître à une nouvelle forme.
Mais le souffle n’a de sens que s’il est souffle d’amour et c’est le feu qui fait que le Néophyte se consume pour l’autre, pour les autres, afin que les autres vivent et puissent à leur tour prendre conscience de leur rôle de transmetteur. L’homme transmet le feu d’amour qu’il a reçu par l’Initiation. Cela constitue le dernier voyage dans la Loge : c’est le voyage du feu.
Le feu est la transmutation de toute matière en lumière. Le feu a une double dimension. Il est à la fois chaleur et lumière : la chaleur dégagée par la transformation – purification et la lumière qui en émane. Cette double réalité du feu en fait l’élément essentiel de la métamorphose de la matière. Le feu inscrit dans le Verbe manifesté est l’amour initiatique du Créateur.
Les dernières circumambulations rapprochent le Néophyte du centre, symbolisé par le Tableau de Loge, et lui donnent la force de recevoir la lumière. Car il faut être fort, en effet, pour traverser le miroir du mirage du temps.
Recevoir le feu, c’est accepter de devenir lumière, donc de brûler pour les autres. Le feu est le commencement d’un nouveau processus, d’une nouvelle vie. Recevoir la lumière équivaut à recevoir la Connaissance, et la Connaissance est amour.
L’Initiation par le feu est la dernière phase du processus. Il était absolument nécessaire de d’abord mourir dans la terre pour recevoir ensuite le souffle du Verbe puis d’être régénéré dans l’eau, pour enfin brûler en devenant un lumineux. C’est en recevant la Lumière que le Néophyte est devenu un ouvrier du Temple, un morceau du plan. Le feu devient Lumière.
Pour Julien Behaeghel, l’Apprenti meurt quatre fois dans les éléments de la matière alchimique : la terre, l’air, l’eau et le feu. « Mourir dans les quatre éléments correspond à la métamorphose de notre propre corporéité. Le corps de matière meurt dans l’obscurité de la caverne – Terre, le tombeau de résurrection ; il se dissout dans l’Eau baptismale, l’eau de la nouvelle naissance ; il se spiritualise dans le Feu de la conscience et se verticalise dans l’Air de légèreté. L’horizontale de la Terre – Eau devient la verticale du Feu – Air ».
La notion des quatre éléments est de toutes les traditions, même les plus anciennes. Prenant en compte la pensée prométhéenne, les physiologues grecs, à la fois philosophes et scientifiques, furent peut-être les premiers à « penser » la condition humaine.
De Thalès de Milet à Héraclite, le système des Eléments a été élaboré par propositions successives devenant des Principes à l’origine de tous les ordres de la création.
Les éléments représentent la constitution du monde à tous les niveaux, micro – et macrocosmiques.
La première problématique de la Franc-maçonnerie est la mise en harmonie de l’individu par rapport au monde. Voilà la raison pour laquelle l’intégration à l’ordre maçonnique utilise ce passage sous forme de voyages successifs.
Selon Christian Jacq, les quatre éléments, la terre, l’eau, l’air et le feu, correspondaient aux quatre âges du monde et aux quatre qualités fondamentales de l’être humain, le sens matériel, la sensibilité, l’intelligence et la spiritualité.
Ces purifications étaient accomplies dans toutes les sociétés initiatiques de l’Antiquité. On en retrouve les traces en Egypte, à Byzance, dans les livres gnostiques et dans les religions à mystères.
Le rituel maçonnique tend à délivrer l’Initié des entraves qu’il connaît sur ces quatre plans et à lui indiquer le meilleur chemin pour développer à quatre niveaux ses potentialités créatrices.
Lorsque les trois voyages sont terminés, lorsque le candidat a été purifié par les quatre Eléments, le Vénérable Maître invite le Maître des Cérémonies à présenter le Calice d’amertume au candidat.
Le calice d’amertume
La signification de ce geste est liée aux difficultés de la voie initiatique. En effet, le Vénérable Maître, qui sollicite le candidat à vider la coupe jusqu’à la lie, précise que ce breuvage, par son amertume, est l’emblème des épreuves inséparables de la vie. La résignation peut en adoucir les effets mais le courage seul peut l’aider à les vaincre.
Boire à la coupe, c’est s’engager fermement sur le chemin de la connaissance de soi. Boire la coupe jusqu’à la lie, c’est consentir à persévérer jusqu’au bout quelle que soit la nature des épreuves à traverser, et s’engager à triompher de ses ténèbres intérieures.
Pour Jules Boucher, le candidat devrait boire le contenu de la coupe en trois fois car il prend en considération les trois phases qui caractérisent le breuvage de l’Initié :
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la première serait comme un liquide insipide, sans saveur, le symbole d la vie du profane en qui l’esprit n’a pas été éveillé ;
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la deuxième, amère, symboliserait la vie de l’Initié qui est en voie de rechercher et de découvrir. Il est en proie au tourment de la recherche de la connaissance, voulant trouver la lumière et vivement sortir de son enfermement ;
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la troisième phase serait la vie de l’adepte qui a reçu depuis longtemps la lumière en laquelle il puise, qui lui confère toute sa sérénité, sa paix intérieure et profonde, la quiétude que lui a valu l’Initiation, et le breuvage pourrait alors être comparable à la boisson divine qui confère l’immortalité.
Tout cherchant dans la voie initiatique doit vider la coupe d’amertume jusqu’au bout, jusqu’à la lie, car tout être authentique est confronté, au fur et à mesure de la progression de sa quête, aux plus dures épreuves. L’absorption préalable du breuvage chargé d’amertume est la meilleure manière de s’y préparer par la connaissance. La coupe est symbole de transition entre le monde profane, d’où vient le Récipiendaire, et le monde des aspirations spirituelles.
La coupe étant vide, la Loge est à présent prête à satisfaire les vœux du candidat et à récompenser sa persévérance pour autant que ce dernier consente à prendre l’engagement solennel que la Franc-maçonnerie impose à ses membres.
Pour ne pas laisser l’impétrant prononcer un serment à la légère, le rituel prévoit de lui faire connaître la nature de l’Ordre maçonnique. C’est ainsi que le Récipiendaire apprend que la Franc-maçonnerie est une association initiatique qui, par son enseignement symbolique, élève l’homme spirituellement et moralement, et contribue ainsi au perfectionnement de l’humanité par la pratique d’un idéal de paix, d’amour et de fraternité.
Avant de prêter serment, le Récipiendaire apprend ce qu’est le signe d’ordre, un geste qu’il aura souvent à faire, signifiant qu’il préférerait avoir la gorge tranchée plutôt que de manquer à sa parole.
Bibliographie
Behaeghel Julien - Symboles et initiation maçonnique
Hiram dans le labyrinthe - Editions du Rocher, Monaco, 2000 - Pages 67 à 77
Behaeghel Julien - L’Apprenti maçon et le monde des symboles
La Maison de Vie, Fuveau, 2000 - Page 33
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997 - Pages 50 à 52
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Page 83
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Pages 148 à 154
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Page 51
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 115 ; 122 à 127
La prestation de serment
Le Frère Orateur est invité à donner lecture de l’engagement de l’Apprenti Maçon. Puis le Vénérable Maître précise que ce serment ne contient rien de contraire à l’honneur et que des millions d’hommes l’ont prêté depuis des siècles, sur toute la surface de la terre.
Ayant eu une dernière fois l’occasion de réfléchir et de confirmer son désir de devenir Franc-maçon, le candidat est conduit par le Maître des Cérémonies devant l’Autel. L’autel des serments est ce petit meuble accolé au plateau du Vénérable Maître, destiné à rassembler les éléments symboliques que sont le Volume de la Loi Sacrée, l’Equerre et le Compas.
Le Maître des Cérémonies aide le Récipiendaire à placer le genou droit dans le creux de l’Equerre représentée sur un coussin, à placer le genou gauche en équerre, le pied à terre, à poser la main droite sur les Trois Grandes Lumières tandis que de sa main gauche, il tient un compas ouvert à 90 degrés, une pointe sur le cœur et l’autre tournée vers le Zénith.
C’est dans cette position que le Récipiendaire est alors invité à répéter le serment, membre de phrase par membre de phrase.
Remarquons que le Récipiendaire prononce son premier serment avant même que la Lumière lui soit donnée ! Par ce serment le Profane s’engage à respecter les lois et règlements de l’Ordre, tout en restant fidèle à ceux de sa patrie comme de sa propre conscience. Le serment est prononcé sur les trois grandes lumières symboliques de la Loge. Trois lumières, c’est-à-dire trois pôles de connaissance qui sont indissociables et confondus dans une seule source. Elles sont signifiées par deux outils posés sur un livre. Cet ensemble de trois symboles associés affirme le fondement et le sens de la Franc-maçonnerie : la matière, la pensée, l’esprit.
Au temps des anciens maçons opératifs, il s’agissait par contre de trois outils représentant la quintessence de leur éthique professionnelle : une équerre pour contrôler l’angle de la pierre taillée, un compas pour circonscrire et tracer le cercle, symbole de l’infini et de la pensée ouverte, et en troisième lieu, une règle symbolisant la loi commune qui régit aussi bien le monde des réalisations palpables que le domaine de l’esprit.
De nos jours, la règle de la Loi sacrée est représentée par le « Livre » ouvert au Prologue de l’Évangile de saint Jean : le Verbe créateur, la Lumière, la Vie.
Les Trois Grandes Lumières
Les Francs-maçons travaillent dans une loge où la lumière est présente sous différentes formes et sous différents noms. Ce symbole est particulièrement mis en valeur sous la forme des « Trois Grandes Lumières » dont l’identification est fondamentale pour bien préciser la nature de la quête initiatique.
Le Volume ou le Livre de la Loi Sacrée occupe une place éminente dans la spiritualité initiatique de notre Ordre. D’abord il forme avec les outils du métier que sont l’Equerre et le Compas, les « Trois Grandes Lumières » disposées sur l’autel des loges et c’est en contractant ses Obligations sur ces « Trois Grandes Lumières » que le Profane est reçu Franc-maçon.
Sous l'influence prédominante de l'idée chrétienne en Occident, nos aînés ont cru devoir choisir la Bible pour perpétuer au sein de la Maçonnerie le souvenir d'un enseignement que l'on pourrait synthétiser comme ceci : L'homme est un pont et non un but. Il est un passage et un déclin : le maillon d'une chaîne infinie.
Pour les Anglo-Saxons, c'est la Bible qui doit se trouver ouverte sur l'autel. Si cette règle n'était pas observée, l'obédience réfractaire serait déclarée « irrégulière ». En imposant la Bible, les Anglo-Saxons précisent bien qu'il s'agit de l'Ancien Testament. Mais dans certaines loges, la Bible est ouverte au Prologue de Jean, à la première page de l'Evangile de Jean, qualifié souvent d' « Évangile de l'Esprit ». L'Évangile de Jean, et tout particulièrement les cinq premiers versets du Prologue, rappellent l’œuvre du Verbe « existentiateur » : « Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui » (Jean 1-3). Ce rappel est essentiel, puisque nous cherchons à œuvrer sous l’inspiration de cette Sagesse qui était auprès de Dieu comme Architecte, comme le dit le Livre des Proverbes.
La Bible en soi, en tant qu'accessoire rituel, ne se prête à aucune interprétation. Sa présence dans l'atelier ne se justifie que par le désir de ne pas laisser s'estomper l'annonce par Saint Jean de l'approche de la Lumière.
Le Livre ou le Volume de la Loi Sacrée contient la Loi Morale dont les deux colonnes sont la justice et l’amour, loi morale qui donne son sens à l’action de l’Equerre, symbole de l’intelligence éclairant l’esprit. Inversement, parce que les relations Équerre – Compas – Livre ne sont pas à sens unique, le Compas en éclairant l’esprit par l’intelligence, permet une lecture symbolique de la Loi Morale contenue dans le Livre, où la lettre est elle-même un pont pour l’esprit.
C'est parce que le Volume de la Sainte Loi symbolise la loi elle-même qu'elle figure sur l'Autel. Etant la Loi, il est normal qu'elle occupe une position « centrale » pendant les Tenues.
Nous utilisons l'expression « Volume de la Loi Sacrée » mais c'est bien un livre qui se trouve sur l'autel. Le mot « Volume » veut dire « rouleau ». C'est une référence à des rouleaux traditionnels, une référence aux rouleaux de la Bible chrétienne qui ont été précédés par les rouleaux de la Loi juive. Ces rouleaux étaient un support fait de parchemin spécialement traité : l'objet le plus saint des objets du culte pour les Juifs, un objet qu'on ne touche jamais avec les mains nues.
De la première à la dernière lettre, son contenu c'est la Parole divine. C'est le Sepher Torah, le Livre de la Loi où est inscrit le « plan du monde, le code génétique de la création ». Ce contenu, c'est la Loi.
Mais qu'est-ce que la Loi ?
Le mot « Loi » correspond à bien des termes bibliques, qu'ils soient hébreux ou grecs. Il peut s'agir des principes de la nature qui émanent du Créateur ou des règles imposées aux hommes. Toutes ces lois sont l'expression d'une seule Loi, qui est la volonté divine transmise par l'écriture, « la parole divine qui gît dans le cœur de l'homme ».
La Bible porte donc en loge le nom de « Volume de la Sainte Loi » ou « Volume de la Loi Sacrée ». Avec l’Equerre et le Compas, elle est la première de ce que l’on nomme les « Trois Grandes Lumières » de la Maçonnerie universelle.
Lors de l’Ouverture des Travaux, à chaque Tenue, le Vénérable Maître se place devant l’autel pour y disposer correctement les Trois Grandes Lumières de la Franc-maçonnerie.
Il ouvre le Volume de la Loi Sacrée au Prologue de Saint Jean et y dépose l’Equerre et le Compas qui peuvent être placés de trois façons différentes mais le Compas est toujours ouvert à 45°. Ces dispositions évoquent un progrès moral ou une hiérarchie de valeurs. Elles constituent en quelque sorte des sigles distinctifs de chacun des trois degrés et procèdent de l’allégorie.
La Bible couverte de l’Equerre et du Compas juxtaposés nous offrent un modèle symbolique universel. Dans ce modèle binaire, l’Equerre est associée à la partie matérielle du Cosmos, c’est-à-dire pour nous la Terre, tandis que le Compas est associé au cercle, aux Cieux, à l’Esprit. L’Équerre est donc l’emblème de l’homme et le Compas celui du Grand Architecte de l’Univers.
« Que la Vraie Lumière éclaire cette loge ! », dit le Vénérable Maître. Quelle est cette « Vraie Lumière » sinon celle que le démiurge crée, dans la Genèse, avant les deux luminaires du jour et de la nuit ? Il ne s’agit pas ici de la lumière du soleil car le Maçon reçoit sa lumière du centre symbolisé par l’œil du Grand Architecte.
Les Trois Grandes Lumières représentent la triade maçonnique, expression de la trinité une du Grand Architecte de l’Univers. Le Grand Architecte est trois dans ses outils : compas, équerre et verbe (le Volume de la Loi sacrée). Il est trois dans ses luminaires : soleil, lune et étoile. Il est aussi trois dans les trois principaux acteurs de la loge : le Vénérable Maître et les deux Surveillants. Enfin il est trois dans les candélabres qui entourent le Tableau de Loge. Ainsi, les Trois Grandes Lumières sont la manifestation cosmogonique du Grand Architecte de l’Univers sous la forme de la Parole, du Compas et de l’Equerre.
Les Trois Grandes Lumières sont créatrices comme le Verbe du commencement, ce Verbe qui éclaire, ce Verbe qui est la parole perdue de certains rituels. Et si nous l’avons perdue, c’est la conséquence de notre chute dans le temps, chute qui a entraîné notre aveuglement.
Cette « Vraie Lumière » est celle qui donne la vie à tous ceux qui la reçoivent. « Recevoir la Lumière », c’est recevoir le Verbe et sa volonté d’amour.
La prestation de serment
En Franc-maçonnerie, le serment consiste en une promesse solennelle faite par le Néophyte qui s’engage à garder les secrets de la Maçonnerie et à se conformer en toutes choses aux règlements de l’Ordre, conformes aux lois en vigueur dans le pays.
Le serment est empreint d’un caractère solennel, de la gravité d’un pacte, du sérieux extrême de l’engagement indissoluble entre celui qui le prête et celui qui le reçoit. Ce serment initiatique a aussi un caractère antique et sacré. Il est prononcé de la libre volonté du Récipiendaire, sans contrainte et devant une assemblée de Maçons témoins qui vont devenir ses Frères et en présence du principe de l’Ordre.
Ce serment spécifique se décompose en trois parties : une invocation, une promesse, une imprécation. Dans notre obédience, l’invocation est faite au Grand Architecte de l’Univers. La promesse constitue l’objet même de l’engagement maçonnique. Elle est symbolisée par la main droite sur l’Equerre.
Ce geste signifie que le Néophyte s’engage de façon totale, sans restriction, avec rectitude, comme une pierre posée sur l’équerre qui doit soutenir l’édifice à venir. Enfin, l’imprécation est la menace d’un recours à la force du châtiment encouru, en cas de parjure.
