• * Les grenades et leur symbolisme

     Les grenades et leur symbolisme 

     

    En guise de préambule

    En tant qu'Apprenti le plus récemment initié, j'ai eu pendant une année l'honneur de pouvoir dérouler le Tapis de Loge lors de chaque Ouverture des Travaux. A chaque Tenue je profitais du temps de la planche musicale pour faire le point concernant les symboles qui s'y trouvaient : ceux dont j'avais déjà abordé l’analyse et ceux qui me restaient à interpréter.

    Regard sur le Tapis de Loge

    Deux petites taches rouges surmontant les colonnes représentées sur le Tapis de la Loge d'Apprenti m'ont longtemps intrigué mais jusqu’il y a peu, j'avais toujours trouvé un sujet de réflexion plus captivant ou un symbole plus important à analyser !

    * Les grenades et leur symbolisme

    Je me suis donc enfin décidé à approcher le symbolisme de la grenade.

    Une première constatation surprenante : je n'en ai pas trouvé trace dans la classification de Patrick Négrier !

    Raoul Berteaux n'en parle pas non plus car sa typologie, exposée dans l'ouvrage de Luc Nefontaine est limitée aux symboles mis en œuvre lors du Tuilage au cours des cérémonies d’Initiation. Il ne parle pas de symboles « graphiques », pourtant nombreux à faire partie du décor de la Loge.

    Ces premières constatations sembleraient-elles m'indiquer qu'il ne faut accorder que peu d'importance à ce symbole ?

    Afin de mieux le comprendre, je vais d'abord essayer de mieux percevoir l'objet réel et concret, à savoir la grenade en tant que fruit.

    Un beau fruit du Midi

    La première question qui me vient à l'esprit pour comprendre le symbolisme de la grenade est de savoir d'où proviennent les grenades et ce que l'on sait de l'arbre qui les porte.

    Le grenadier est un arbre de 3 à 8 mètres de haut, originaire de la Mésopotamie, de la Palestine, de la Perse et de l'Afghanistan ; le grenadier a conquis tout le bassin méditerranéen [1].

    * Les grenades et leur symbolisme

    Il se rencontre en effet à l'état semi-sauvage dans les régions subtropicales et tempérées des deux hémisphères, particulièrement dans la région méditerranéenne, le Portugal et l'Espagne.

    Arbuste ou arbre appartenant à la famille des punicacées, il produit des fleurs décoratives et des fruits comestibles appelés grenades.

    * Les grenades et leur symbolisme

    Ses fleurs, rouge écarlate, apparaissent en juillet ; ses fruits se forment sur les rameaux de l'année et mûrissent à l'automne. Le grenadier pousse en sol frais et fertile dans le midi de la France. L'écorce de sa racine, qui est toxique, est utilisée en pharmacie.

    La grenade est un fruit à peau dure dont la pulpe couleur vermillon renferme une multitude de graines charnues, rouges et rosées. Comestible, elle a la grosseur d'une belle pomme et une saveur aigrelette et agréable.

    La grenade est un fruit très rafraîchissant et sa pulpe se consomme avec ses graines !  En Inde, les graines écrasées et réduites en poudre servent à aciduler les viandes. C'est également avec les graines de grenade que l'on prépare le fameux sirop de grenadine qui a en réalité une couleur gris-rose et non rouge comme celui vendu dans le commerce !

    Jusqu'ici bien peu d'éléments me permettent d'approcher le symbolisme de la grenade. J'ai donc décidé de consulter un ouvrage de biologie afin de mieux saisir la structure de ce fruit. Celle-ci devrait en principe me conduire à une meilleure perception du lien entre le fruit et son symbole.

    Que constatons-nous ?

    En coupant une grenade en deux selon un plan horizontal, on peut constater la transparence de la pulpe et l'on découvre effectivement un nombre impressionnant de graines dont l'ordonnance est symétrique dans cinq cavités disposées selon les diagonales d'un pentagramme.

    Grande ouverte la grenade fait songer à un sexe féminin.