Bibliographie
Behaeghel Julien - Symboles et initiation maçonnique
Hiram dans le labyrinthe - Editions du Rocher, Monaco, 2000 - Pages 59 à 66
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Pages 155 à 158
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Page 117 à 121
Recevoir la Lumière
Le bandeau symbolise l’incapacité de « voir » des profanes ; l’ôter, une fois les épreuves d’Initiation accomplies, c’est donner au nouvel Initié la possibilité de sortir du labyrinthe obscur de l’incompréhension pour se réaliser dans la lumière de la révélation.
A présent que le candidat a prêté serment, toutes les conditions sont remplies pour lui accorder ce à quoi il aspire : la Lumière.
La demande de la Lumière est sollicitée par trois fois : d’abord par l’Orateur, ensuite par chacun des deux Surveillants. Au troisième coup de maillet du Vénérable Maître, la Lumière est enfin donnée au Récipiendaire. Le Maître des Cérémonies ôte le bandeau. Le Récipiendaire « reçoit la Lumière » tandis que tous les Frères « font leur devoir ».
A ce moment troublant, le bandeau tombe et le Néophyte voit ses Frères, debout et à l’ordre, pointer sur lui leurs épées, signifiant ainsi que tous les Maçons voleront à son secours, dans toutes les circonstances, pour autant qu’il respecte scrupuleusement les lois de l’Ordre. Mais ils lui annoncent également qu’il ne trouvera parmi les Maçons que des vengeurs de la Maçonnerie et de la Vertu, toujours prêts à punir le parjure s’il s’en rendait coupable.
Bibliographie
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997 - Page 56
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Pages 39 à 41
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 106, 107 à 109
L’investiture
Lorsqu’il a reçu la Lumière, le candidat est invité à s’avancer une nouvelle fois vers l’Orient en effectuant les trois pas de l’Apprenti. Le Vénérable Maître décrit la manière de les effectuer, telle qu’elle est décrite dans le rituel. Le Maître des Cérémonies montre l’exemple et invite le candidat à l’imiter. Le symbolisme de ces trois pas, de cette marche de l’Apprenti est décrit dans le chapitre suivant. Le candidat est ensuite à nouveau conduit devant l’autel pour son investiture.
« L’investiture, nous dit Raoul Berteaux, est une création : le Vénérable Maître crée un homme nouveau, qui de Récipiendaire devient Néophyte. Il consacre cette mutation et reçoit le Néophyte dans la communauté ».
Les deux Surveillants viennent assister le Vénérable Maître pour cette investiture. Les Surveillants joignent leurs glaives à l’Épée Flamboyante du Vénérable Maître en formant un triangle dans un plan horizontal.
Le Vénérable Maître prononce alors les paroles : « Je te crée, je te consacre et je te reçois Apprenti-Maçon ». Le nombre de l’Apprenti étant trois, le Vénérable Maître ne doit normalement frapper qu’un seul coup à l’aide de son maillet sur la lame de chaque glaive. Puis il précise le nom de la Loge dans laquelle l’Apprenti travaillera désormais, c’est-à-dire celle où il vient d’être admis.
Bibliographie
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 83 à 85
Les trois pas de l’Apprenti
De même qu’il possède ses attributs, sa batterie ou ses signes de reconnaissance, tout grade maçonnique a sa « marche ». Celle-ci consiste en un certain nombre de pas et sert essentiellement à pénétrer dans le Temple de manière rituelle.
Le pas est par essence ce qui définit la marche d’un individu. Or, on sait que chaque élément du comportement d’un Franc-maçon en loge a son importance symbolique. C’est pourquoi un nombre précis de pas correspond à chaque grade et doit être effectué lors de l’entrée dans le Temple. C’est également le moyen de vérifier que celui qui pénètre dans le lieu sacré dédié à la Franc-maçonnerie est bien habilité à être présent dans cette assemblée.
Chaque degré de la Maçonnerie symbolique se caractérise par une marche différente que l’on évoque par l’expression « faire les pas » et qui s’avère obligatoire lors de l’entrée individuelle en loge. La marche, accompagnée des signes spéciaux à chaque degré, est obligatoire pour tous les Maçons qui pénètrent dans une Loge lorsque les Travaux sont ouverts.
Le pas constitue le mouvement de base. Il ne s’opère pas identiquement pour tous les rites. Ainsi, on entre :
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du pied gauche au Rite Écossais Rectifié, au Rite Écossais Ancien Accepté,
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du pied droit au Rite français moderne, au Rite belge moderne, au Rite Émulation.
Faire les pas, c’est mettre les deux pieds en équerre, avancer d’un pas, se remettre en équerre. Tout Maçon pénétrant dans le Temple après l’Ouverture des Travaux doit marcher rituellement. A chaque pas, le second pied vient rejoindre le pied placé en avant, en équerre.
La gestuelle typique
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Dans un premier temps, le Frère place, le plus souvent, ses pieds en équerre.
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Dans un second temps, il se met à l’ordre.
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Au troisième temps, il effectue les pas du grade.
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Au quatrième temps, il fait le signe d’ordre ou salut et se remet au signe de fidélité.
La marche de trois pas est celle de l’Apprenti. Placée comme d’autres symboles du Premier degré sous le règne du nombre trois, la marche d’Apprenti se pratique en réalité peu souvent. Accompagnée du Signe d’Ordre, elle a seulement lieu lorsqu’un Frère arrive très tard en cours de Tenue ou bien lors de l’introduction rituelle d’une délégation de visiteurs ou de dignitaires. Elle est toujours remémorée au cours de la cérémonie de l’Initiation d’un profane.
Pour Guy Boisdenghien, « la marche consiste à effectuer trois pas en avant, les pieds en équerre, dirigés vers l’Orient. Geste ternaire de jambes, la marche symbolise l’avancée de l’Apprenti sur le chemin de l’initiation. Le premier pas est un essai en tant qu’image de l’ignorance native. Le deuxième pas permet de prendre conscience de la nécessaire prudence que nous devons toujours garder à l’esprit en raison de l’imperfection du langage. Le troisième pas est celui de l’attention. Ainsi, tous les sens sont tendus vers la compréhension de l’instruction initiatique ».
Pour Gilbert Alban, les trois pas doivent être assez petits, égaux et surtout glissés et prudents afin de bien rappeler la marche intérieure du Néophyte quand il pénètre pour la première fois dans les ténèbres de son moi. Cependant ces pas hésitants ne sauraient être exagérés à cause de la volonté et du courage requis de l’Apprenti pour dégrossir sa Pierre.
Pour Jules Boucher, la marche de l’Apprenti est rectiligne et se fait à l’aide de l’Equerre parce qu’il a été mis dans la « voie droite », parce qu’il a été « initié ». Sa marche lui rappelle les difficultés qu’il va rencontrer et la nécessité où il se trouve de ne pas s’écarter de son chemin.
La marche ne s’est pas introduite dans notre rituel par hasard. Il ne s’agit pas d’une invention ni un symbole construit de toutes pièces à la faveur de l’heureuse inspiration d’un esprit familiarisé avec les abstractions ! En effet, la marche et ses trois étapes semblent correspondre, comme rythme et signification, avec les trois premiers signes du zodiaque qui sont, faut-il le rappeler, le Bélier, le Taureau et les Gémeaux et qui répondent aux mois de mars, avril, mai et juin, c’est-à-dire au printemps, et sont en concordance avec l’année maçonnique qui commence le premier jour de mars !
L’astrologie nous apprend que le Bélier est sous l’influence de la planète Mars et évoque par conséquent l’idée de lutte qui est confirmée par le renouveau solaire. Le Taureau, qui inspire le second pas, exprime le travail persévérant et désintéressé. Quant aux Gémeaux, qui sont sous l’influence planétaire de Mercure, ils sont considérés comme le signe de la fraternité.
Faut-il accepter ou rejeter ce symbolisme astrologique sur lequel Edouard Plantagenet s’étend complaisamment ? Il nous est loisible de l’accepter dans la mesure où tous les symbolismes vrais se recoupent et se vérifient l’un l’autre.
De plus, si l’on s’en rapporte aux Eléments, le Bélier est signe de FEU, le Taureau signe de TERRE et les Gémeaux signe d’AIR. Le premier pas indiquerait alors l’ardeur, le second la concentration et le troisième l’intelligence.
Bibliographie
Alban Gilbert - Guide de l’Apprenti
Editions Detrad, Paris, 1996 - Pages 231 et 232
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Page 121
Boisdenghien Guy - La Vocation Initiatique de la Franc-maçonnerie
Sentiers de la Tradition - Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Pages 100 et 101
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Pages 314 à 321
Chauvet Dr - Esotérisme de la Genèse
Tome 1er, 1946 - Page 148
Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie
Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 170 à 172
Guigue Christian - La formation maçonnique
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995 - Pages 147 à 149 ; 206 ; 225 et 226
Négrier Patrick - Les symboles maçonniques d’après leurs sources
Editions Télètes, Paris, 1998 - Pages 108 et 109
Pérau Gabriel-Louis Abbé - Le secret des Francs-maçons
Editions Slatkine, Genève, 1980
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome 3 : « Le Maître » - Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 38, 85, 93, 169, 170
Le Tablier, les Gants et le Bijou
Aussitôt l’investiture terminée, le Maître des Cérémonies reconduit le nouvel Apprenti sur le parvis afin qu’il puisse paraître en loge vêtu d’une manière adéquate. Cela étant exécuté, le Maître des Cérémonies ramène le Néophyte à la Porte de la Loge.
Dès que l’entrée de la Loge lui est accordée, ce dernier s’avance par les trois pas de l’Apprenti puis est conduit au Sud-Est, entre la place de l’Expert et celle du Secrétaire.
Il apprend que le symbolisme de la Franc-maçonnerie représente l’Apprenti-Maçon sous la forme de la Pierre brute qui doit être équarrie à l’aide du Ciseau et du Maillet. C’est la raison pour laquelle l’Apprenti se voit remettre un tablier qui lui rappellera son obligation de travailler sans cesse à son propre perfectionnement.
Le Tablier
Les anciennes instructions expliquent que le tablier est la marque distinctive du Maçon. En effet, nul Frère ne peut pénétrer en Loge sans porter ce vêtement rituel qui varie de forme et de couleur selon les grades. C’est lui qui traduit de manière visible sa qualité d’Initié et situe sa place dans la hiérarchie et dans la Loge où, selon son grade, il participe à l’édification du temple. Mais le port du tablier efface aussi les différences sociales. Quelle que soient leur origine ou leur degré de fortune, les Apprentis portent tous le même tablier de peau blanche, un tablier dont ils se sont engagés à préserver la pureté, tant par leurs paroles que par leurs actes.
Pour Jules Boucher, « exotériquement, le Tablier symbolise le travail constant auquel le Maçon doit se livrer, mais il est évident qu’il ne faut pas s’en tenir à cette signification. La bavette relevée du Tablier d’Apprenti protège l’épigastre qui est lié au plexus solaire lequel correspond au chakra ombilical dont dépendent nettement les sentiments et les émotions contre lesquels l’Apprenti doit se protéger afin d’atteindre à la sérénité d’esprit qui fera de lui un initié réel ».
En peau d’agneau, d’une blancheur éclatante, il symbolise la pureté, la pureté des intentions, l’état de virginité virtuellement retrouvé par le Néophyte. Mais cette pureté ne correspond pas seulement à une rectitude morale et un comportement impeccable de la part de l’Apprenti. Il s’agit davantage d’une pureté mythique et rituelle qui trouvera son interprétation au grade de Maître.
Grâce à ce tablier, l’Apprenti retrouve, à chaque Tenue, une nouvelle pureté. Il se délivre des oripeaux du vieil homme pour adopter une tenue rituelle qu’ont toujours revêtue les bâtisseurs de temple depuis des millénaires. Ce symbole de la Franc-maçonnerie spéculative est donc particulièrement important car il est un rappel de sa lointaine filiation opérative. Ce simple vêtement relie ainsi l’Apprenti aux initiés d’hier et à ceux de demain qui, comme lui, l’utiliseront pour signifier leur appartenance à une Loge. Le port du tablier marque ainsi la nécessité d’unir la voie opérative à la voie spéculative, la main à l’esprit ; il fortifie son désir de participer au travail communautaire et lui donne une identité initiatique.
Porter un tablier comme l’artisan, c’est se définir comme un artisan. C’est donc intégrer son état d’esprit, son approche de la réalité. Le Maçon travaille les idées et les symboles à la manière de l’artisan : il regarde chaque idée, chaque symbole, avec attention.
Le rôle du tablier est de protéger le Maçon durant le travail. Il lui évite d’être blessé par les éclats qui se détachent de la pierre brute. Ces éclats doivent symboliquement être considérés comme ses imperfections, ses vices et ses passions. Le tablier participe à tout le cycle du Travail maçonnique. Il constitue une preuve évidente de l’engagement du Maçon et de la consécration qui en a été la réponse. Autrement dit, porter le modeste tablier de peau blanche implique que le Franc-maçon est pleinement conscient de tous ses devoirs.
Le jeune Apprenti apprend qu’à son grade, la bavette du tablier doit être portée relevée, comme il convient pour travailler la pierre brute. En tant qu’Apprenti-Maçon, il devra le porter à chaque Tenue. Insigne et vêtement de travail de l’Apprenti-Maçon, ce tablier lui donne accès au chantier du Grand Œuvre de la Franc-maçonnerie.
A la fois un moyen de protection, évoquant ainsi une fonction passive, et un signe de travail, évoquant une fonction active, le tablier présente trois éléments qui méritent d’être analysés pour en percevoir le sens : sa couleur, sa matière et sa forme.
Le tablier de l’Apprenti doit être uniformément blanc et sans tache. Cette couleur est considérée comme emblème d’innocence et de pureté. Le blanc synthétise toutes les couleurs. Il a la propriété de diffuser la totalité du flux lumineux qu’il reçoit de la source, dans toute l’étendue du spectre visible.
Le tablier de l’Apprenti doit être en peau d’agneau. Outre qu’il réactualise symboliquement le vaste tablier de cuir des ouvriers de certains métiers, il rappelle aussi que la peau a toujours été considérée comme un matériau protecteur, un isolant efficace contre certaines influences se rapportant au domaine des forces intérieures. Par le port du tablier, il s’agit donc de mettre à l’abri une région du corps pour orienter son efficience vers d’autres domaines.
En Loge, le tablier protège et met à couvert une région du corps qui n’a pas à participer au Travail maçonnique. Pour Irène Mainguy, « cette région du corps où siègent et s’animent les passions étant circonscrites symboliquement par le port du tablier, les Travaux en loge pourront se dérouler avec d’autant plus de sérénité et de profit qu’ils ne subiront pas les interférences nuisibles inhérentes aux agitations passionnelles. Elle doit être subordonnée et éclairée par l’intelligence spirituelle qui seule, doit participer à la construction du temple. Toutes les passions profanes, tous les appétits grossiers doivent être exclus progressivement du travail de chacun ».
Quand l’Apprenti noue la ceinture de son tablier, il « s’équipe » symboliquement d’une puissance indispensable pour travailler sur le chantier, et cette force de nature spirituelle lui permet de demeurer en rectitude pour façonner les pierres qui s’intégreront dans la construction du temple.
En ce qui concerne sa forme, constatons que le tablier de l’Apprenti a cinq côtés, bavette relevée, qui peuvent être mis en relations avec les cinq sens. La partie inférieure, quadrangulaire, est le symbole de « la materia prima ». La partie supérieure, la bavette relevée, triangulaire, est le symbole du Principe spirituel.
Ces deux parties sont juxtaposées, délimitant ainsi la zone d'activité de l'influence spirituelle. Ces deux figures géométriques rappellent le quaternaire de la matière surmontée du ternaire de l’esprit, représentant lui le sommet de la conscience humaine.
Les Gants
En même temps que le Tablier, la Loge offre à l’Apprenti deux paires de gants : la première, il la met immédiatement ; la seconde est destinée à la femme qu’il estime le plus.
Les gants blancs doivent servir lors de toutes les Tenues. Ces gants suggèrent que les mains d’un Franc-maçon doivent rester pures de tout acte blâmable, et que sa conscience s’efforcera de proscrire tous sentiments vils.
En Maçonnerie, les gants blancs sont un symbole mais aussi un objet rituel. Reçus le jour de l’Initiation, ils rappelleront les engagements solennellement prêtés.
Les gants marquent avant tout la pureté rituelle exigée par tout travail rituel. Ils sont portés parce que les mains qui auront à manier les symboles sacrés ne peuvent être celles qui manient les objets profanes dans la vie quotidienne : le sacré doit être préservé de toute profanation.
Jules Boucher, observant qu’un magnétisme réel émane de l’extrémité des doigts, estime que « les mains gantées de blanc ne peuvent laisser filtrer qu’un magnétisme transformé et bénéfique. D’une assemblée de Maçons, où tous sont gantés de blanc, se dégage une ambiance très particulière, une impression d’apaisement, de sérénité, de quiétude… ».
Les gants blancs sont portés pendant toute la durée des Travaux en Loge, à l’exception des moments consacrés à la Chaîne d’union, où toutes les mains des assistants s’uniront ; elles seront alors dénudées pour favoriser la circulation des subtiles énergies chargées de fraternelles intentions cordiales.
Les gants peuvent être considérés comme le complément indispensable du tablier dans la Tenue maçonnique. Tous deux ont la même signification et suggèrent les exigences de la purification. On peut considérer que le tablier se réfère au cœur pur et les gants aux mains propres. Tous deux sont liés à la purification et à la régénération psychique. Cette exigence de purification, qui fut symbolisée de tout temps par les ablutions qui précédaient les anciennes initiations aux mystères sacrés, demeure toujours d’actualité au 21e siècle.
La réception et l’enseignement du tablier en peau d’agneau ou en cuir blanc avec les gants blancs, sensibilisent le Franc-maçon dans son cheminement, et demeurent gravés dans sa mémoire comme les premiers symboles qui lui sont expliqués.
Sorte de rite d’investiture également, la remise du tablier et des gants constitue pour le nouvel Apprenti, les insignes distinctifs de son engagement dans le métier.
Le tablier et les gants sont appelés décors. Ils sont en réalité les véritables insignes maçonniques du travail.
Le Bijou de la Loge
Le nouvel Apprenti se voit aussi remettre le bijou de la Loge, bijou qu’il devra porter à chaque Tenue, tout comme son tablier et ses gants blancs, mais également lorsqu’il se mettra à visiter d’autres Loges.
Le bijou est une médaille comportant parfois le nom de la Loge. La devise de la Loge peut également y être indiquée. Un ou plusieurs symboles maçonniques en rapport direct avec la Loge peuvent aussi y figurer.
Un ruban de couleurs supporte la médaille et complète ce bijou.
La Constitution et les règlements
Ensuite le jeune Apprenti reçoit le texte de la Constitution de l’obédience, le règlement général de celle-ci ainsi que le règlement particulier de la Loge.
Bibliographie
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997 - Pages 56 et 58
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 85 à 88
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique
Le livre de l’Apprenti - La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 83 à 85
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 90 à 92 ; 94 à 96
La communication des signes, de l’attouchement et des mots
Dès que le Récipiendaire a été créé, consacré et reçu Apprenti Maçon, le Vénérable Maître assisté de l’Expert, l’instruit, afin qu’il puisse se faire reconnaître par les signes, paroles, et attouchements spécifiques de son grade.
C’est ainsi que le Néophyte découvre que les Maçons ont des mots, des signes et des attouchements pour se reconnaître entre eux.
La mise à l’ordre
Pour la mise à l’ordre, l’Apprenti porte la main droite à la gorge de manière à ce que la base du cou se trouve entre le pouce et l’index, le pouce en équerre. Le Frère Expert, qui assiste le Vénérable Maître, exécute au fur et à mesure les indications données, sous l’œil attentif du Néophyte.
Un geste comme celui de la mise à l’ordre n’est pas subordonné à la production d’un résultat extérieur et matériel. Son objectif est de faire signe : un Maçon est à l’ordre d’abord extérieurement, puis, progressivement intérieurement.
« Ordre » se traduit en grec par « kosmos ». La cosmologie est la science des lois de l’univers. Si on admet que le microcosme est le reflet du macrocosme, la vie intérieure de chacun est une partie intégrante de l’univers ; dès lors tout Maçon qui se met consciemment à l’ordre, en vivant sincèrement son initiation, s’intègre peu à peu au cosmos en s’unissant à lui, dans l’intimité de son unité absolue.
Au cours de l’existence, chacun est amené à accomplir un nombre considérable de gestes ou d’actes. Dans le rituel maçonnique, aucun des gestes effectués n’est anodin, tous engagent l’être sur tous les plans.
Le signe d’ordre
Pour faire le signe, tandis que le bras gauche est pendant, on tire la main horizontalement vers la droite, les quatre doigts joints, le pouce écarté formant équerre. Puis on laisse tomber la main droite perpendiculairement le long du corps, ce qui reproduit Équerre, Niveau et Perpendiculaire.
Ce signe d’ordre couvre le signe pénal et nous rappelle de manière continuelle le châtiment contenu dans le serment prêté et l’engagement que nous avons pris. Il signifie que nous préférerions avoir la gorge tranchée plutôt que de révéler nos mystères.
Ce signe sépare la tête du reste du corps, l’intellect de l’affectif. La main est posée sur la gorge soulignant cette fonction vitale de canal du souffle dans l’inspir et dans l’expir, mais aussi le siège d’expression de la parole. Par ce signe d’ordre, l’Apprenti est mis en garde contre son mauvais usage et est invité à un silence probatoire, car c’est dans le silence, par l’écoute et la méditation qu’il pourra régénérer et affermir progressivement sa parole en expression de vérité.
Le signe d’ordre se fait uniquement debout, lors d’une prise de parole ou lors du déroulement du rituel, mais jamais en position assise. Ce signe est encore effectué pour ponctuer les Ouvertures et clôtures de Travaux. Il touche un centre subtil de l’être. La répétition de ce signe rituel imprègne progressivement le physique et le mental du Maçon assidu.
Bien accompli, le signe d’ordre favorise l’éveil de la conscience et favorise la concentration nécessaire à tout travail d’ordre intérieur. L’efficacité du geste et du rite peut être mesurée à l’attention qui lui est donnée dans son accomplissement et par l’excellence de sa bonne exécution.
Le signe de fidélité
Les Maçons connaissent un autre Signe qui se nomme Signe de Fidélité. Il se fait en plaçant la main droite sur le cœur, les cinq doigts joints, le pouce étant aligné sur les autres doigts.
Tous les déplacements dans la Loge se font au signe de fidélité.
L’attouchement
Il est probable que l’usage de l’attouchement comme signe de reconnaissance, est à relier avec la pratique du « topage » dans le compagnonnage. Il est défini comme un ancien usage compagnonnique permettant de savoir si un compagnon rencontré fait partie du même devoir et du même corps de métier. Les deux compagnons s’assuraient ainsi de leur identité par un jeu de questions et réponses.
Au grade d’Apprenti, l’attouchement se fait en se prenant mutuellement la main droite de manière que les quatre doigts de l’un soient dans la paume de l’autre. Pour se reconnaître, on pose alors l’extrémité du pouce, en le pliant, sur la phalange de l’index de l’autre et l’on exerce des pressions avec le pouce : deux précipitées et une troisième bien séparée. L’Expert fait ce signe de reconnaissance au jeune Apprenti qui doit lui répondre de la même manière.
Le mot sacré
L’Apprenti apprend ensuite qu’il existe un mot sacré qui ne peut jamais être prononcé mais seulement épelé. Il en découvre la première lettre sur la colonne du Septentrion : c’est la lettre J, qui débute le mot « JAKIN » qui se traduit généralement par « Qu’il établisse ! », c’est-à-dire « Que le Grand Architecte de l’Univers établisse ! ». Le mot sacré de l’Apprenti se rapporte en effet au nom donné dans la Bible à l’une des deux colonnes qui étaient situées à l’entrée principale du temple de Salomon.
Le Vénérable Maître lui enseigne comment réagir lorsque ce mot sacré lui sera demandé. Il devra répondre qu’il ne sait ni lire ni écrire mais seulement épeler. Il demandera que son interlocuteur lui fournisse la première lettre et il lui répondra en lui donnant la suivante et ainsi de suite. On constate ainsi que l’Apprenti n’énonce que les voyelles A et I, tandis que le Maître qui l’interroge énonce les consonnes J, K et N.
Ce qui est significatif, c’est l’enseignement qui consiste en la manière d’épeler lettre par lettre le nom de cette colonne. Si le mot sacré ne se prononce pas, c’est qu’il fait allusion à ce qui est inexprimable et ne se prête à aucun exposé systématique ou doctrinal. Ainsi, l’Apprenti est mis sur le chemin, pour faire l’effort de penser et de le trouver en lui, selon la théorie platonicienne de la réminiscence où tout est en soi. On le retrouve dès qu’on se met à l’écoute.
Les termes d’épeler, lire et écrire font appel à la science des lettres et à l’art de mémoire. Cette parole est communiquée par bribes, lettre après lettre qui, ajoutées les unes aux autres et assemblées, à l’aide d’un guide, donnent la méthode initiale pour assembler ce qui est épars. C’est la première phase de l’apprentissage. La Genèse est liée à la manifestation du verbe créateur. Apprendre à lire et à écrire, sur un plan initiatique, consiste à retrouver la trace du Principe dans les phases éparses de la manifestation.
Le mot de passe
Puis l’Apprenti reçoit un mot de passe : il apprend que ce mot est « Tubalcaïn ».
Le rituel nous fournit directement une brève indication à son sujet : il s’agit du premier fondeur de métaux. En consultant la Genèse, nous apprenons qu’il s’agit d’un personnage biblique qui « façonna toutes sortes d’instruments de cuivre et de fer » (Genèse 4 ; 22) et qu’il est de la lignée de Caïn, le premier criminel et le premier bâtisseur (Genèse 4, 13-17).
Mais qui était Tubalcaïn ?
Ce nom apparaît aussi dans un autre passage de la Genèse (4 ; 19) :
« Lamech prit deux femmes ; le nom de la première était Ada et le nom de la seconde Cilla. Ada enfanta Yabal qui fut l’ancêtre de ceux vivant sous la tente et avec les troupeaux. Le nom de son frère était Yubal : il fut l’ancêtre de tous ceux qui jouent de la lyre et du chalumeau. De son côté Cilla enfanta Thubal-Caïn : il fut l’ancêtre de tous les forgerons en cuivre et en fer ».
De ce second extrait de la Genèse, nous retiendrons que Tubalcain ou Tubalcaïn ou, mieux encore, Tubal-Caïn était le fils du patriarche Lamech et le petit-fils de Caïn. Comme tel, il appartient à la génération réprouvée depuis le meurtre d’Abel, depuis le crime accompli sur l’âme déiforme par Caïn. Or, Caïn incarnait le mal, tandis qu’Habel (souvent orthographié « Abel » en français) représentait le bien et Seth la perfection divine.
Donc Tubal-Caïn était l’un des descendants de Caïn et « l’ancêtre de tous les forgerons en cuivre et en fer ». Le sens étymologique de Tubal-Caïn est en effet « le forgeron de l’Univers ». On doit cette traduction française à l’Ecole biblique de Jérusalem, publiée aux Editons du Cerf. Remarquons que la prononciation exacte en français devrait être « caïne ».
Si la signification de ce mot de passe au premier degré de la Maçonnerie ne semble pas avoir trop d’importance, c’est probablement parce que le sens de Tubal-Caïn serait à découvrir au troisième degré.
Caïn, qui signifie « forgeron » paraît avoir été joint à Tubal comme une explication de ce nom et sans doute pour souligner que ce forgeron-là est bien le descendant de Caïn, un des fils du premier homme.
D’ailleurs « Thubal » devrait, suivant la prononciation en hébreu s’énoncer plutôt comme Joubal ou Zoubal, son qui n’a pas d’équivalent en français, mais qui s’apparente au Th anglais.
Selon Marcel Spaeth, Tubal-Caïn était le « premier maître pour la fonte de l’airain ». Certaines versions maçonniques admettent qu’il pouvait être le second d’Hiram et c’est lui qui aurait fondu les colonnes J et B du Temple de Salomon.
La référence à Tubal-Caïn propose au jeune Maître un travail essentiel. On dit que Tubal-Caïn sépara l’airain des scories.
Il semble difficile de trouver une formule plus noble et plus juste définissant le devoir essentiel d’un Franc-maçon que celle-ci : « avec l’aide du feu, débarrasser la matière des scories », dans les relations des hommes entre eux mais avant tout dans les relations avec soi-même.
En Maçonnerie, cette référence à l’art du forgeron est en étroite analogie avec la Chaîne d’union dont les maillons doivent être du plus pur métal.
En hébreu, Tubal-Caïn signifie « possession du monde ». Le Maître en effet, possède le monde entier, représenté par la Loge, puisqu’il lui est permis de voyager de l’Orient à l’Occident, du Midi au Nord et sur toute la surface de la Terre.
Issu de la « chair », de la matière corruptible, des ténèbres couvrant cette terre maudite (qui va disparaître prochainement avec le déluge et l’avènement d’une nouvelle humanité post-noachite), Tubal-Caïn devient celui qui va rechercher tous les moyens de s’approprier la puissance, puisqu’il doit se passer de la divinité, pour maîtriser la connaissance de l’univers de la matière sans se soucier des conséquences ni des aspects positifs ou négatifs que l’on nomme le Bien et le Mal.
Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, on peut établir une analogie entre l’hermétisme et les personnages bibliques de Caïn et d’Habel. Caïn est aussi le nom de la matière en putréfaction parvenue au noir. Elle est reliée à la malédiction divine qu’encourut Caïn après le meurtre de son frère et aussi par la suite au désordre sur la terre que causèrent ses descendants, ce qui amena le déluge. En alchimie, le déluge est représenté par la dissolution de la matière et ses effets par la putréfaction.
Ces opérations alchimiques nous rappellent l’épreuve subie par le Néophyte dans le Cabinet de Réflexion avant d’être présenté ni nu, ni vêtu à la porte de la Loge, c’est-à-dire boitant, les yeux bandés. L’état de ni nu ni vêtu du postulant à l’initiation rappelle l’état du boiteux sous lequel est le plus souvent présenté le forgeron. Cette préparation, qui n’a rien d’une brimade, est faite pour faire prendre conscience de l’état d’infirmité spirituelle, d’opposition interne et d’incomplétude dans lequel se trouve toute personne en quête de lumière, venant frapper à la porte du temple.
Un Apprenti peut dès lors comprendre le sens de son mot de passe de la manière suivante : le candidat à l’Initiation, présenté dans l’état d’infirmité du forgeron, dépouillé de ses métaux les plus vils, part à la recherche des métaux les plus nobles, prenant pour maître Tubalcaïn, modèle de la conciliation des oppositions nécessaires et fécondes, lui traçant la voie à suivre.
L’introduction de ce nom propre « métallique » dès l’apprentissage paraît vouloir établir une relation corporative entre l’ouvrier carrier dégrossisseur de pierre qu’est l’Apprenti et l’architecte du Temple de Salomon, Hiram, qui était, d’après le Livre des Chroniques de l’Ancien Testament, un artisan bronzier et orfèvre de haute valeur, bien que cette interprétation soit contestée par les Maçons qui soutiennent, selon le Livre des Rois, que l’architecte de ce temple n’était autre qu’Hiram, roi de Tyr.
Désigné comme premier forgeron, le premier de la lignée des fondeurs dans laquelle s’inscrira Hiram, le transformateur des minerais et des métaux, travaillant dans les profondeurs de la terre, Tubal-Caïn accède au rang de maître du feu, celui qui exploite l’énergie primitive libérée, la chaleur et la puissance de l’action. Il devient celui qui sait ce que nul ne sait, celui qui a le pouvoir d’action et de transformation de la matière, et par conséquent accède au statut de premier des sorciers.
Depuis la chute provoquée par Adam et Ève, le nouveau monde, la terre se trouvent placés sous l’influence privilégiée d’une double force : celle de l’énergie et de la lumière par laquelle l’Éternel manifeste sa présence sur ses enfants déchus, certes, mais non abandonnés, puisqu’il veille sur eux en laissant à chacun le soin de son sort, le choix de sa destinée, celui de se sauver ou de se perdre. L’énergie et la lumière étant présentes par le feu, Tubal-Caïn va devenir le maître des flammes, le nouveau démiurge d’un athanor obscur.
Tubalcaïn n’est pas parvenu au sommet des sept cieux. Il lui faut trouver le premier niveau, celui qui correspond aux enfers et c’est la raison qui le fait descendre au plus profond de la terre, à la recherche du Centre, du cœur de la materia prima, à partir duquel pourra s’amorcer le retour, le processus du recouvrement spirituel, la remontée vers le céleste et la réintégration dans le principe.
Le contrôle des premières connaissances
Le Maître des Cérémonies conduit alors le nouvel Apprenti face à celui qui sera responsable de sa formation : le Second Surveillant.
Muni de ses décors et ayant eu connaissance des mots, des signes et de l’attouchement au Premier degré, le nouvel Apprenti est invité à un contrôle de ses premières connaissances maçonniques, ce que fait le Second Surveillant.
Idéalement, il invite d’abord le jeune Apprenti à se mettre à l’ordre puis à faire le signe. Ensuite, le priant de se mettre au signe de fidélité, le Surveillant peut lui demander successivement l’attouchement, le mot de passe et le mot sacré.