    Angélo de Gubernatis l'avait déjà fait remarquer : « Dans la forme de la grenade ouverte, on croyait reconnaître celle de la vulva ».

    La quantité impressionnante des semences, noyées dans un liquide rappelant le sang, est à l'origine d'une foule de symboles : la grenade est notamment le fruit de la fécondité.

    C'est ainsi qu'en Afrique du Nord, ses graines sont consommées fraîches pour accroître la fertilité. Si une femme berbère désire savoir le nombre d'enfants qu'elle mettra au monde, elle trace un cercle sur le sol.

    De bon matin, tournée face au soleil, elle laisse tomber une grenade mûre au milieu du cercle ; autant de graines projetées hors de la circonférence, autant d'enfants à naître !

    La botanique et une coutume berbère m'ont donc permis de comprendre pourquoi le grenade symboliserait la fécondité et aurait une connotation sexuelle.

    Coup d'oeil dans la Bible

    Mais tentons d'évoluer vers un peu plus de sérieux : le Volume de la Loi Sacrée m'en révélerait-il davantage ?

    D'après la Bible (Livre des Rois, VII, 18-20), des grenades ornaient les énormes chapiteaux de bronze surmontant les colonnes de ce même métal, à l'entrée du Temple de Salomon.

     

    Edouard  Plantagenet nous propose un extrait de la Bible, assez significatif [2] :

    -          Or, le roi Salomon avait fait venir de Tyr, Hiram.

    -          20. Or les chapiteaux étaient sur les deux colonnes ; ils étaient - dis-je - au-dessus, depuis l'endroit du ventre qui était au-delà des rets. Il y avait 200 pommes de grenades, disposées par rangs tout autour.

     

    Comment comprendre cet extrait ?

    La seule constatation à formuler, me semble-t-il, est la similitude entre les colonnes du Temple du roi Salomon et les colonnes qui décorent l'entrée des loges : elles sont

    surmontées de chapiteaux décorés de lys et de grenades.

    En effet, nous dit Luc Nefontaine, les grenades se retrouvent au sommet de chaque colonne et sont liées primitivement au symbolisme de la construction du temple. 

    Au sommet des Colonnes

    Tout nouvel Initié aura sans doute remarqué les grenades sur le Tapis de la Loge d'Apprenti, bien avant d'en constater également la présence au sommet des colonnes à l'entrée de la Loge.

    Bernard Baudouin remarque que la grenade est souvent citée dans les Écritures, et qu'on la trouve à plusieurs reprises en référence, au sein du Temple maçonnique, précisément au faîte de chaque colonne où sa forme de vase arrondi est caractéristique.

    La grenade et son symbolisme

    Selon Bernard Baudouin, ce fruit appelé « grenade » est  classiquement considéré comme un symbole de fertilité.

    Luc Nefontaine, considérant le mot au pluriel, nous dit qu' « elles peuvent symboliser le mystère de la génération ».

    Selon Jean-Marie Ragon de Bettignies, cité par Edouard Plantagenet, « un millier de pépins contenus dans un même fruit, un même germe, une même substance, un même asile, image du peuple Maçon, qui, tout multiplié qu'il est, ne fait qu'une seule et même famille. C'est ainsi que la pomme de grenade devient l'emblème de l'harmonie sociale ».

    Oswald Wirth évoque ce symbole par l'expression « Les grenades de l'amitié ».

    Cet auteur nous apporte encore une précision à propos du symbolisme des grenades dans un chapitre à propos du Temple : « La porte s'ouvrira à l'Occident, entre deux colonnes creuses, aux chapiteaux ornés de lys égyptiens et couronnés de pommes de grenade entrouvertes ; ces fruits aux grains symétriquement rangés rappellent la famille maçonnique, dont tous les membres sont harmonieusement reliés par l'esprit d'ordre et de fraternité ».

    Bien que la grenade ne soit pas citée parmi les exemples de symboles d'origine religieuse par Luc Nefontaine, c'est  pourtant son symbolisme religieux que Jules Boucher considère en priorité.