Bibliographie
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome 1 : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1995 - Page 83
Guigue Christian - Les planches de l’Apprenti
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1996 - Pages 169 à 175
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 71 à 74 ; 75 à 77 ; 165 à 168
Spaeth Marcel - Considérations sur la maîtrise
Editions Detrad, Paris, 1997 - Pages 58 et 59
Brèves considérations sur le Tuilage de l’Apprenti
Ensuite, guidé par le Maître des Cérémonies, le jeune Apprenti reprend place sur la Colonne du Nord où il est invité à se montrer particulièrement attentif à la scène qui va suivre. Au cours de chaque cérémonie d’Initiation, le rituel prévoit une scène de « tuilage » d’un Apprenti supposé demander à participer aux Travaux de la Loge. C’est au Frère Expert de « tuiler » généralement le plus jeune des Apprentis de la Loge pour rappeler à tous les Frères les arcanes du grade.
Qu’est-ce que le « tuilage » ?
Le terme « tuilage » vient de « tuiler » qui signifie questionner afin de vérifier quelques connaissances élémentaires. Le terme évoque le mot « tuile » et donc le mot « toit ».
Le Temple est inachevé. Il est en perpétuelle construction et n’a pas de toit. Puisqu’il n’y a pas de tuiles, il pleut dans le Temple. C’est pourquoi, lorsque nos Travaux ne sont pas « couverts », nous disons « il pleut » !
Le « tuilage » contient les arcanes du grade, l’essentiel du grade d’Apprenti, l’essentiel de ce que tout Apprenti doit savoir.
Le « tuilage » fait revivre l’importance de chaque question, de chaque réponse.
Pourquoi « tuile »-t-on un Apprenti ?
Un Frère Couvreur peut être amené à « tuiler »
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pour s’assurer qu’il s’agit bien d’un Frère ;
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pour s’assurer de ne pas laisser entrer n’importe qui dans la Loge.
Le « tuilage » sert aussi à démontrer à tous les Frères qu’on est vraiment Maçon.
Quand « tuile »-t-on ?
Certaines questions peuvent être posées par le F:. Couvreur à l’entrée de la Loge, avant le début d’une Tenue.
Comment « tuile »-t-on ?
Au cours de la cérémonie d’Initiation, c’est la tâche du Frère Expert ! Il pose quelques questions à un Apprenti, supposé demander l’autorisation de participer aux Travaux de la Loge.
Rencontre avec le nombre trois
L’Apprenti sait-il compter jusque trois ? Se rend-il compte de la présence du ternaire, de la fréquence de ce nombre dans nos rituels ?
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Dans le Cabinet de Réflexion, avant son passage sous le bandeau, il a répondu par écrit à trois questions.
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Il a obtenu l’entrée en loge par trois grands coups: frappez et on vous ouvrira, demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez.
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Il a été initié au cours d’une cérémonie qui lui a fait effectuer trois voyages et subir trois épreuves
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Il a bu le contenu du calice d’amertume et a pu y percevoir trois phases (insipide, amer, doux).
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Sa marche s’effectue par trois pas en ligne droite.
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Son âge est de trois ans.
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Le serment est prêté sur les Trois Grandes Lumières de la Franc-maçonnerie qui reposent sur l’autel : le Volume de la Loi sacrée, l’Equerre et le Compas.
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Les trois Piliers, Sagesse, Force et Beauté, situés au centre de la Loge symbolisent la progression spirituelle de l’Initié.
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La Loge est tridimensionnelle : sa longueur s’étend de l’Orient à l’Occident, sa largeur du Septentrion au Midi, sa hauteur du Zénith au Nadir (ou de la surface de la terre jusqu’au ciel).
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Les Maçons se reconnaissent par trois moyens: un signe (le signe d’ordre), une parole (le mot de passe) et un attouchement.
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Le signe des Maçons se fait en trois temps, par Équerre, Niveau et Perpendiculaire.
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A la demande du mot sacré, il faut donner une réponse en trois temps : je ne sais ni lire / ni écrire / je ne puis qu’épeler.
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L’attouchement est triple : il faut effectuer trois pressions sur la première phalange.
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La batterie du grade d’Apprenti se fait par trois frappes des mains.
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Sur le Tableau de la Loge trois Fenêtres sont représentées : elles suivent la course du Soleil.
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Les trois dimensions de l’univers symbolisent l’universalité de la Franc-maçonnerie.
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Trois Maîtres dirigent la Loge. On les appelle les trois Lumières de la Loge. Ce sont le Vénérable, le Premier et le Second Surveillant.
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On désigne aussi parfois comme trois grandes lumières: le Soleil, la Lune et le Maître de la Loge.
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Les trois points disposés en triangle (...) sont couramment utilisés dans les textes des rituels et dans la correspondance maçonnique comme signe d’abréviation.
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Ces trois points rappellent également qu’au problème de la dualité est trouvé un troisième terme qui montre la voie du milieu.
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Le premier Travail de l’Apprenti se fait sur une pierre brute au moyen de deux outils.
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Dans le tablier maçonnique, trois éléments ont un sens symbolique : la forme, la matière et la couleur.
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Il y a trois bijoux mobiles: l’Equerre, le Niveau et la Perpendiculaire. Ce sont les bijoux qui ornent les sautoirs du Vénérable Maître et des deux Surveillants.
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Il y a trois bijoux immobiles: ce sont la Pierre brute, la Pierre cubique et la Planche à tracer qui correspondent respectivement au degré d’Apprenti, de Compagnon et de Maître.
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La hiérarchie initiatique, dite des Loges bleues, est constituée de trois grades : Apprenti, Compagnon, Maître.
Le Nombre trois est le nombre maçonnique par excellence. Il est le centre de la loge, de la symbolique et du rituel. Le nombre trois est le nombre créateur. Il est créateur par sa source de lumière.
Trois est universellement un nombre fondamental.
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Il exprime un ordre intellectuel et spirituel, en Dieu, dans le cosmos ou dans l’homme. Il synthétise la tri-unité de l’être vivant ou il résulte de la conjonction de 1 et de 2, produit en ce cas de l’Union du Ciel et de la Terre.
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Dans certaines traditions, si Un est Dieu, le ciel, et Deux la terre, Trois est le symbole d’un monde organisé, un ordre divin le régissant. L’idée de monde réalisé, achevé, est signifiée dans de nombreux mythes comme celui des trois frères, Zeus, Poséidon et Hadès, qui gouvernent, le premier la terre et le ciel, le deuxième les mers, et le troisième les enfers.
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Par contre, on rencontre aussi l’interprétation suivante : trois est le nombre du Ciel et deux le nombre de la Terre, car un est antérieur à leur polarisation.
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Si Un, l’Unité, est Dieu, si Deux est la Matière, Trois est la Matière organisée. Trois va donc signifier l’équilibre : physique, moral, intellectuel ou cosmique.
Trois est le premier des nombres impairs. A l’instar de beaucoup de sociétés initiatiques, notre Ordre est sensible à l’imparité. Dans l’ancienne Chine, les nombres avaient un sexe, les impairs étant mâles et les pairs femelles. Cette préférence pour l’imparité reste mystérieuse. Un nombre impair est toujours décomposable en deux nombres égaux lorsque le nombre un en a été extrait.
Trois est le seul nombre à contenir trois fois l’unité. Il marque de son sceau le premier degré. Trois est la somme des deux premiers nombres. Après le Un, il est le premier nombre insécable.
Le Nombre trois est un nombre universel que l’on retrouve dans toutes les traditions initiatiques. Il exprime un ordre spirituel dans les plans humain, cosmique ou divin.
Synthétisant le caractère tri-unitaire de tout produit manifesté, il s’avère spécifique de la conjonction 1 + 1 = 3
La somme, 1 + 1 = 2, découle d’un arbitraire ou postulat humain qui ne peut s’appliquer au mouvement divin de la création.
Dans l’univers initiatique, trois n’est pas le produit de 1 + 2 mais de celui de 1 + 1 = 3 ou valeur numérique du produit créé. Trois n’est pas véritablement le troisième nombre mais le premier. Composé à partir des nombres 1 (nombre du Créateur) et 2 (division, dualité, binaire), trois est le premier nombre mystérieux qui intervient comme la signature de la création dans l’Ordre.
Symbole du ciel, il se rapporte à l’esprit. Mesurant un temps qui n’a pas de limite, il correspond aux trois degrés d’actions qui relèvent du cercle (méditation, spéculation, contemplation).
Depuis l’avènement de l’humanité, le genre humain porte la marque de la loi de création qui se manifeste par une cause, un effet, un produit, cette triade correspondant à la mise en branle de l’énergie créatrice, la transformation de la lumière en matière, l’incorporation de l’esprit dans la matière.
Trois marque toutes les choses créées parce qu’il a présidé à leur création. C’est le nombre de la loi directrice des êtres et du commencement des choses matérielles. Il est le nombre de toute production à l’image du triangle.
Trois pourrait donc correspondre à un rythme et à une structure essentielle dans l'homme et dans l'univers. Cette structure pourrait être à la base du syllogisme et de la relation « thèse, antithèse, synthèse ».
Les naturalistes ont observé de nombreux ternaires dans le corps humain. Il semblerait que toute fonction importante d’un organisme possède cette structure de base. La raison fondamentale de ce phénomène ternaire universel est sans doute à chercher dans une vue globale de l’unité – complexité de tout être dans la nature, qui se résume dans les trois phases de l’existence : apparition, évolution, destruction ; ou naissance, croissance, mort ; ou encore, selon la tradition et l’astrologie : évolution, culmination, involution.
Le Ternaire s'impose à nous dans des domaines très divers parce qu'il réalise l'équilibre entre deux forces opposées ou complémentaires : l'actif et le passif.
Dans notre vie, tout progrès social ne semble se réaliser qu'à l'intersection d'au moins deux idéaux contradictoires. Il importe donc de ramener les divergences à l'équilibre. Pour ce faire, il nous faut traduire les forces en présence sous la forme d'un triangle, forme parfaite, équilibrée, précise, intégrale. Ce procédé nous permet donc de trouver un point de convergence, un point d'équilibre. D'où cette formule originale si bien exprimée par Edouard Plantagenet : « Le Ternaire ramène le Binaire à l'Unité parce qu'il est lui-même un tout complet, indivisible et fondamental, par lequel tout se divise et sur lequel tout s'édifie ».
Il semblerait donc que seul ce qui apparaîtrait composé de trois termes serait susceptible de servir à notre édification personnelle, à notre accession au plan psychique, à la construction du Temple.
Si le Pavé mosaïque peut évoquer les notions très relatives de Bien et de Mal, le Delta nous permet de tendre vers l'équilibre en les ramenant à une commune mesure : le JUSTE. L'antagonisme du Bien et du Mal disparaît en se résorbant dans l'évidence de leur relativité respective. Le Juste prend dès lors sa place à la base du triangle et apporte des notions de mesure, de tolérance, d'égalité, d'impartialité que symbolise aussi le Niveau ou Horizontale parfaite.
Il importe donc qu'en toutes circonstances nous recherchions ce troisième terme, le troisième terme qui convienne car il a un rôle précis à jouer : il doit pouvoir ramener le Binaire à l'Unité. Pour ce faire nous devons reconstituer par synthèse ce que nous ne concevions que par intuition et nous ne pouvons trouver les éléments de cette synthèse que dans une analyse préalable de l'intuition primordiale. Mais la reconstitution d'un ternaire parfait est toujours délicate et souvent difficile. Il se peut même qu'elle dépasse parfois nos possibilités !
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Page 160
Béresniak Daniel - L’apprentissage maçonnique, une école de l’éveil ?
Editions Detrad, Paris, 1983 - Pages 61 à 73
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 52, 53, 55, 65, 71 et 83
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995
Pages 50, 66, 86, 90, 91, 98, 114, 130, 146, 154, 157, 159, 314 et 333
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique
Le livre de l’Apprenti - La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Page 95
Ferré Jean - Dictionnaire des symboles maçonniques
Editions du Rocher, Monaco, 1998 - Pages 218 et 219
Guigue Christian - La formation maçonnique
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995 - Pages 279 et 280
Guigue Christian - Les planches de l’Apprenti
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995 - Pages 79 à 101
Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le travail d’Apprentis
Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 75, 84 et 142
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome 1 : « L’Apprenti » - Editions Dervy, Paris, 1994
Pages 32, 83, 130, 147, 199, 200 à 202, 210 et 211
Pour aller plus loin :
Creusot Camille - La face cachée des nombres
Editions Dervy, Paris, 1987 - Pages 87 à 121
La batterie et l’acclamation
Après cette scène de « tuilage », le Vénérable Maître, aidé ensuite par chacun des deux Surveillants qui répètent son ordre, invite les Frères de l’Atelier à reconnaître le nouveau Frère comme Apprenti Maçon et membre de leur Respectable Loge.
Ce moment est consacré avec enthousiasme. L’entrée du nouveau Frère est célébrée par la triple Batterie et l’Acclamation. Les Frères exécutent celle-ci debout.
Il n’y a pas de batterie sans acclamation. Celle-ci qui est toujours une exclamation de joie s’effectue par l’émission de mots scandés avec force et énergie comme pour attirer sur l’assistance, la potentialité de leur vertu.
Au Rite moderne, la batterie est faite de trois fois trois frappes égales des mains, suivie de l’expression « Vivat, vivat, semper vivat ! » qui signifie, « qu’il vive, qu’il vive, qu’il vive toujours ! »
Cette exclamation de joie devait autrefois s’appliquer, sur un plan initiatique, au maçon disparu que l’on cherchait à rappeler à la vie.
De nos jours, la triple batterie et l’acclamation traduisent la joie des Frères lors d’un événement particulier.
L’arrivée d’un nouvel Apprenti est sanctionnée de cette manière. Il en va de même lors de la présentation d’une planche par un Frère visiteur ou même un Maître de la Loge.
La cérémonie touche à sa fin. Il reste au Néophyte à commencer véritablement son Travail d’Apprenti Maçon.
Le premier Travail de l’Apprenti
Le premier Travail de l’Apprenti consiste à donner les trois premiers coups pour commencer à dégrossir sa pierre. Agenouillé devant le tapis de Loge, l'Apprenti se trouve en présence de trois éléments symboliques : la Pierre brute, le Maillet et le Ciseau. Invité à imiter le geste du Frère Maître des Cérémonies, l'Apprenti tient d'une main le Ciseau, placé sur la pierre à tailler, et de l'autre, il frappe le Maillet au rythme du signe de son grade.
Le premier Travail de l'Apprenti s'accomplit à l'Occident, au point de départ d'un long chemin qui mène à l'Orient d'où jaillit la Vraie Lumière. A l'Orient précisément, au pied de l'autel, se trouve la Pierre taillée, celle qui symbolise le travail effectué, toute chose acquise, vérifiée et exemplaire.
L’Apprenti Maçon s’identifie à la Pierre brute car il a de commun avec la pierre la densité et l’imperméabilité, la densité étant considérée comme un facteur spirituel de retour à l’Unité. Le long chemin à parcourir par l'Apprenti, c'est celui du progrès à accomplir sur lui-même ; c'est la connaissance de lui-même. Il convient de retenir que l'Apprenti consacre la première partie de sa vie maçonnique à dégrossir cette pierre brute, à l’aide du Ciseau et du Maillet.
Le Ciseau, mu par le Maillet qui le heurte et l'Apprenti conscient qui le dirige, a pour mission de faire disparaître les aspérités de la pierre, c'est-à-dire les erreurs et les préjugés. Le Ciseau représente la faculté de discernement et le Maillet la faculté volitive. C’est pourquoi on considère que dans l’ordre opératif, la pierre est l’élément passif, et les outils l’élément actif. Par contre le ciseau, actif à l’égard de la pierre, est passif à l’égard du maillet.
La Franc-maçonnerie ne peut viser qu'à délivrer ses membres des servitudes qui les paralysent et des préjugés qui les enchaînent. Le Franc-maçon est avant tout un travailleur. Ce premier geste est destiné à lui faire prendre conscience que le travail est le cœur de son ascension personnelle vers la Lumière. Malheureusement, nul ne peut prévoir si l'Apprenti arrivera au bout de ses peines car le but qu'il s'assigne c'est de transmuer cette Pierre brute en une pierre vivante avec laquelle l'Initié élève des temples.
Physiquement, la Pierre brute c'est la pierre frustre extraite d'une carrière. C'est le matériau premier de la Maçonnerie qu'il faudra tailler, façonner, appareiller de sorte qu'elle puisse s'incorporer à la Maçonnerie, à l'édifice, au Temple.
Travailler la Pierre brute, c'est donner des contours précis à la dimension éthique, morale et spirituelle de l'homme ; c'est faire émerger de la matière vulgaire originelle ce qu'il y a de meilleur et de plus fort en elle, par un travail constant qui gomme les imperfections.
Cette transformation, qui va s'opérer au fil du temps, n'est pas sans rappeler le processus fusionnel de l'alchimie. Finalement, c'est bien de réactions et de modifications en chaîne dont il s'agit, à mesure que le Franc-maçon, aidé de ses instruments de bâtisseur (ciseau, maillet, équerre, niveau, fil à plomb, règle...) peaufine son matériau de base - lui-même - en vue de lui donner une forme parfaite.
La pierre brute évoque un commencement, dénué de tout paraître. Elle se caractérise par sa simplicité sans dynamisme propre. Dense, elle est informe, mais si elle n’est pas rejetée, c’est que sa qualité lui permet d’être taillée et de donner naissance ainsi à un chef d’œuvre.
Plusieurs significations peuvent être données à la Pierre brute.
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C'est le symbole de l'Apprenti encore ignorant mais disponible.
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Ce pourrait être aussi celui de la servitude, de l'esclavage.
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Travail à faire, ignorance à vaincre, elle pourrait aussi être le symbole de la liberté: une pierre non façonnée peut encore rouler à peu près n'importe où. Au contraire, la pierre taillée se trouve à une place bien déterminée dans l'édifice bâti.
La Pierre brute, c'est le symbole de l'Apprenti, avec toutes les imperfections de son esprit et de son cœur, qu'il doit s'appliquer à corriger. Par l'Initiation maçonnique qui est une renaissance, il se débarrasse progressivement de tout ce que la société a pu lui apporter d'artificiel et de mauvais. Il retrouve sa liberté de penser. Avec les outils symboliques que la Loge lui procure, notamment le Ciseau et le Maillet, l’Apprenti se met à tailler lui-même sa pierre et espère parvenir à la rendre parfaite à son gré.
La Pierre brute que travaille l’Apprenti n’est pas seulement lui-même, elle est aussi un élément qui porte le secret de la construction, et cette construction est d’origine céleste. Cette pierre brute, si modeste en apparence, ne contient-elle pas toute l’harmonie du Temple ?
La ligne verticale, matérialisée par le fil que tend une petite masse de plomb, situe l’espace immatériel où se produit le dégrossissage de la Pierre brute, Travail essentiel et primordial de l’Apprenti.
Bibliographie
Bédarride Armand - Le travail sur la Pierre brute
Editions Télètes, Paris, 1992
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 31 à 43
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Pages 161 à 164
Dangle Pierre - Le Livre de l’Apprenti
La Maison de Vie, Fuveau, 1999 - Pages 96 97
Geay Patrick - Mystères et significations du Temple maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1997 - Pages 128 à 130
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Pages 158 et 159
La Chaîne d’Union
Le nouvel Apprenti est invité à s’incorporer à la Chaîne d’Union. Qu’est-ce à dire ?
Comment bien pratiquer la Chaîne d’Union ?
Les Frères assemblés rituellement et formant une chaîne tout autour du Tapis de Loge porte le nom de Chaîne d’Union qui se pratique « longue » ou « courte » selon l’importance de l’assemblée.
Sa constitution répond à une exigence particulière : les mains, mises à nu, se tiennent entrelacées et croisées droite/gauche et gauche/droite rappelant ainsi la forme du huit couché, emblème de l’infini.
Pour Irène Mainguy, la Chaîne d’Union relève d’un geste rituel, d’une mise en relation active par l’union des mains de tous les participants d’une Loge, contrairement à la corde à nœuds avec laquelle elle est souvent confondue et qui, elle, est une représentation statique.
La Chaîne d’Union dite « croisée » se forme en croisant les bras, celui de droite passant sur celui de gauche, les mains dégantées, les pieds en équerre.
En d’autres termes, chaque Frère, déganté, croise son bras droit par-dessus son bras gauche. Avec sa main droite, il prend la main gauche du Frère situé côté cœur. De sa main gauche, il tient la main droite du Frère placé à sa droite. Ainsi, tous les membres de l’Atelier se tiennent par la main, avant-bras droit par-dessus l’avant-bras gauche.
Généralement, le Vénérable ne croise pas les bras. Il donne les mains sans les croiser.
Toutes les conditions sont alors réunies intentionnellement pour que circule, entre les participants, comme un véritable courant magnétique, régulateur d’énergie. Les mains doivent être dégantées pour optimiser le contact et éliminer les isolants de toute nature pouvant gêner la qualité de cette précieuse communion. La Chaîne d’Union est vécue par tous les membres présents, sans distinction de grade. Elle est formée facultativement avant la clôture des Travaux et obligatoirement pour l’incorporation d’un nouvel Apprenti à la Loge.
Cette chaîne est la matérialisation de la solidarité, de la fraternité qui lie les Maçons. Quand la Loge œuvre bien, quand le Vénérable a su bâtir l’unité dans son Atelier, il y a « un courant qui passe ». Il se crée un phénomène dont chaque maillon est à la fois émetteur et récepteur.
Avant de former la Chaîne d’Union, certains Vénérables donnent un thème, souvent une idée maçonnique, sur lequel les Frères concentrent leur esprit.
Selon Christian Guigue, il est aussi possible d’envisager une Chaîne d’Union « longue ». Dans ce cas, elle se fait bras écartés, les mains se tenant simplement.
La Maçonnerie anglo-saxonne ne pratique pas la Chaîne d’Union. Elle ferme les Travaux par des chants.
Diverses approches du symbolisme de la Chaîne d’Union
Pour Irène Mainguy, la Chaîne d’Union remplit auprès de chaque Maçon le double rôle de bouclier protecteur et d’appareil émetteur / récepteur d’influences bénéfiques. Elle symbolise ce que devrait être sur la terre une fraternité humaine permanente et profonde. Cette chaîne unit les Francs-maçons en dehors de l’espace et du temps. Le monde des apparences tient les êtres physiquement prisonniers, mais les esprits sont libres au-delà des murs du temple, des frontières et des mers, les mains jointes dans une Chaîne d’Union établissent la pérennité de la fraternité qui devrait régner entre tous sur la terre.
Le mot « chaîne » exprime aussi une notion de transmission. En faisant le geste de se réunir dans la Chaîne d’Union, chaque Maçon incarne l’idée de transmission qui symbolise la vie et l’énergie créatrice. Cette chaîne formée de personnes de bonne volonté représente une communauté de cœur et de pensée.
Tous les Maçons du monde forment une seule et même famille dans le temps et l’espace.
Dans le mot « chaîne » se perçoit aussi une notion de lien indissoluble comme celui qui unit chaque Maçon par un serment prêté reliant chacun dans une chaîne d’union fraternelle sur toute la surface du globe. La chaîne est formée de maillons animés par une soif de Vérité et de Lumière.
Cette chaîne apparaît essentiellement comme le symbole d’une solidarité humaine, mieux encore comme celle d’une réconciliation universelle. Il s’agit en quelque sorte d’une intégration de tout être dans la société humaine idéale et l’intégration consciente à un univers dont chacun est un maillon actif. La Chaîne d’Union se forme par une boucle complète fermée en cercle.
Dans la Chaîne d’Union maçonnique, on aime à considérer que la main droite est émettrice, qu’elle transmet à la main gauche, qualifiée alors de réceptive, l’énergie reçue et transmise par le Vénérable Maître. Cette énergie se propage auprès de chaque maillon, chargeant chaque participant d’un potentiel collectif, celui de tous les éléments confondus de cette chaîne.
Beaucoup considèrent que la Chaîne d’Union ne peut pas être limitée à la présence physique des seuls participants, estimant que sa force relève aussi de celle de tous les Initiés passés dans l’invisible, qui les ont précédés. Elle inclut symboliquement dans sa mémoire tous les membres de la Loge et par extension de l’Ordre, depuis sa fondation !
L’idéal symbolique voudrait que dans ce geste, le rythme de chacun des participants se mette à l’unisson, dans un souffle commun, rappelant le Verbe de l’Origine.
Pour Guy Boisdenghien, la Chaîne d’Union, composée d’une suite d’anneaux engagés les uns dans les autres est l’emblème de l’action commune. En Franc-maçonnerie, elle prend la forme théorique du Cercle (le Ciel) et les mains entrelacées font passer de Frère en Frère l’influx conjugué de la Loge.
Pas en usage au Rite Français, la Chaîne d’Union termine par contre toute Tenue du Rite Écossais Rectifié. Elle prend particulièrement toute sa valeur lorsque l’Atelier vient de s’enrichir d’un nouveau Frère. Elle se met en place autour du Tableau de Loge où les Frères s’assemblent en croisant les bras.
Pour Christian Guigue, le contact de la main gauche passe par le cerveau gauche, d’où ce ∞ (huit) en mouvement. Ce double processus nous conduit à un « centre » où la division, la dualité, le binaire n’existent plus, ce qui constitue, grâce à l’essence spiritueuse, à l’action du groupe, une forme de fusion, de retour à l’unité, à l’énergie du principe.
Le rite de la Chaîne d’Union s’effectue autour du point central de la Loge qui, situé au milieu du Pavé mosaïque, figure l’axis mundi ou Centre du Monde. Avatar de l’arbre de vie ou arbre cosmique, il permet l’accès aux trois zones cosmiques correspondant aux mondes de la réalité, de la vie sans limite et de la sacralité. Lieu privilégié de l’ascension collective, cet ombilic devient l’athanor où s’opèrent la transcendance et la libération. Car l’esprit n’a pas vocation à se trouver prisonnier du corps, de la chair, de ce monde de la matière. Il est lumière, énergie, vie. Il a le désir de réintégrer son univers mais pour cela il lui faut parvenir à abandonner cette enveloppe corporelle : c’est ce qui s’opère par la fusion, cette forme de l’extase collective, au moyen des rites dits d’envol, ou d’ascension, qui prouvent la réalité du dépassement de la condition humaine par le « céleste » ou la spiritualité la plus épurée, d’où la nécessité de l’invocation au G.A.D.L.U. faite en préambule et en ce milieu.
Dans ce geste rituel, la transmission s’opère parce que à chaque niveau on est trois : chacun, à tour de rôle, devient un centre qui prend vie par la grâce du pôle énergétique représenté et constitué par le Frère qui se trouve à la droite comme par celui qui se situe sur la gauche. Mais ceci ne dure que la brièveté d’un éclair car nous nous fondons tous pour ne faire qu’un.
Les participants sont simultanément conscients d’une situation limitée où les identités sont séparées et d’une prééminence extatique divine où les identités sont similaires.
Pour parvenir à cet état, nous quittons nos gants, forme symbolique du dénuement pour s’oublier à soi, quitter la chair, et former le cercle en nous tenant par les mains nues. Nos doigts se serrent, nos êtres se fondent. Ce contact énergétique crée une sorte de fluide qui se répand dans la chaîne et s’élève. Ce courant réchauffe, réconforte, apaise à l’instar des mains magiques qui bénissent, baptisent et guérissent. Ce fluide qui circule et nous aspire vers le haut est Amour.
Or cet Amour, cette immense compassion, qui vibre universellement en chacun de nous, nous relie à tous nos Frères répandus sur la surface de la terre comme là-haut avec ceux qui ont gagné l’Orient éternel.
Il se densifie par cette fusion rituelle et collective mais il brûle toujours en nous, comme une petite particule aimantée qui croît en énergie chaque jour davantage pour se laisser attirer naturellement vers la Lumière, car nous n’aspirons, bien que nous n’ayons guère conscience, qu’à une chose : la victoire sur la mort et sur la matière, qu’à passer du microcosme vers le macrocosme, de l’animalité humaine à la déité. C’est par la lumière que se manifeste la vie. Sans ce centre tout devient chaos.
Pour Christian Guigue, la Chaîne d’Union est une communion spirituelle collective réalisée par les Frères présents, liés physiquement et immatériellement par l’âme et le cœur les uns des autres. C’est cette conjonction particulière que l’on nomme égrégore. Elle provoque l’ébranlement vibratoire d’une énergie « spiritueuse » par la réalisation du triple cercle symbolique, par la chaîne constituée aux trois niveaux et plans particuliers.
Les pieds se touchant les uns les autres réalisent le premier niveau de contact, celui de la communauté de l’incorporisation de l’esprit dans la chair, de l’identité de quête vers la lumière à travers le parcours terrestre, comme celui du même devoir d’accomplissement personnel. Les mains nues se tenant les unes aux autres constituent le deuxième cercle, celui du renoncement, de la libération des contraintes, de l’affranchissement des contraires : c’est l’éveil de l’esprit.
Cet acte évoque l’Ouverture vers les hommes et le monde. Il indique la générosité, le don sans contrepartie, les actes à accomplir sans que nous recherchions le moindre fruit ou quelque bénéfice matériel que ce soit, ni même la satisfaction d’une récompense morale toujours apte à célébrer une vanité ou un orgueil trop prompts à s’éveiller. Les mains jointes expriment notre solidarité, notre identité car, tous, nous sommes créés sur la même image : celle du Créateur. Le cercle du renoncement apparaît au plan initiatique comme étant le plus difficile à réaliser et franchir, car il faut parvenir auparavant à se libérer mentalement de l’activité intellectuelle inhérente à notre système de valeur occidental établi sur l’avoir et l’être extérieur, et des diverses contraintes sociales.
Il ne s’agit pas ici d’une liberté physique, mais de la prise de conscience de la présence vivifiante de ce feu intérieur qui se trouve refoulé, ignoré ou rejeté, et de la nécessité qu’il y a de se mettre en retrait du monde pour parvenir à l’exalter souverainement et amorcer le processus de la Quête qui commence alors.
Vient ensuite le troisième contact de la Chaîne d’Union : celui des esprits ou des âmes, de la puissance spirituelle, de la lumière du monde sensible, qui constitue une force particulière d’action fluidique. Ici, l’avis de Christian Guigue rejoint le point de vue d’Irène Mainguy : à la fois créatrice et réceptive, la Chaîne d’Union remplit auprès du Franc-maçon le double rôle de bouclier protecteur et d’appareil récepteur d’influences bénéfiques. De tous les gestes, de tous les rites, la Chaîne d’Union est peut-être le plus important, au point de vue occulte comme au point de vue symbolique.
La Chaîne d’Union prend une force considérable si le Vénérable Maître signale à tous les maillons un but commun, ce vers quoi chacun doit diriger sa pensée. Pour quelle raison forme-t-on la Chaîne ?
Le Vénérable peut la destiner à un Frère dans la souffrance ou dans la détresse, à un nouveau Reçu, à un Frère passé à l’Orient Éternel.
Chaque Frère de la Chaîne reprend mentalement le ou les mots prononcés par le Vénérable Maître en les répétant intérieurement. Tout Frère peut aussi faire le vide en lui pour devenir « neutre », laisser passer le fluide sans l’affaiblir, pour ne pas réduire à néant la chaîne ainsi formée.
Lorsque le Vénérable Maître joint une intention particulière à son invocation, celle-ci revêt une forme solennelle qui, au mieux, peut demeurer dans les pensées, imprégnée dans chacun au-delà même de l’enceinte du temple.
Tous les chaînons sont égaux : le Vénérable comme l’Apprenti, l’intellectuel comme le manuel. Tous sont au même diapason en une présence indispensable à la solidité de la chaîne, responsables individuellement de sa continuité.
Pour Guy Boisdenghien, la main droite, active, émet en transmettant le fluide magnétique à la main gauche passive. La droite est considérée comme emblème d’avenir tandis que la gauche représente le passé sur lequel l’homme n’a plus d’emprise.
Cette conception n’est pas exhaustive. Guillaume de Saint Thierry, commentant le Cantique des Cantiques, y exprime que la Droite est la marque de la sagacité et de la raison qui s’exercent dans l’effort. La Gauche, amie du repos, désigne la vie contemplative et la sagesse se réalisant dans la paix et le silence.
Enfin, autre donnée symbolique, pour Guy Boisdenghien encore, le côté gauche conditionne la vie elle-même car elle est le siège du cœur.
Donc, par la constitution de la Chaîne d’Union, la puissance magnétique se diffuse au-delà de chaque participant puisque la Loge, c’est-à-dire l’ensemble des Frères, ne forme plus qu’un. Tous les enseignements de la Tenue se synthétisent dans la Chaîne d’Union établie justement autour du Tableau de Loge. Elle est un Cercle considéré en son Absolu, manifestation de l’Univers.
Au Rite Ecossais Rectifié, la force magnétique ainsi créée a un but précisé par le Vénérable Maître dans la prière de clôture : « … et que la Chaîne d’une amitié parfaite et fraternelle soit désormais si forte entre nous que rien ne puisse jamais l’altérer ».
L’invocation constitue « l’Ouverture » de la chaîne. La « clôture » s’opère en la rompant, après trois balancements verticaux des bras et en pressant fortement les mains avant de les lâcher.
Certains Vénérables Maîtres précisent : « Rompons la Chaîne d’Union en trois temps, mes Frères, mais que celle de nos cœurs ne se brise jamais ! ».
Pour Jacques Tornay, membre de la R:. L:. « ALPINA », il est évident que la Chaîne d'Union occupe une place centrale dans le Travail maçonnique même si elle se tient à la fin de nos Tenues.
Le premier élément à considérer au sujet de la Chaîne d’Union, c’est le cercle, le cercle d'alliance et son riche symbolisme avec ses points de convergence, ses repères et ses références obligatoires liés à la Tradition. Parmi ses propriétés à caractère universel on note l'homogénéité, l'absence de division - donc l’unité -, et une aspiration commune dirigée vers la perfection de soi et de toute chose.
Les participants tendent à ne former qu’un seul corps, une force unique dans laquelle convergent les énergies de la terre et du ciel. Le temple convient particulièrement à cette opération puisqu’il a été bâti en fonction de lois cosmiques connues et qu’il reflète concrètement en son sommet un univers sans exclusive.