    Ce fruit dont les grains sont si nombreux, dit le pape saint Grégoire, symbolise la charité qui contient tant de vertus.

    La grenade qui, sous son écorce cache tant de grains succulents, symbolise l'humilité, dit Mgr Barbier de Montault. Ce même auteur en fait aussi l'emblème de la papauté qui exprime l'union de tous les enfants de l'Eglise dans son giron maternel [3] .

    Angelo de Bubernatis a bien pénétré le sens de la grenade.

    Dans l'ouvrage déjà cité ci-dessus, il écrit : « Le grand nombre de graines que le fruit du grenadier contient, l'a fait adopter, dans la symbolique populaire, comme le représentant de la fécondité, de la génération et de la richesse ».

    Toujours selon Angelo de Bubernatis, « on prétend que le fruit donné par Ève à Adam, et par Pâris à Vénus, n'était pas une pomme, mais une grenade, et qu'il faut presque toujours sous-entendre la grenade, lorsqu'il est fait mention d'une pomme dans les mythes et dans les usages populaires qui se rapportent au mariage ».

    Ce symbolisme sexuel et de fécondité serait à coup sûr le plus exact et c'est celui que retient Jules Boucher avec le plus de certitude. C'était le symbolisme des grands ésotérismes religieux antiques de la Babylonie et de la Grèce, en passant par la Syrie et par ses cultes féminins (cultes lunaires de provenance indiscutablement indienne et tantrique [4]).

    Mais un recours à l'étymologie nous permettra d'aller encore plus loin. En effet, le nom botanique de la grenade c'est Punica granatum ; le mot « punica » est généralement interprété comme venant de l'adjectif latin puniceus, rouge, en raison de la coloration des graines ;  cependant, il pourrait aussi indiquer une origine phénicienne, c'est-à-dire punique.

    Or, on sait que les fameuses guerres dites « puniques » sont celles qui opposèrent si longtemps Rome et Carthage, ville fondée par les Phéniciens qui avaient conquis une grande partie de la Sicile.

    Les Romains disaient « foi punique » pour qualifier la « mauvaise foi ». Et Montesquieu pense que les Carthaginois, auraient pu, sans injustice, qualifier de même la foi romaine !

    Quant à granatum, ce mot signifie grain et le mot malum qui signifie « pomme » étant sous-entendu, on peut traduire Punica granatum par "pomme à grains rouges".

    En Franc-maçonnerie nous dit encore Jules Boucher, les graines de la grenade, noyées dans une pulpe transparente, symbolisent les Maçons unis entre eux par un idéal commun.

    La présence de ce fruit dans l'univers maçonnique est sans aucun doute due au nombre surprenant et surtout à l'ordonnancement symétrique de ses graines.

    Jules Boucher résume ses propos en disant que les grenades symbolisent, en Franc-maçonnerie, la multiplication et l'union.

     

    Quant à moi, que vais-je retenir de cette analyse ?

    Que le fil à plomb me vienne une fois de plus en aide car c'est au plus profond de moi-même que luit la Lumière et mes possibilités d'interprétation de ce symbole !

    Contrairement à ce qu'il m'avait semblé en commençant la rédaction de cette planche, les grenades constituent un symbole important bien que placées très discrètement au sommet des deux colonnes. Peut-être est-ce pour compenser cette discrétion qu'elles ont été coloriées en rouge sur le tapis de notre Loge ?

    Mes interprétations personnelles

    1. Si l'écorce de la racine du grenadier est toxique, il m'est par conséquent loisible d'imaginer que la grenade doit nous faire comprendre que les Maçons sont issus d'un monde mauvais par essence et qu'ils doivent s'élever vers la perfection. Le nombre impressionnant de graines que renferme la grenade peut ainsi être associé aux très nombreux Francs-maçons qui tentent d'améliorer notre monde en commençant par leur amélioration personnelle.