Ce que les Frères font à ce moment précis de la Tenue, où ils sont liés physiquement l’un à l’autre par la chaleur des mains, est désigné par la voûte immensément céleste au-dessus de leurs têtes, espace démesuré que l’on imagine peuplé d’astres différents de par leurs natures, compositions, fonctions et en mouvement perpétuel. Les uns sont le miroir des autres. L’identification est possible grâce à cette projection hors de soi vers l’illimité. La division entre le haut et le bas s’abolit d’elle-même et l’individu regagne pour un instant sa pleine intégrité.
Il est relativement facile de s’abîmer dans l’infini ; il l’est moins de se pencher sur son Frère avec la sollicitude que nous lui devons. Sur ce plan très tactile de la chaîne, les divisions n’existent pas non plus car nous voici réunis, solidaires, en nos grades et qualités, chacun nanti de son parcours de vie aussi différent qu’une étoile l’est de sa voisine. Doigts et paumes apportent et transmettent une confiance qui anime le cercle.
Ainsi, au terme d’une Tenue qui nous a demandé un effort d’attention, voilà que la Chaîne d’Union exige de chacun un effort encore plus grand, un recueillement actif et une réflexion d’autant plus profonde qu’elle sera de courte durée ! Et l’on s’en souvient longtemps après la sortie du temple.
Il n’est pas inutile de rappeler que si la Chaîne d’Union s’enracine dans le carré long de nos rencontres et nous concerne en premier lieu, elle doit aller plus loin et englober l’humanité, où trop d’êtres anonymes et inconnus ont besoin de fraternité, ne serait-ce qu’en pensée. Pour cela nous devons absolument croire au pouvoir des ondes bienfaisantes.
La Chaîne d’Union, symbole de fraternité
Lorsque le Récipiendaire apprend qu’il vient d’être admis dans la Franc-maçonnerie, il est invité à entrer dans la Chaîne d’Union. Le nouveau Frère découvre intuitivement dans cette cérémonie rituelle bien plus qu’un signe : il reçoit la révélation d’un message de fraternité universelle transmise par ses Frères.
La fraternité implique les notions de partage, de loyauté, de fidélité et d’amour entre les êtres humains, entre les membres d’une société en particuliers la nôtre. La fraternité n’est pas forcément innée mais la structure de la Loge maçonnique est favorable à l’épanouissement fraternel et, par conséquent, propice aux développements de qualités telles que la charité, l’indulgence, la fidélité, la tolérance.
Le Frère Apprenti, cherchant et travailleur, parviendra à assimiler, à perfectionner ces valeurs en travaillant assidûment à la taille de sa Pierre brute. Pour y parvenir, il lui faut faire preuve d’abnégation, abandonner ses convictions pour se mettre entièrement à l’écoute de l’autre et se remettre constamment en question pour progresser, d’abord lui-même, pour le rayonnement de sa Loge et de la Franc-maçonnerie.
La Franc-maçonnerie nous permet de créer l’unification de l’énergie des Frères par ce geste rituel que constitue la Chaîne d’Union. En effet, si lors d’une Tenue, une énergie, une atmosphère se dégage déjà par l’orientation du Temple et la disposition des Frères selon leur fonction, celle-ci s’accentuera lors la Chaîne d’Union où tous les Frères se donnent la main en formant idéalement un cercle, symbole d’unité. Il se dégage une puissante énergie. Les Frères transmettent leur énergie un peu comme en physique les particules dans un accélérateur. De même chaque Frère apporte sa propre énergie en même temps qu’il reçoit celle de ses Frères.
La Chaîne d’Union est le moyen charnel de nous rassembler ; elle symbolise notre unité. Elle est ce lien mystique puissant qui nous fait instantanément aimer de parfaits étrangers. C’est à ce moment-là où véritablement nous nous sentons davantage Frères et où passe une onde indéfinissable que beaucoup appellent l’égrégore.
Ce rite évoque symboliquement la fraternité et la solidarité entre les Francs-maçons. Il prend particulièrement toute sa valeur lorsque la Loge vient de s’enrichir d’un nouveau Frère.
La Chaîne d’Union rituelle est le véhicule de l'influence spirituelle. Elle est aussi une technique pour la transmission de l'énergie, technique efficace à condition d'être bien pratiquée. Pour que chacun tire profit de ce magnétisme, il faut qu'un amour fraternel, profond et sans réserve réunisse tous les participants sans exception. L'absence de cette condition rend inefficace, inutile et absurde le rite de la Chaîne d’Union. Afin de concrétiser davantage cette chaîne d'harmonie, le Vénérable Maître recommande souvent que tous les esprits des Frères présents se concentrent sur une même idée.
Symboliquement, la Chaîne d’Union évoque les liens très étroits qui unissent tous les éléments qui régissent notre planète, aussi bien matériellement que spirituellement. Par-là, elle se veut la réunion de toutes les volontés, de toutes les énergies, en une force unique capable de transcender les épreuves les plus terribles et de réaffirmer à chaque instant la maîtrise de l'esprit et la dimension sacrée de l'homme.
Selon Edouard Plantagenet, « elle symbolise l'Universalité de l'Ordre et rappelle à chacun que tous les vrais Maçons, quelle que soit leur patrie, ne forment qu'une seule famille de Frères, répandus sur la surface de la terre. Il semble en effet que la Chaîne d’Union rapproche les cœurs en même temps qu'elle ranime dans les consciences le sentiment de la solidarité qui nous unit et de l'interdépendance qui nous lie ».Tout Frère qui participe consciemment et sans réticences à la Chaîne d’Union rituelle en ressent lui-même les effets suggestifs et réconfortants.
Ce cérémonial semble préparer heureusement l'ambiance propice pour faire de la Fermeture des Travaux bien autre chose qu'une simple formalité !
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Pages 38, 49 et 80
Béresniak Daniel - L'apprentissage maçonnique, une école de l'éveil ?
Editions Detrad, Paris, 1983 - Pages 106 et 107
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d'Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 49 et 50
Benuraud A. et Brugnaux C. - Eléments pratiques de formation maçonnique et symbolique
Les Amis de Tristan Duch, Firminy (France), 1993
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999 - Pages 164 à 165
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Pages 169 à 175
Nefontaine Luc - Symboles et symbolisme dans la Franc-maçonnerie - Tome 2
Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1997 - Page 107
Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le travail en loge d'Apprentis
Editions Dervy – Livres, Paris, 1988 - Pages 95 et 96
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome I : « L’Apprenti » - Editions Dervy, Paris, 1994 - Page 211
Autres ouvrages consultés :
Ferré Jean - Dictionnaire symbolique et pratique de la Franc-maçonnerie
Editions Dervy, Paris, 1994
Guigue Christian - La formation maçonnique
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1996
Guigue Christian - Les Planches de l’Apprenti
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1996
Mainguy Irène - La symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001
La planche d’instruction du grade
Après avoir accompli son premier Travail et avoir été incorporé à la Chaîne d’union, l’Apprenti reprend sa place sur la Colonne du Nord et écoute ensuite la planche d’instruction du grade, tracée par le Frère Orateur. Celui-ci peut évoquer quelques aspects de la cérémonie qui vient d’être vécue ; il peut déjà mettre l’accent sur l’étude des symboles représentés sur le Tapis de Loge ou même évoquer les devoirs de l’Apprenti.
A l’issue de la cérémonie, le jeune Apprenti pourra aussi récupérer ses métaux.
La restitution des métaux
Quel sens donner à la restitution des métaux ?
En Maçonnerie, le dépouillement des métaux a une valeur purement symbolique puisque le Néophyte les récupère après la cérémonie. Il ne s’agit pas, dans la tradition maçonnique, d’arracher le Néophyte au monde profane au sens concret du terme.
Lorsqu’il a reçu communication des mots, signes et attouchements qui lui permettront dorénavant de se faire reconnaître Apprenti Maçon, lorsque ses Frères l’ont acclamé par la batterie d’usage et admis à prendre place en tête de la Colonne du Nord, le Néophyte rentre en possession de ces métaux dont il avait été dépouillé en tant que Profane. Le cérémonial de Réception se termine donc par où il a commencé ! En effet, dit Oswald Wirth, « le faux brillant des choses ne doit plus faire illusion à l’homme qui a été purifié intellectuellement et moralement. Quant aux richesses, il ne s’agit aucunement de les mépriser, mais de ne les rechercher qu’en vue de les employer dans l’intérêt de tous ».
La Franc-maçonnerie n’exige pas de nous la renonciation au monde temporel. Elle prétend seulement nous enseigner à nous abstraire des contingences profanes, ce qui constitue la condition préalable à une réflexion sur nous-mêmes, à notre intériorisation. Elle indique la direction spirituelle, la voie « royale » qui nous permet de cultiver notre réflexion, notre sensibilité, notre intuition. Formés à cette forme particulière d’ascèse, nous retournerons dans le monde profane avec des forces nouvelles.
Notre attention ayant été attirée sur le sens du dépouillement des métaux, nous nous efforcerons donc au cours de notre vie de réaliser un équilibre aussi harmonieux que possible entre les valeurs matérielles et les valeurs spirituelles.
Cet équilibre exclut nécessairement le mépris à l’égard des valeurs matérielles au profit des valeurs spirituelles ou réciproquement. La réalité est une totalité indissociable.
Le Travail maçonnique dans la Loge exige aussi de nous de « laisser nos métaux à la porte du temple ». Tous les rituels nous le rappellent ! Qu’en est-il ?
En Loge, on ne se sert plus d’outils de fer qui préparent les pierres. Celles-ci sont prêtes. Il s’agit seulement de les assembler. Pour cela, on ne se sert que d’instruments de mesure : équerre, compas, fil à plomb, niveau, etc.… Ces instruments sont silencieux. Ils n’engagent pas les muscles mais uniquement les facultés intellectuelles.
En Loge, tous les éléments dont on dispose – les Frères avec leurs Travaux et leurs points de vue personnels – doivent trouver leur juste place dans l’édifice, fruit du travail collectif. A ce niveau, les seuls outils sont les instruments de mesure, avec les qualités qui leur sont propres : précision et rigueur !
Bibliographie
Béresniak Daniel - Rites et Symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges Bleues » Editions Detrad, Paris, 1997 - Pages 11 à 19 ; 97
Béresniak Daniel - L’apprentissage maçonnique, une école de l’éveil ?
Editions Detrad, Paris, 1983 - Pages 112 à 115
Berteaux Raoul - La Symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986 - Pages 77 et 78
Boucher Jules - La Symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Pages 32 et 33
Nefontaine Luc - Symboles et symbolisme dans la Franc-maçonnerie Tome 2
Editions de l’U.L.B., Bruxelles, 1997 - Pages 113 et 114
Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le travail en loge d’Apprentis
Editions Dervy, Paris, 1994 - Page 56
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome 1 : « L’Apprenti » - Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 124, 125, 147 et 157
Brève analyse du Tableau de Loge d’Apprenti
Nous, Francs-maçons, sommes très attachés au symbolisme que nous considérons comme un moyen d’accès à la Connaissance. Notre Loge maçonnique elle-même n’est pas un espace vide : elle est habitée par des symboles.
Après avoir ouvert les Travaux à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, après que le Volume de la Loi Sacrée ait été lui-même ouvert sous le Compas et l’Equerre et posé sur l’autel des serments, le Vénérable Maître qui préside à la vie de la Loge, fait déployer sur le Pavé mosaïque, entre les Piliers de la Sagesse, de la Force et de la Beauté, le Tableau ou Tapis de Loge sur lequel figure l’ensemble des symboles qui décorent la Loge.
La Loge d’Apprenti est figurée sur ce « Tableau de Loge » qui a la forme d’un rectangle, dénommé autrefois « Carré Long ». Il a en effet les dimensions d’un carré long, d’un rapport de proportion de 1 sur 2, qui correspond donc à deux carrés juxtaposés. La forme quadrangulaire est utilisée comme modèle d’orientation spatiale : de l’Orient à l’Occident et du Septentrion au Midi. La même forme quadrangulaire peut aussi être utilisée pour le repérage du temps : de l’Équinoxe de printemps à l’Équinoxe d’automne et du Solstice d’hiver au Solstice d’été. En se référant au cycle diurne – nocturne, lors de la pose du Tableau, le Midi est amené en coïncidence avec le Sud et le Minuit avec le Nord.
Le Tableau de Loge d’Apprenti peut donc être considéré comme un modèle spatio-temporel dont les dimensions sont infinies dans l’espace et éternelles dans le temps. Ce modèle figure le Cosmos dans sa totalité. C’est dans cet espace-temps, infini et éternel que l’on va isoler un modèle réduit.
Placé au point central de l’atelier, dans l’axe du monde qui traverse le milieu du Pavé mosaïque, le Tableau de Loge est requis pour le Travail rituel du degré. Il porte tous les emblèmes et symboles usuels du grade et au Travail maçonnique en général.
Autrefois les symboles du Tableau de Loge étaient dessinés sur le sol pour l’Ouverture et effacés à la clôture. Il entrait dans les attributions du Maître des Cérémonies de tracer le tableau symbolique à la craie lors de l’Ouverture des Travaux et de l’effacer soigneusement, avec une éponge mouillée, au moment de la clôture.
Lorsque les Loges construisirent leurs Temples et abandonnèrent les tavernes, l’usage du dessin à la craie tomba en désuétude et il fut estimé plus commode de fabriquer un « tapis » une fois pour toutes. On trouva effectivement plus expédient de dérouler sur le parquet de la Loge une toile peinte d’avance. Traditionnellement, les Néophytes devaient accomplir leurs voyages autour d’un semblable rectangle mystique, renfermant les symboles proposés à leur méditation.
Le Tableau devint alors un Tapis de Loge, ce qui correspond parfaitement à l’ancienne observance des Modernes. Cette appellation de « Tapis de Loge » provient du fait qu’au 18ème siècle les symboles étaient peints sur un drap, sur un morceau de tissu déroulé à même le sol. L’apparition de cette application se situe vers 1730. Aujourd’hui encore, de nombreux ateliers perpétuent cet ancien usage.
La transformation du « tapis » en « tableau » tient à la permanence des locaux maçonniques et à l’évolution des techniques graphiques.
De nos jours, au Rite moderne, la plupart des Loges se servent d’une toile peinte – voire d’un tableau en bois sculpté – que le plus jeune des Apprentis déroule ou découvre lors des Tenues, à l’Ouverture des Travaux. Cette opération est évidemment plus simple que de recréer tout le Tableau.
Synonyme de « Tableau mystique », le « Tapis » ou « Tableau de Loge » désigne la représentation graphique des symboles d’un grade maçonnique, dans un Rite déterminé, spécialement pour ce qui concerne les trois niveaux des Loges symboliques. « Tapis » ou « Tableau », il résume les symboles et enseignements que l’Apprenti, le Compagnon et le Maître doivent connaître.
En fonction du Rite pratiqué (Moderne, Écossais Ancien Accepté, Écossais Rectifié, Écossais Philosophique, Français Moderne, Émulation, …) les éléments qui figurent sur le Tableau de Loge peuvent varier, selon qu’ils sont considérés ou non comme essentiellement représentatifs de l’enseignement dispensé à tel ou tel grade ou degré initiatique (degré d’Apprenti, degré de Compagnon, degré de Maître).
Au-delà du rang de Maître, les Hauts Grades font également usage des Tableaux de Loge mais sous une forme symbolique plus épurée, rappelant davantage le degré atteint par rapport à l’Initiation dans sa globalité.
Le Tableau de Loge figure un temple. Le temple, en tant que modèle réduit peut être réalisé par une courbe continue tracée sur le sol ou par une barrière formée de poteaux et de cordes ou par tout autres moyens réels ou fictifs. Ce temple est fermé par une corde à nœuds sur les côtés Nord, Est et Sud. Il est ouvert du côté de l’Ouest. C’est de ce côté que se trouve la « porte ».
Cette figuration est universelle : elle appartient à un lointain passé ; elle appartient à des civilisations éloignées dans l’espace. Fermé sur trois côtés et ouvert sur un quatrième côté correspond aussi à cette double condition d’universalité. Selon les cas, le côté ouvert est orienté vers le soleil levant ou vers le soleil couchant. La porte du Tableau de Loge est figurée par une construction architecturale.
Pour conférer à cet enclos le caractère « sacré » qui lui revient, certains objets y ont été déposés en des emplacements déterminés. Nos déplacements dans le Temple s’effectuent toujours par circumambulation autour du tableau de Loge. Certaines paroles prononcées et des gestes accomplis renforcent le caractère « sacré » de cet enclos.
Jules Boucher nous propose une énumération sommaire des symboles figurant sur le Tableau de Loge d’Apprenti : ce « Tableau » comporte deux Colonnes, surmontées de Grenades, encadrant une Porte à laquelle conduisent trois Marches ; elles-mêmes suivies d’un Pavé mosaïque. On y voit aussi trois Fenêtres, une Pierre brute, une Pierre cubique à pointe. Une Corde à trois nœuds encadre ce « Tableau » qui comprend en outre le Soleil et la Lune, les deux Luminaires, l’Equerre et le Compas, la Perpendiculaire et le Niveau, le Maillet et le Ciseau, la Planche à tracer. Tentons d’organiser quelque peu cette énumération.