    2.  Ces graines évoquent en moi le concept de fraternité, les liens étroits entre tous les Frères, l'idée d'une grande famille et surtout l'esprit solidaire qui doit régner au sein de cette famille qu'est la Franc-maçonnerie.   

    3.  Mais les grenades entrouvertes au sommet de nos deux colonnes me semblent aussi présentes pour nous encourager à la fécondité de nos Travaux.

    4.   L'ordonnancement des graines de la grenade me ferait également songer à l'interdépendance des êtres. Comme des atomes dans le déterminisme universel, les graines des grenades peuvent en effet nous aider à comprendre le caractère chimérique et illusoire de l'individualisme à outrance.

    5.  La grenade m'est aussi apparue comme une forme naturelle de la solidarité, celle qui résulte des lois de la nature, de l'ordre              cosmique.

    6.  Il me paraît enfin utile de rappeler que la Franc-maçonnerie est l'école de la solidarité en voie de réalisation et que son but, à cet égard, c'est que les hommes, connaissant et aimant le lien qui les unit dans la Nature et dans la Société, s'accoutument à se traiter en Frères, à agir chaque jour comme tels.

    7.   Mais la fraternité dans les mots n'a aucune portée si elle n'exprime pas celle des cœurs : rien n'est fait si le Franc-maçon n'a pas pris l'habitude de vivre à l'égard de ses semblables dans un état de sympathie et de bienveillance qui devient le diapason de son caractère car la Franc-maçonnerie ne comporte pas seulement un accroissement de connaissances et de culture intime, elle implique l'amour sincère de tout ce que l'on considère vrai, juste et beau.

    8.    Se traiter réciproquement en amis, en Frères, cela implique qu'on s'aimera les uns les autres !

    A.   B.

    (Planche tracée à l'époque où j'étais App:.)

     

    Bibliographie

    Baudouin Bernard - Dictionnaire de la Franc-maçonnerie

    Editions De Vecchi, Paris, 1995 - Page  75

     

    Boucher Jules - La symbolique maçonnique

    Editions Dervy, Paris, 1995 - Pages 142 et 143

     

    de Gubernatis Angelo - Mythologie des plantes

    Tome II édité en 1882 - Page 167

     

    Nefontaine Luc - Symboles et symbolisme dans la Franc-maçonnerie - Tome 2

    Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1997 - Page 108

     

    Plantagenet Edouard E. - Causeries initiatiques pour le travail en loge d'Apprentis

    Editions Dervy, Paris, 1995 - Page 125

     

    Viard Michel - Les fruits et légumes du monde

    Editions Hatier, 1995

     

    Wirth Oswald - La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes

    Tome I « L'Apprenti » - Editions Dervy, Paris, 1994 - Pages 85 et 210

     


    [1] Selon le Larousse agricole.

    [2] Du « Premier Livre des Rois », Chap. VII  15 à 22

    [3] Mgr Barbier de Montault, Traité d'Iconographie chrétienne tome premier, p. 226 & 324

    [4] Le tantrisme est un ensemble de croyances et de rites issus des tantra (textes et cultes) et relevant de l'hindouisme, du jaïnisme et du bouddhisme tardif. Le tantrisme se donne comme but le salut par la connaissance ésotérique des lois de la nature.

     


  • Commentaires

    1
    Basilius
    Lundi 2 Avril 2018 à 17:28

      Le symbolisme maçonnique est issu de différentes origines et nous l'interprétons en fonction d'un raisonnent peut-être inadapté surtout en maçonnerie .

      Pour la grenade que l'on voit rarement apparaître dans les images de symboles il serait sans doute intéressent d'envisager une origine alchimique.

      En effet grenade -égal- oeuf philosophal les grains symbolisent les rubis qui représentent le travail au rouge soit : la réalisation du grand oeuvre  

      Analogie avec la construction du temple. Personnellement je me demande s'il s'agit d'un oubli ou d'un tabou.

      Cordialement  pour pas dire plus.

    Suivre le flux RSS des commentaires

    Vous devez être connecté pour commenter