Certes, il y a plusieurs façons d’aborder la lecture du Tableau de Loge. Celle que nous proposons part de l’évocation de la Lumière pour aboutir à la construction du Temple, en passant par le symbolisme des outils.
Commençons, arbitrairement, par nous intéresser au centre du fronton du Temple où nous apercevons un Triangle et à l’intérieur de celui-ci un œil. Ce triangle, ce Delta lumineux et l’œil qui y est inscrit, représentent symboliquement le « Grand Architecte de l’Univers », élément essentiel de la philosophie maçonnique. Des Maçons l’assimilent à Dieu et certains même au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. D’autres l’assimilent à l’Etre Suprême et à un Principe créateur, et certains à l’Esprit, à la Conscience Universelle. Ce Delta et l’Œil apparaissent comme le symbole de l’Etre, de l’Unité et de la Totalité. De ce Triangle émanent des rayons lumineux : « la Lumière ».
Le Grand Architecte de l’Univers, Etre Suprême ou Principe créateur a créé le Cosmos puis la Lumière grâce à laquelle Il a donné à ce monde un ordre, un sens, une signification.
Mais sur le Tableau de la Loge figurent aussi les luminaires que sont le Soleil et la Lune. Et il convient de ne pas confondre cette Lumière qui émane du Delta avec celle du Soleil et de la Lune. Celles-ci sont de l’ordre de la nature alors que la Lumière qui émane du Delta est d’un autre « Ordre » : elle est de l’ordre de l’Esprit. Et, lorsque le Vénérable Maître nous invite à nous tourner vers la Lumière, il ne s’agit pas d’une lumière naturelle, celle du soleil et de la lune, mais d’une Lumière spirituelle, « celle de l’Esprit et du Cœur ».
Pour l’observateur terrestre de l’hémisphère Nord, la course circulaire apparente du soleil émerge à l’orient et s’immerge à l’occident. Aussi l’image du Soleil est-elle associée à la moitié sud de la Loge. Par voie de complémentarité, l’image de la Lune est associée à la moitié nord de la Loge.
Le Soleil et la Lune, les deux astres les plus visibles, sont souvent associés en un modèle symbolique binaire au sein duquel les deux éléments constitutifs sont liés par le principe de complémentarité.
Le Soleil est l’astre du jour, la Lune celui de la nuit. L’un est actif, l’autre passif. Ils sont deux expressions différentes de la lumière qui règne sur le monde en permanence. L’un brille dans la clarté du jour, l’autre dans l’obscurité de la nuit, mais toujours avec un rayonnement suffisant pour éclairer les hommes en quête d’évolution sur le chemin de leur devenir.
Le symbolisme du Soleil et de la Lune est à explorer parce qu’il raconte toutes les attentes et toutes les craintes de l’homme. La perception du temps et de l’espace, la chaleur et la lumière, la fécondité, le rythme des saisons, l’idéal du moi, les dieux, les rites, les mythes fondateurs des religions sont impliqués et éclairés par ce qui est dit et rêvé de ces deux astres. Ils sont les premiers repères de celui qui regarde le ciel. Le Travail sur ces symboles est formateur pour les Maçons dont la vocation est de connaître l’homme et de l’améliorer.
En plus des images de la Lune et du Soleil, le Tableau de Loge présente une constellation d’étoiles avec quelques courbes esquissant des nuages. La Voûte étoilée n’a de valeur symbolique qu’en tant qu’élément « complémentaire » de l’élément Terre ou de l’élément Temple qui s’y substitue. L’ensemble des deux éléments forme un modèle symbolique binaire, corrélatif au modèle Équerre – Compas.
La Voûte étoilée, c’est en réalité le ciel, la voûte céleste parsemée d’étoiles. Elle est le symbole du caractère cosmique et universel du Temple et de la Franc-maçonnerie elle-même. C’est pourquoi le plafond du Temple, traditionnellement constellé d’étoiles sur un fond bleu, est appelé « voûte étoilée ».
La contemplation d’un ciel étoilé nous apporte une grande quiétude et une remarquable sérénité d’esprit. Elle nous incite à la méditation davantage qu’à la rêverie. La Voûte constellée des Temples maçonniques est le symbole de son universalité et, simultanément, celui de sa véritable transcendance.
La lumière est aussi représentée sur le Tableau de Loge par trois Fenêtres : la première à l’Orient, la seconde au Midi et la troisième à l’Occident. Il n’y a pas de fenêtre au Nord et les trois fenêtres sont grillagées. En dehors de la symbolique solaire, ces fenêtres interviennent comme des bornes, des limites, des frontières. Si elles sont grillagées, ce n’est peut-être pas pour interdire aux profanes de regarder dans le Temple mais simplement pour en défendre l’accès. Si ce grillage protège ces Ouvertures, cela pourrait aussi indiquer que le Travail des ouvriers est soustrait à la vue des profanes. Mais remarquons que si le Temple était éclairé intérieurement, un simple grillage ne suffirait pas pour empêcher de voir ce qui s’y passe !
Le Temple est tout simplement isolé du monde profane et le Maçon ne doit avoir aucune tentation de rester un simple spectateur de ce même monde. Au contraire, il faut qu’en sortant du Temple, après y avoir puisé de nouvelles forces, le Maçon redevienne un acteur dans la foule anonyme et y répande, entre autres, la Sagesse qu’il est venu y acquérir.
La fenêtre du Midi marque le commencement et la fin d’un monde qui se situe hors de portée des hommes. Celle d’Occident reste affectée à la mort symbolique. Quant à la fenêtre d’Orient, elle marque symboliquement le passage par où peuvent s’opérer la hiérophanie et la transfiguration.
Sur le Tableau de Loge, en matière de lumière, nous découvrons ensuite deux des Trois Grandes Lumières de la Franc-maçonnerie, l’Equerre et le Compas, deux instruments du Grand Architecte de l’Univers.
Si la Lumière qui se dégage du Tableau de Loge nous suggère de créer et de bâtir, nous ne pouvons cependant le faire qu’à la condition de savoir utiliser les outils, comme le Grand Architecte, et de les utiliser en fonction de la Loi morale, présente à la conscience de l’homme, ordonnée à une Vérité à découvrir, un Bien à réaliser et une Beauté à conquérir.
L’Équerre, c’est ce qui sert à rendre les corps carrés. Le Compas, c’est ce qui sert à comparer, à mesurer. Ce sont les outils symboliques utilisés par le Grand Architecte de l’Univers dans son œuvre ordonnatrice. Ils permettent de tracer le plan du monde. Lorsqu’ils sont associés au Volume de la Loi sacrée, comme des moyens unis à une fin, ils forment un modèle binaire.
Le Compas est un outil actif permettant de dessiner des cercles. Cette forme géométrique est un symbole cosmologique. Le Compas évoque l’idée de mesure précise mais davantage celle d’Ouverture. Il représente à la fois le mouvement et donc le temps, mais aussi le dynamisme constructeur, la pensée agissante, la prudence et le pragmatisme dans la recherche de la Vérité. Le Compas est aussi le symbole de l’esprit et de son pouvoir sur la matière.
L’Équerre est un outil passif, symbole de la matière. L’Équerre peut aussi représenter l’espace car elle a une double propriété caractéristique : l’horizontalité et la verticalité. Oswald Wirth lui assigne un sens d’équité, de justice, de rectitude dans l’action humaine. Si l’un des côtés de l’Equerre est d’une longueur supérieure, l’outil a alors un sens de dynamisme.
L’Équerre est l’un des symboles fondamentaux de la Franc-maçonnerie : en effet, sans l’Equerre, le Maçon ne pourrait jamais passer de la « pierre brute », qui n’a aucune horizontalité ni verticalité parfaite, à la « pierre cubique », perfection spatiale.
De l’Equerre émanent plusieurs valeurs morales. La principale, attestée par son angle droit, fixe et immuable, que Pythagore appelait son « angle d’équité », est la rectitude de l’Initié tant dans sa vie maçonnique que dans sa vie profane, une rectitude qui doit inspirer ses pensées, ses paroles et ses actions, une rectitude à laquelle se rattachent l’honnêteté, la sincérité, la franchise et l’intégrité. Autant d’exigences qui distinguent le Maçon de l’homme ordinaire dans l’existence quotidienne ; autant d’exigences réciproques qui s’imposent entre Frères, dans la Loge au cours des Travaux.
Les Tableaux de Loges placent le Compas ouvert, les deux pointes dirigées vers le haut. Cette disposition semble nous inviter à une investigation bien mesurée des principes abstraits. Elle implique une étude rationnelle, non de la terre ou des faits objectivement constatables, mais bien du ciel.
Sur le Tableau de Loge figurent aussi deux dessins de pierre : le premier est celui de la « Pierre brute » ; le second est celui de la « Pierre cubique à pointe ». Parfois elle est surmontée d’une hache.
La pierre brute n’a aucune forme ; la pierre cubique a été taillée. Dans les rituels maçonniques, il est écrit que le Franc-maçon doit s’efforcer de passer de la Pierre brute à la Pierre cubique, c’est-à-dire que si l’on assimile l’homme lui-même à un ensemble sans ordre ni mesure à l’état de nature, il doit par sa réflexion, par son travail apprendre à se discipliner, à mettre un certain ordre en lui-même « en maîtrisant ses passions et en soumettant sa volonté », comme le Grand Architecte lui-même a fait passer le monde du chaos à l’ordre et des ténèbres à la Lumière.
La Planche à tracer est aussi présente sur le Tableau de Loge sous la forme d’un rectangle sur lequel figurent deux grilles d’un alphabet maçonnique. Celles-ci sont utilisées pour créer un alphabet dont les lettres sont formées exclusivement par des équerres et des points mais cet alphabet est peu utilisé.
La Planche à tracer qui figure sur le Tableau de Loge est là pour suggérer au Franc-maçon qu’avant de s’engager dans une action, avant de réaliser une œuvre, il lui faut la penser, tracer les plans de la construction avant de passer à la construction elle-même et apprendre à se servir des outils propres à la construction d’un édifice.
C’est sur la Planche à tracer que les Maîtres établissent leurs plans. Mais les Apprentis ne doivent pas ignorer l’emploi de ce symbole. Et c’est parce qu’ils doivent s’exercer à ébaucher leurs idées que ce symbole figure déjà sur le Tableau de la Loge d’Apprenti.
La Pierre brute, la Pierre cubique et la Planche à tracer associées forment un ensemble de trois symboles connus sous l’appellation de « bijoux immobiles ». Ils correspondent respectivement aux degrés d’Apprenti, de Compagnon et de Maître.
Le Grand Architecte a donc créé et ordonné le monde ; il a aussi créé la Lumière. Grâce à cette Lumière, il a donné à ce monde un ordre, un sens, une signification. Ce monde, cosmique et naturel est déjà fait. Il est déjà là et c’est à nous, Francs-maçons à l’étudier, à le connaître si nous voulons le transformer. Mais si le monde de la nature est déjà fait, il n’en est pas de même pour l’homme lui-même. L’homme n’est pas déjà fait, il est à faire, il est à bâtir. L’Initiation consiste à faire le Maçon, à le bâtir avec les outils symboliques, dans la visée du Bien, dans la reconnaissance de la Loi morale.
Or, le Franc-maçon ne peut le faire qu’à l’aide d’outils symboliques. Ce sont ces outils que nous allons examiner à présent car, eux aussi figurent sur le Tableau de Loge. Ce sont d’une part le Maillet et le Ciseau, et d’autre part le Fil à plomb et le Niveau. Ils permettent au Maçon de bâtir, de construire.
Le Maillet et le Ciseau, outils de l’Apprenti, forment une association d’instruments. Le modèle symbolique formé par la jonction du Maillet et du Ciseau est un signe de puissance créatrice. Basé sur l’image de la taille de la pierre, le sens de ce modèle peut être amplifié en le transférant dans des domaines variés. C’est à ce Travail qu’est convié l’Apprenti par la présence des deux outils associés sur le Tableau de Loge.
Le Maillet est considéré comme le symbole de l’intelligence qui guide la main, qui elle-même tient le Ciseau et l’oriente. Le Maillet serait aussi le symbole de l’intelligence qui agit et persévère, qui dirige la pensée et anime la méditation de celui qui cherche la Vérité dans le silence de sa conscience. Mais il semble aussi être l’emblème du Travail et de la Volonté. Vu sous cet angle, il est inséparable du Ciseau qui représente le discernement sans l’intervention duquel l’effort serait vain.
Le Ciseau est l’un des symboles du Travail maçonnique mais principalement de celui de l’Apprenti qui, grâce à cet outil tranchant, peut dégrossir sa « pierre brute ».
Le Ciseau et le Maillet constituent un couple symbolique qui associe la force et l'habileté. Notre intelligence et notre volonté doivent s’appliquer à notre propre perfectionnement avant qu’il nous soit permis d’ambitionner une action plus étendue. Outil du Vénérable et des Surveillants, le Maillet revêt aussi un caractère d’autorité et de pouvoir.
Le Fil à plomb est un instrument irremplaçable qui nous vient des bâtisseurs. Il sert à vérifier la verticalité. En matière de construction, il y a lieu de remarquer qu’on s’assure de la perpendicularité grâce à l’équerre ! Au plan symbolique, le Fil à plomb représente le domaine au sein duquel opèrent le Ciseau et le Maillet.
La ligne verticale, matérialisée par le fil que tend une petite masse de plomb, situe l’espace immatériel où se produit le dégrossissage de la Pierre brute, Travail essentiel et primordial de l’Apprenti.
Le Fil à plomb n’a ni sommet ni longueur définis. Il symbolise l’activité ésotérique de l’homme, sa vie intérieure, psychique, mentale. C’est le lieu du moi individuel et le passage entre le haut et le bas de ce moi, c’est-à-dire la connaissance de soi, condition sine qua non de l’Initiation. La connaissance approfondie de soi réclame une volonté, un courage et une persévérance de tous les instants.
Dans la Maçonnerie moderne, le Niveau se présente en forme de triangle dont l’angle supérieur est de 90°, au faîte duquel est attachée une perpendiculaire. Par le fait qu’il indique à la fois l’horizontale et la verticale, il constitue l’instrument idéal pour celui qui veut bâtir, ce qui est le but symbolique de tout Initié puisque celui-ci a pour mission de reconstruire son propre Temple. Le niveau et la perpendiculaire sont indispensables à toute construction : le niveau sert à vérifier les horizontales, la perpendiculaire sert à vérifier les verticales.
Par la justesse qu’il permet d’atteindre sur l’un et l’autre plan, le niveau est le garant d’une construction harmonieuse. Il est par excellence un outil de perfection. Appliqué à la progression et à l’évolution de l’homme, il représente l’égalité des valeurs humaines et sociales. Le Niveau serait donc le symbole de l’égalité originelle. Mais il peut aussi indiquer que le Maçon n’a pas à vouloir prouver qu’il a raison mais qu’il a à participer en toute modestie aux Travaux de la Loge qui ont pour but la probe recherche de la Vérité. Le Niveau ne symbolise pas l’égalité des hommes devant les lois du monde profane. S’il est vrai que les Maçons en Loge sont égaux devant les lois maçonniques, le Niveau ne semble pas non plus le symbole de cette égalité.
S’il est également vrai qu’une Tenue a pour objectif, entre autres, d’uniformiser les disparités sociales, culturelles et idéologiques des membres de la Loge, le Niveau n’est pas le symbole d’une uniformisation à tendance égalitariste ou le symbole d’un nivellement par le bas ! Le Franc-maçon est avant tout un homme libre d’avancer, sur la voie initiatique, au rythme qu’il peut soutenir, sans élitisme ni esprit de compétition.
Lutter contre les inégalités du monde profane est un idéal auquel les Maçons aspirent. Mais cette lutte commence par l’amélioration de soi. La Franc-maçonnerie a foi en cette mission qu’elle confie à chacun de ses membres et le Niveau est un des instruments de la perfectibilité humaine. C’est d’elle qu’il est un des symboles. Il semble donc bien à sa place sur le Tableau de la Loge !
La Perpendiculaire et le Niveau sont attribués respectivement au Second et au Premier Surveillant, ce qui souligne le degré d’importance dans l’instrumenta maçonnique.
Les outils sont utiles, indispensables même, pour construire symboliquement le Temple. Aussi trouvons-nous sur le Tableau de Loge l’image du Temple qui rappelle le Temple grec ou romain. Il est de forme rectangulaire et surmonté d’un fronton triangulaire.
Devant le Temple nous observons une représentation du « Pavé mosaïque » qui aurait décoré le Temple de Salomon et qui décore aujourd’hui encore le sol de toutes les Loges.
Composé de carrés blancs et noirs alternés, le Pavé mosaïque représente les dualités, les oppositions, les contraires que l’être humain observe et même subit au cours de l’existence quotidienne. Mais au-delà de ce symbolisme apparemment binaire, ces paires ne sont opposées qu’en surface. Un Initié digne de ce nom cherchant toujours au-delà des apparences, se rend compte que le blanc n’est que l’aspect complémentaire du noir. Il n’y a dès lors ni carreaux blancs ni carreaux noirs sur le Pavé mosaïque à partir du moment où l’Initié dirige son mental vers les lignes virtuelles que forment les carreaux côte à côte. Ces lignes médianes, hors de la dualité blanc-noir, et leur ensemble composent l’élément trinaire du symbole.
Pour accéder à l’entrée du Temple, il faut gravir trois Marches, ce qui signifie que pour accéder à ce lieu sacré, il faut s’élever, comme pour apercevoir la Lumière.
Le Tableau de Loge présente un escalier de trois Marches devant la porte d’entrée. Le plus souvent cet escalier est reporté vers le fond du temple. Certains auteurs présentent un nombre de marches différent de trois : il s’agit là d’écarts destinés à promouvoir l’une ou l’autre thèse chère à l’auteur. Du point de vue de la symbolique des nombres, c’est bien trois qui assume la cohérence numérique du degré d’Apprenti.
Le Tableau de la Loge présente à l’Ouest un portique formé de deux colonnes soutenant un linteau sur lequel repose le fronton triangulaire déjà évoqué. Les deux colonnes ont ici la fonction de soutien. Il ne faut pas les confondre avec les Colonnes J:. et B:.. Il s’agit ici d’une porte, au sens architectural du terme, qui contrôle l’entrée dans l’enclos délimité par la corde à nœuds. Lors de la cérémonie de Réception du candidat, la porte est supposée basse et étroite.
Les Colonnes J:. et B:. rappellent celles qui étaient situées dans le Temple de Salomon : la Colonne B:. (Booz) symboliserait la Force (« en lui est la Force ») ; la Colonne J:. (Jakin) signifierait « maintenir en force ». Il s’agit d’établir ; il s’agit aussi de maintenir. Le Franc-maçon, comme l’Architecte, doit bâtir mais il doit aussi maintenir ce qu’il fait, affirmer son œuvre et sa validité et empêcher qu’elle soit détruite par qui que ce soit.
Au grade d’Apprenti, le « Tapis » ou « Tableau de Loge » est entouré d’une corde à nœuds. Ces nœuds entrelacés sont probablement l’image de l’union fraternelle qui lie par une chaîne indissoluble tous les Francs-maçons du globe.
En suivant le contour du Carré long sur les côtés Nord, Est et Sud, la corde à nœuds délimite un enclos ouvert vers l’Ouest. C’est sur ce dernier côté qu’est figurée la porte, ouvrant le passage dans l’enclos sacré, cerné par la corde. Un tel enclos est dénommé « temenos », c’est-à-dire un lieu séparé et isolé. Ce terme est à l’origine du mot « temple ». Certains auteurs y ont vu une représentation de la Chaîne d’union. Remarquons cependant que notre Chaîne d’union est une boucle « fermée » tandis que la corde à nœuds est « ouverte ».
Pour Benuraud et Brugnaux, la fonction de la corde à nœuds consiste à maintenir les différents éléments contenus dans l’enceinte du Temple. La corde à nœuds semble en effet bien protéger l’ensemble des outils et symboles représentés sur le Tableau de la Loge. Elle reste toujours « ouverte » vers l’Occident mais marque une limite à ne pas franchir en direction de l’Orient. Cette disposition ne nous indiquerait-elle pas que la lumière qui luit à l’Orient est sacrée, intouchable et inaccessible et que, par conséquent, la Vraie Lumière, c’est celle qu’il faut chercher ailleurs, au plus profond de soi-même ?
Le Tableau de Loge apparaît donc comme un condensé des symboles essentiels d’un degré et devient ainsi un support efficace pour la réflexion du Franc-maçon à leur sujet. Image réduite des valeurs symboliques et mythiques de la Loge, il condense au centre du Temple, visible de tous par conséquent, l’essentiel de la Maçonnerie : la Lumière, la fraternité, le travail, l’égalité, l’axe et l’équilibre de la recherche initiatique depuis la Pierre brute jusqu’à la Pierre cubique, la protection du monde maçonnique contre le monde profane…
Durant les Travaux, c’est le Tapis de Loge qui reçoit l’éclairage général du Temple sans cacher le Pavé mosaïque qui y est dessiné. C’est un lieu sacré. C’est pourquoi nos déplacements s’effectuent tout autour de lui.
Notre circumambulation autour de cet espace sacré a pour objectif de respecter au sein du Temple intérieur de chaque Initié la Lumière sacrée qui s’y trouve enfouie et qu’il recherche pour la cultiver, pour la faire grandir et pour la faire rayonner autour de soi.
Bibliographie
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Page 151
Benuraud A. et Brugnaux C. - Eléments pratiques de formation maçonnique et symbolique
Les Amis de Tristan Duché, Firminy (France), 1993
Béresniak Daniel - Rites et Symboles de la Franc-maçonnerie
Tome I : « Les Loges Bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997 - Page 67
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Edimaf, Paris, 1986 - Pages 17 à 19
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995 - Page 129
Guigue Christian - La formation maçonnique
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995 - Page 273
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001 - Page 168
Tort-Nougues Henri - Lecture des Tableaux de Loge (Rite écossais)
Guy Trédaniel Editeur, Paris, 1999 - Pages 27
Pour conclure, du moins provisoirement
La cérémonie d’Initiation, à peine terminée, la Loge se réjouit car elle vient de célébrer une nouvelle entrée en Maçonnerie. Elle a revêtu ses plus beaux atours et a pris son air de fête pour recevoir le nouvel Apprenti. Lorsque le bandeau qui couvrait ses yeux lui a été enlevé, la Lumière s’est répandue dans le Temple et il aura sans doute ressenti, un peu confusément, que la Réception d’un Frère Apprenti est un événement important dans la vie d’une Loge maçonnique.
Il vient, en effet, de commencer à prendre sa part de Travail des Maçons, travail symbolique qui ambitionne de construire le temple de la Vérité et de la Sagesse. Car les Francs-maçons ont un idéal qui ne s’appuie sur aucun dogme auquel ils seraient tenus d’obéir et de croire aveuglément. Cet Idéal, ils le poursuivent sans préoccupations intéressées, non pas dans l’espoir d’une récompense sur Terre ou dans un autre monde, ni dans la crainte d’un châtiment s’ils s’en écartaient. Ils s’attachent à cet Idéal parce qu’ils estiment que la justice dans l’égalité, la sagesse dans la bonté sont des devoirs humains, et même naturels, et que la pratique de ces vertus porte en elle sa récompense la plus directe et la plus effective.
L’accession à la Maçonnerie est bien une forme de privilège qui permet au nouveau Frère d’être en droit d’éprouver un sentiment de fierté légitime. A cette fierté correspond d’ailleurs la joie de ceux qui l’ont accueilli, pour toujours.
La Maçonnerie est profondément imprégnée d’un esprit fraternel qu’il découvrira au contact de ses Frères. Cet esprit ne s’obtient réellement que par un travail opiniâtre et incessant. Et c’est une joie pour eux de le voir dès cet instant prendre en main leurs outils symboliques.
Le voilà donc initié ! Il vient d’être créé, consacré et reçu Franc-maçon. Pourtant cette cérémonie ne suffit pas, nous le savons tous, pour faire de lui un Maçon. Il lui faudra sans doute toute une vie maçonnique pour entrevoir une réponse, non dogmatique, à la question « qu’est-ce que cette Initiation que je viens de vivre ? ».
Le jeune Apprenti s’apercevra probablement très vite que cet esprit qui anime la Maçonnerie peut rivaliser avec la plus belle et la plus altruiste des philosophies parce que la Maçonnerie veut mettre toutes les croyances sur pied d’égalité, pourvu qu’elles soient non dogmatiques, c’est-à-dire indulgentes et sincères.
Il ne tardera pas à sentir que le code d’honneur des Maçons est vraiment l’un des plus beaux, l’un des plus limpides. Le respect du code d’honneur implique, bien sûr, des devoirs, des devoirs de respect des lois maçonniques, des devoirs de fraternité, de solidarité et de tolérance entre Frères et à l’égard des personnes qui les entourent dans la vie quotidienne.
Si cela ne fait pas de nous des anges, au moins la Maçonnerie nous apprend à nous débarrasser peu à peu de nos plus gros défauts. C’est ce que nous appelons « tailler notre Pierre ».
Chacun poursuit ensuite son propre chemin initiatique. A condition de ne jamais s’arrêter de progresser, donc d’aller le plus loin possible, il procure au moins de sérieuses victoires sur soi-même.
Voilà un des plus grands secrets de la Franc-maçonnerie : c’est une initiation poursuivie sans relâche ; c’est le voyage lui-même qui compte et non pas son but.
Etre Maçon, c’est donc être profondément humain dans la bonté, la justice et la tolérance, dans l’amour du Bien et du Vrai. C’est ce secret que nous sommes venus chercher ici, tous étant ce que nous sommes ; c’est ce secret que nous espérons que le nouvel Initié nous aidera à chercher, pour son bien… comme pour le nôtre.
Les Maçons savent que le jeune Apprenti se souviendra longtemps de la cérémonie qu’il a vécue et que ses souvenirs se préciseront surtout lorsqu’il aura participé à l’admission d’autres néophytes dans sa Loge et dans notre Ordre, la Franc-maçonnerie traditionnelle, qualifiée de « régulière ».
A l’issue de la cérémonie, ses impressions sont certainement confuses, d’autant plus qu’il a pénétré dans le Temple les yeux bandés et que tout est neuf et probablement inattendu pour lui.
Mais qu’il sache que l’Initiation au grade d’Apprenti est la plus belle et sans doute la plus riche en substance de toute une vie maçonnique. Les Frères qui l’ont précédé s’accordent généralement à reconnaître que la toute première des initiations est celle qui leur a laissé l’imprégnation la plus profonde.
Consciente de ses devoirs et après une approche prudente, la Loge a jugé, en toute humilité, qu’il était digne de la rejoindre. Il a frappé à la porte du Temple et c’est ainsi que, dans les ténèbres, grandes lui furent ouvertes les portes de la Loge.
Que fallait-il lui apporter ? « La Lumière ! » fut-il répondu. Et la lumière lui fut donnée ! La Lumière lui a été donnée, symboliquement. La Vraie Lumière ne lui viendra cependant pas tout d’un coup.
Avait-il vraiment conscience de vivre dans les ténèbres ? Connaissait-il sa quête ? Lors de notre propre Initiation, savions-nous réellement ce que nous cherchions ? Pourtant, à chaque fois, le rite mystérieux s’est accompli et la Lumière fut donnée.
De même que ses yeux ont dû s’accoutumer à la lumière qui a jailli, de même, sa personne devra s’habituer progressivement à l’idéal maçonnique qui est loin de lui avoir été révélé dans son entièreté par son Initiation : ce n’est pas en quelques instants qu’on devient plus sage et meilleur. C’est par un travail continu parmi ses Frères, avec eux, mais surtout, par un travail opiniâtre sur lui-même. C’est seulement ainsi qu’il pourra accéder à une connaissance plus grande et plus complète d’abord de lui-même, puis d’autrui. Car c’est en jugulant le repos complaisant et confortable des habitudes égoïstes qu’on perçoit ce qu’on peut apporter à d’autres, peut-être moins favorisés. En les aidant, en leur tendant une main secourable, en les guidant s’ils le demandent, le Maçon augmente la richesse et la perfection dans son cœur.
La lumière donnée est donc l’une des clefs d’un enseignement symbolique destiné à nous élever. Mais à nous élever vers quoi ? Que venons-nous chercher en Loge ?
Est-ce seulement la présence d’une main tendue dans les ténèbres qui conforte notre solitude ? Ou est-ce plutôt parce que cette main tendue affirme détenir un secret ? Quel secret ? Quelle clef ? De quelle porte ? De quel domaine bien clos ?
Certains caressent l’opportunité de meilleures relations d’affaires, source possible de plus grand confort matériel. Ils seront déçus. Certains rêvent d’acquérir un pouvoir occulte leur assurant l’emprise nécessaire à asservir leurs semblables. Ils ne renforcent que leur propre esclavage. D’autres encore, mécontents de leur position sociale, viennent chercher dans nos temples le baume à leurs vaines ambitions. Ils n’engraissent que leur ego.
Le plus grand nombre de Frères, tenaillés par cet insatiable « pourquoi », perdus dans leurs méandres métaphysiques, ayant épuisé les règles scientifiques, viennent finalement échouer aux parvis de nos Loges, aux portes de ce Temple qui prétend détenir la Connaissance.
Vivant dans l’illusion, toute démarche ne conforte que l’illusion. Il serait aisé d’en rire, mais avec tant de souffrances, tant de tragédies, ce ne serait que dérision empreinte d’hystérie.
Dans la solitude de sa nuit, le Profane a frappé à la Porte du Temple et, dans un moment d’acceptation totale, il s’abandonne librement entre les mains de ses futurs Frères.
Le Rite initiatique au premier degré a déroulé les fastes de ses symboles. Dans le creuset des arcanes, l’alchimie du Grand Œuvre tend à prendre corps, à emporter le présomptueux vers sa fin, vers une nouvelle vie, vers un autre commencement, vers le retour à la Lumière. Quand enfin elle est là, elle est aveuglante !
Le Frère nouvellement initié a-t-il réfléchi à ce qu’il découvrirait en Franc-maçonnerie ? Ce qu’il vient de découvrir correspond-il à ce qu’il avait imaginé avant son Initiation ?
Au soir de la cérémonie, il est sans doute encore un peu tôt pour donner une réponse car ce qu’il découvrira en Franc-maçonnerie, c’est un perfectionnement de lui-même des points de vue sagesse et moral parce que c’est là notre ambition de devenir meilleur et de rendre meilleurs, c’est-à-dire plus complètement humains.
Nous ne prétendons pas lui donner plus de science dans quelque domaine que ce soit mais bien de l’aider à s’épanouir dans le domaine du Bien et du Beau. Notre Ordre, dans sa Constitution, se définit comme « une association initiatique qui, par son enseignement symbolique, élève l’homme spirituellement et moralement et contribue ainsi au perfectionnement de l’humanité par la pratique d’un idéal de paix, d’amour et de fraternité ».
Qu’il se souvienne toujours que la Franc-maçonnerie vise au bonheur de l’Humanité par le perfectionnement des personnes, que notre Institution travaille à l’amélioration de l’Homme par la réflexion personnelle, en lui offrant une ambiance et des outils symboliques d’un usage universel.
Il nous a promis de nous apporter son concours sans restriction aucune. Car personne ne peut être poussé vers le Bien et le Beau s’il ne désire ardemment y accéder. De sa propre impulsion, il devra s’y engager résolument, car ce ne sont ni des mots ni des gestes rituels qui font de lui un Maçon : c’est un devenir continu et persévérant. C’est un travail permanent et de longue haleine que de tailler et polir la Pierre brute, sa Pierre brute.
Ses Frères lui font confiance. Ils lui tendent la main. Qu’il la tienne fermement et parte avec eux vers cette Lumière qui le guidera, qui deviendra toujours plus grande, plus forte et qui réchauffera toujours plus profondément son cœur.
R :. F :. A. B.
Bibliographie générale
Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie
Editions De Vecchi, Paris, 1995
Behaeghel Julien - Symboles et initiation maçonnique
Hiram dans le labyrinthe - Editions du Rocher, Monaco, 2000
Behaeghel Julien - L’Apprenti maçon et le monde des symboles
La Maison de Vie, Fuveau, 2000
Béresniak Daniel - Rites et symboles de la Franc-maçonnerie
Tome 1 : « Les Loges bleues » - Editions Detrad, Paris, 1997
Berteaux Raoul - La symbolique au grade d’Apprenti
Editions Edimaf, Paris, 1986
Boisdenghien Guy - La vocation initiatique de la Franc-maçonnerie
Editions l’Etoile, Bruxelles, 1999
Boucher Jules - La symbolique maçonnique
Editions Dervy, Paris, 1995
Dangle Pierre - La Franc-maçonnerie initiatique
Le livre de l’Apprenti - La Maison de Vie, Fuveau, 1999
Guigue Christian - La formation maçonnique
Editions Guigue, Mons-en-Baroeul, 1995
Mainguy Irène - La Symbolique maçonnique du troisième millénaire
Editions Dervy, Paris, 2001
Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le travail en loge d'Apprentis
Editions Dervy-Livres, Paris, 1988
Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes
Tome I : «L'Apprenti» - Editions Dervy, Paris, 1994
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Commentaires
Définir l'initiation à partir de l'homme social et de la tradition de métier, c'est mettre les effets avant la cause.
L'initiation est ce qui relie l'homme au sacré, à son origine divine, et à sa destination (immortalité de l'âme).
Le reste ne fait qu'en découler. (la morale et les bonnes mœurs découlent de la doctrine, et non l'inverse)